L activité, espace de transformations
| le 30/11/-0001 00:00
C'est dans la confrontation de ses différents milieux que se construit le petit d'homme, dans une activité qui le transforme.En savoir plus
Mouvement de recherche et de formation en éducation
Tous capables ! Tous chercheurs ! Tous créateurs !
Odette BASSIS
Il s'agit donc bien d'un autre rapport à la science qui se construit, dans tous les champs de la recherche, venant aujourd'hui bousculer le rapport au savoir installé, parfois fossilisé, dans ces lieux décisifs de transmission des savoirs que sont les lycées, et donc aussi toute l'école, et jusqu'à l'université.
Dans ce nouveau rapport à la science se tient un ressort-clé qui vient déplacer, renverser les données: c'est la relation entre l'objet de savoir et le sujet qui sait, qui cherche à savoir. Ou plutôt, c'est la représentation qui commence à en être reconnue, à partir notamment des épistémologies constructivistes, où il devient clair que le savoir n'existe que dans l'interaction entre l'objet de ce savoir et l'intelligence qui le construit. Interaction qui relie, en sa genèse et en sa raison d'être, la science et l'homme. C'est dans cette interaction que se forgent les processus, que se travaillent et se transforment les représentations à où sont à l'œuvre raison et imagination à devenant représentations symboliques nouvelles, à la fois en rupture avec les représentations scientifiques antérieures en même temps que parties d'elles. C'est dans cette interaction qu'est intimement impliquée toute la dimension culturelle, parce que générant de nouvelles significations, de nouveaux horizons. Relation vivante, dynamique, qui permet de reconnaître à tout savoir une histoire, son histoire qui lui est propre à au croisement d'autres histoires à dans une singularité dont la pertinence et la portée renvoie pourtant à l'universel. Une histoire, enjambant des frontières jusque là bien gardées, qui prend caractère d'une aventure, parce que défi surmonté, parce que victoire de la raison sur l'impensable, de l'imagination sur le déraisonnable.
Mais alors viennent des questions, incontournables, sur ces savoirs nouveaux:
? quoi de ces savoirs transmettre, quelle transposition en faire à comme savoir enseigné à qui n'en trahisse pas la teneur? qui n'en édulcore pas la force qu'ils tiennent de la puissance inventive et constructrice qui les a élaborés comme tels?
? et comment les transmettre, ces savoirs, pour que la pratique de cette transmission n'en démente pas leurs contenus constitutifs, les clés de leur pourquoi? Comment transmettre ce en quoi il y a du nouveau à comprendre, à s'étonner, à se construire?
? enfin à ou plutôt d'abord à pourquoi agiter comme sonnette d'alarme cette question des savoirs? De quelle réforme veut-on parler? Ajustement de l'enseignement à un vêtement scientifique devenu trop lourd, trop sophistiqué? Accommodation à un monde où l'économique exige du scientifique performance plus efficace? Où le professionnel requiert compétences et qualifications humaines devenant ressources plus quantifiables et plus maniables?
Si « relier les connaissances » est une question qui peut faire sens aujourd'hui c'est de contribuer à mettre un coup d'arrêt à cette « montée de l'insignifiance », pour un plus d'humain qu'il est possible de construire dans une reliance en quelque sorte à comme alliance nouvelle à entre l'homme et le monde, entre l'homme et l'homme. Et de façon plus percutante, puisqu'il s'agit de la relation entre savoir et école: un plus d'humain à rendre accessible à tout humain, au travers de ce temps de l'apprendre qui lui revient. L'enjeu est de taille: passer d'un temps de l'apprendre qui revient de droit, à tout humain, à la possibilité à de fait à d'un temps où, dans cet apprendre, c'est un autre regard sur lui-même, sur le monde et les autres qu'il se construit, un autre rapport au savoir, une autre conscience, autonome, responsable et solidaire, de son implication active dans le devenir de l'humain.
Mais ces questions qui nous pressent du quoi/comment/pourquoi sur ces savoirs nouveaux ne peuvent être tranchées séparément. Là aussi, il y a à relier. Car s'il n'y a de savoir que dans l'inter-relation complexe et active entre l'homme et le monde, l'acte d'apprendre lui-même doit rendre possible une inter-relation complexe et active qui permette que se construise ce qui donne signification à ce savoir. Signification tant par rapport à la complexité qui le constitue et lui confère cohérence de sens que par rapport au contexte où il s'insère et lui donne dimension qui le relie aux autre significations.
