Conseils de jardinier
DIALOGUE N° 145 - Du refus d'apprendre au pari de comprendre
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J'ai essayé... ça marche !
Conseils de jardinier : si vos petits pois sont rouges...
Jacqueline BONNARD
Formateur-chercheur
Échange surpris dans la salle des profs à la récréation. « Ils sont comment les 5C aujourd'hui? » demande le collègue de mathématiques au professeur de musique.
- Ben, répond l'autre, Bryan est éteint ; pour Kévin la flûte c'est mission impossible... quant à Stéphanie elle préfère se repoudrer le nez plutôt que d'apprendre à respirer... et puis j'ai envoyé Samir prendre l'air, il parait que la flûte, c'est pas de la vraie musique... Les maths, ça les inspire peut-être davantage...
- Va pas falloir qu'ils me gonflent... je n'suis pas d'humeur !
Et voilà la machine à café transformée en mur de lamentations, chacun y allant de son couplet sur les élèves de cette classe, certes difficile, mais sur laquelle aucune réflexion collective n'a été menée pour comprendre les difficultés des élèves et envisager des actions concertées. Car à quoi bon se concerter, ceux-là ne s'intéressent à rien, ne comprennent rien, refusent de travailler.
Un peu à l'écart, deux collègues devisent sur les soins à donner à leurs plantes d'intérieur : luminosité, vaporisation hebdomadaire, engrais diversifié... « Pour avoir la main verte, il faut aimer les plantes et avoir beaucoup de patience, dit l'une d'elle ».
Près de la fenêtre, j'observe un groupe d'élèves se moquant d'un autre adossé au mur du restaurant scolaire, faussement indifférent mais visiblement blessé quand l'attention des premiers est détournée par le passage d'un papillon qui vole avec difficulté. Aussitôt les « agresseurs » délaissent leur proie pour s'emparer avec précaution de l'insecte ; ils le posent sur un muret et observent avec espoir l'hypothétique envol.
Ces instants de vie ont été le déclencheur de la démarche qui suit qui s'est construite en deux temps que j'utilise en formation d'enseignants mais aussi avec des élèves en « vie de classe ».
La démarche de la plante verte
Enjeux
Changer de regard sur l'élève. Repérer la posture favorable à une écoute positive de l'autre. Déroulement
Constituer 2 groupes et les isoler pour éviter toute communication pendant l'exercice.Consigne donnée au groupe 1 : « Votre plante verte donne des signes de faiblesse. Que dites-vous ? Que faites-vous ? ». Relever sur une affiche les différentes propositions.
Consigne donnée au groupe 2 (pour des enseignants) : « La classe de 5C est particulièrement pénible. Que dites-vous (vous ou vos collègues) ? Que faites-vous ? ». Relever sur une affiche les différentes propositions.
Consigne donnée au groupe 2 (pour des élèves) : « Dans la classe, il y a des élèves que vous « n'aimez pas ». Que dites-vous ? Que faites-vous ? ».
Après une quinzaine de minutes, l'ensemble des participants est réuni et les affiches produites sont affichées. Il y a alors un moment de stupeur dans l'assistance, en particulier lorsqu'il s'agit d'enseignants qui découvrent que la posture adoptée avec la plante verte est beaucoup plus pertinente, voire professionnelle que pour les élèves difficiles. L'échange qui suit permet d'aborder les items suivants : le regard posé sur l'élève, les regards croisés des enseignants sur les difficultés des élèves, le phénomène des attentes. Pour certains collègues, cela peut être
violent, il faut donc présenter cela comme un détour, un test amusant. « Car enfin, disent certains, on ne peut quand même pas comparer des élèves à des plantes vertes ». Sauf que moi, je n'aime pas les plantes vertes, je préfère les poissons rouges, m'a rétorqué un collègue un peu déstabilisé.
Où j'introduis les poissons rouges à la démarche
Consigne 3 : « Un de vos poissons rouges perd de ses couleurs et semble vivre à l'écart des autres. Que dites-vous ? Que faites-vous ? ».Sans le savoir, ce collègue a permis d'ajouter des éléments supplémentaires et d'établir quelques parallélismes avec ce qui se joue dans un groupe, car contrairement à l'étude de la plante verte plutôt statique et peu encline à la socialisation, l'observation des poissons permet quelques comparaisons même hasardeuses avec un groupe d'humains. Le regard globuleux du poisson est impénétrable et si l'animal gobe air et nourriture avec application, il ne saurait être question d'imaginer que dans la classe-aquarium, nos élèves y évoluent avec autant de dextérité et en silence...