Edito n° 129-130

L'Aide, comment faire... pour qu'ils s'en passent ? retour au sommaire du Dialogue n° 129-130
Actes des rencontres nationales sur l'Accompagnement -St Denis, 93 - 4 & 5 avril 2008

L'aide : comment faire... pour qu'ils s'en passent ?

Jacques Bernardin

Président du GFEN

Se pencher sur l'aide et ses paradoxes, c'est une réflexion qui n'est pas nouvelle pour le GFEN. En 1989, nous avions produit un bulletin intitulé : Violence symbolique à l'école (1), suite à plusieurs stages menés avec des équipes de collèges, stages qui avaient permis d'identifier toute une nébuleuse de non-dits source de bien des malentendus en matière d'apprentissage. Parallèlement, la région Sud-Ouest avait, sur les mêmes constats, produit une brochure au titre évocateur : L'insoutenable ambiguïté de l'aide. Vingt ans déjà !
Pourquoi cette initiative ? Une opportunité conjoncturelle
Si l'accompagnement ne date pas d'hier (2), on assiste depuis à une montée en puissance et à une installation durable de l'accompagnement à la scolarité dans le paysage éducatif, qui exporte son « modèle » à l'intérieur même de l'école.
Rappelons quelques textes officiels récents qui en balisent l'expansion :
- Le B.O. du 6 avril 2006 pose les « Principes et modalités de la politique de l'éducation prioritaire ». Parmi les quinze décisions, outre la différenciation des zones en EP1, EP2 et EP3, le texte demande qu'en EP1, dans les Réseaux Ambition réussite, priorité soit donnée à l'accueil
des 2 ans (!) et que soient mises en place des « études accompagnées » (décision 12) pour les élèves à partir du CE2 jusqu'au collège.

- La Circulaire du 13 juillet 2007 instaure un « accompagnement éducatif » dans tous les collèges de l'éducation prioritaire dès la rentrée 2007, pendant deux heures sur quatre jours par semaine avec un temps pour l'aide aux devoirs et aux leçons (sous la forme d'« étude dirigée » pour les 6e) et un autre consacré à la pratique artistique et culturelle ou sportive devant déboucher sur « des réalisations concrètes » (sans oublier la promotion de l'usage des TICE, l'ouverture des CDI). Sans oublier l'opération « école ouverte » pendant les vacances, proposant là encore des activités culturelles, linguistiques ou sportives.

- En novembre 2007, le ministre Xavier Darcos annonce que cette « école après l'école » sera mise en place dès la rentrée 2008 dans l'ensemble des collèges et, à la rentrée 2009, devra être étendue aux écoles primaires pour les désormais consacrés « orphelins de 16 H ».

- En février 2008, les « Propositions du Ministre pour définir un nouvel horizon pour l'école primaire » comprennent, outre les modifications des objectifs et des programmes de l'école (soumis à la consultation en mars), la systématisation de l'évaluation des élèves et des enseignants
et la semaine de 24 H, afin de permettre d'instituer une « aide personnalisée pour chaque élève en difficulté sur deux heures hebdomadaires (3) ».

L'Aide « à tous les étages » : une évidence à interroger
A priori, l'aide est une bonne chose. Elle témoigne du souci de s'occuper des élèves les plus en difficulté, rebondit sur le sentiment d'empathie et la générosité de l'opinion à l'égard des « moins chanceux ». Cette évidence de bon sens est néanmoins bousculée quand d'une part, on replace cette mesure dans l'architecture d'ensemble de la politique éducative et quand d'autre part, on se penche sur les résultats de la recherche concernant ses effets réels.

Sur le plan de la politique éducative, on assiste de fait à un désengagement de l'Etat par rapport à ses obligations « ordinaires » : diminution drastique de postes ; chute voire complet abandon de la scolarisation des deux ans y compris en zone prioritaire ; délabrement de la formation continue, etc. Tout cela avec un souci constant de gommer le social dans la façon de traiter les
difficultés. Le cas des zones prioritaires en est emblématique, à travers cette volonté revendiquée de sortir de la logique de zone pour ne plus s'adresser qu'à des individus, désormais désignés seuls comptables de leur destin.

