Extraits Dialogue n° 168
Dialogue n° 168 - Revenir aux fondamentaux pour bâtir les savoirs ?
- L'éternel retour Lire
Michel BARAËR
Des fondements des fondamentaux...
- Ce qui est fondamental aussi, c'est d'apprendre en interrogeant les fondamentaux
Laurent CARCELES
En 1641, quatre ans après son célèbre Discours de la méthode, René Descartes fait paraître ce que nous désignons aujourd'hui par le titre des Méditations métaphysiques. Dans cet ouvrage, divisé en cinq étapes, Descartes nous propose de le suivre dans son cheminement : il y interroge tout ce qu'il a appris. Il commence en ces termes : « Ce n'est pas d'aujourd'hui que je me suis aperçu que, dès mes premières années, j'ai reçu quantité de fausses opinions pour véritables [...]. ». Et pourtant, il sait que ces opinions nourrissent tous les principes selon lesquels il vit. Son projet est donc de trouver un moyen d'aboutir à « la ruine des fondements [qui] entraîne[ra] nécessairement avec soi tout le reste de l'édifice. ». On le constate, quand nous pensons l'enseignement comme un édifice reposant sur des fondamentaux, nous sommes toujours cartésiens.
- Les conceptions du savoir. Les enjeux de la culture scolaire
Denis PAGET, Professeur de Français, Membre du Conseil Supérieur des Programmes, Expert en curriculum associé auprès du Centre International d'Études Pédagogiques
Savoirs viatiques/ savoirs propédeutiques/ savoirs critiques/ savoirs problématiques
Les partisans du « socle de base » tendent à opposer l'ensemble fermé de savoirs, compétences et comportements ou savoir-être constitutifs d'un « viatique » destiné à assumer une débrouillardise minimale dans la vie sociale, à des savoirs à visée propédeutique, destinés à des poursuites d'études. Que de fois on a entendu des critiques contre les programmes du secondaire accusés de privilégier l'acquisition de connaissances déclinées de haut en bas et jugées excessivement pléthoriques et ambitieuses, destinées seulement aux rares élèves qui poursuivent des études jusqu'aux niveaux les plus élevés. Si ce reproche ne peut toujours être récusé, il ne peut cependant servir de principe et de guide dans l'élaboration des programmes. D'une part parce que ce type de déclinaison témoigne de liens encore vigoureux, bien qu'insuffisants, entre le savoir qui s'élabore et celui qui se transmet, mais surtout parce qu'il s'agit d'une opposition en grande partie artificiellement entretenue pour justifier un projet de faible ambition et de faible valeur formatrice.
- L'élémentaire et l'abrégé
Jean-Pierre ASTOLFI
Pour éviter que les élèves se laissent envahir par le flux des informations disciplinaires et pour leur permettre de s'approprier les informations centrales, encore faut-il-que celles-ci soient claires aux yeux des enseignants eux-mêmes. Or, nous avons dit précédemment que c'est leur expertise même qui tend à dissoudre leur conscience des savoirs qu'ils maîtrisent. C'est donc tout un travail de réélaboration théorique des contenus qu'ils doivent effectuer, travail qui rappelle les débats de l'époque des Lumières autour de la distinction entre « l'élémentaire » et « l'abrégé » (Lelièvre, 1996).
- Les fondamentaux des savoirs pédagogiques de l'Éducation Nouvelle
Étiennette VELLAS, Groupe Romand d'Éducation Nouvelle (GREN)
Rechercher les fondamentaux de l'Éducation Nouvelle en utilisant une entrée par la pédagogie, réclame de repréciser notre conception de celle-ci pour ne point l'amalgamer avec une recherche scientifique sur l'éducation. Et d'expliciter notre conception du Mouvement d'Éducation Nouvelle, pour ne pas le confondre avec une évolution toujours en cours des pratiques éducatives.
La pédagogie : une « théorie pratique » ou théorie—pratique au fondement de l'Éducation nouvelle.
Suite au travail que nous avons réalisé (une thèse, synthétisant les recherches sur la pédagogie de Fabre, Houssaye, Soëtard, Hameline et Meirieu, un colloque dont le compte rendu a occupé le numéro 141 de Dialogue sur la pédagogie et diverses analyses faites depuis dans le cadre du GREN et du LIEN), nous définissons la pédagogie, comme une « théorie pratique », terme dû à Durkheim.