Autrement dit: relier contenu et méthode, relier la forme et le fond, relier la fin et les moyens. Faire tomber des cloisonnements, non pas seulement entre les disciplines, mais dans la façon de les penser, et plus encore dans la façon de penser. Faire tomber des cloisonnements de schèmes de pensée, venus d'un rationalisme disjonctif, linéaire, exclusif, qui a envahi dans leurs soubassements, au delà des catégorisations des savoirs, des comportements de pensée, irriguant des pratiques d'autant plus pernicieuses qu'elles sont restées à au travers des contenus manifestes prescrits des savoirs transmis à dans l'ignorance des contenus latents qu'elles véhiculent et des effets pervers qu'elles produisent.
Ainsi en est-il notamment des connexions en œuvre, et toutefois méconnues comme telles, entre la conception des mathématiques-à-enseigner et la pratique de la transmission qui en est faite. Pour aller vite, depuis Euclide, est demeuré un rapport au savoir-mathématique lourd d'un logico-déductif omniprésent, enfermant, sans espace pour l'imaginaire, et donc dévoyant jusqu'aux pouvoirs de la raison, à la porter à ce point aux nues. Pourtant, dans la genèse des créations mathématiques, l'irruption des paradoxes, et leur dépassement témoigne s'il en était besoin des pouvoirs de la création quand osent s'ouvrir des brèches qui, loin de mettre en faillite la pensée, en décuple la force. Mais cela est gommé, effacé dans les pratiques de transmission, où règnent sans partage logique et démonstration. On se défend de ne pas s'en tenir seulement aux produit-finis que sont théorèmes et définitions, du moment qu'on les accompagne de procédures démonstratives exhaustives et rigoureuses. Or une réflexion épistémologique attentive conduit à dénoncer une confusion de taille: la logique d'invention n'est pas la logique de démonstration, les processus de création des savoirs n'ont rien à voir avec les procédures hypothético-déductives qui les légitiment, dans l'après coup de leur création[1]. Et l'on trouve toutes les conséquences navrantes, auprès des élèves, d'un tel enseignement, qui sont pour les uns un détournement désabusé d'une discipline qu'ils trouvent trop revêche, s'accompagnant si souvent d'une dépréciation dévalorisante de leurs capacités, et pour les autres l'assurance satisfaite de compétences éprouvées (et bien notées) à manier formules et procédures, prenant pour accès au théorique ce qui n'est que savoir-faire pragmatique, en définitive, quand bien même de telles habiletés ont un statut de haut niveau, se déployant dans des systèmes de signes, certes, mais non point dans le conceptuel[2].
La mathématique, ou plutôt une analyse réflexive sur la mathématique et son enseignement, permet d'élucider, dans les représentations et pratiques la concernant, les écarts, aveuglements et disfonctionnements qui agissent ailleurs. Sur plusieurs plans:
1. les processus créatifs qui la constituent, comme pour tout savoir, dans sa genèse et son élaboration.
2. la transposition qui en est faite dans la conception des savoirs à enseigner (dans les contenus prescrits des programmes et manuels).
3. la conception méthodologique de la pratique de transmission qui en découle (les savoirs réellement enseignés).
4. les processus effectifs produits par/sur le sujet apprenant.
Analyse épistémologique, analyse concernant les conceptions et normes de la transposition, analyse des méthodes et analyse épistémique[3] doivent être menées de front pour éclairer les problèmes-clés de l'enseignement et de ses effets. Et donc de ses impasses.
Ainsi en est-il des excès du logico-déductif (en mathématique, du cqfd obligé) quand l'affrontement des paradoxes et l'apport inouï du théorème de Gödel ouvrent des brèches irréversibles dans la conception d'un formalisme qui se suffirait à lui-même. Et comment ne pas s'étonner de la représentation figée que représente la mathématique pour la plus grande majorité des gens à comme discipline « exacte », qui ne saurait ni se tromper ni vous tromper à en décalage complet avec la réflexion épistémologique? Il y a là assurément l'effet manifeste, dans cette représentation courante, des pratiques de transmission qui l'ont véhiculé, et non point de la mathématique en son essence. La fin traduit, dans ses conséquences, les contenus latents inscrits dans les moyens. En ce sens, la fin est justifiée par les moyens.
