A propos de la motivation scolaire
| le 30/11/-0001 00:00
La motivation qui reste extérieure au sujet ne permet pas l'entrée dans les apprentissages. Conquérir la mobilisation des...En savoir plus
Mouvement de recherche et de formation en éducation
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Jacques BERNARDIN (GFEN)
I/ LE SUJET DANS LE RAPPORT À SON MILIEU
L'inachèvement biologique du premier âge, tout comme la dépendance vitale de l'enfant vis-à-vis de ses proches font de l'être humain un «être intimement et essentiellement social» (H.Wallon)[2]. Soumis à son milieu pour la satisfaction de ses besoins vitaux, l'enfant est pris dans le jeu complexe des associations et interprétations réciproques. «C'est un être dont toutes les réactions ont besoin d'être complétées, compensées, interprétées. Incapable de rien effectuer par lui-même, il est manipulé par autrui, et c'est dans les mouvements d'autrui que ses premières attitudes prendront forme.» Faisant le lien entre ses manifestations spontanées et les réactions qu'il provoque, l'enfant va bientôt inscrire ses actes dans l'intentionnalité et pouvoir signifier sa demande. Initialement dans l'indistinction fusionnelle avec l'entourage, le moi prend position vis-à-vis de l'autre lors de la crise de personnalité des 3 ans. Pour autant, l'autre reste « un partenaire perpétuel du moi dans la vie psychique ».
L'enfant serait-il entièrement soumis à l'empreinte de son milieu ? Ce serait négliger la pluralité des sollicitations. Pour Henri Wallon, à côté du milieu social, familial, «l'école est aussi un milieu fonctionnel. Les enfants y viennent pour s'instruire et ils doivent se familiariser avec une discipline et des rapports interindividuels d'un type nouveau.» Ainsi, l'enfant est au carrefour de multiples influences, «plusieurs milieux peuvent se recouper chez le même individu et même s'y trouver en conflit.» Et ces milieux ont une valeur subjective : «Il y en a des honteux et d'autres avantageux ; il y en a qui sont reniés et d'autres convoités. Ainsi, l'existence des milieux réels peut être doublée (...) par des jugements de valeur ou par des aspirations imaginatives». Ce qui amène chacun à choisir, choix qui «peut s'imposer soit pour résoudre des discordances, soit par comparaison de ses propres milieux à d'autres»[3].
Georges Canguilhem
confirme que c'est l'individu qui oriente le milieu. «Le milieu propre de
l'homme, c'est le monde de la perception, c'est-à-dire le champ de son
expérience pragmatique (...) l'environnement auquel il est sensé réagir se
trouve originellement centré sur lui et par lui»[4]. Cette orientation est dépendante
du sens, en rapport avec le besoin de l'individu : «Un vivant ne se réduit
pas à un carrefour d'influences. D'où l'insuffisance de toute biologie qui, par
soumission complète à l'esprit des sciences physicochimiques, voudrait éliminer
de son domaine toute considération de sens. Un sens, du point de vue biologique
et psychologique, c'est une appréciation de valeurs en rapport avec un besoin.
Et un besoin, c'est pour qui l'éprouve et le vit un système de référence
irréductible et par là absolu"[5]. Mais de quelle nature sont les
besoins humains ?
II/ DES BESOINS HUMAINS QUI ONT ÉVOLUÉ
Chez les animaux, le besoin n'opère que comme un état de manque de l'organisme, générant une activation des instincts biologiques. L'humanité ayant quant à elle produit au fil du développement socio-historique des objets servant à satisfaire ses besoins vitaux a créé de nouveaux besoins détachés des besoins biologiques : outils et techniques de chasse, de pêche, d'agriculture et d'élevage, artisanat diversifié mais aussi codes symboliques, outils conceptuels et techniques intellectuelles grâce à ces outils médiatisant le rapport au monde. L'espèce humaine se spécifie par la nécessité d'une transmission de cet héritage auprès de jeunes générations, transmission assurée par les adultes qui entourent l'enfant.