- Les fondamentaux au risque du sujet
Catherine LEDRAPIER
L es "fondamentaux", c'est ce qui est fondamental pour chaque discipline, ce que l'école doit avoir apporté à tous les enfants à l'issue de la scolarité obligatoire. Certains réclament le retour aux fondamentaux de l'école de Jules Ferry, prétendant qu'il y a baisse de niveau général. Toutes les études objectives prouvent l'inverse, mais la situation est loin d'être acceptable pour autant, il faut impérativement améliorer le système donc reconsidérer les fondamentaux. Voulons-nous vraiment retrouver ceux qui ont fondé l'école de Jules Ferry ? Examinons-les.
Le mythe Ferry a été créé par Ferry lui-même : celui de sa filiation avec Condorcet. Ferry fait sans cesse référence à Condorcet et proclame tout tirer de lui. « J'avoue que je suis resté confondu quand cherchant à vous apporter ici autre chose que mes propres pensées, j'ai rencontré dans Condorcet ce plan magnifique et trop peu connu d'éducation républicaine. » En fait Jules Ferry n'a appliqué que très partiellement la pensée de Condorcet.
- Mais pourquoi tant de socles ?
Valérie SULTAN
Parmi les grands défis héroïques des temps modernes, celui de retracer l'historique du socle commun, flanqué de son inénarrable livret de compétences relève désormais du sport de l'extrême. Celles et ceux qui ont essayé de suivre le feuilleton depuis 2005 croulent à présent sous une avalanche de moutures différentes du socle sans parler des expérimentations à la pelle, parfois conduites en même temps que les généralisations imposées à la hussarde, sans oublier non plus les multiples « versions simplifiées » du livret, présentées à grand renfort de « documents d'accompagnement » tout aussi confus et incompréhensibles les uns que les autres. On patauge désormais dans un océan de piliers, de paliers et de grilles (un vocabulaire qui rappelle furieusement le BTP) auquel sont venues s'ajouter des vagues ininterrompues « d'items », de « référentiels » et autres « domaines de compétences ». Avec le temps, tout ce magma s'est peu à peu stratifié. Aujourd'hui, on ne peut s'empêcher de sourire en relisant la masse de décrets, lois, arrêtés, et autres circulaires, absurdes et souvent contradictoires qui se sont entassés au fil des années. Au-dessus de tout cela sont venus s'empiler plusieurs rapports de l'inspection générale (2006, 2012, etc.) dans lesquels les nombreux dysfonctionnements du socle sont régulièrement pointés, ce qui n'empêche pas l'institution d'en conclure à chaque fois « qu'il faut quand même sauver le soldat Ryan ! »
- « Préparer
à la vie active» là où les questions soulevées par
l'auto-socio-construction du Savoir et le rapport au Savoir deviennent
éthiques et fondamentales
Jean PERBET
Enseigner les fondamentaux : sempiternelle question qui se réduit souvent à enseigner les « bases » réduites elles-mêmes au « lire-écrire-compter ». Lorsque, lors de notre récent Bureau National, nous avons été invités à réfléchir à ce thème, j'ai été bien embêté pour définir moi-même ce que je considère comme les « fondamentaux » de l'école. J'entends bien que lire, écrire et compter sont des « choses » essentielles mais je n'arrive pas à considérer cela comme fondamental. En effet, nombre de personnes lettrées, cultivées, qui n'ont pas eu de difficultés particulières dans les apprentissages du lire-écrire-compter et qui occupent des situations professionnelles confortables, semblent n'utiliser ces « compétences » que pour mieux dominer les autres ou enrichir leur compte en banque.
Lorsqu'on parle d'échec scolaire, on a tendance à penser aux personnes qui ne réussissent pas à l'école, à ces « voyous » dont on dénonce les méfaits dans les journaux. J'ai tendance à penser que l'échec scolaire le plus « dangereux » est celui de nos élites, des personnes qui bien qu'ayant (souvent brillamment) réussi leurs études confondent les intérêts collectifs avec les intérêts privés et la soif de pouvoir.
... à leur mise en oeuvre dans différents domaines
- Les enjeux du métier à l'école maternelle
Christine PASSERIEUX
Il y a 10 ans Xavier Darcos déclarait au Sénat : «Est-ce qu'il est vraiment logique, alors que nous sommes si soucieux de la bonne utilisation des crédits de l'État, que nous fassions passer des concours à bac + 5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches ? Je me pose la question, ces personnes ayant la même compétence que si elles étaient par exemple institutrice en CM2.»
Aujourd'hui, Boris Cyrulnik, qui n'est pas un spécialiste de l'éducation mais neuropsychiatre déclare, lors d'une interview à Ouest-France le 6 janvier : «L'expérience montre que les enfants ne s'attachent pas forcément à celui qui a le plus de diplômes, mais à celui qui établit les meilleures interactions avec lui». Et aussi : «quand les enseignants maîtrisent bien la relation, la transmission du savoir se fait très facilement». En dehors du fait que cette affirmation n'a aucune validité scientifique, on retrouve la rhétorique chère à Céline Alvarez (largement soutenue en son temps par l'institut Montaigne et le ministre actuel) un peu dans l'ombre depuis que son expérience s'est révélée être une imposture puisqu'elle n'a jamais été évaluée.