Une analyse distanciée de la transmission expositive des savoirs (le cours magistral) permet de déceler le poids du logico-déductif qui en constitue la trame. Un contenu de savoir étant ciblé, avec les considérations qui l'accompagnent, il est dans l'ordre des choses, suivant la conception la plus courante, d'en organiser l'ex-plication (littéralement le dépliage vers l'extérieur) dans un ordonnancement linéaire rigoureux dont l'épine dorsale en est pour l'essentiel la logique déductive, partant de prémisses (axiomes, définitions,...) pour dérouler ensuite les plans successifs, jusqu'à la synthèse et considérations finales. Le tout est bien ficelé, le tout est bouclé. Rien à redire, rien n'y manque. Sauf qu'il s'agit d'une logique à rebours, dans l'a posteriori de la connaissance de ce savoir, dont la fonction effective se réduit à en légitimer, en définitive, le bien fondé; lui donner valeur de vérité, d'évidence incontestable. Et donc sont écartés, empêchés toute émergence de questionnements, tout travail avec/contre les représentations mentales des enseignés, et donc toute activité cognitive conceptualisante qui aurait pu se faire, si d'autres conditions l'avait rendue possible.
Interroger le rapport au savoir, et donc aussi le rapport au savoir-à-enseigner, c'est articuler la fonctionnalité de la raison à l'a-fonctionnalité des apports de l'imagination (où entre en jeu notamment la pensée métaphorique), c'est à dire articuler rigueur et signification, structuration et sens.
Il s'agit donc de relier réflexion épistémologique et réflexion épistémique, c'est à dire analyse des processus d'élaboration cognitive des savoirs en leur genèse (historiquement datée) et analyse des processus de construction/reconstruction de ces savoirs par les apprenants. Ce qui a notamment pour conséquence la prise en compte à constitutive de toute conceptualisation à des obstacles, conflits et contradictions rencontrés, dans le travail des représentations en cours (les siennes et celles des autres) ainsi qu'aux contraintes de nécessité et résistances propres de « l'objet » étudié.
Il devient clair que la mise en question du rapport au savoir conduit à la mise en question du rapport à savoir. Mise en question qui va donc jusqu'à celle d'une logique immanquable qui, au cloisonnement des disciplines, fait correspondre le cloisonnement de leurs didactiques. Conceptions des savoirs et pratiques de ces savoirs vont de pair.
Car le problème central est bien, cherchant à relier les connaissances, d'en arriver à relier le savoir à l'acte de savoir. Relier le savoir comme substantif au savoir comme verbe. Du produit à ce qui le produit, à l'acte de production lui-même. Le problème central est donc d'interroger l'activité cognitive en œuvre dans tout savoir. Il y a là assurément de quoi fonder une transdisciplinarité féconde.
A cet égard il est vrai qu'on peut trouver sur le champ du savoir en mathématique de quoi analyser et élucider bien des caractéristiques des cheminements cognitifs, quand il y a effectivement construction du savoir, dans des démarches pédagogiques qui s'y prêtent. Notamment en quoi il est possible de passer d'une pensée de type disjonctif aux mises en relation et structurations complexes, en quoi le travail sur les représentations symboliques est décisif pour la conceptualisation. Mais surtout, en amont et pour lancer le tout, en quoi c'est le « faire » de l'apprenant, dans une situation bousculante susceptible d'en faire émerger la nécessité, qui est le moteur principal, dans des conduites qu'il innove à où pour comprendre, il invente à et qui deviennent, ensuite, au delà des objets et actions du départ, tremplin pour le travail, par le symbolique, de la conceptualisation. Cheminements complexes, permettant d'en suivre méandres et bonds qualitatifs où sont impliqués, dans l'activité objectivante du sujet, son désir, son imagination et sa raison. Notions de processus, de représentation, de conduites opératoires, de schèmes cognitifs, travail sur le symbolique, etc... autant d'élucidations, d'analyses à conduire qui traversent le champ de toutes disciplines, puisqu'à chaque fois, c'est bien de la réflexion sur le sujet épistémique[4] dont il est question.
Mais une telle focalisation sur l'activité cognitive du sujet connaissant peut prêter à distorsion si on la réduit à l'activité opératoire (qui en est une étape décisive) qui consiste à atteindre un objectif (de résolution procédurale ou comportementale) fixé à l'avance. C'est là les limites d'une pédagogie par objectifs qui confond réussir et comprendre. Réussir une action est une étape. Comprendre ce qui s'y joue en est une autre, qui est réussir en pensée. L'objectif atteint n'est pas encore le concept construit, condition pourtant d'une transférabilité à d'autres situations. L'opératoire n'est pas encore le conceptuel, même s'il y conduit.
