Où en est-on aujourd'hui?
Yann Gibert | le 01/01/1970 00:00
Les élections cantonales étant terminées (2001) le nombre de suppressions d'emploi d'enseignants et de fermetures...En savoir plus
Mouvement de recherche et de formation en éducation
Tous capables ! Tous chercheurs ! Tous créateurs !
L'harmonisation européenne
Il s'agit de rendre l'École plus performante, moins
par souci de justice sociale que pour mieux faire face « aux enjeux
de la mondialisation ». Selon le Rapport annexé, il faut
pour cela :
1) Développer l'économie de la connaissance (p. 24
: « Devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive
et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique
durable... » . On y rappelle les engagements pris lors du Conseil
Européen de Lisbonne de mars 2000 qui considère que «dans
cette perspective, les systèmes éducatifs ont un rôle
central à jouer » et désigne, parmi les treize objectifs
:
? développer l'accès aux technologies de l'information
et de la communication ;
? renforcer les liens avec le monde du travail, la recherche et
la société ;
? développer l'esprit d'entreprise... .
Ainsi que le remarquait si justement l'ERT (European Round Table,
réunissant les grands industriels d'Europe), le secteur de
l'éducation constitue en effet un énorme marché
potentiel à deux titres : d'une part, parce que les entreprises
ont besoin de travailleurs formés de manière à répondre
à leurs exigences ; d'autre part, parce qu'en lui-même,
il offre des possibilités de profit inespérées en
tant que secteur économique .
2 ) Harmoniser les systèmes éducatifs : « Rendre les
systèmes éducatifs suffisamment compatibles pour que les
citoyens puissent passer de l'un à l'autre et profiter
de leur diversité ». Echanges et ouverture culturelle...
qui permettra la mise en concurrence généralisée
d'une main d'œuvre que l'on pourra ainsi puiser
dans un vivier élargi.
1) La mobilité professionnelle. Si l'Ecole doit changer,
c'est sous la pression de la nouvelle donne du marché de
l'emploi : « Dans un contexte de mobilité professionnelle
de plus en plus généralisée, l'Ecole doit se
concevoir comme une première étape, essentielle, dans le
processus de formation tout au long de la vie » (p. 23), car il
faut désormais être capable de s'adapter en permanence,
au niveau des organisations comme des employés .
2) Compétences ou connaissances ? Argumentant sur l'évolution
de plus en plus rapide des savoirs et des technologies, l'Ecole
ne doit plus seulement « dispenser des connaissances », elle
doit surtout « mettre l'accent sur les savoir-faire et les
savoir-être qui donnent à chacun la capacité à
faire face aux situations nouvelles » et « transmettre aux
élèves les valeurs morales qui fondent la vie en société
» (p. 23-24). Autrement dit, la créativité se déclinera
désormais en « adaptabilité » sans trop développer
la pensée divergente et la formation devra être moins conceptuelle
et critique que viser l'« employabilité », jugée
sur une base opératoire [savoir-faire] et comportementale [savoir-être]
bien mieux adaptée aux besoins de l'entreprise moderne .
Une Ecole plus juste
Cela ne consiste pas à combattre les inégalités et
à viser la promotion collective, mais à assumer sereinement
la différenciation scolaire sans désespérer les plus
démunis, en proposant une place de choix aux plus méritants
: « elle doit soutenir les plus faibles, tout en encourageant les
meilleurs à se dépasser. Elle contribue à la fois
à l'élévation du niveau général
de la population et au recrutement social élargi des élites
» (p. 27). L'espoir de promotion de quelques rares élus
est un hochet agité devant les pauvres pour leur faire accepter
la règle du jeu social. La « bourse au mérite »
(p. 31) est le pompon à décrocher.
Quant au plus grand nombre, comme « l'organisation des parcours
scolaires doit offrir à tous les élèves la possibilité
d'aller au plus loin de leurs capacités, et de développer
une forme de talent, quel que soit le domaine d'excellence »
(p. 31), il aura droit à la diversification après la 5ème
: dispositif d'alternance en 4ème, avec option de «
découverte professionnelle » en 3ème qui « sera
offerte aux élèves qui veulent mieux connaître la
pratique des métiers » (p. 33). Comme ces choses là
sont bien dites ! Le Brevet réhabilité pour tous...
mais pas le même, car il « prend en compte, selon des choix
propres aux élèves, les autres enseignements et activités
d'approfondissement et de diversification », ainsi qu'une
« note de vie scolaire » (p.29). Qui veut l'avoir n'a
qu'à bien se tenir !
