"Dans et hors l'école. Réussir, ils en sont tous capables !"
Le 26 mai se déroulaient à Ivry sur Seine les 11èmes rencontres nationales sur l'aide du GFEN. Dans une période où les annonces ministérielles visant à « réformer » notre système éducatif se succèdent, nombre de participants à cette journée ont trouvé salutaire de se poser et réfléchir collectivement aux problématiques proposées.



Méhadée Bernard, adjointe aux affaires scolaires et des politiques éducatives de la ville d'ivry, déclare, au nom du Maire empêché, que la ville d'Ivry est fière d'accueillir les rencontres du GFEN. La municipalité d'Ivry est consciente que l'école ne peut faire réussir tous les élèves que si on fait évoluer les pratiques. La municipalité d'Ivry mène de nombreuses actions pour une éducation plus juste, mieux adaptée aux besoins. Méhadée Bernard rappelle les partenariats avec différentes associations, mais également avec des institutions comme le Louvre. Réussir, ils en sont tous capables, oui mais si on apprend ensemble : c'est par exemple ce que montrent des pratiques comme "le texte recréé" qui permet de travailler et construire de façon collective. Il est urgent aujourd'hui de s'engager pour redonner du sens au mot éducation.
Evelyne Rabarel, vice-présidente du Conseil départemental du Val de Marne salue les participants. Elle relève que les débats et les mises en pratique de problématiques de cette journée sont d'une grande modernité : innovantes et audacieuses. De même que la pertinence des actions menées dont la biennale de l'éducation nouvelle qui s'est déroulée en novembre 2017. "Dans la situation actuelle, il nous faut articuler résistance et efficacité". C'est le sens donné au partenariat entre le GFEN et le conseil départemental du 94. Contre la sélection et la politique libérale défendues par le nouveau ministre de l'éducation nationale, le département est décidé à continuer à soutenir un système scolaire de qualité : s'engager au-delà des compétences dévolues pour le soutien à l'éducation dans et hors l'école. Le pari du "Tous capables!" est un pari partagé qui va dans le sens du projet départemental mais également l'importance donnée à la place des parents qui doivent tous être reconnus dans leur statut. "Dans cette période complexe, vous êtes bienvenus en Val de Marne ! " lire l'intervention
Serge Boimare : "Comment en arriver à une école de la réussite pour tous ?"

1 – La réalité de l'empêchement de penser
Cet empêchement est à la fois un manque de culture et une pratique langagière déficiente. Il donne l'exemple d'un préadolescent réfractaire à l'apprentissage qu'il a suivi récemment. J. est vif d'esprit mais en grande difficulté devant les apprentissages de base. Pourquoi n'arrive-t-il pas à apprendre à l'école ? J. entre en 6ème. Ses parents sont très pris par leur métier. Le jour de la rentrée, il est inquiet mais porte le maillot du PSG et de belles chaussures. Au bout d'un mois, il est rassuré, parce "bien respecté" mais ses résultats scolaires sont problématiques. Au niveau de la lecture, il "plonge dans le texte et brode autour", ses connaissances sont essentiellement phonétiques ; il n'est pas capable d'enchainer deux arguments et termine ses phrases par "sur la vie de ma mère !". C'est l'élève sur cinq dans nos statistiques. Quelles réponses de l'institution ? Marginalisation, groupe de soutien, carnet de liaison (comportement agité pour se faire exclure : avertissement pour le travail et la conduite.) qui devient un objet de discorde entre l'école et la famille qui ne veut pas enfoncer l'enfant.
Pourquoi cet état de fait ? Si l'on médicalise ce cas, on diagnostiquera "Hyper actif avec troubles de l'inconscient" et l'on trouvera une médication "adaptée".
Mais que dit J. de ces difficultés : "C'est quand je ne trouve pas tout de suite et que je dois chercher. Tout se brouille dans ma tête et ça m'énerve. Ou c'est trop dur ou c'est l'exercice bidon." J. n'a pas construit les compétences psychiques nécessaires aux situations d'apprentissage : frustration et entrainement aux interactions langagières, reconnaitre ses manques. Apprendre, c'est accepter d'entrer dans un cadre et vivre un moment de solitude. Ceci déclenche l'arrivée de peurs et de déstabilisation.
J. se protège par l'empêchement de pensée : évitement systémique du temps du doute nécessaire aux apprentissages, développement des stratégies de réponses immédiates. A cela s'ajoute la dictature du slogan qui s'appuie sur des poncifs ou quelques conformismes, d'où une inhibition intellectuelle ou une rigidité mentale.
Quelles propositions ?
Il faut éviter de vouloir combler les manques. Il faut l'aider à remettre en route un fonctionnement de la machine à penser, l'alimenter et l'entrainer à fonctionner. Comment ? en apportant de la culture : lecture de textes sur les questions existentielles puis faire passer ces nouvelles représentations en mots. Parmi ces lectures, les Contes de Grimm sont pertinents. A partir de ces lectures et d'un échange à partir de ce qu'il en a compris, petit à petit il a pu préciser sa pensée, se fabriquer une écoute puis revenir sur le récit. La construction d'un langage argumentaire s'inscrit dans le temps (environ 6 mois) mais c'est ce qui permet de supporter ce temps réflexif autour des apprentissages.
A partir de ce cas individuel, comment transférer ces propositions pour la classe ?
2 – Le nourrissage culturel
Peut-on mettre cela en place cela dans les classes ? Serge Boimare affirme que oui en listant les bienfaits de cette pratique :
– cela offre une chance d'intéresser les décrocheurs et aller les chercher,– cela convient à tous les élèves et apporte une cohésion au groupe,- on construit un patrimoine commun pour étudier ensemble et donner du sens au savoir,– c'est au programme de toutes les classes,– on protège les enseignants de l'empêchement de penser.
Il souligne que faire ce travail en équipe dans une école multiplie la réussite. Il faut prendre du temps pour réinscrire ces élèves dans le développement de la pensée.
Il existe des applications en collège : une question d'équipe avec une rencontre hebdomadaire du groupe d'enseignants. Chaque séance est suivie d'un écrit sur un cahier de médiation culturelle. Ces traces ne sont pas forcément corrigées mais permettent de lancer les élèves dans l'écrit.
Les ateliers du matin : "Faire avec les différences sans les penser et les vivre comme des inégalités"


