Aux frontières de l'école, Institutions, acteurs et objets de Patrick Rayou
Aux frontières de l'école Institutions, acteurs et objets
Patrick RAYOU (direction)
Presses Universitaires de Vincennes, 2015
L'ouvrage
dirigé par Patrick Rayou, s'inscrit dans les travaux d'un réseau de
chercheurs, (Reseida)1 qui s'attachent à analyser et comprendre comment
se produisent les inégalités d'accès aux savoirs et à la réussite
scolaire. Il engage à « se demander d'où on regarde les frontières de
l'école » afin de « prendre en compte les processus qui les construisent
plutôt que « de réfléchir uniquement en termes d'étrangeté d'un
territoire par rapport à l'autre » (P. Rayou). Perspective intéressante
pour sortir de la fatalité d'un échec socialement ségrégatif ou se
satisfaire de dispositifs de remédiations et/ou de pacification qui
n'interrogent pas la nature de ces frontières et ajoutent de la
désespérance et un sentiment violent d'impuissance des acteurs de
l'école, auxquels est imputée la responsabilité des échecs massifs dans
les milieux populaires. L'école est confrontée à deux écueils :
présenter les savoirs de manière telle que les élèves les moins
connivents se sentent exclus d'un univers qui leur demeure étranger et
considèrent que les apprentissages scolaires ne les concernent pas ; ou
pour répondre à une pression sociale et politique de plus en plus forte,
faire autre chose que de l'école (on pense ici à toutes les éducations
à), qui l'un et l'autre produisent les mêmes effets d'exclusion pour les
élèves issus des milieux les plus précarisés. C'est entre ces deux
pôles qui ne sont pas antinomiques qu'elle oscille lorsqu'elle rabat ses
exigences au nom de l'adaptation aux élèves en difficulté, ou
naturalise le passage de l'enfant à l'élève, sans mettre en partage les
outils langagiers et cognitifs requis. Les chercheurs qui participent à
cet ouvrage montrent que les élèves les plus éloignés des pratiques
scolaires sont soumis à des exigences qu'ils ne peuvent connaître, voire
reconnaître (dans la double acception du terme) : à l'école primaire
lorsque l'école externalise la demande scolaire via les devoirs et
participe ainsi à creuser les écarts ; au collège où les élèves doivent
se débrouiller seuls pour décrypter les réquisits de l'institution ou
s'enferment dans des relations d'interdépendance avec les enseignants.
L'étude des internats d'excellence, des micro-lycées ou du coaching
alerte sur des dispositifs qui, s'ils ouvrent effectivement des portes à
des élèves, leur permettent de renouer avec une scolarité réussie, ne
résolvent pas la question de fond de l'accès de tous aux savoirs. La
dernière partie s'attache à des objets qui circulent dans l'école et
hors l'école (théâtre ; littérature, devoirs), provoquant des
malentendus sur leur usage, leurs finalités, (relations travail/loisir ;
fréquentation/ appropriation de textes ; conceptions du travail
scolaire). Alors que nombre de discours insistent sur la pluralité
des espaces d'apprentissages dans la société contemporaine, cet ouvrage a
le grand mérite de rappeler la fonction spécifique de l'école, sa place
dans l'histoire individuelle et donc collective. Il alerte sur les
dangers de brouillage de ses frontières qui participe à contourner la
réalité sociale, l'évacuer ou l'essentialiser, assignant ainsi les
élèves les moins connivents à leurs origines.
Les auteurs :
Stéphane Bonnéry, Claire Lemêtre, Benjamin Moignard, Julien Netter,
Anne-Claudine Olier, Myriam Ouafki, Pierre Périer, Filippo Pirone,
Patrick Rayou, Françoise Robin, Stéphanie Rubi
Christine PASSERIEUX
Note de lecture parue dans Carnets Rouges, décembre 2015