Prévenir, dépister ou enseigner
Yann Gibert | le 01/01/1970 00:00
Du rapport de l'Inserm au rapport Benisti et au carnet de comportement de Sarkozy, le projet du ministère est la dernière tentative...En savoir plus
Mouvement de recherche et de formation en éducation
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Ces pratiques se définissent par leur dimension collective : un enfant devient un élève, en relation avec d'autres ; l'enseignant est là pour tous ; les objets d'apprentissage appartiennent à un patrimoine commun et doivent devenir des objets de savoir communs ; l'apprentissage, s'il est celui d'individus singuliers, se fait dans et par le groupe à la condition que les finalités et les règles de fonctionnement du collectif fassent l'objet d'un travail dans les classes. Mais en fonction de la conception dominante des rapports entre l'individu et le collectif, ces pratiques revêtent des formes différentes qui ont des incidences sur les modalités de l'apprentissage, sur les contenus d'enseignement, les modes d'apprendre et d'enseigner.
C'est ainsi que si le travail en groupe est prôné en maternelle, il nous faut aller voir de plus près les formes qu'il prend et ce que ces formes installent de différenciateur chez les élèves, tant du point de vue comportemental que cognitif.
Le regroupements et les ateliers : ce qui pose problème
Les adresses au groupe sont souvent des adresses individuelles. Elles prennent massivement la forme de questions qui entraînent des réponses individuelles et ne nécessitent pas une élaboration à plusieurs, des réponses brèves, parfois réduites à un seul mot. Un élève répond, ou quelques uns, l'enseignant valide. Il n'y a pas de problème à résoudre, qui contraigne à s'y mettre à plusieurs. Les interrelations entre pairs sont alors rares.Dans ces situations l'enseignant montre ce qu'il faut faire, explique : le groupe n'a pas de rôle à jouer. Il s'agit pour chacun de mémoriser ou intégrer la tâche à mener. Bien que répétée par un ou des élèves la consigne ne fait pas l'objet d'une re-élaboration collective.
On constate des effets d'entraînement, lorsque les réponses ne sont pas interrogées pour être validées. Les élèves répètent la réponse validée comme s'il s'agissait d'être tous du même avis. C'est ainsi que peut s'installer chez eux une conception normative de la réponse.
Dans ce dispositif, l'enseignant se pense seul face à la classe, dans une logique de transmission certes nécessaire mais qui l'enferme dans des relations duelles y compris pour ne pas laisser un élève dans l'erreur. Ainsi les interventions déviantes, ou apparemment déviantes, ne sont pas reprises pour être renvoyées au groupe.
Difficultés de repérage de l'activité scolaire
Le collectif est peu identifiable comme espace spécifique d'apprentissage à l'école, où l'objet du travail concerne à la fois chacun et tous. Les échanges se font entre l'enseignant et un élève ou l'enseignant et quelques élèves. Ils sont peu construits et l'implicite (l'enseignant « traduit ») fonctionne fortement. Cela produit des décrochages d'élèves qui attirent l'attention de l'adulte pour des remarques à caractère disciplinaire, singulières et par là renforcent leur posture individuelle. Pour raccrocher les « agités » l'enseignant multiplie les questions plutôt que de mettre l'ensemble du groupe en questionnement sur un problème dont la résolution pourrait se mener au pas à pas de l'avancée collective, étayée par l'adulte.
Face au groupe, les interventions de l'enseignant peuvent concerner des objets divers qui se succèdent, se superposent : intervention en direction du groupe et intervention individuelle (sans que soit nommé l'interlocuteur), régulation du groupe et apports de connaissance ou questions sur les contenus. Pour les plus jeunes enfants, en particulier en petite section, la dispersion des interventions de l'enseignant produit un effet de brouillage, de non lisibilité des attendus de l'enseignant car il est parfois malaisé d'identifier le ou les destinataires des messages, ce à quoi ils réfèrent, l'objet de l'intervention. La fonction du regroupement est alors peu lisible, la différenciation entre ce qui relève du comportemental et ce qui relève du cognitif difficile à repérer.