De fait, un collège unique qui ne l'est plus du tout, car
il organise et sanctionne des parcours différents. Or, toutes les
études comparatives internationales soulignent le caractère
notoirement ségrégatif des systèmes organisant une
filiarisation précoce : « Sont ainsi formés, précocément,
des milieux de formation et de vie très différents, ce qui
ne peut, vu les unicode2utf8(0x2018effe)ts de contexte' (...), qu'accentuer
et rendre irréversibles les inégalités entre élèves
» .
Pour certains, un « Contrat individuel de réussite éducative
» pour organiser le soutien, décider du redoublement et proposer
un parcours adapté à leur « forme de talent »,
et pour ceux « qui ont montré aisance et rapidité
dans l'acquisition des connaissances indispensables », approfondissement
et diversification. Diversifier... oui, mais pour les plus forts,
voilà une véritable révolution pédagogique
qui va dans le sens de la justice !
Une Ecole plus efficace
Non, il ne s'agit pas de lutter avec détermination contre
la « fracture scolaire ». D'emblée, le lecteur
est prévenu : il s'agit d'une « nouvelle alliance
entre l'égalité et la diversité, (...)
entre la culture et l'emploi ». On l'avait déjà
compris... Que nous propose-t-on de changer pour améliorer
l'efficacité de l'Ecole ?
1) D'abord, de changer les règles de fonctionnement :
- gestion plus serrée des postes afin que l'équipe
éducative soit son propre recours (« en raison de l'évolution
des conditions d'enseignement, le fondement de décharges
spécifiques désormais non justifiées devra être
réexaminé de sorte que les établissements disposent
de moyens propres pour mettre en œuvre leurs priorités pédagogiques
au service de la réussite des élèves » - p.36)
;
- liberté pédagogique... néanmoins étroitement
surveillée : pilotés en amont par les instructions officielles
et en aval par les évaluations régulières, les enseignants
seront désormais seuls responsables du parcours des élèves,
avec un « conseil pédagogique » qui se substitue aux
équipes pédagogiques au niveau du secondaire, chargé
de coordonner les enseignements et les méthodes pédagogiques,
véritable hiérarchie décisionnelle transférée
au cœur des établissements.
- « contrat de réussite » pour les élèves,
« contrat d'objectifs » pour les établissements,
faisant obligation de résultats (il s'agira de rendre des
comptes dans tous les sens du terme : au niveau des « performances
» éducatives, au niveau de l'usage du personnel comme
de l'emploi des crédits, dont une partie dépendra
des projets présentés).
2) Par ailleurs, de profiter d'une période de renouvellement
considérable des personnels partant en retraite pour déverrouiller
les modalités de recrutement et de formation, qui font trop perdurer
« l'esprit de corps » et la résistance au changement
:
- « les troisièmes concours deviendront une vraie voie de
diversification du recrutement pour des personnes ayant acquis une expérience
professionnelle dans le secteur privé ». Pas besoin de concours
ni de cursus spécifique : « la condition de diplôme
est supprimée, la durée de l'expérience professionnelle
est portée à cinq ans, sans période de référence,
et est élargie à tous les domaines professionnels »
(p. 37). Dans le même esprit d'ouverture, « les établissements
(...) pourront faire appel à des professeurs associés,
issus des milieux professionnels, pour diversifier et compléter
leur potentiel d'enseignement ».
