Où en est-on aujourd'hui?
Yann Gibert | le 01/01/1970 00:00
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Mouvement de recherche et de formation en éducation
Tous capables ! Tous chercheurs ! Tous créateurs !
Derrière un apparent consensus sur l'éducabilité de tous, de vieux démons idéologiques ont la peau dure. L'idéologie des dons en est un, qui en se parant de différentes appellations (handicap socio-culturel ou talents, intérêts goûts et désormais égalité des chances) vise à naturaliser des différences socialement et historiquement construites. Au cœur de nombres de réformes actuelles visant à la mise en place d'une école à deux vitesses, dans une société également à deux vitesses, cette idéologie traverse toutes les couches de la société. Y compris parfois nos collègues qui confrontés à la violence qui leur est faite dans l'exercice quotidien de leur métier, cherchent des causes extérieures à l'école, à l'échec de leurs élèves vécu, comme leur propre échec. Mais si les difficultés sont naturelles, il n'y a plus de projet éducatif possible et les enseignants sont renvoyés à l'impuissance : que faire contre la « nature » et que reste-t-il de notre métier ?
Or les travaux de la recherche, pédagogique et universitaire, en particulier en neuro-biologie, montrent que ce sont les activités que nous menons, les sollicitations que nous rencontrons qui « façonnent » notre cerveau, dont la plasticité est désormais acquise : le fait d'avoir un père chômeur n'implique pas mécaniquement un échec en résolution de problème mathématique ou en conjugaison. Magnifique perspective pour nous car s'il y a déterminisme social comme l'a montré Bourdieu il n'y a pas de fatalité à l'échec. Enseigner est donc vraiment un métier.
Parler d'« élèves en difficultés » en un seul mot, élèves massivement issus des classes populaires, c'est à la fois transformer la réalité de déterminismes sociaux en fatalité ; mais aussi renvoyer à des personnes, de l'individuel (ce qui permet ensuite de mettre en place des internats d'excellence et de « sauver » quelques méritants pour mieux maintenir la majorité dans l'exclusion ; de mettre en place des dispositifs d'aide qui maintiennent en l'état les mécanismes de ségrégation ....). Et pourtant, là encore, de nombreux travaux de recherche universitaire et pédagogique convergent pour montrer que la nature des difficultés rencontrées par les élèves n'est pas inhérente aux personnes mais naissent de la confrontation entre les modes de socialisation scolaires et non scolaires de ces élèves. C'est donc bien la nature de leurs difficultés qu'il nous faut interroger pour comprendre ce qui fait empêchement à entrer dans les apprentissages
C'est aux questions soulevées par la non compréhension des modes de faire et de dire scolaire, la non lisibilité des attendus scolaires, l'enfermement dans des représentations qui ne permettent pas le passage de l'enfant à l'élève, qu'il nous faut trouver des réponses et non dans la médicalisation ou la psychologisation des difficultés rencontrées par ceux qui ne sont pas en connivence immédiate avec l'école.
On assiste à une multiplication des missions assignées à l'école, et ce particulièrement dans les ZEP. L'éducation à la santé, à l'hygiène, à la sécurité routière .... masque les missions de l'école (le DVD destiné aux enseignants du second degré en est une remarquable illustration qui appelle à Tenir sa classe plutôt qu'à la conduire vers les apprentissages). L'école est cet espace singulier où les enfants devenant élèves vont apprendre progressivement à se détacher de l'immédiateté de l'expérience pour mettre en mots et en pensée une représentation du monde, où ils vont réfléchir leurs actes pour construire une autonomie, une posture critique, s'émanciper de leurs origines c'est-à-dire ne pas y être assignés pour pouvoir rencontrer de l'autre que soi-même. L'école a une mission politique de formation du citoyen et anthropologique de transmission d'un patrimoine. Henri Wallon, ancien président du GFEN mais aussi co-auteur d'un plan pour l'école avec Langevin dans le cadre du CNR pense la démocratisation de l'enseignement non comme « une sélection qui éloigne du peuple les plus doués (on dirait aujourd'hui les plus méritants) mais par une élévation continue du niveau culturel de l'ensemble de la nation ». Ces propos sont d'une brûlante actualité.