Une mise en activité individuelle, un travail en petits groupes et une mise en commun permettent de se plonger dans les rapports entre langage et pensée et de confronter ses idées avec celles des autres. Il est bien question de pratiques langagières scolaires plus efficaces et plus réflexives que d'autres selon les situations d'enseignement-apprentissage mises en œuvre. Dans un deuxième temps, Justine Donnard, l'animatrice de l'atelier, donne quelques éléments théoriques en référence aux travaux de Bernard Lahire sur l'oral pratique des familles et l'oral scriptural de l'école et à ceux de Jacques Crinon qui préconise l'usage d'un « journal des apprentissages » avec les élèves.
Ceux-ci écrivent chaque jour ce qu'ils pensent avoir fait ou appris dans la journée de classe. Les élèves de Justine sont au CM2 et commencent souvent par des ressentis (j'ai aimé, c'était drôle), puis peu à peu, entrent dans les disciplines scolaires puis dans les savoirs à proprement parler. Par groupes, nous étudions les écrits de trois élèves à trois moments de l'année. Justine nous décrit précisément comment elle met en place ce dispositif. Une collègue dit l'utiliser en CE et une autre au collège. La conclusion renvoie à des "écrits intermédiaires", proches de ce que Vygotski appelait du "langage pour soi", « tout à la fois traces et outils de l'activité cognitive des sujets en train de résoudre des problèmes et construire des savoirs ».



Ateliers de l'après-midi : " Pas de liberté de pensée sans égalité de pensée "


Changer la situation, ce fut le combat des peuples colonisés dans la deuxième moitié du 20ème siècle. Décoloniser les consciences : une urgence d'égalité! A partir d'un texte de Galieni après la démarche "questions préalables", il est demandé de faire le portrait du malgache selon les colonisateurs, sur un plan individuel mais également sur un territoire. Sous le trait de crayon de Pascal Diard, se reconstruisent les stéréotypes coloniaux : proche de l'état de nature, primitif, peu éduqué, vivant de peu, naïf.

Il est rappelé la grande révolte de 1947 à Madagascar qui fut réprimée violemment. Pour les historiens, il existe deux conceptions de la décolonisation : la décolonisation (pacification) ou la guerre de libération. Décoloniser les consciences s'applique d'abord aux colonisateurs mais cela concerne également les colonisés qui ont intériorisé sans le vouloir certains des stéréotypes listés précédemment. Ce que décrit très bien Franz Fanon dans "Peau noire, masques blancs". «L'objectivité scientifique m'était interdite, car l'aliéné, le névrosé, était mon frère, était ma sœur, était mon père».

De mots, il est encore question dans un « colloque des philosophes » réunissant Platon, Hobbes, Rousseau, Kant, Stuart Mill et Lucien Sève autour de la question « Les hommes sont-ils égaux ? ». Cette démarche construite par le secteur « philo » et animée par Nicole Grataloup semble répondre aux questionnements posés dans les autres ateliers. Quel concept de l'égalité peut nous être utile ? L'égalité est toujours à construire ; dans la pratique, selon que j'envisage une activité en pensant égalité ou non je ne pratique pas de la même façon. L'égalité n'est pas un état et selon le contexte elle se construit lorsque chacun s'autorise à dire « je » et apprend à dialoguer avec la pensée de l'autre. L'égalité s'appuie sur le principe de négociation de droits. De l'avis des participants, la démarche a permis de construire de l'égalité dans le sens où tout le monde est déstabilisé au départ, mais chacun a réussi à développer sa pensée dans un domaine qui n'est pas le sien.
Un grand merci aux organisateurs et petites mains locales qui ont permis un bon déroulement de cette journée.
Jacqueline BONNARD
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