- Quant à la formation, elle aussi soumise à la contrainte
d'harmonisation européenne, elle sera sous la coupe de l'Université,
avec un corps de formateurs permanents (enseignants-chercheurs de l'université)
et des formateurs associés « mis à disposition »
par les recteurs d'académie, sous contrat temporaire (professionnels
exerçant en service partagé) : avec une telle distorsion
des statuts, comment la relation théorie-pratique pourrait-elle
être améliorée ?... Une formation disciplinaire
par l'université d'un côté, une formation
pédagogique « de terrain » de l'autre, sans doute
est-ce suffisant pour avoir une relative maîtrise pratique permettant
de « tenir » la classe (et ce, dans le meilleur des cas, on
le voit déjà aujourd'hui) mais est-ce suffisant pour
avoir une maîtrise théorique de l'acte professionnel,
sur le plan de la transposition didactique comme de la gestion pédagogique
d'un collectif humain ?... Ce n'est pas seulement de «
recettes » ni de « bons gestes professionnels » qu'ont
besoin les enseignants aujourd'hui, ils réclament d'y
voir plus clair à propos des obstacles épistémologiques
et des difficultés conceptuelles inhérentes aux contenus
enseignés, de mieux comprendre les logiques d'évitement
ou de mobilisation des élèves confrontés à
leur appropriation et faisant obstacle à leur volonté de
les faire réussir, de pouvoir élaborer collectivement d'autres
pratiques pédagogiques pour mieux réaliser leur mission
éducative. Où pourront-ils sérieusement le faire
?
Mais peut-être n'est-il pas nécessaire de fondamentalement
changer les pratiques actuelles ni de viser l'ouverture du «
haut niveau » de réflexion et de culture à tous...
Ne s'agirait-il pas plutôt de gérer l'Ecole selon
les principes de management du privé ?
- mobiliser le personnel corps et âme pour viser la « performance
» en assumant « sereinement la promotion d'une élite
scolaire » ;
- casser l'esprit de corps et introduire la culture de l'entreprise,
plus soucieuse d' « efficacité » dans la relation
investissements / résultats au cours terme ;
- former juste ce qu'il faut pour adapter à l'emploi,
les élèves comme les enseignants, quitte à organiser
une rotation plus rapide des postes dans une recherche de « mobilité
» générale moins propice à l'esprit de
résistance et aux risques d'affrontements sociaux...
Une Ecole plus ouverte
Le projet de loi ne parle pas ici d'ouverture culturelle ou d'émancipation,
mais d'ouverture aux parents, de partenariat avec les élus,
de relations avec le monde économique, sans oublier la dimension
européenne. La boucle est bouclée... Il s'agit
bien de « dé-sanctuariser » l'Ecole, de l'ouvrir
aux demandes sociales : mais jusqu'où ? L'Ecole a-t-elle
vocation de se mettre au service des publics ou de rester un service public
? Dans l'Education comme dans d'autres champs, la réponse
n'est pas sans conséquence pour les plus démunis :
on connaît déjà la tendance des mieux pourvus à
socialement et culturellement à à instrumenter l'Ecole
à leur avantage. Veut-on accroître cette tendance ?
En ce qui concerne les parents, les uns pourront communiquer en ligne
(« Le développement des moyens de communication permettra,
dans le cadre des espaces numériques de travail (ENT), la mise
en ligne des cahiers de texte, de l'échéancier des
devoirs, d'informations relatives à la vie scolaire, et des
notes obtenues par les élèves »(p. 45), les autres
pourront « pourront bénéficier de l'action des
unicode2utf8(0x2018)programmes familiaux locaux' initiés par l'agence
de lutte contre l'illettrisme ». On a vraiment pensé
à tout !... Mais peut-être plus dans un souci de contrôle
social que de démocratisation véritable.
J'oubliais : la création du Haut Conseil de l'Education
(remplaçant l'actuel Haut Conseil à l'Evaluation
de l'Ecole), qui sera chargé de présenter chaque année
« à tous les niveaux d'organisation du service public
», un « rapport annuel des performances » (p.50). Avec
un tel outil de pilotage, c'est la concurrence généralisée
à tous les étages avec son lot de stigmatisations pour les
moins performants qui s'annonce. Est-ce de nature à faire
avancer l'Ecole ? Quand on connaît les effets du classement
des établissements secondaires selon leurs résultats et
leur répercussion sur les phénomènes d'évitement
scolaire, de désectorisation et de guettoïsation progressive
de certains d'entre eux, on peut légitimement se le demander...