Réduction des situations d'apprentissage
La systématisation de l'individualisation entraîne une mobilisation de l'enseignant sur l'exécution des tâches et de l'élève sur la réalisation de ces tâches. Cela est particulièrement visible dans certaines organisations en ateliers où l'enseignant se déplace de manière très fréquente d'un groupe à l'autre, intervient individuellement auprès des élèves. Ses interventions sont centrées sur le calme nécessaire, visent à ramener les élèves sur les tâches, à encadrer en même temps des tâches très diverses. L'enseignant n'est plus en mesure de poser un problème au groupe, d'en accompagner la résolution, de relancer des élèves sur des reformulations, des explicitations. Cela produit de graves malentendus : des élèves font du coloriage alors que l'enseignant a proposé une activité mathématique de discrimination de formes. Ils sont centrés sur la tenue de leur crayon, la nécessité de ne pas « dépasser », le choix des couleurs. Ils restent dans une perception globale des formes, dans le déjà-là de connaissances non formalisées, sans être en capacité de nommer ce qui différencie un triangle d'un rectangle. L'activité que mènent les élèves n'est pas l'activité pensée par l'enseignant.
En exécutant au pas à pas de la demande de l'enseignant les élèves perdent la vision globale de leur activité ce qui en rend difficile la compréhension car le but s'éloigne en même temps que les procédures pour l'atteindre ne sont pas automatisées. L'attention est focalisée sur l'adulte et la réponse à donner aux différentes questions qui se succèdent. (collage de gommettes plutôt que compréhension du tableau à double entrée). L'attentisme est important, les initiatives individuelles réduites, les interactions entre élèves très rares. L'avancée dans la réalisation de l'exercice ne montre pas une autonomisation.
De plus l'intervention individuelle favorise la répétition de la consigne, un morcellement de la tâche par succession de micro consignes centrées sur le faire. L'activité cognitive se réduit. Les élèves ne peuvent réaliser la tâche que lorsqu'ils connaissent déjà les procédures, ils sont donc régulièrement confrontés à des exercices qu'ils savent faire, qui ne leur posent pas réellement de problèmes nouveaux (ceci est particulièrement vrai dans les ateliers dits autonomes). Ils se trouvent alors assignés à demeurer là où ils en sont de la compréhension des questions qui leur sont posées ou bien à admettre les réponses de l'adulte sans que le groupe ne joue son rôle fondateur de mise en questionnement des représentations ou des conceptions de chacun. Par ailleurs, l'exercice nécessaire à l'automatisation ne fait pas l'objet d'un apprentissage car chacun est confronté à sa tâche sans mise en partage de la pertinence des procédures, de leur économie...La confrontation à une trop grande difficulté individuelle, peut provoquer la démobilisation lorsque les pairs ne jouent pas un rôle de relance, de provocation au questionnement. Les élèves sont en situation d'attente de l'adulte, de non-prise d'initiative. L'enseignant se trouve contraint par la lourdeur de son dispositif à circuler d'élève en élève, il ne peut évaluer que le produit fini des travaux des élèves sans considération des chemins empruntés par chacun, des points d'impasse. De la même manière, livrés à un travail solitaire, les élèves se centrent sur la production finale (dont on a vu que sa représentation peut échapper) et non sur les procédures de réalisation.
La réduction des interactions entre chaque élève et son milieu, dont on sait grâce aux travaux de Wallon et de Vygotski qu'ils sont moteurs dans les acquisitions des enfants et la formation des sujets enferme dans l'ici et le maintenant du développement. Or « le seul apprentissage valable pendant l'enfance est celui qui anticipe sur le développement et le fait progresser »[3].
Accentuation de la dépendance affective et cognitive à l'égard de l'enseignant
Les observations de classe montrent également que l'individualisation de l'enseignement enferme les élèves dans une logique de dépendance.
