Le devenir de la politique d'éducation prioritaire
| le 30/11/-0001 00:00
Le devenir de la politique d'éducation prioritaire excellence pour les uns, renoncement et mesures sécuritaires pour les autres ?En savoir plus
Mouvement de recherche et de formation en éducation
Tous capables ! Tous chercheurs ! Tous créateurs !
Gérard CHAUVEAU[1]
D'après nos propres données, par exemple, on ne note une amélioration des performances scolaires (en élémentaire et au collège) que dans une ZEP sur trois environ. Ces constats donnent lieu à des interprétations et à des controverses qui rappellent la vieille dispute de « verre à moitié plein/à moitié vide ».
Les optimistes soulignent que la mise en œuvre des ZEP a probablement réduit ou enrayé les processus de dégradation dans de nombreux secteurs urbains défavorisés ; ils pensent que l'association des moyens ZEP et des actions ZEP a permis de tirer le système éducatif vers le haut.
Les pessimistes prétendent au contraire que les effets pervers de l'éducation prioritaire (ou de la discrimination positive) l'emportent largement sur les effets positifs ; ils font remarquer, par exemple, que le signe ZEP a le plus souvent une connotation négative, y compris chez les professionnels et les populations « bénéfi-ciaires ».
On peut pousser l'analyse plus loin : il existe en réalité deux politiques ZEP antagonistes. Ces deux politiques « cohabitent », de manière plus ou moins conflictuelle, à tous les niveaux : aussi bien dans les cabinets ministériels que dans les établissements scolaires, aussi bien chez les décideurs et les « pilotes » nationaux que chez les acteurs de terrain. Le même dispositif (zone et réseau d'éducation prioritaire, projet de zone ou contrat de réussite, moyens spécifiques, articulation avec le dispositif contrat de ville, renforcement de l'action éducative...) et le même vocabulaire (donner plus à ceux qui ont moins, innover, ouvrir l'école sur l'extérieur, relancer l'éducation prioritaire...) recouvrent en fait deux types de démarches et de réalisations opposés.
La première (la politique ZEP n° 1) s'efforce de construire l'école populaire, c'est-à-dire l'école de la réussite pour tous en milieu populaire. Sa « priorité des priorités » est la qualité des ressources humaines pédagogiques et la qualité des prestations pédagogiques : stabilité et solidité des équipes éducatives, centration sur les apprentissages scolaires, accent mis sur les pédagogies de la réussite, mobilisation des personnels, implantation d'équipements intellec-tuels-culturels de haut niveau (BCD, CDI, laboratoires de sciences et de langues, salles informatiques, ateliers scientifiques et littéraires...). Sa seconde priorité est la mixité sociale (et ethnique) : création de structures « attractives », redéfinition des secteurs scolaires, déconcentration des filières spéciales pour élèves en (grande) difficulté, action volontaire et collective contre les dérogations et la constitution d'« écoles-ghettos », reconnais-sance et valorisa-tion des établissements ZEP « réussissants »...
Elle s'efforce de transformer les ZEP (les quartiers, les territoires) en « milieux socio-culturels favorisés » et en « zones d'activités intellectuelles » : on y donne plus (beaucoup plus même) et mieux d'école, plus d'intelligence (c'est-à-dire d'activités intellectuelles de qualité) dans et hors l'école, plus de culture (c'est-à-dire plus d'activités qui permettent de s'instruire et de se cultiver) dans et hors l'école. Par exemple, dans le domaine de la lecture-écriture, la politique ZEP n° 1 se traduit par une concentration des moyens et des efforts sur la pédagogie de l'écrit de la maternelle au collège (voire au delà).
Elle se traduit aussi par un éventail d' « actions ZEP » autour du lire-écrire, dans et hors l'école : classes transplantées (classe de découverte) de lecture-écriture, classes patrimoine et classes à PAC (projets artistiques et culturels) privilégiant la culture écrite, clubs Coup de Pouce en lecture-écriture (action péri-scolaire pour les élèves « fragiles » de CP), ateliers de lecture et d'écriture, productions de travaux écrits collectifs (journal scolaire, correspondance scolaire, expositions, albums...), animations culturelles (« l'heure du conte », rencontres avec des professionnels de l'écrit, échanges à propos d'un livre...), actions en direction des familles autour de l'apprentissage et de la pratique de l'écrit (réunions, prêts de livres, ouverture des BCD et des CDI, « goûters -lecture », fête du livre...).