Sur le plan de la recherche en éducation, plusieurs travaux récents nous alertent sur les effets réels de l'accompagnement. Selon D. Glasman (4) « pour une part non négligeable des enfants et des adolescents, l'accompagnement scolaire est loin de faire la preuve de son efficacité en termes d'appui au travail » et il appelle à la vigilance pour éviter d'en faire « l'accompagnement social de l'exclusion scolaire ».
Bruno Suchaut croise ces travaux avec différentes études menées par l'IREDU de 2001 à 2003, constatant la même tendance. « A caractéristiques scolaires et sociales comparables, l'effet global de l'accompagnement à la scolarité est assez ténu : en moyenne, les élèves ayant fréquenté un dispositif, quelle que soit sa configuration, ne progressent pas différemment des autres élèves comparables (non pris en charge dans les dispositifs) ».
Mais il ajoute que, vu l'hétérogénéité des fonctionnements, l'impact global neutre peut masquer des effets opposés, tantôt positifs, tantôt négatifs, selon les caractéristiques des dispositifs (5).
Ce qui fait écho aux travaux plus anciens d'Alain Mingat sur les GAPP dans les années 90, montrant qu'à difficultés comparables, il valait mieux pour les élèves ne pas être passé par les dispositifs d'aide pour progresser ! (6)
Autrement dit, non seulement l'aide n'est pas souvent efficace mais, plus encore, elle peut être néfaste !

Une aide sans effet à et a fortiori contreproductive à risque d'alimenter et de renforcer le sentiment de fatalité à l'égard de « ces enfants-là », cas désespérants vu la débauche d'efforts pour les en sortir, qu'on finira par considérer comme désespérés faute de progression. D'où la nécessité d'y regarder de plus près, au moment où on veut généraliser l'accompagnement.

L'objectif de ces Rencontres
Nous voulons interroger l'aide dans une visée compréhensive, à divers niveaux : Que signifie ce système où il faut toujours plus de hors l'école pour faire école ? L'inflation d'aide ne saurait être un supplétif exonérant de s'interroger sur l'amont qui la nécessite. Et pourtant, ici et maintenant, qui pourrait/oserait la refuser aux plus démunis ? Alors, de quoi pourrait-elle être faite pour être vraiment efficace ?
Analyseur du système scolaire, l'accompagnement est aussi un lieu d'invention, de ressaisie de la question éducative par le corps social. Ce qui s'y met au point peut aussi contribuer à interroger l'éducation et le rapport à la culture, sortis du champ clos de l'école. Espace de paradoxes et de contradictions où nous avons moins de certitudes que des interrogations. C'est le lot de tous
ceux qui se coltinent au réel : accompagnateurs, enseignants, parents, responsables d'associations, élus...

Le premier jour sera centré sur l'accompagnement à la scolarité : De quelle nature sont les difficultés des élèves qui nous préoccupent ? Quelles sont les caractéristiques des dispositifs les plus opératoires ?
La table ronde avec les mouvements d'éducation populaire impliqués sur ce terrain permettra de croiser les expériences, réflexions et questionnements pour avancer ensemble. Car ainsi que l'énonce le proverbe africain que m'a rappelé Zahra Boudjemaï : « Seul, on va plus vite ; mais à plusieurs, on va plus loin ». Cet accompagnement à la scolarité apporte en retour bien des choses pour repenser l'ordinaire scolaire : une relation différentes aux élèves (plus grande proximité, attention portée à leur posture face aux apprentissages), permettant le dévoilement de points aveugles (impensés, part d'implicite dans le travail du soir, malentendus de toutes sortes quant aux attendus scolaires), sans oublier l'invention et l'usage de stratégies de détour, de modes opératoires parfois efficaces...

