Extraits Dialogue n° 171
Dialogue n° 171 - Dans et hors l'école. Réussir, ils en sont tous capables !
Actes des 11è Rencontres nationales sur l'accompagnement, Ivry, 26 mai 2018
- L'idée du « Tous capables ! » dans les faits, une urgence ! Lire
Pascal DIARD
Réaffirmer aujourd'hui, plus que jamais, notre pari philosophique, éthique et politique du « Tous capables » devrait permettre de continuer, de renforcer, de renouveler notre bataille d'idées et de pratiques pour que l'égalité d'accès à l'éducation et à la culture devienne enfin réalité. Pour que la liberté de penser et le pouvoir d'agir pour de meilleures conditions d'existence s'accrochent réellement à une visée d'émancipation de tous les enfants et de tous les éducateurs, de tous les élèves et de tous les enseignants. - Intervention d'ouverture
Evelyne RABARDEL, première Vice-Présidente du Conseil Départemental du Val-de-Marne
C'est un très grand plaisir d'ouvrir, à vos côtés, cette 11e édition et de partager les échanges de cette matinée. D'autres engagements ne me permettront malheureusement pas d'assister aux travaux de cet après-midi. Je le regrette sincèrement car le programme de cette journée augure de débats extrêmement intéressants et de moments de mise en pratique tout aussi riches.
Je vous remercie encore, Monsieur le Président, de votre invitation car vous m'offrez l'opportunité de dire combien je suis convaincue que les pratiques développées par votre mouvement et les valeurs qu'elles portent sont, à mes yeux, d'une grande modernité... J'oserai même dire qu'elles sont « innovantes », pour reprendre un mot trop souvent galvaudé... en tout cas, clairement audacieuses en regard des défis auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés... - Comment en arriver à une école de la réussite pour tous ?
Serge BOIMARE, psychopédagogue, ancien directeur du Centre Médico-Psychopédagogique Claude Bernard (Paris V), auteur
45 ans de fréquentation des réfractaires à l'apprentissage pour en arriver à une idée dérangeante pour nos pratiques pédagogiques. Une idée qui va peut-être vous surprendre, et peut être même vous sembler bizarre, mais qui pour moi est une idée essentielle, si l'on veut imaginer un jour une école de la réussite pour tous. Cette idée la voici : " il ne faut plus avoir peur de nos mauvais élèves, c'est sur eux que repose l'espoir d'améliorer l'école".
Je ne parle pas seulement de l'ambiance ou du climat général, mais bien d'une amélioration de notre rang dans les classements internationaux. Pour tenter de le montrer, non pas sur des théories psychologiques ou psychanalytiques, encore moins sur les découvertes récentes des neurosciences, mais sur des observations simples, qui me viennent de 45 ans de pratiques pédagogiques, passés dans la fréquentation des enfants et des adolescents réfractaires aux savoirs que leur propose l'école, de
leur famille et de leurs professeurs. Cette pratique, ces observations m'ont amené à avoir trois certitudes.
- Parents/professionnels de l'éducation : rencontre pour une coéducation
Jean BERNARDIN
« Entrer à l'école c'est entrer dans une autre tribu pour m'attribuer des attributs nouveaux — qui ne sont jamais entièrement superposables avec les attributs qui ont cours dans ma tribu d'origine ». (J. Constant)
Historiquement, la loi de 1920 interdit l'entrée de l'école à toute personne étrangère : l'École sera un lieu où les élèves perdront, en entrant, leurs caractéristiques sociales.