Tous ces éléments constituent la trame d'un programme d'éducation prioritaire en lecture-écriture qu'on pourrait retrouver dans chaque ZEP relevant de la politique ZEP n° 1. Celle-ci comprend d'autres programmes d'éducation prioritaires (en particulier dans le secteur des mathématiques et des sciences) qui présentent les mêmes caractères :
1° - ils « mettent le paquet » sur les apprentissages scolaires et les activités intellectuelles,
2° - ils affichent des exigences et des ambitions élevées,
3° - ils proposent un renforcement important de l'action pédagogique (quantitatif et qualitatif),
4° - ils offrent également des activités intellec-tuelles « partenariales » (réalisées avec des partenaires extérieurs de l'école).
En résumé, la politique ZEP n° 1 recherche en permanence « l'excellence », c'est-à-dire la qualité supérieure dans les prestations pédagogiques ; elle s'efforce de créer des zones d'excellence pédagogique en milieu populaire.
La seconde (la politique ZEP n° 2) fournit une sorte d'accompagnement de l'échec et de la ségrégation scolaire dans les quartiers (très) populaires. Elle se limite, par exemple, à aménager, à adoucir les insuffisances ou les dysfonctionnements de l'École. Au lieu de traiter les problèmes à « fuite » d'une partie des parents et des maîtres, concentration d'élèves en difficultés et de « néo-professeurs » dans certains établissements à elle les rend (un peu) plus tolérables et... les entérine : elle ne change ni la situation de ces établissements en difficulté (ou en crise), ni le cursus de leurs élèves ; elle donne seulement quelques compensations. Le plus (les moyens et les actions supplémentaires) sert à « couvrir » ou à « faire passer » le moins (médiocrité de l'offre scolaire et des résultats scolaires).
Il sert même parfois à gérer un apartheid scolaire de fait : on laisse se constituer, sans intervenir, des « écoles ghettos » (phénomène qui associe la « fuite » des parents et celle des enseignants) ; et ensuite, une fois que le mal est fait, on accorde le label ZEP avec la dotation supplémentaire correspondante. Le sigle ZEP et les moyens ZEP deviennent alors la « marque déposée » des établissements ou des secteurs scolaires « de seconde zone »... qu'il faut éviter. La politique ZEP n° 2 aboutit pratiquement à institutionnaliser l'idée d'une école à deux vitesses en organisant la mise en place d'une filière bis à ou d'un deuxième réseau à du système scolaire dans les zones (très) populaires : la filière des « écoles au rabais » ou des « écoles spéciales » réservée aux pauvres et aux immigrés.
Cette politique ZEP n° 2 conduit aussi à proposer de facto un enseignement « allégé » ou peu performant. Elle tend à remplacer les logiques scolaires et pédagogiques par des logiques « plus sociales » : celle de la sécurité (ou de l'insécurité) et de la pacification sociale, celle de l'animation socio-culturelle, celle de l'assistance médico-sociale, celle de la socialisation des enfants comme préalable à l'action d'enseignement/ apprentissage. D'une manière générale, elle relègue au second plan la question de la réussite scolaire pour tous et donc celle de la qualité des prestations pédagogiques et didactiques.
Elle prend souvent deux formes. Ou bien elle offre moins d'ambition pédagogique, moins d'attentes positives, moins d'apprentissages scolaires et moins d'enseignement, le tout accompagné d'un « saupoudrage » de moyens supplémentaires. Ou bien elle se préoccupe avant tout de « la périphérie » de l'action scolaire sans s'attaquer au « cœur » ou au « noyau dur » de celle à ci : les processus de transmission/ acquisition des connaissances.
Bref, la politique ZEP n° 2 aboutit à installer des zones d'éducation à petite vitesse (ou des réseaux d'école de la périphérie)[3] pour les « publics difficiles »... et/ou pour les enseignants « précaires » (« en difficulté ») ?