Le débat entre le sujet et son milieu se noue donc au cœur des activités d'appropriation des significations et outils accumulés par l'espèce. Ces significations sociales sont les produits de processus de formalisation, cristallisations de l'activité humaine nécessairement confrontée à des exigences, des critères et des normes à vocation universelle, normes émancipées des personnes et des situations singulières comme des conditions contingentes à leur élaboration. Toutefois, elles mènent une double vie, actualisées «dans et par la famille, inscrite dans des rapports sociaux et des configurations historiques concrètes (...)»[6] qui en modifient la dimension, la portée ou le caractère, tout autant qu'elles portent l'empreinte subjective du sujet qui y est engagé. « D'un côté l'objectivité des significations sociales et de la pertinence des activités d'appropriation eu égard à ces significations ; de l'autre le sens personnel et les mobiles subjectifs qui s'incarnent et se réalisent en elles : c'est de cette contradiction interne, de cette discordance créatrice entre les deux faces de l'activité du sujet que de l'histoire peut advenir pour celui-ci (...) »[7].
L'acquisition des propriétés spécifiques de ces objets doit passer par un apprentissage qui en permette la réélaboration par le sujet, et il en est de l'apprentissage de la bicyclette comme du langage : «Même les instruments ou outils les plus élémentaires doivent être découverts activement dans leur qualité spécifique par l'enfant qui les rencontre pour la première fois. Autrement dit, l'enfant doit effectuer à leur égard une activité pratique ou cognitive qui réponde de façon adéquate (ce qui ne veut pas dire forcément identique) à l'activité humaine qu'ils incarnent» [8]. Comme on le voit, l'activité joue un rôle central dans le processus d'hominisation.
Et contrairement à ce que laisse entendre Piaget, renvoyant à une auto construction du sujet à travers ses actions sur les objets, celui-ci n'est pas seul dans ce processus. Ainsi que le rappelle Vygotski, «l'outil médiatise l'activité qui relie un homme non seulement au monde des choses, mais aussi aux autres hommes» et les instruments formés socio-historiquement «sont transmis à chaque homme par les hommes de son entourage au cours de sa coopération et de ses rapports avec eux». Comme cela ne peut se transmettre que sous une forme extérieure, d'action ou de langage, les processus psychologiques supérieurs ne peuvent apparaître qu'en tant qu'interpsychologiques avant de devenir intrapsychologiques. Il se produit alors une modification de la forme elle-même du reflet psychique de la réalité, avec l'apparition de la conscience, entendue comme réflexion du sujet sur la réalité, sur sa propre activité, sur lui-même, où le langage joue un rôle capital.
Pour Léontiev, du rapport entre inter et intrapsychique découle qu'il y a communauté de structure de l'activité humaine et de la conscience individuelle. Comment conçoit-il la structure de l'activité ?
III/ LES CARACTÉRISTIQUES DE L'ACTIVITÉ
L'activité n'est jamais réduite à un simple geste. Si elle nécessite la mise en œuvre d'une ou plusieurs opérations (moyens et procédés opératoires), ceux-ci sont en rapport avec un but visé (représentation consciente du résultat) et surtout, elle est soutenue par un mobile (ce qui pousse à agir). Si le but a une fonction d'orientation de l'activité et les opérations une fonction de réalisation, le mobile remplit lui la fonction d'incitation. L'activité, processus caractérisé par des transformations constantes, ne peut être comprise comme simple addition ou juxtaposition des «unités» qui en forment la macrostructure, mais plutôt comme lieu de mise en rapport de ces dernières, qui évoluent grâce à plusieurs niveaux de régulation.
Le premier niveau de régulation est celui de l'efficacité, rapport dressé entre le but visé et le résultat effectif qui peut amener à modifier ses opérations au cours de l'activité. Un deuxième niveau juge de l'efficience des moyens utilisés au regard du but à atteindre, en évalue le degré d'optimisation, pouvant conduire à les modifier par souci d'économie. Le troisième niveau est celui du sens, qui met en rapport le mobile et le but : «Le sens conscient est créé par le rapport objectif se reflétant dans le cerveau de l'homme, entre ce qui l'incite à agir et ce vers quoi son action est orientée comme résultat immédiat. En d'autres termes, le sens conscient traduit le rapport du motif au but (ce en quoi le besoin se concrétise d'objectif et vers quoi l'activité est orientée, ce qui la stimule)» [9].