« Dans les écoles confessionnelles, les jeunes reçoivent un enseignement dirigé tout entier contre les institutions modernes. Si cet état de choses se perpétue, il est à craindre que d'autres écoles se constituent, ouvertes aux fils d'ouvriers et de paysans où l'on enseignera des principes diamétralement opposés, inspirés peut-être d'un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus présents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 24 mai 1871. » (Jules Ferry, cité par Jean Foucambert). - Le journal des apprentissages : un dispositif d'écriture réflexive pour transformer le rapport au savoir des élèves
Justine DONNARD, professeur des écoles à Ivry-sur-Seine (94)
La question de l'activité des élèves et la question de leur rapport au savoir et au monde m'ont toujours animé depuis que je suis professeur des écoles. Le journal des apprentissages, dispositif d'écriture réflexive, est devenu il y a trois ans un outil dans ma pratique de classe. Il permet de rendre visible l'activité des élèves et participe à la transformation de leur rapport au savoir et au monde.
Faire entrer les élèves dans la réflexivité ne va pas de soi. Certains élèves n'y ont pas d'emblée accès alors que d'autres l'ont souvent acquise hors de l'école. C'est une construction sociale et culturelle. Pourtant, l'accès à la réflexivité permet à l'élève de s'impliquer dans la construction de ses connaissances et contribue à sa réussite scolaire. - Carte postale
Sylviane MAILLET, secteur Arts plastiques recherche et création
Curieusement alors que je pensais que le descriptif de l'atelier était explicite - il s'agissait d'un atelier d'Arts Plastiques - certains des participants ont pensé qu'il pouvait s'agir d'un atelier sur l'informatique. Les réticences qu'ils auraient pu avoir, s'ils en avaient compris réellement le sens, se sont vite levées au fur et à mesure de l'atelier, pour qu'à la fin de cette séance, en découvrant leur création, ils s'étonnent de ce dont ils avaient été capables. Ils avaient réussi dans un domaine dans lequel ils se sous estimaient. Et c'est là où « le tous capables » prend tout son sens et sa concrétisation — précisément en création, qui reste un domaine où l'idée de doué ou non doué demeure un préjugé toujours aussi persistant. - Faire de la sociolinguistique avec des collégiens ? Chiche !
Valérie SULTAN
L'idée de cet atelier m'est venue d'un élève de quatrième, qui a lancé un jour devant ses camarades : « de toute façon, j'apprends pas le passé simple, c'est un truc pour les bourges ». Que faire de cette phrase aux multiples sous-entendus, qui en disent long, à la fois sur la relation de certains de nos élèves avec l'école, mais aussi sur l'école elle-même ? Devais-je faire comme si je ne l'avais pas entendu, au risque de laisser perdurer la situation ? Ou bien « tancer vertement ce petit sauvageon » façon Finkielkraut en lui rappelant qu'il n'était pas là pour décider ce qu'on apprend dans l'école de la République ? Au final, j'ai fait le choix de transformer cette phrase en objet d'étude...
Bien sûr, l'échec scolaire a des causes multiples. On ne compte plus les ateliers d'aide, les dispositifs de remédiation et autres « pédagogies différenciées » pour essayer de le combattre, le plus souvent sans grand succès. Si la perte de sens par rapport aux savoirs, voire le refus d'apprendre sont des causes essentielles d'échec, on peut s'étonner que ces paramètres soient si rarement pris en considération. En faisant le pari de lancer un atelier de sociolinguistique avec mes élèves je tente de lever ce genre d'obstacles. J'essaye de les inviter à porter un regard nouveau sur l'apprentissage de la langue tout en mettant à leur portée les recherches universitaires en sociolinguistique.
- Tous égaux... avec les mots... : un travail de chacun
Laurent CARCELES
« Messieurs, la pensée qui a inspiré le projet de loi soumis aux délibérations du Sénat est de celles qui s'imposent à tous les esprits ________ dans une nation __________. ».
