Lire/écrire : difficultés et malentendus
Yann Gibert | le 01/01/1970 00:00
Les différences entre élèves dans l'accès au lire/écrire est lié à des rapports...En savoir plus
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La fabrique des illettrés
Y aurait-il plus d'illettrés qu'auparavant ? L'étude
réalisée en 2001 lors des Journées d'appel
de la Défense, portant sur la totalité des jeunes d'une
classe d'âge, révèle que 11,6 % éprouvent
des difficultés diverses, parmi lesquels 6,5 % sont proche de l'illettrisme,
mais tous les observateurs s'accordent sur le fait que c'est
le taux le plus faible depuis 25 ans.
Les jeunes en savent-ils moins que leurs aînés ? Selon une
enquête réalisée par l'Insee en 2002, 12 % de
l'ensemble des adultes ont des difficultés de lecture, mais
en comparant les tranches d'âges, on s'aperçoit
que les jeunes sont moins touchés que leurs aînés
: cela concerne 4 % des 18-24 ans... mais 13 % des 40-54 ans et 19
% des 55-65 ans (1).
Trop de jeunes sortent sans diplôme ? Rappelons qu'en 1975,
56,5 % de la population était non diplômée. Si aujourd'hui,
15 % d'une génération ne valide pas son second cycle
long, c'est le cas de 18 % d'une génération
dans la moyenne des pays de l'OCDE (et de 28 % d'une génération
aux Etats-Unis)(2) .
Rappeler ces éléments, ce n'est pas pour autant négliger
les 10 à 15 % d'élèves faibles lecteurs à
l'entrée en 6ème (qui auparavant n'accédaient
pas au collège). Qu'il soit plus insupportable aujourd'hui
qu'hier de ne pas maîtriser suffisamment l'écrit
pour se mouvoir dans la vie sociale, être autonome et accéder
à l'emploi, chacun en convient. Mais peut-on parler de baisse
de niveau ? Si on considère ces chiffres et les programmes, il
s'agit plutôt d'une hausse à légitime -
des exigences, sur les plans quantitatif et qualitatif.
Le retour à la syllabique
On nous prescrit (avec fermeté !) un retour aux « bonnes
vieilles méthodes », notamment à la méthode
syllabique, supposée plus efficace. Et si on y regardait de plus
près ? Les I.O. de 1923 (qui ont prévalu jusqu'aux
années 70) préconisaient d'insister sur le code. La
lecture au CP devait « porter sur des mots et des phrases simples
». Au cours élémentaire, on visait « la lecture
courante de textes simples » et au cours moyen, « la lecture
courante et expressive ». Il fallait attendre la classe de fin d'études
pour travailler la « lecture silencieuse de textes empruntés
aux grands écrivains ». Les Instructions précisaient
: « Pendant cette période (CP-CE1-CE2), le caractère
essentiel de la lecture est d'être unicode2utf8(0x2018c)ourante'
et l'on se gardera d'en arrêter trop souvent le cours
par des questions ou des explications ». La méthode syllabique
dominait, avec pour objectif d'intégrer la reconnaissance
phonie/graphie en faisant appel à la mémoire, la répétition
et l'oralisation collective. « Grâce à l'entraînement
intensif auquel ils auront été soumis pendant trois années,
nos élèves, dès le début du cours moyen, possèderont
le mécanisme de la lecture » espérait-on à
l'époque.
Hélas, la réalité résiste, amenant les inspecteurs
à ce constat dans les années 60 : « Ces vues exprimaient
plutôt un idéal que la réalité. Des constatations
faites dans de nombreuses écoles, il résulte que la unicode2utf8(0x2018)lecture
courante' n'est pas encore complètement acquise à
dix ans par la moyenne des élèves » (...) même
dans la première année des écoles primaires supérieures,
on voit encore des élèves qui n'ont pas cette perception
rapide et globale des mots et des phrases qui, seule, permet une lecture
courante intelligente »(3) .
Les programmes de 2002 intègrent les attendus de l'époque
(« Lire à haute voix un court passage en restituant correctement
les accents de groupes et la courbe mélodique de la phrase »(4)
), et les débordent largement avec des objectifs ambitieux afin
de préparer l'ensemble des élèves à
profiter de l'enseignement secondaire : il s'agit désormais
de pouvoir comprendre y compris de façon fine des textes plus longs
et divers, dans toutes les disciplines... Exigences qui n'étaient
auparavant adressées qu'à une minorité de la
population : l'élite destinée aux postes de responsabilité
et de pouvoir.
Les méthodes « responsables de l'épidémie
actuelle de dyslexie »
Voilà un thème porteur ! Résiste-t-il à l'examen
? Ecoutons les spécialistes et en priorité ceux qu'on
ne peut soupçonner de complaisance à l'égard
des « nouvelles méthodes ». Selon Franck Ramus, du
laboratoire en sciences cognitives et psycholinguistiques au CNRS, «
A l'heure actuelle, les recherches en neurosciences ne sont pas
assez avancées pour valider ou invalider telle ou telle pratique
(...) Dire qu'il est plus efficace d'apprendre à
lire grâce à des méthodes syllabiques du fait d'arguments
reposant sur de nouvelles découvertes dans le domaine des neurosciences
est un peu fallacieux». Il n'y a pas non plus, selon lui,
d'« épidémie de dyslexie » liée
à la méthode globale. La Fédération nationale
des orthophonistes, qui considère que la dyslexie touche 5 % des
enfants, est du même avis : « Il n'existe à ce
jour aucune étude, validée scientifiquement, mettant en
évidence des liens de causalité entre méthodes de
lecture et pathologies du langage écrit »(5) .