Très massivement c'est l'enseignant qui valide l'activité d'un élève. Soit par une intervention à caractère moral qui ne donne pas d'indication à l'élève sur la validité de son travail (« c'est bien »). Soit par des appréciations trop rapides qui n'appellent pas les élèves à valider ensemble en s'interrogeant sur la pertinence de leurs réponses. Ceux-ci attendent une appréciation à chaque pas de la réalisation de la tâche, attendent l'avis de l'enseignant pour savoir s'ils ont terminé le travail demandé, attendent pour commencer et s'interrompent dès que l'enseignant s'éloigne. Ces élèves interpellent sans cesse l'enseignant, ne s'autorisent pas à essayer seuls. Lorsque le collectif est sollicité, l'attitude des élèves face à l'activité change de manière visible. Des élèves interviennent sur la production de leurs pairs pour émettre un avis, proposer une solution. L'observation accompagnée par l'adulte de la production d'un autre élève peut les conduire à reprendre la leur, ils se complètent par des interventions qui s'appuient les unes sur les autres, changent de procédure et de stratégie de réalisation. Ils sont alors en position de prendre en compte le regard des autres, de penser qu'ils peuvent intervenir sur d'autres productions que la leur. Libérés d'une relation exclusive à l'adulte, ils s'inscrivent dans une logique d'essais /erreurs, confrontations. Ils sont dans la compréhension de la forme scolaire, comme espace collectif d'apprentissage.
Différenciation ségrégative et baisse des exigences
La différenciation est pensée comme adaptation individualisée à ce qui est repéré comme difficulté chez tel ou tel élève. Cette adaptation se traduit massivement par une simplification des activités proposées, et ce avec les meilleures intentions du monde, c'est-à-dire permettre la réussite aux élèves réputés les plus fragiles. Les consignes leur sont répétées avec des mots simples ce qui ne leur permet pas de mieux se les approprier pas plus que de s'approprier des formes langagières complexes. Ils sont confrontés à des activités très contextualisées, liées à leur vécu (réel ou supposé) ou présentées sous des formes dites ludiques dont on sait qu'elles renforcent les unes et les autres les difficultés des élèves des milieux populaires, inscrits plus que d'autres dans un rapport pragmatique au monde et dans une représent ation de l'activité scolaire qui ne s'assimile pas au jeu. Ces élèves « bénéficient » d'aides fréquentes qui peuvent aller jusqu'à faire à leur place.
Dans une même classe tous les élèves ne sont pas confrontés aux mêmes apprentissages, dans les mêmes conditions, avec les mêmes supports et les mêmes modalités de réalisation, ce qui a pour effet de creuser les écarts.Il n'y a pas de fatalité...
Lorsque l'enseignant s'adresse explicitement au groupe pour lui poser un problème, les élèves essaient de résoudre, seuls ou avec un autre, élaborent ensemble par comparaison de leurs productions, échangent, évaluent ensemble leurs réussites. Dans ces situations l'enseignant joue un rôle important d'étayage : il reformule lorsque la formulation première est hésitante, approximative ; il fait préciser les intentions de l'intervenant ; il en réfère au groupe pour valider ou invalider les propositions d'un élève. Dans ce type d'organisation, le collectif permet la formalisation des procédures de réalisation d'une tâche donnée. L'interpellation vise plus à une activité au sens intellectuel qu'à de la tâche. Les élèves apprennent alors à s'inscrire dans le collectif, s'adressent à leurs pairs : leurs prises de parole sont plus longues, plus fréquentes, se répondent.
Le problème posé l'est au groupe et reste posé au groupe tout au long de sa résolution. Les élèves coopèrent, s'imitent, confrontent leurs productions parce que la situation l'exige. Ils sont plus fortement mobilisés sur l'activité cognitive par le biais des relations intersubjectives, car ils doivent affiner leurs pensées, réagir à des propositions autres, argumenter.
Jacques Bernardin[4] assigne une double fonction au groupe « à la fois limite (frein à la toute puissance de l'individu, il oblige chacun à argumenter ses choix...à justifier ses hypothèses) et aide, point d'appui (à la fois pour éclaircir, intégrer, interpréter les consignes, pour dépasser les obstacles et résoudre le problème) ». L'école est le lieu même du conflit socio-cognitif où les élèves vont rencontrer des modes de faire et de pensée différents de ceux qui leur sont familiers. C'est ce qui leur permet de s'émanciper de leur milieu d'origine dans un double mouvement d'individuation, et d'inscription dans un groupe social sur d'autres bases que strictement affectives.
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