La philosophie du projet
La recherche d'un nouveau « consensus républicain
»
1) L'égalité des chances : convoquée régulièrement
dans le projet et les discours, les observateurs attentifs du système
savent qu'elle n'a jamais existé, qu'elle est
une « promesse non tenue » , mais qui parvient néanmoins
toujours à donner le change à l'opinion publique :
qui pourrait être a priori contre l'égalité
des chances ?... Sauf à interroger le paradoxe de la formule,
qui laisse entendre que tout le monde pourrait être sur la même
ligne de départ avec des « chances » identiques, mais
amène dans le même temps à accepter qu'au terme
du parcours il y ait des gagnants et des perdants, ce qui légitime
la distribution sociale hiérarchisée. Chacun ayant eu sa
chance, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même
en cas d'insuccès : l'intériorisation de ce
sentiment permet d'accepter son sort.
Il est touchant de lire ce constat que « l'origine sociale
pèse lourd sur l'égalité des chances »,
et de voir reconnaître que « unicode2utf8(0x2018)l'ascenseur social'
ne fonctionne plus » (p .25). Mais c'est peut-être moins
par souci de justice sociale que pour perpétuer la société
dans ses fondements inégalitaires qu'il est nécessaire
de permettre à quelques-uns de s'asseoir à la table
du festin pendant que la masse claque du bec : la promotion de quelques
figures de proue, c'est la promesse à tenir... pour faire
accepter le lot commun à l'immense majorité.
2) Une Ecole « utile », qui restaure : travail, autorité,
mérite... Les parents à et d'abord ceux de milieu populaire
- vont pouvoir se retrouver dans cette proposition d'une «
Ecole pour l'emploi », soucieuse d'efficacité
immédiate et tangible, d'autant plus dans une époque
de forte incertitude sur l'avenir professionnel. La portée
symbolique de la carotte (bourse au mérite) et du bâton (sanctions,
menace du redoublement), d'un discours qui « réaffirme
la place du travail conduit sous l'autorité des enseignants
» (p.3), sont autant de signaux qui alimentent la nostalgie d'une
école à l'ancienne à laquelle bon nombre d'entre
eux aspirent.
Quant aux autres parents, ils désirent ardemment un traitement
différentiel des élèves, consistant à privilégier
leurs enfants et à écarter les autres dès que possible
: redoublement et filières précoces répondent à
cette demande, tout comme l'évacuation des indociles (la
multiplication par cinq des classes-relais d'ici 2010 à p.
41) et l'augmentation des formations courtes (formation d'apprentis
augmentée de 50 % d'ici cinq ans à p. 17). Le corps
professoral demande-t-il autre chose ?...
L'individualisation des destinées
: ou comment camoufler la relégation sociale ?
1) Des parcours et une orientation personnalisés. Chacun doit avoir
la possibilité « d'aller au plus loin de (ses) capacités
et de développer une forme de talent, quel que soit le domaine
d'exercice ». Dire cela, c'est considérer que
les capacités des élèves, déjà là,
ne sont qu'à révéler... et non à
construire, ce qui heurte le postulat d'éducabilité,
et nie les capacités potentiellement infinies dont nous parlent
les généticiens et les psychologues de l'enfance.
Par ailleurs, l'évocation de la « forme de talent »
métamorphose la question sociale sous d'apparents choix individuels
masquant une réalité discriminatoire : chacun sait que pour
certains élèves, l'orientation résulte moins
d'un choix libre que contraint et que les « aspirations »
en matière d'orientation, loin d'être strictement
singulières, relèvent pour une large part de l'histoire
familiale et des valeurs qui y prévalent. Ainsi, le goût
pour les filières professionnelles courtes, le choix d'un
cursus prudent, plus fréquents dans les familles dites modestes
relèvent de « l'intériorisation subjective de
probabilités objectives » (Bourdieu), consistant à
« ne pas viser trop haut » pour éviter les désillusions,
et à considérer à sur la base de l'expérience
sociale - qu'« il vaut mieux tenir que courir ». S'aligner
sur cette tendance et pousser à des choix d'orientation précoces,
c'est s'interdire d'élargir les ambitions, d'ouvrir
d'autres possibles, autrement dit renoncer à la fonction
émancipatrice de l'Ecole... d'abord pour les familles
les moins armées face au système scolaire.
