Edito n° 122
Pour une autre réussite au collège. Apprendre ensemble ! (2007)
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La formation : laboratoire privilégié, chantier permanent de l'éducation nouvelle
Michel BARAËR
Ce numéro de Dialogue prend place dans une lignée déjà riche. Les titres de notre revue marquent l'importance que nous accordons aux questions de la formation : Formation : normalisation ou émancipation ? (n° 99 de mars 2001); Formation : sortir du cadre (n° 75 de juin-juillet 1992) ; La formation en jeu, Enjeu de transformation (n° 28 de décembre 1978).
C'est aussi en 1978 qu'Henri Bassis, ancien président du GFEN, publiait un livre fondateur : Des maîtres pour une autre école : former ou transformer ? (1)
Analysant une expérience menée au Tchad (2), ce livre constituait un guide pour la formation des enseignants. Il l'articulait notamment sur ce principe essentiel :
Dans une conduite de formation d'instituteurs (eux-mêmes formateurs et non pas seulement « transmetteurs » pour leurs futurs élèves), la formation mentale n'est pas moins importante que la formation proprement pédagogique. Ou plutôt, elle en est inséparable. Mieux encore, elle est 1a qualité intrinsèque d'une formation pédagogique véritable. Car il ne s'agit pas seulement pour les uns et les autres (les futurs instituteurs d'abord et leurs futurs élèves ensuite) d'un certain volume de connaissances à acquérir, ni même (pour les maîtres) de méthodes et de techniques « nouvelles » à comprendre et à reproduire - encore que connaissances fondamentales, méthodes et techniques adéquates, soient également indispensables. Mais elles supposent, pour qu'il y ait effectivement formation, une part essentielle d'auto-formation mentale.(3)
Et, en même temps, l'ouvrage d'Henri Bassis énonçait les concepts de l'auto-socio-construction du savoir, en fondait la théorie (4) .
Un fil rouge donne à ce livre son unité interne : la notion de démarche unicode2utf8(0x2014) et sa pratique. Nous disons aujourd'hui : démarche d'auto-socio-construction. Une démarche par laquelle les élèves soient les agents de leur formation, c'est à dire qui se construisent eux-mêmes leurs savoirs unicode2utf8(0x2014) leurs pouvoirs. Une démarche s'élaborant (pour le maître) à partir du contenu réel du savoir. C'est à dire un contenu notionnel, conceptuel, relationnel (au sens de la mise en relations des phénomènes), mais comme conquête d'abstractisation se construisant au pas à pas et par bonds successifs, par chacun et par tous, grâce à chacun et grâce aux autres. A partir d'un vécu opératoire (pour les enfants, pour tous « formés » en général) dont la mise en situation de départ (ouverte) a été certes imaginée par le maître. Mais dans des cheminements d'autant plus libres que seule cette liberté permet à ceux qui cheminent, précisément parce qu'ils cheminent, de se construire les dépassements et les abstractions devenus pour eux nécessaire. Construction qui constitue le savoir.(5)
Livre, fondateur en ce qu'il donnait une visée nouvelle à la formation : non pas apprendre aux formés des techniques, des savoir faire, mais changer leur regard sur eux-mêmes et sur ceux qu'ils auront en charge, les inciter à se transformer ; et qu'il liait indissolublement les objectifs de la formation et les modalités à mettre en œuvre pour les atteindre. Dans le cas de la formation d'enseignants, faire vivre aux futurs maîtres des pratiques d'auto-socio-construction de leurs propres connaissances et leur donner les clés de ces pratiques. Par là même, les engager à forger les outils de la réussite de leurs élèves.
Un livre « à la fois pour les formateurs et pour les maîtres » écrivait Henri Bassis.
L'expérience de formation du Tchad a été féconde pour tous ceux qui y ont participé. Odette Bassis a décrit comment elle l'avait réinvestie, alors qu'elle était professeure d'École Normale, dans une circonscription de Champigny (6). Et le GFEN en général a constamment travaillé aux questions de la formation et de l'auto-socio-construction des savoirs, inventant de nouvelles pratiques, conduisant des stages et des projets de formation auprès d'éducateurs, animateurs, bibliothécaires, employés et cadres ...
Un chantier où il reste beaucoup à faire
Mais il ne suffit pas, nous le savons bien, d'énoncer des idées justes pour qu'elles se répandent, même si nous les mettons en œuvre ici et là. En voici encore un exemple. Avec mes amis du GFEN du Morbihan, nous rencontrons depuis plusieurs années les professeurs des écoles stagiaires (PE 2) à la fin de leur formation à l'IUFM. En juin de cette année, nous leur avons fait recréer, par petits groupes, une pâtisserie à partir d'un gâteau déjà réalisé (7).