Depuis Fillon et Robien, comme dans les programmes de 2008 le savoir est assimilé à une connaissance ou une information. C'est un produit fini qu'il s'agirait de transmettre/transvaser, en allant du simple au complexe (avec de vrais contre-sens sur ce qui serait simple ou complexe), pour qu'il soit restitué, après avoir été mémorisé, lors d'évaluations qui sont exclusivement des contrôles. C'est d'ailleurs ce qui permet la mise en place d'un socle commun, comme somme de connaissances utiles et capital à négocier sur le terrain de l'emploi. Or les savoirs ne peuvent être réduits à des règles ou formules qu'il suffirait au mieux de découvrir. Ils sont des réponses ponctuelles à des problèmes rencontrés par les hommes à un moment de leur histoire. Ils sont donc à chaque fois à l'échelle humaine et à l'échelle de l'humanité, une conquête qui procède par ruptures avec les savoirs antérieurs dans la confrontation à un réel qui résiste. Et lorsque les élèves découvrent pourquoi le 0 a été inventé, comment les hommes sont passées de premières traces sur les parois de grotte à l'invention du système alphabétique ils découvrent la saveur des savoirs, comme le dit Jean-Pierre Astolfi. Ils s'inscrivent dans une filiation historique en même temps qu'ils se découvrent capables de dépassement, avec de nouveaux pouvoirs pour agir et penser le monde dans lequel ils se trouvent.
Penser le savoir comme construction sociale et historique de l'humanité c'est ne pas pouvoir réduire sa transmission à des méthodes mais bien la penser aussi comme une construction sociale, transmettant des valeurs. La manière dont un savoir est transmis participe tout autant à la construction de la personne que ce qu'il transmet : soumission ou autonomie en particulier de la pensée ; docilité ou capacité à créer, inventer. L'éducation doit permettre à chacun de participer à l'écriture de sa propre histoire en même temps que celle de l'histoire des hommes, d'exister comme sujet social tout autant que de s'émanciper de sa « tribu » d'origine pour conquérir une place singulière.
Partir des élèves avec leurs acquis, leurs représentations, leurs erreurs, leurs idées leurs expériences mais en aucun cas remplir des boîtes (crâniennes !) vides. Ils ne peuvent apprendre qu'en osant remettre en cause leurs représentations premières, envisager de penser autrement en se confrontant à de l'autre qu'eux-mêmes. On sait combien c'est difficile comme l'a montré Bachelard car ces représentations résistent, et les remettre en cause c'est se mettre en déséquilibre, pour certains en danger. Enseigner c'est alors mettre en scène cette rupture pour la rendre possible.
Identifier ce qui différencie les élèves pour permettre une évolution du rapport au savoir, à l'école, aux apprentissages. Les élèves qui rencontrent des difficultés n'ont pas identifié les attendus scolaires, tant du point de vue de la posture qu'ils doivent adopter, des stratégies qu'ils doivent mettre en place ou du langage requis pour apprendre. Ils n'identifient pas le but à atteindre et les modalités pour y parvenir restent opaques.
Mettre en œuvre des situations où le collectif est un moteur puissant de l'apprentissage mais aussi favorise la coopération et la solidarité.
Proposer des situations défi où se construit une image positive de soi dans le dépassement de ce que l'on sait déjà faire. (ou comment répondre à l'ennui dont parlent les élèves interrogés par l'Afev et leur peur de s'engager, de se tromper). C'est pourquoi, plutôt que de simplifier et alors d'en rabattre sur les exigences intellectuelles, il s'agit de permettre aux élèves d'affronter la complexité.
Toutes ces propositions impliquent de concevoir une formation qui soit authentiquement une formation professionnelle. Que l'on soit élève ou enseignant apprendre ce n'est jamais répéter des gestes, restituer à l'identique mais bien se mettre en situation d'articuler une action et la réflexion sur cette action.
Actuellement le métier est malade. Mais le métier est entre nos mains, et nous pouvons agir, engager des « disputes professionnelles » comme le dit Yves Clot c'est-à-dire mettre en travail collectivement nos réflexions, nos expériences, nos questionnements pour refuser l'exclusion
Références bibliographiques :
Pour en finir avec les dons, le mérite, le hasard, GFEN, Editions la Dispute, 2009
Comprendre l'échec scolaire, Stéphane Bonnéry, La Dispute, 2007
Travail et pouvoir d'agir, Yves Clot, Puf, 2008
Nos
enfants sous haute surveillance, Sylviane
Giampino et Catherine Vidal, Albin Michel, 2009
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