2) Contrat individuel de réussite, dispositifs individualisés
de soutien scolaire. Avec une orientation guidée par « les
aspirations des élèves, leurs aptitudes et les perspectives
professionnelles de leur choix » » (p.4), chacun d'entre
eux devient comptable de son destin, d'autant plus que l'Ecole
se sera penchée avec sollicitude sur son cas personnel tout au
long du parcours scolaire, grâce au fameux contrat individuel de
réussite éducative.
De quoi s'agit-il ? Est-ce une nouveauté susceptible de réellement
résoudre les problèmes ? Sa place centrale dans le projet
de loi nous pousse à en interroger la logique pédagogique
et les implicites.
Le contrat individuel de réussite éducative (CIRÉ) est LA réponse proposée pour régler les difficultés. A l'adresse des « élèves qui ont besoin d'une aide particulière », il est censé mobiliser l'ensemble de l'équipe éducative et, outre les parents et les enseignants, les collectivités territoriales et les associations périscolaires (p .3-4). Signé par l'élève, ses parents, le directeur d'école et l'enseignant, il « précise les dispositifs de soutien » et « définit un parcours individualisé qui permettra de vérifier et d'évaluer régulièrement la progression de l'élève», les parents étant associés au suivi du contrat, l'équipe enseignante décidant en fin d'année du redoublement éventuel (p.11). Un souci apparent de ne laisser personne au bord du chemin qui est louable, mais ce CIRÉ est-il de nature à modifier sensiblement l'ordre des choses ? Est-il pédagogiquement fiable et quels en sont les ressorts ?
Sur le plan pédagogique
- le risque de marquage : pouvant être mis en place dès le
début de la scolarité, le CIRÉ dramatise les problèmes
en institutionnalisant leur reconnaissance et désigne les élèves
fragiles, dans et au-delà des murs de la classe. Les difficultés
ne sont plus normales, inhérentes à tout apprentissage,
mais signent la déviance par rapport à la normalité.
Il sera bien difficile d'échapper à l'«
étiquetage » et à la stigmatisation qui en résulte
.
- un vrai contrat ? Comment parler de contrat avec une telle dissymétrie
des statuts des contractants ? A priori, le contrat tend à clarifier
les zones de difficulté, engage les enseignants à mettre
en œuvre des moyens spécifiques, et a pour ambition de responsabiliser
l'élève et sa famille vis-à-vis du processus
de « rattrapage ». Qui s'en plaindrait ? Mais au-delà,
n'est-ce pas un moyen d'imposer l'obligation de résultats
à tous ? Et sur le fond, cet engagement individuel peut-il réellement
inverser leur rapport aux apprentissages ?
-L'auto-prescription est insuffisante. Le fait pour l'élève
de s'engager à... ne suffit pas à résoudre
les difficultés scolaires qui, plusieurs travaux en témoignent,
relèvent plutôt du sens donné à la scolarité
et à ce qu'on y apprend, d'incompréhension des
notions et/ou des attendus scolaires, de malentendus sur la posture et
les gestes nécessaires à l'étude. Beaucoup
d'élèves fragiles sont « pleins de bonne volonté
», mais cela ne suffit pas à enrayer leurs difficultés.
Mission impossible... tant que le soutien consiste à réparer
ce que le quotidien continue de creuser(ce dont témoignent nombre
de ré-éducateurs aujourd'hui).
- Le redoublement est-il opératoire ? En menaçant les élèves
faibles de redoubler, on risque de renforcer leur rapport à l'école
et au savoir, consistant à restreindre le sens des apprentissages
à leur unique valeur d'échange (et donc à ne
s'investir qu'en fonction de ce que ça « rapporte
», juste ce qu'il faut pour « passer »), au détriment
de leur valeur formative. Si sa valeur incitative est douteuse, le redoublement
ne permet-il pas néanmoins de renforcer les acquis ? De nombreux
travaux le contestent. Les études internationales convergent sur
le fait que les systèmes éducatifs les plus performants
ont pour point commun d'orienter tardivement et de ne pas miser
sur le redoublement pour remédier aux difficultés . Pour
Marcel Crahay, qui s'est appuyé sur plusieurs méta-analyses
: « Tout en ayant sacrifié une année afin de repartir
sur de meilleures bases (...), les élèves redoublants
ne se montrent pas meilleurs que leurs condisciples qui n'ont pas
fait ce sacrifice. (...) il est légitime de conclure qu'une
année de redoublement est bien une année perdue »
.