Cela signifie qu'il ne suffit pas de vouloir poursuivre ou relancer la politique des ZEP... ou au contraire de la critiquer ou de l'oublier. Il convient d'éviter ou de dépasser les alternatives et les (faux) débats du style pour ou contre les ZEP, relance ou silence, « stop ou encore ».
D'un côté, les partisans de « la relance » font penser à ceux qui appuient en même temps sur le frein et sur l'accélérateur : ils activent simultanément un mouvement qui « tire vers le haut » et un mouvement qui « tire vers le bas ». Ils continuent à entretenir la confusion et le pseudo-consensus dans le secteur de l'éducation prioritaire en encourageant à la fois ceux qui construisent l'école populaire et ceux qui la fuient ou la dévoient. De l'autre côté, les critiques les plus sévères des idées mêmes de discrimination positive et d'éducation prioritaire pratiquent l'amalgame entre les deux politiques ZEP : en se focalisant entièrement sur les inconvénients et les « effets pervers » de la politique ZEP n° 2, ils oublient « tout simplement » la logique et la dynamique de la politique ZEP n° 1. Ils reproduisent l'erreur classique à en particulier dans le champ scolaire à qui consiste à jeter le bébé avec l'eau du bain.
1° - soutenir, amplifier et organiser la politique ZEP n° 1,
2° - enrayer, neutraliser et refuser la politique ZEP n° 2.
Mais comment s'y prendre pour, à la fois, relancer la politique ZEP n° 1 et rejeter la politique ZEP n° 2 ? C'est d'abord une affaire de volonté politique et de choix politique. Il s'agit de choisir clairement et vigoureusement la politique ZEP n° 1 contre la politique ZEP n° 2 : stimuler, appuyer les acteurs et les actions qui assurent la démocratisation de la réussite scolaire et la promotion intellectuelle-culturelle des enfants et des jeunes dans les milieux (très) populaires ; concentrer les forces et les moyens sur la politique ZEP n° 1 ; attirer l'attention sur les risques de la politique ZEP n° 2 ; repérer et valoriser les acteurs de la politique ZEP n° 1 ; supprimer les « points noirs » et les « trous pédagogiques » qui caractérisent une partie des établissements sensibles.
La mise en œuvre de cette double intervention exige aussi une clarification conceptuelle. Il s'agit de préciser ou de repenser les notions de discrimination positive et d'éducation prioritaire. Il est en effet nécessaire d'abandonner « le flou » qui règne autour de formules telles que « renforcement sélectif des moyens », « donner plus à ceux qui ont (le) moins », « action éducative prioritaire »... Peut-être devrait-on envisager de changer ce vocabulaire porteur d'ambiguïté ? Après tout, le plus important n'est pas de garder un sigle (ZEP, REP) mais de retenir et d'appliquer quelques concepts, quelques règles qui seraient les bases d'une politique de la réussite pour tous (en primaire et au collège) dans les milieux et les zones (très) populaires. À partir de l'expérience de la politique ZEP n° 1 (et de ses difficultés), on peut relever les principaux éléments d'un modèle d'éducation prioritaire efficace, ou si l'on préfère les « concepts de base » pour construire l'école populaire.
1. Établir une école solide.
La première consiste à avoir des établissements et des réseaux scolaires en milieux (très) populaires composés d'enseignants et de cadres « solides ». Il s'agit d'assurer la qualité des ressources humaines pédagogiques et des prestations pédagogiques dans l'ensemble des ZEP.
« Donner plus » c'est d'abord arrêter de donner moins et de faire moins : cesser de nommer des enseignants mal préparés, fragiles et volatils, cesser de considérer certaines ZEP comme des territoires réservés aux sortants des IUFM. C'est également recruter des pilotes compétents et disponibles, organiser l'arrivée et le maintien de maîtres expérimentés, bien formés et mobilisés, donner plus de moyens aux établissements et aux équipes « qui marchent bien », intervenir pour solidifier les sites « en péril ».
2. Préserver (ou rétablir) la mixité sociale.
« L'école populaire » ce n'est pas une école réservée aux publics difficiles, aux pauvres et aux immigrés. Lutter contre « l'effet ghetto » c'est d'abord lutter contre l'évitement (« la fuite ») d'une partie importante des parents et des enseignants, contre la concentration de publics en difficulté dans les établissements ZEP. C'est aussi donner une image positive de ces établissements, tout faire pour les rendre attractifs (... aux yeux des enseignants et des parents).