Est-il raisonnable d'imposer à tous prioritairement et exclusivement
le b.a à ba ? Beaucoup d'enseignants l'ont fait par
le passé... et en ont expérimenté les limites
: d'une part, cela ne parle qu'aux élèves ayant
compris la nature du système écrit (ce qui est loin d'être
le cas pour tous au début CP) ; d'autre part, cela risque
fort d'être insuffisant voire parasite pour accéder
à la lecture « intelligente », rapide et compréhensive,
qui fait majoritairement défaut aux faibles lecteurs de 6ème.
Sylviane Valdois, orthophoniste et neuropsychologue, chargée de
recherche au CNRS, travaille sur la dynamique d'acquisition des
procédures de lecture, en particulier sur le passage de la procédure
analytique (identification des mots par le déchiffrage) à
la procédure lexicale (voie directe, procédure experte visée
fin Cycle 2) : « On a longtemps pensé qu'il y avait
précédence de la procédure analytique sur la procédure
lexicale. Des études récentes montrent qu'en fait
les deux procédures se développent conjointement et co-existent
dès le tout début d'apprentissage de la lecture. Il
semble en outre qu'elles entretiennent des relations étroites
et que le développement de chacune d'elle contribue au développement
de l'autre.» Le déchiffrage n'assurerait-il pas
la meilleure garantie pour accéder à la compréhension
? « Il semble (...) que de bonnes capacités de traitement
analytique, si elles contribuent à l'enrichissement des connaissances
lexicales, ne sont pas déterminantes dans la mise en place de la
procédure lexicale » affirme-t-elle. Comment alors exercer
les élèves à la procédure experte ? Les recherches
récentes de son équipe, tout comme l'étude
de larges populations d'enfants scolarisés en primaire révèlent
« des corrélations fortes entre leurs aptitudes visuo-attentionnelles
et leur niveau de lecture (et d'orthographe). On a par ailleurs
pu établir que les capacités visuo-attentionnelles contribuent
au niveau de lecture des enfants indépendamment de leurs compétences
phonologiques »(6) .
Autrement dit, d'une part le déchiffrage n'est pas
un préalable à l'apprentissage, d'autre part
« la connaissance des correspondances entre graphèmes et
phonèmes ne suffit pas à une maîtrise des mots écrits
» (a fortiori de ceux qui comportent des irrégularités)(7)
. Si on y ajoute le fait que la lecture ne se résume pas à
l'identification successive des mots mais exige des liens pertinents
entre les mots au sein de la phrase ainsi qu'entre les phrases pour
comprendre un texte, on comprend vite que le « remède »
qui nous est proposé risque de ne guère aider les apprentis
et les lecteurs précaires.
Qui sont ces « mauvais lecteurs » ?
Nos résultats sont-ils plus catastrophiques qu'ailleurs ?
Les comparaisons internationales nous situent dans la moyenne, tout en
remarquant qu'en France, la proportion de « mauvais lecteurs
» est relativement modeste . Toutefois, en y regardant de plus près
et sur la durée, on s'aperçoit que ces résultats
globaux masquent une différenciation croissante entre les élèves,
ce dont témoignent les évaluations CE2-6ème et la
récente évaluation PISA(9) .
Qui sont ces élèves faibles ? Toutes les recherches l'attestent,
confortant l'expérience des enseignants aux divers niveaux
: ce sont massivement les élèves d'origine modeste
qui sont en difficulté face à l'écrit. Dans
son étude sur les SEGPA, R. Goigoux relève que 97 % des
faibles lecteurs sont issus de la catégorie socio-professionnelle
la plus défavorisée(10) . Selon les notes récentes
de la DEP concernant les évaluations CE2 - 6ème, «
en mathématiques comme en français, la variable la plus
discriminante pour le score est la catégorie socio-professionnelle
du chef de famille ».
On peut dès lors se poser la question : le problème est-il
essentiellement pédagogique ? Quel impact les conditions de vie
des familles démunies ont-elles sur leur rapport à la scolarité
et à l'avenir ? Les sociologues sont de plus en plus nombreux
à évoquer les « effets de contexte », qui jouent
défavorablement quand il y a une moindre mixité sociale
et scolaire. Il est toujours facile d'accuser l'école
et les « méthodes modernes » quand on a laissé
les quartiers difficiles à la dérive et les enseignants
seuls au front et sans aide.
Les recettes du passé ont-elles de l'avenir
?
Pédagogiquement, c'est une voie d'impasse pour la majorité
des chercheurs conséquents sur la question. Plusieurs décennies
de travaux ont permis une évolution constante de la compréhension
des difficultés et l'exploration des voies nouvelles pour
l'apprentissage : c'est trop court de jeter l'anathème
sur une « méthode globale » dont on reconnaît
par ailleurs qu'elle n'existe pas, trop court de promouvoir
une recette simpliste pour amener l'ensemble des élèves
à une maîtrise satisfaisante de la lecture. Quant aux enseignants,
soucieux de la promotion de leurs élèves et qui ont pour
un certain nombre déjà éprouvé les impasses
d'une approche trop exclusivement centrée sur le code, ils
ne voient pas comment ces incitations aux relents nostalgiques pourraient
être facteur de progrès. Ils ont moins besoin de déclarations
aux relents injustement accusateurs que d'un réel accompagnement
dans leur difficile et ambitieuse mission.
Idéologiquement, ce retour à l'ordre ancien est compréhensible...
Pour qui considère que de pauvres méthodes suffiront bien
pour les enfants de pauvres, promis à l'apprentissage à
14 ans et destinés aux emplois déqualifiés.
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