La phrase ci-dessus n'est pas un énoncé censuré. C'est la première du texte à trous que j'ai partagé avec les inscrits à un des ateliers de l'après-midi des Rencontres GFEN 2018 sur l'accompagnement. Je proposais de nous demander : « Qu'est-ce que ça veut dire « égalité » ? ». En préparant cette journée, la pratique du texte à trous, que nous faisons vivre aussi à nos élèves pour construire – individuellement et en groupe – du vocabulaire, nous a semblé un bon moyen d'exploration lexicale. Les participants ont, non seulement, été d'accord mais, surtout, ont fait surgir le contexte historique du texte ainsi que des questionnements qui leur sont propres. Questionnements parfois inattendus, y compris de l'animateur. - Qu'est-ce qu'un gouverneur colonial ? Une question préalable sur la pacification à Madagascar
Pascal DIARD
Enseigner la colonisation française sous la Troisième République est souvent une gageure. Par quoi commencer ? Quelles sortes de documents étudier pour construire un savoir sur cette période sans tomber dans les pièges de l'idéologie ? Quel scénario pédagogique mettre en place pour mobiliser l'intérêt des élèves et des enseignants ?
Les documents sur cette période sont pléthoriques, les manuels itou. Parmi ceux-ci, une publication récente se distingue, Enseigner les colonisations et les décolonisations, qui met en garde sur l'utilisation critique que l'on peut faire des « représentations discursives ». « Laissant parfois de côté des situations coloniales concrètes », la focale exclusive centrée sur les textes, les discours et les représentations « a pu aussi contribuer à construire des figures stéréotypées des colonisateurs et des colonisés, accentuant la puissance des uns et l'aliénation des autres, alors que les situations sont souvent plus ambiguës ». Nous
voilà prévenus ! - Création d'un espace d'écriture particulier dans le cadre de la journée sur l'accompagnement du GFEN
Jocelyne CLÉMENT
Cet atelier, animé lors des rencontres, a cheminé dans les rues d'Ivry. De rue en rue, carrefour après carrefour, les consignes se sont construites sur les contrastes, les ruptures, les rencontres. Trouver des matériaux dans la rue.
Un seul dimanche, deux espaces de travail possibles, un choix à faire :
- la journée « Aide » du GFEN avec un atelier d'écriture à construire, animer, vivre dans la ville d'Ivry-sur-Seine,
- un après-midi seine et marnais avec un atelier d'écriture dans la forêt de Fontainebleau à abandonner.
Mon choix est vite allé vers la ville : j'y avais perçu des enjeux politiques qui me sont inhabituels, une co-animation semblait se profiler autour d'un parti pris du côté de l'improvisation dans l'urbanité, une curiosité étonnée s'attisait, un nouveau désir d'exploration. - Être citoyen, ce n'est pas vivre en société, c'est la changer !
Romain GEFFROUAIS, GFEN Île-de-France, ancien enseignant au lycée Chérioux de Vitry-sur-Seine (94)
L'enseignement de la citoyenneté au secondaire ne s'aventure que trop peu souvent sur les chemins d'une citoyenneté critique et en acte qui peut agir sur la société et la transformer en même temps qu'elle la comprend. Cet article vise à présenter la séance d'introduction au théâtre de l'opprimé que j'ai fait vivre lors des Rencontres d'Ivry-sur-Seine de 2018. Le théâtre de l'opprimé a été créé par Augusto Boal dans l'Amérique latine des années 1970. Son objectif est de rendre visibles des conflits sociaux et politiques et de soutenir la prise de parole de groupes dominés et marginalisés. Le « théâtre forum » est son outil le plus spectaculaire. En devenant « spectActeur », le participant entre en scène, se confronte avec d'autres personnages et met en action ses idées, ses alternatives, sa volonté de changer la situation.
- Quels regards sur les élèves ?
Jacques BERNARDIN
Notre action pédagogique est infléchie par le regard porté sur les élèves. Prendre un peu de distance sur les dominantes explicatives ayant prévalu selon les époques permet de mieux comprendre les obstacles à l'audace inventive pour les éducateurs, mais aussi les verrous mentaux des élèves et de leurs parents, piégés dans une autolimitation des possibles. Déverrouiller les fatalités intériorisées, c'est le propre de l'action du GFEN. En connaître les ressorts, de part et d'autre de la scène éducative, c'est renouveler nos pouvoirs d'agir...