3. Renforcer de façon significative l'action éducative.
« Donner plus » ce n'est pas seulement donner plus (ou un peu plus) de moyens matériels : postes, équipements, subsides. C'est aussi à et surtout à donner plus d'apports intellectuels aux élèves : plus de stimulations, plus de qualité didactique et méthodologique, plus d'occasions d'apprendre et de comprendre, plus d'aides aux apprentissages, plus d'entraide scolaire, plus de situations de recherche, plus d'aides au travail personnel, plus d'accompagnement scolaire, plus de plaisir d'apprendre.
« Donner plus » devient « donner le meilleur » ou « donner ce qui se fait de mieux » : donner « plus » et mieux d'enseignement /apprentissage, plus et mieux d'activités intellectuelles, plus et mieux de pédagogie. Il s'agit d'« injecter de l'excellence » dans les établissements et les zones (très) populaires : créer des pôles d'excellence au service des apprentissages et de la réussite scolaires[4], mettre en œuvre une politique d'excellence pédagogique pour les ZEP. C'est par exemple, accorder le statut d'école d'application aux écoles primaires (et aux équipes) qui réussissent, implanter des options et des structures « haut de gamme » dans les collèges et les lycées en ZEP (sections sports-études, classes bilingues, classes européennes, classes préparatoires aux grandes écoles...), créer des centres-ressources, dans et hors l'école (maison des sciences, antenne du CDDP ou de l'IUFM...) , développer les jumelages pédagogiques (avec des musées, des entreprises, des grandes écoles, des laboratoires de recherches...)
Se centrer sur les apprentissages scolaires et les activités intellectuelles (vouloir la réussite scolaire pour tous) ne s'applique pas seulement à l'intérieur de l'école et du temps scolaire. Il s'agit aussi de renforcer et de multiplier les « actions école-quartier » qui privilégient des objectifs et des contenus intellectuels-cognitifs : par exemple, dans le domaine de la lecture-écriture, des sciences, de l'étude du milieu local, de l'accompagnement scolaire, etc. ; c'est impulser et mettre en œuvre des projets éducatifs locaux à impliquant plusieurs institutions, plusieurs équipements, plusieurs types d'intervenants à qui produisent de « l'intelligence » (et des « savoirs »).
Ce sont les cinq clés du succès pour la politique et les dispositifs de « l'éducation prioritaire », c'est-à-dire de l'école de la réussite pour tous dans les quartiers populaires.
L'éducation prioritaire a encore un avenir si deux conditions sont réunies au niveau national :
* enclencher une relance (volontariste, explicite) de la politique ZEP n° 1 et un abandon de la politique ZEP n° 2.
* Reprendre la politique d'éducation prioritaire à partir des cinq principes présentés ci-dessus.
Gérard CHAUVEAU à Janvier 2003[5]
[1] Chercheur associé à l'INRP et à l'apfÉE
[2] On parle aujourd'hui de politique d'éducation prioritaire et « l'éducation prioritaire » a remplacé les « zones (d'éducation) prioritaires ».
[3] Voir Agnès Van Zanten, L'école de la périphérie, PUF, 2001.
[4] Voir la circulaire ministérielle du 8.02.2000
[5] Se référer aux livres : À l'école des banlieues, ESF, 1995 à Comment réussir en ZEP, Retz, 2000 à ainsi qu'aux articles : Équipes et stratégies éducatives dans les ZEP, in La scolarisation dans les milieux « difficiles » , Centre A. Savary, INRP, 1997 à ZEP et pédagogie de la réussite, in Ville-École-Intégration (VÉI), n° 117, Éducation prioritaire et politique de la ville, 1999 à Les ZEP entre discrimination et discrimination positive, in Mouvements, n° 5, La Découverte, 1999 à Relancer ou repenser les ZEP, in Informations Sociales, n° 75, L'école au cœur du social, 1999 à La réussite scolaire dans les ZEP, in Éducation et formations, n° 61, l'éducation prioritaire, MEN, 2001.
Le devenir de la politique d'éducation prioritaire excellence pour les uns, renoncement et mesures sécuritaires pour les autres ?En savoir plus