Le deuxième jour s'intéressera à l'accompagnement dans l'Ecole, non restreint au temps de l'après classe. En quoi pourrait-il s'inspirer de ce qui se passe en dehors ? Que ce soit dans les dispositifs et filières spécifiques (RASED, SEGPA, dispositifs relais) ou dans le cadre de l'ordinaire scolaire, qu'est-ce qui est de nature à aider les élèves non plus après, mais avant et pendant l'apprentissage ? C'est ce que nous explorerons dans différents ateliers (proposant des vécus et/ou des expériences), réflexion éclairée par deux apports : Comment penser l'aide ? (Jean-Yves Rochex). Quels effets de l'accompagnement ? (Bruno Suchaut). Puis, nous souhaitons ouvrir des perspectives avec des « grands témoins » de leur profession, représentants d'associations partenaires dans le montage de cette aventure :

- Sylvie Rieunier, de la FNAREN, porteuse des préoccupations de ceux dont c'est le métier d'aider (acteurs des réseaux d'aide spécialisée de l'Education nationale) ;
- Gilles Moindrot, du SNUipp (syndicat majoritaire des enseignants de l'élémentaire), témoin des interrogations des professionnels de l'apprentissage ;
- Bernard Bier (INJEP et OZP), soucieux des logiques de territoires et observateur attentif des zones prioritaires, destinataires privilégiés de l'accompagnement ;
- Michel Ducom (GFEN) exprimera la sensibilité de l'éducation nouvelle ;
- Patrick Picard, du Café Pédagogique, étant à l'interface de tous ces « mondes » aura le rôle d'animateur de cette table ronde sur l'avenir de l'accompagnement.


Le choix des lieux... et de l'ouverture
Nous avons souhaité implanter ces rencontres en Seine- Saint-Denis, un des départements parmi les premiers concernés par cette thématique ; dans la ville de St Denis, pionnière dans la mise en place de l'accompagnement à la scolarité (dès 1993) et avec Gérard Chauveau, qui a été prospecteur, défricheur en la matière, avant d'être le promoteur que l'on sait de ce qui s'est ici inventé : les clubs lecture, peu de temps après Colombes, il y a maintenant une quinzaine d'années. A l'origine, l'univers éducatif regardait avec méfiance ces animateurs de l'accompagnement. Quelles recherches, analyses et questionnements ont conduit à imaginer la mise en place de cet accompagnement à la scolarité ? C'est la question que nous avons posée à Gérard Chauveau pour amorcer notre réflexion...

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1- Violence symbolique à l'école, GFEN Normandie-Centre, Chartres, 1989.retour au texte

2- En 1981 : création d'études « assistées » d'initiative associative pour les enfants immigrés scolarisés à l'école élémentaire. En 1982, organisation d'actions éducatives périscolaires (AEPS) pour les enfants étrangers scolarisés au cours moyen. En 1984 : extension des AEPS aux enfants scolarisés en ZEP au CE2 et au CM, et en 1990, extension aux élèves de toute l'école élémentaire, des classes de 6è et de 2nde scolarisés dans les quartiers défavorisés (Cf. Historique brossé par Michèle Théodor, « La mise en place de l'accompagnement éducatif », Lettre de l'OZP n°68. Octobre 2007). retour au texte

3- Sur les 108 H annuelles, 60 H étant consacrées à l'aide aux élèves, 24 H au travail d'équipe, à la relation avec les familles, à l'élaboration et au suivi des projet personnalisés de scolarisation (PPS) des enfants handicapés. retour au texte

4- Dominique Glasman, Leslie Besson. Le Travail des élèves pour l'école en dehors de l'école. Rapport pour le Haut Conseil à l'Evaluation de l'Ecole, déc. 2004, p. 129-131. retour au texte

5- Bruno Suchaut, « Accompagnement à la scolarité et réussite éducative. Intérêts et enjeux de l'évaluation ». 2èmes Rencontres de l'Accompagnement à la scolarité. Université Paris X Nanterre, 27 sept. 2007. retour au texte

6- Il n'avait constaté aucune automaticité : deux des structures étudiées avaient en effet des résultats atypiques...retour au texte



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