Mettre l'accent à ce point sur la relation du savoir au sujet qui le construit, c'est en venir à interroger en son fond la conception et la pratique de la formation des enseignants. Car comment comprendre l'importance d'une autre approche des savoirs, de savoir, si la formation elle-même n'y prépare ? Comment comprendre que puisse être transformé l'acte d'apprendre sans que soit transformé l'acte de formation?
Apprendre autrement, former autrement: autant de questions portant sur des lieux-clés où se construit l'humain. Et là, alors que s'étend l'espace de la recherche à ce qui fait tout l'humain, où l'on peut se réjouir d'avoir vu tomber des tabous, où la psyché par exemple est désormais reconnue comme sujet d'analyse, on peut par contre s'étonner que reste émietté (en didactiques, notamment) ou écarté du champ admis de la théorisation cette pratique, complexe s'il en est, et combien vitale à tant d'égards qu'est, tout simplement, la pédagogie.
Il est en effet grand temps de faire sortir la pédagogie à qui est par excellence relation, démarche entre l'humain et le savoir à des limbes du flou, d'un pragmatisme étroit ou de chapelles closes ainsi qu'inversement de préceptes généraux aussi dangereux qu'inutiles, quand ne sont jamais mis en relation pour de bon pratique et analyse, contenus et méthodes, et surtout finalités et moyens. Qu'elle émerge à partir d'une multitude de pratiques est chose bien normale, comme il en a été de façon séculaire pour la pratique médicale. Mais est-ce à dire qu'elle doive y être assignée à résidence? Encore faudrait-il lire dans ces pratiques le courage obstiné d'un pari sur l'humain.
Car des jalons existent, dans et hors l'institution, le plus souvent à sa marge, comme il en est de toute exploration et recherche nouvelles. Jalons qui ouvrent des brèches, dessinent des perspectives, des possibles. Mettant en cause, il est vrai, de fausses notions de neutralité, d'objectivité. Refusant les « allant de soi » qui masquent, derrière des pratiques devenant obsolètes, des finalités dont on voit bien aujourd'hui qu'elles ont à être revues au regard d'une réelle formation à la démocratie.
Or il en est de la démocratie comme de tout savoir: elle n'existe que dans les pratiques qui la construisent. Apprendre à penser par soi-même, apprendre que l'évidence n'est pas immuable, qu'elle n'a à s'imposer par quiconque; apprendre à avec les autres à que la complexité, les conflits et les contradictions ne sont pas fatalement obstacles mais peuvent devenir tremplins pour aller de l'avant, c'est tout cela qui, dans une autre relation à savoir, peut se forger et se travailler. Pour que se construise, dans la formation à une pensée complexe, la trame vivante du lien social.
Présidente du Groupe Français d'Education Nouvelle (GFEN)
Auteur de: Se construire dans le savoir à l'école, en formation d'adultes (ESF éditeur, Janvier 1998)
Ce texte est une contribution aux journées de Mars 1998 sur « Relier les connaissances » (sous la direction d'E.Morin.)
[1] Comme il en est aussi pour l'élaboration des procédures expérimentales, qui viennent confirmer et légitimer, a postériori, des hypothèses dont l'émergence s'est faite au cours de processus d'un autre nature.
[2] Il est malheureusement navrant de trouver à chaque pas des programmes tant de contenus-clés (nombres irrationnels, logarithmes, notion de fonction, nombres imaginaires,...) où l'utilitarisme scolaire (dont P. Langevin dénonçait déjà le dogmatisme) prend le pas sur l'accès à la signification. Ce qui renvoie aux malentendus lourds de conséquence de la fausse introduction des « mathématiques modernes » dans l'enseignement, dont l'analyse et les leçons à tirer, aujourd'hui, pourraient éviter de nouvelles distorsions, s'il s'agit bien d'intégrer, dans l'enseignement, non seulement de nouveaux pans de savoir mais avec eux et par eux, de nouvelles représentations du savoir, de nouvelles façons de penser.
[3] concernant les processus effectifs de l'acte de connaître, par (et dans) le sujet apprenant,.
[4] en un sens bien plus large que ne le définissait Piaget (puisqu'il en écartait dans son étude, sans pour autant la nier, la composante affective ainsi que l'inter-relation avec les autres)
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