Le sens est donc l'endroit d'une mise en rapport entre le versant objectif de l'activité (appréciable concrètement du point de vue de son efficacité et de son efficience) et son versant subjectif : les mobiles du sujet, liés à son identité. Cette dernière serait-elle figée ?
L'identité assure une cohérence, une permanence et définit chacun distinct des autres. Cette identité se constitue comme un ensemble de repères, de représentations et de valeurs qui permettent de mettre le monde en ordre et de le hiérarchiser ; un ensemble de mobiles et d'objectifs ; une image de soi... mais aussi une histoire, constituée non seulement du passé, mais aussi du présent et d'un futur projeté. Cette inscription dans une historicité permet au sujet de se confronter à l'imprévu, d'opérer des bifurcations, de remodeler ainsi ce rapport à l'avenir, d'autant que l'activité est constitutive du processus identitaire.
Or, non seulement «le besoin ne connaît pas son objet tant qu'il n'a pas été satisfait pour la première fois», mais l'activité est caractérisée par des transformations constantes : «L'activité peut perdre le motif qui l'a fait naître et se transformer alors en une action réalisant peut-être un tout autre rapport au monde, une autre activité ; à l'inverse, l'action peut acquérir une force motivante autonome (...)». Bien des modifications peuvent se produire en cours d'activité, que ce soit pour la réguler ou à son terme, avec des effets en retour. Ainsi, toute réussite, tout résultat qui excède le but initialement escompté peut potentiellement remodeler les mobiles initiaux : « Plus l'activité se développe, plus sa prémisse - le besoin - se transforme en résultat de l'activité » [10].
Imaginons celui qui apprend pour faire plaisir à ses parents ou avoir une bonne note. Le contenu de la leçon peut prendre valeur au regard des questions qu'il se pose, ce qui va modifier son investissement. Celui qui se pensait «nul en maths» et qui réussit va modifier l'estime de lui-même et reconsidérer son engagement. Ainsi,«(L') identité n'est pas seulement exprimée dans le rapport au savoir, elle y est aussi en jeu : être confronté à un apprentissage, à un savoir (...), c'est y engager son identité et la mettre à l'épreuve» [11]. L'activité est donc l'espace clé pour transformer le rapport au monde, aux autres... et à soi-même.
[1] Cf. « Le rôle de l'activité dans l'évolution des mobiles d'apprendre », Thèse en Sciences de l'Education, Université Paris 8, 1995, p. 40-47 (extrait remanié).
[2] H. WALLON, «Le rôle de unicode2utf8(0x2018)l'autre' dans la conscience du unicode2utf8(0x2018)moi'», Journal Egyptien de psychologie, Vol. 2, 1946, n° 1. (Article repris dans la revue Enfance n° spécial H. WALLON, 7è éd., 1985, pp. 87-94).
[3] H. WALLON, «Les milieux, les groupes et la psychogénèse de l'enfant», Cahiers Internationaux de Sociologie, 1954. (Article repris in Revue Enfance n° Spécial H. WALLON, 7è édition, 1985, p. 95).
[4] G. CANGUILHEM, La connaissance de la Vie, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 1980, p.152.
[5] Ibidem, p. 154.
[6] J.-Y. ROCHEX, Entre activité et subjectivité : le sens de l'expérience scolaire, PUF, 1995, p. 56.
[7] Ibidem, p. 66.
[8] A. LÉONTIEV, Le développement du psychisme, traduction française Editions sociales, 1976, p. 157.
[9] A. LEONTIEV, Le développement du psychisme, op. cit., p. 89.
[10] A. LEONTIEV, Activité, conscience, personnalité, Moscou, Ed. du Progrès, 1975 (trad. Franç. 1984), p.121 / 212.
[11] B. CHARLOT, E. BAUTIER, J.-Y. ROCHEX, Ecole et savoir dans les banlieues...et ailleurs, Armand Colin, 1992, p. 30.
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