- Les ateliers d'écriture
Pierre COLIN
Ce texte touche à l'essentiel dans l'atelier d'écriture. Par deux fois, il insiste sur le Tous Capables en donnant au passage un coup de griffe à la notion de don. Il en appelle à l'importance des consignes pour le déblocage de l'imaginaire. Il souligne combien l'approche de la littérature s'est transformée car, maintenant, aucun auteur ne met en avant la rengaine de l'inspiration. Il fait l'éloge du travail de la langue quand celle-ci dépasse la communication quotidienne pour devenir investigation du réel. - Le fondamental dans l'atelier d'écriture, la fabrique
Josette MARTY
Pour dégager ce qui est fondamental dans l'atelier d'écriture, je m'appuie sur deux projets publiés dans Dialogue. Projets menés par des enseignantes, l'une en grande section, l'autre en CM1. Pour l'avancée de leur projet, elles mettent à vif ce qui est fondamental dans l'atelier, pour la fabrique : l'une en insistant sur la nécessité d'un bagage de mots (le trésor du signifiant cher à P. Colin), l'autre en insistant sur le travail de la langue afin que les élèves se construisent une attitude réflexive sur leurs textes créés, une authentique théorisation de l'acte d'écrire, voire un art poétique. Toutes deux ont fait appel à un auteur, qui livre son expérience. J'y vois à l'oeuvre la force d'un transfert, une incarnation d'un savoir sur l'écriture, la force d'une altérité qui vous institue en « égal ».
- La laïcité : ça se discute
Alexis AVRIL
Comment ''enseigner'' la morale ?
Afin de compléter mon emploi du temps, j'ai cette année quatre classes de Terminales avec lesquelles nous passons une heure tous les 15 jours (!) dans le cadre de l'Enseignement moral et civique. Selon les textes officiels, cet enseignement vise à associer « dans un même mouvement la formation du futur citoyen et la formation de sa raison critique ». J'en induis donc que nous sommes là pour discuter : mais comment faire pour discuter de la laïcité, au programme en Terminale ? J'ai assisté à une rencontre de clubs Unesco où un tel temps de ''discussion'' était prévu sur ce thème avec une députée en Marche. Or, loin d'avoir une discussion avec elle, nous avons reçu une leçon : il ne s'agissait pas, selon elle, de discuter le sens de la laïcité mais de rappeler clairement quel était son sens éternel, présent tout autant dans la loi de 1905 que dans celle de 2004 portant sur l'interdiction des signes ostentatoires à l'école. Circulez, ça ne se discute pas ! Sans même avoir à lui rappeler que les débats parlementaires qui eurent lieu en 1905 furent mouvementés et mirent en jeu différentes conceptions de la laïcité, cette députée fut bien en peine de répondre à un de nos élèves qui lui demanda comment la loi de 2004 s'accordait avec la présence de crucifix dans les écoles privées. Comment faire alors pour discuter de laïcité sans faire de morale républicaine mais sans non plus verser dans le simple échange de points de vue ?
- « Elle a pas les bases...»
Sylviane MAILLET
« Travail sérieux, mais gros efforts à fournir pour acquérir des bases » (en allemand), « Peu de moyens, manque d'assurance,
reste faible... » (en EPS).
C'est ainsi que certains de mes professeurs, faisaient porter toute la responsabilité des apprentissages sur moi, l'élève. Ainsi interpellée, je pouvais croire que j'allais m'enliser dans ce terrain que sont les apprentissages, sans fondations solides. Heureusement mes parents n'ont jamais fait appel au « SAMU pédagogique ». Ils me faisaient confiance. Même quand la professeur de français de 3e avait écrit sur ma dissertation où j'avais fait une critique de Nicolas Poussin « Vous vous prenez pour Malraux ! » – note 3 /20
Le problème n'était pas, comme le pointaient indubitablement ces professeurs, l'élève, qui selon eux je suppose, pouvait ne pas être tellement «doué» dans leur matière (on parlait à cette époque de doué ou non doué), ou son milieu familial... Comment expliquer plus tard qu'un autre professeur d'EPS ait pu écrire : « de l'entrain, très bons résultats, élève active et coopérante ». Crise d'adolescence terminée ? Autres fréquentations ? Non, rien de tout cela. Il s'agissait bien de pédagogie. Non pas celle où l'élève est un élément qui reçoit plus ou moins passivement les savoirs, sans en comprendre forcément le sens, ou celle pour qui toute tentative d'autonomie intellectuelle est sanctionnée. Mais de celle où il devient réellement acteur de ses apprentissages, où il s'y engage en tant qu'individu à part entière, et n'est pas soumis à des savoirs dont l'enseignant détiendrait seul l'expertise d'autorité.
