Edito n° 119
Histoire, éducation : pour quelle société demain ? (2006) retour au sommaire du Dialogue n° 119
Face à la crise des banlieues... Que revienne le bon temps de la «coloniale» !
Michel HUBER
Enseignant et Chercheur en didactique
Saluons comme une aubaine, pour alimenter l'éditorial de ce numéro de Dialogue consacré à l' histoire récente, l'histoire des mentalités, l'idéologie, le débat actuel autour de la loi de février 2005. Cette loi demande entre autres choses aux manuels scolaires de « souligner le rôle positif de la présence française outre-mer notamment en AFRIQUE DU NORD ». Ce débat est riche d'enseignements. Il fait apparaître :
- Une volonté politique d'imposer une version officielle de l'histoire de France, donc de formater les représentations des jeunes.
- Le risque d'aviver des conflits de mémoire entre communautés, de plus en plus déconnectés des faits scientifiquement établis.
- La réaction unanime des historiens français et des enseignants d'histoire opposant la démarche scientifique et la logique de la complexité à ces visions simplificatrices lourdement chargées d'idéologie au service de menées politiciennes à court terme, quitte à verser de l'huile sur les cendres encore chaudes des banlieues.
- La revendication des ex-colonies et des pays du Sud à participer à l'écriture de leur propre histoire (cf. réactions du Président Algérien et de députés des DOM).
Quelle place de l'Education Nouvelle dans ce débat ? Il ne s'agit pas s'y enfermer mais il fournit l'occasion de rappeler la finalité de notre mouvement, « l'émancipation solidaire » des hommes dans ses trois dimensions :
- Emancipation par rapport à soi-même et à une image de soi qui a pu être amochée par une histoire personnelle douloureuse et qu'un esprit de fatalité continuerait de modeler négativement.
- Emancipation dans ses rapports aux autres : ni repli sur soi, ni volonté hégémonique de domination, mais coopération enrichissante.
- Emancipation par la compréhension du monde passant par l'appropriation de savoirs, de concepts qui sont autant de clés de décryptage de ce réel et de leviers pour sa transformation.
Spontanément le G.F.E.N. ne peut que condamner cette loi qui falsifie l'histoire et prétend écrire l'histoire à la place des historiens et dicter leurs cours aux enseignants. Il ne peut que s'élever contre cette volonté de conditionner, d'aliéner notre jeunesse.
L'Education Nouvelle n'a pas pour vocation d'agir directement sur les réalités économiques, sociales et politiques mais son objet concerne la construction de un rapport au monde et aux autres dans une compréhension de ce système par sa transformation en mobilisant les valeurs humanistes, capital d'une humanitude en chantier. Il ne s'agit pas seulement d'un parti pris généreux mais d'une nécessité pour permettre à cette humanité d'assurer sa survie ou sur un mode plus optimiste son développement.
Dans ce débat devoir de mémoire/histoire, l'Education Nouvelle ne peut être que du côté de la science contre les idéologies manipulatrices et du côté de la pensée complexe contre les visions manichéennes réductrices. Elle est avide de témoignages et de documents contradictoires sur lesquels appliquer une méthodologie (la « critique de témoignages » chère à Henri BASSIS) favorisant une compréhension multifactorielle des faits historiques. Cette complexité ne doit pas cependant diluer le fondamental. Ainsi en dernière analyse l'essence même de la colonisation a été un système de domination d'un peuple sur d'autres. Le G.F.E.N. préconise les débats d'interprétation des évènements (« des dates qui font dates » selon Alain DALONGEVILLE) à la fois antidote à tout positivisme béat et tremplin vers des représentations plus riches intégrant toutefois les faits historiquement avérés. En effet le concept de « mémoire partagée » ne suffit pas. Les représentations construites doivent être armées par des faits, des concepts et des méthodes.
Pour nous, une des clés de conceptualisation du monde réside dans la recherche, dans la chronologie, non des périodes d'équilibre (les périodes classiques) mais des moments de rupture (les crises) plus riches de significations.
L'Education Nouvelle donne aussi en partage des outils de formalisation créative des représentations du passé, des jeux de rôles aux ateliers d'écriture, et de confrontation dynamique, des démarches aux débats de preuve.
Ce numéro de Dialogue conçu dans un contexte vif, est l'occasion de rappeler l'existence de tout ce capital de concepts et de pratiques. Capital, dont témoignent les articles suivants, pour aider à se situer comme acteur de ce monde d'aujourd'hui en utilisant ses racines comme ressource et non comme refuge.