Pour résoudre le problème, les stagiaires ont conçu de riches dispositifs d'investigation (pour découvrir la composition du gâteau initial), ont mobilisé fortement leurs connaissances (est-ce de la pâtisserie méditerranéenne, donc à base d'huile d'olive ?...), ont imaginé des protocoles de fabrication très élaborés (avec échantillons comportant des denrées et des proportions variées...). Bref,, la situation a véritablement engendré la recherche et la réussite.
Le moment de l'analyse a montré que les PE 2 ont apprécié la dynamique de la situation et qu'ils en bien perçu la valeur didactique. Mais ses aspects sociaux : nécessité des échanges, des prises de décisions collectives, mises en œuvre de multiples formes de coopération... ont semblé leur échapper. Des différences fondamentales entre reproduire (un groupe « sacrifié » disposait de la traditionnelle recette) et recréer leur sont bien apparues, mais elles n'ont pas engendrées les conclusions que nous espérions. Certes, ont dit certains, il est parfois important de créer, mais exceptionnellement. Il faut plutôt savoir exercer, reproduire... Et puis, avec certains élèves, n'est-il pas plus raisonnable de rester réaliste, de viser essentiellement pour eux les connaissances de base. Ajoutons que des participants ont nettement souhaité que la formation reste dans un cadre strictement professionnel, c'est à dire qu'elle ne porte que sur des aspects essentiellement techniques, chacun devant rester, selon eux, libre de ses choix idéologiques... par ailleurs.
Sans vouloir tirer de conclusions hâtivement pessimistes de cette journée où tous les participants ne sont pas exprimé, nous avons dû constater (et ce n'était pas la première fois hélas !) que la formation initiale de ces enseignants stagiaires n'avait sans doute pas été conforme aux principes et pratiques que nous défendons.
Devons-nous nous en étonner compte tenu de l'air du temps et des pratiques de formation massivement utilisées ? Elles proclament pourtant fréquemment la valeur des principes constructivistes... mais le plus souvent dans des cours magistraux.
Un laboratoire pour continuer à chercher
Nos conceptions ont donc besoin d'être renforcées, approfondies, développées, publiées. Ce numéro de Dialogue a l'ambition d'y contribuer.
Il donne à voir un large éventail de pratiques de formation. Elles s'inscrivent dans de nombreuses modalités : cours en lycée professionnel, à l'université, rencontres au sein du GFEN, répétitions dans un orchestre, stage organisé dans le cadre de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, atelier d'écriture... Elles concernent des publics très variés : élèves où étudiants, salariés, adultes lettrés et non lettrés, jeunes en rupture de scolarité, militants, musiciens... Parmi ces publics, plusieurs sont réputés en situation difficile (mais la lecture de Trois ans dans la peau d'un mauvais élève de Michel Soubiran nous amène à penser que le mauvais élève n'est pas toujours celui qu'on pourrait croire).
Ce numéro porte aussi un regard sur la formation permanente et s'interroge sur ses liens avec la scolarité.
Quelques fils rouges le traversent : la question de la nature des rapports entre formateur et formés (choisir « l'option d'autrui » disent, par exemple, Michel et Odette Neumayer), l'ardente conviction que tous peuvent réussir, le rôle essentiel de l'appropriation des savoirs, en particulier pour ceux qui en semblent bien éloignés...
Bonne lecture.
(1) Des maîtres pour une autre école, former ou transformer, Casterman, 1978. retour texte
(2) Une vaste entreprise de rénovation pédagogique et de formation des maîtres, qui s'est déroulée entre 1971 et 1975. retour texte
(3) Op. cit. p. 91. retour texte
(4) Deux numéros de Dialogue avaient déjà contribué à cette théorisation : Pour une démarche active en mathématique à l'école élémentaire (n° 18-19 de janvier 1976) et Quelle démarche ? (n° 21 de novembre 1976) .retour texte
(5) Op. cit. p. 16..retour texte
(6) Odette BASSIS, La formation, tremplin pour changer, in Se construire dans le savoir à l'école, en formation d'adultes, pp. 237-278, ESF, 1998. retour texte
(7) Cf. Michèle LIBRATTI, Démarche cuisine : reproduire ou fabriquer, in Situations de recherches et démarches à l'école maternelle, pp. 16-21. retour texte