- Le soutien individuel est-il efficace ? Quel bilan peut-on dresser de
ce qui se fait habituellement ? Souvent, les aménagements pédagogiques
vont dans trois directions : la simplification (programme allégé
et/ou réduction de tel apprentissage jugé trop complexe)
; la segmentation (découpage en étapes, afin d'aménager
un parcours considéré plus à la portée des
élèves fragiles) ; une aide plus intense, personnalisée.
Mais la simplification et la segmentation ne font que retarder la confrontation
à la complexité sans y préparer, peuvent affadir
les enjeux des apprentissages voire installer des malentendus tenaces
quant à la véritable nature du contenu visé ou de
l'activité exercée. Le suivi au pas à pas ne
prépare guère à l'autonomie, tout comme l'aide
accrue. Les enseignants témoignent à tous niveaux d'un
renforcement de la dépendance des élèves à
leur égard (ils n'arrêtent pas de leur redemander la
consigne, les attendent pour faire, etc.).
Au final, moins d'autonomie dans le travail et aménagement
du parcours concourent à réduire les ambitions... et
à augmenter les écarts entre les propositions faites aux
uns et aux autres, logique de groupes de niveaux qui assoit les différences
en prétendant les combler. Quand on propose de « soutenir
les plus faibles, tout en encourageant les meilleurs à se dépasser
» (p.27), n'est-on pas dans un discours de renoncement vis-à-vis
des élèves et des familles les plus démunis ? Chacun
sait que ce sont ces élèves qui sont en difficulté
à l'école, réalité que les évaluations
2003 de CE2 et de 6ème ne démentent pas : « On a constaté
qu'en mathématiques comme en français, la variable
la plus discriminante pour le score est la PSC (professions et catégories
socioprofessionnels) du chef de famille. Les écarts entre les enfants
d'ouvriers et les enfants de cadres sont aux alentours de 15 points
sur 100 » .
Les effets implicites
Bien que mieux organisée, la sélection demeure, violence
institutionnelle qui risque toujours de provoquer en retour de la violence
contre l'institution ou ses agents : comment y parer ? En faisant
en sorte que les victimes acceptent leur sort, d'où l'idée
de CIRÉ... pour se prémunir contre l'orage ! En
effet, le « Contrat individuel de réussite éducative
» sera l'espace d'une négociation visant à
faire accepter la relégation par l'élève lui-même,
avec l'aval de sa famille. Qui plus est, le CIRÉ organise
l'encadrement avec d'une part, la prise en charge dans l'école
(heures de soutien, redoublement éventuel, propositions d'orientation)
et hors l'école (avec les « équipes de réussite
éducative » : éducateurs, travailleurs sociaux, orthophonistes,
pédopsychiatres, etc.- p. 31), assortie d'autre part d'un
contrôle permanent grâce à des évaluations régulières.
C'est donc un véritable traitement social des difficultés
scolaires : comment contester après cela l'orientation qui
sera proposée ?
En conclusion, on ne change rien à l'ordinaire dans les classes.
Les pratiques élitistes peuvent perdurer puisqu'en parallèle,
sont mises en place des instances de contrôle conjuguant : CIRÉ,
orientation précoce, augmentation substantielle des formations
professionnelles courtes (CAP) et des classes-relais pour les plus rétifs.
Faire en sorte que chacun arrive à considérer son sort comme
juste, redevable à son mérite plus qu'à son
origine, et organiser le contrôle de chacun par tous, ne serait-ce
pas une forme assez aboutie de traitement scolaire des difficultés
sociales ?
Les prévisions en matière d'emploi poussent certes à augmenter le taux de diplômés du supérieur pour faire face aux départs en retraite des cadres et mieux se positionner dans la compétition économique mondiale, mais aussi à former juste ce qu'il faut pour assurer le remplacement sur les emplois peu qualifiés et préparer aux emplois émergeants de service « requérant des qualifications fondées sur le savoir-être et la relation à autrui » : à chacun sa réussite, dans une société où chacun aura intériorisé la légitimité de sa place et de celle des autres, voilà toute l'ambition de l'actuel projet pour l'Ecole.
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