- Les fondamentaux : la perte de l'essentiel, la perte du sens. Le participe passé et son accord : un savoir accessible à tous ?
Marie-Pierre DUBERNET, Sylvie LANGE
Faites l'expérience de demander autour de vous de quelle manière on accorde un participe passé. Observez l'expression des visages qui spontanément se figent. Et si vous osez en plus demander la règle d'accord, vous distinguez un voile d'effroi suivi d'un intense effort de réminiscence souvent vain. Dans le meilleur des cas est récitée la ritournelle apprise il y a longtemps et par coeur : « Le participe passé avec l'auxiliaire avoir s'accorde avec le C.O.D. quand il est placé devant. Et avec être, il s'accorde avec le sujet... mais il y a des exceptions... ». De la part des élèves, quel que soit leur âge, on entend : « Avec l'auxiliaire avoir, le participe passé ne s'accorde pas (en option : « avec le sujet »). Avec l'auxiliaire être, le participe passé s'accorde (en option : « toujours ») avec le sujet. » Bilan des faux savoirs installés par les règles énoncées à l'école : les adultes au mieux hésitent ; les jeunes, pourtant très sûrs de ce qu'ils ont appris par coeur, appliquent les règles et ne comprennent pas pourquoi ils continuent à faire des erreurs d'accord du participe passé.
D'où vient donc le problème et comment le résoudre ? C'est en misant sur la simplification que certains outils visent la réussite de tous les élèves. Autre conception du « tous capables » ! Qu'a-t-on perdu, oublié, sous prétexte de pédagogie innovante et ludique, d'ère du numérique, de réduction des inégalités scolaires..., d'essentiel à la construction des savoirs telle qu'elle se pense au GFEN ?
- Fondamentalement vôtre !
Jean-Jacques VIDAL
Des classes de CP à effectif restreint, censées faciliter l'apprentissage fondamental de la lecture ? Au passage, notons qu'aucune évaluation n'avait été conduite pendant et après l'expérimentation de « CP à 10 », il y a quelques années. À certains endroits, rares et désignés depuis le haut, on l'avait fait pour montrer... qu'on le faisait ; et interrompu, sans annonce, ni raison ou explication. Les seules études d'impact sur des cohortes d'élèves l'ayant vécu ont déclaré qu'il n'y avait, paraît-il, pas grand-chose à en dire. Notons au passage qu'on ne s'est préoccupé que des résultats (et encore... on sait que les effets sont souvent différés) pour les élèves, mais pas du travail enseignant qui a pu être éventuellement facilité, et de toute façon impacté, peut être éclairé différemment pour les acteurs eux-mêmes.
L'expérimentation en cours montre comment l'institution met concrètement en place une annonce ministérielle qui semble tenir compte de ces deux moyens de transformation, l'espace pour des groupes classes redéfinis, et les autres par rapport à des collectifs réduits.
Le cahier du LIEN
Ce nouveau cahier du LIEN revient à sa manière sur la question des «fondamentaux», thème du présent numéro de Dialogue. Il reprend de brefs extraits du premier livre du LIEN "Relever les défis de l'Éducation nouvelle. 45 parcours d'avenir" (Chronique sociale 2009). Ceux-ci n'ont rien perdu de leur actualité, nous semble-t-il. Ils sont organisés ici sous forme d'abécédaire. L'accent est mis sur la transmission, ses hasards, ses supports, ses rencontres, ses bonheurs et ses risques. Tous les témoignages ont été écrits à partir d'une même grille de questions, dans un double mouvement : ce que tous ont reçu mais parallèlement ont apporté à l'Éducation Nouvelle du 20ème siècle. Reste une certitude, souvent vue comme une sorte de cadeau, même si elle provoque bien des remaniements identitaires faciles ou non : on n'oublie pas celles ou ceux qui nous ont poussés à nous dépasser, à nous déplacer mentalement.
- Édito : Comment ça va l'Éducation Nouvelle
Étiennette VELLAS (GREN)
- L'abécédaire
Charles PEPINSTER (Belgique GBEN) Gaston MIALARET (France GFEN) Philippe MEIRIEU (France) Dina BOREL (Suisse GREN) Annie GLEYROUX DUCOM (France GFEN) Tatiana EREMINA (Russie St Petersbourg) Inna Alexéévna MUKHINA (Russie St Petersbourg) Odette NEUMAYER (France GFEN)