« Tous les enfants ne peuvent pas réussir à l’école ». Et pourquoi pas ?

Grand débat organisé par ATD-Quart Monde dans le cadre des Rencontres 2015 « STOP aux idées reçues sur les pauvres »

« Tous les enfants ne peuvent pas réussir à l’école ». Et pourquoi pas ?

Samedi 30 mai 2015 –  nouveau théâtre de Montreuil

Salle comble samedi 30 mai au nouveau théâtre de Montreuil, près de 350 personnes assistent et participent au débat organisé par ATD-Quart-monde, avec Marie-Aleth Grard, vice-présidente d’ATD et rapporteure du rapport du CESE «Pour une école de la réussite pour tous», Jean-Paul Delahaye, inspecteur général qui a remis le récent rapport «Grande pauvreté et réussite scolaire» à la Ministre, Agnès Van Zanten, sociologue spécialiste de la question des inégalités scolaires, et Véronique Bavière, directrice d’école à la Goutte d’Or à Paris (18ème) en REP+. Philippe Watrelot, président des CRAP-Cahiers pédagogiques, modérait la table ronde et le débat avec la salle. La Ministre, dont la venue était annoncée, semblait finalement être retenue par d’autres engagements peut-être moins risqués (des militants arboraient calmement quelques banderoles contre la réforme du collège devant le théâtre, et certains spectateurs comptaient bien poser quelques questions à la ministre…).

Pour citer le compte-rendu de Véronique Soulé dans le café pédagogique : « Chacun à leur manière, les participants ont appelé à agir face à un système qui reproduit, voire aggrave les inégalités ».
Des témoins prennent la parole depuis la salle avant la table ronde pour donner le ton du débat : on se préoccupe de ce que vivent les gens, évitant ainsi les préconisations hors-sol. Trois parents témoignent de leur rapport compliqué avec l?école et les équipes éducatives : une situation de harcèlement non prise en charge, des orientations subies en SEGPA avec une enquête sociale douloureuse, la demande d’espaces pour les parents au sein des établissements. Les enseignants ne sont pas en reste et Delphine témoigne : «J’aime mon métier mais depuis quelques années je n’aime plus mon travail». Enfin, Guillaume prend la parole au nom de l’association «Hors la rue» pour dénoncer la situation des enfants des bidonvilles pour lesquels l’obligation de scolarisation n’est pas respectée.

En ouverture du débat, Philippe Watrelot cite un extrait de la Lettre à une maîtresse d’école, par les enfants de Barbiana (1) .

Agnès Van Zanten prend ensuite la parole pour dénoncer le cumul des inégalités, dans l’espace (la concentration des personnes en difficulté dans les établissements) et dans le temps (cumul des solutions qui produisent en réalité des effets négatifs). La sociologue prend pour exemple l’algorithme qui régit l’affectation au lycée des collégiens parisiens (logiciel Affelnet) : cet algorithme donne la priorité du choix aux élèves ayant de bons résultats scolaires. On observe ainsi une polarisation des publics et des niveaux scolaires, et les enseignants ont alors tendance à s’adapter aux niveaux supposés des élèves. Agnès Van Zanten dénonce également les dispositifs parés de bonnes intentions qui deviennent souvent des voies de relégation avec peu de passerelles pour en sortir. Elle remarque que les mêmes mécanismes régissent les carrières de certains élèves dans les parcours d’excellence.
Jean-Paul Delahaye reprend les principales lignes de son rapport avec son langage franc : «Les dysfonctionnements ne nuisent pas à tout le monde (…), la moitié de nos élèves – souvent de milieux favorisés – vont très bien (…), tandis que 30% de nos élèves déjà en très grande difficulté voient leurs difficultés s’accroître». L’inspecteur rappelle que plus de 80% des élèves de SEGPA viennent de milieu défavorisés, dénonçant au passage l’enquête sociale requise pour orienter les élèves en SEGPA (ce volet social n’existant pas pour les orientations en classes bi-langues). La Ministre semble s’être engagée à supprimer rapidement ce volet social pour l’orientation en SEGPA. Jean-Paul Delahaye est catégorique : 1,2 millions d’enfants vivent dans des familles pauvres ou très pauvres en France, et le système éducatif doit être entièrement réorienté vers ces élèves qui connaissent des difficultés à l’école. Or, entre 2002 et 2012, des économies ont été faites sur le dos des pauvres : les aides sociales ont été divisées par deux. L’inspecteur demande au gouvernement actuel de revenir au moins aux fonds sociaux de 2001, et nous sommes encore loin de cet objectif pourtant pragmatique.
Mais il rappelle avec force que la réussite scolaire de tous les enfants passe par un questionnement avant tout pédagogique.
Marie-Aleth Grard reprend quant à elle ses conclusions du rapport du CESE pour lequel elle est allée rencontrer des acteurs de terrain : «Oui, il existe des écoles où la réussite de tous est possible, où les enseignants se donnent pour ne pas laisser d’enfants sur le bord de la route et où ils travaillent ensemble». La vice-présidente d’ATD insiste d’emblée sur la nécessité d’arrêter  l’orientation en CLIS des élèves de milieux populaires dès la maternelle. Elle prône les bienfaits de la mixité sociale et scolaire, insistant sur la nécessité de convaincre tous les parents que la réussite des plus pauvres est l’affaire de tous, déclenchant à la fois l’ovation de la salle et l’ire d’un spectateur lorsqu’elle semble limiter la transformation de l’école à la formation d’une élite de qualité : «former une élite, on sait faire, mais si on veut une élite de qualité, elle doit connaître d?autres milieux sociaux et ne pas rester entre soi». Le rapport du CESE insiste sur des pédagogies qui font réussir tous les élèves : les pédagogies de la coopération, les pédagogies qui rendent visibles les enjeux des apprentissages, le travail d’équipe. Marie-Aleth Grard réclame une gouvernance exigeante et bienveillante, notamment en ce qui concerne la reconnaissance du travail des enseignants. Elle parle enfin des enseignants qui pensent que tous les élèves sont capables de réussir, un beau clin d’oeil au slogan du GFEN.
Enfin, Véronique Bavière, directrice d’école, témoigne du travail d’analyse et de partage de pratiques mené en équipe dans son école élémentaire. Elle s’appuie sur son expérience pour affirmer que le fait que tous les élèves entrent dans les apprentissages profite à tous.
Le débat se poursuit par une mise en activité de tous les participants de la salle : ils doivent se concerter par groupe de 5 ou 6 pour écrire sur une feuille verte ce qui leur semble être un levier pour la réussite de tous, sur une feuille rouge ce qui leur semble être un frein.

Pendant que les participants de la table ronde « dépouillent » et synthétisent ces réflexions, les élèves de l’école Oran (donc Véronique Bavière est la directrice) nous proposent un court spectacle : ces élèves participent à un atelier d’écriture et de chant grâce à l’association Les serruriers magiques implantée dans le quartier de la Goutte d’or à Paris. Reprenons les mots justes du compte-rendu du site d’ATD-Quart Monde : « En T-shirts rouges, jaunes, bleus, verts, roses, ils [chantent et dansent « Je veux apprendre à respirer sous l’eau, ouvrir mon coeur, écrire des mots », et] dépeignent avec humour et émotion leur désir d’apprendre, leurs efforts, leurs qualités et leurs défauts. Le public est conquis : standing ovation pour les Serruriers magiques du quartier de la Goutte d’or. »

La synthèse des réflexions de la salle est très riche. Parmi les freins, Philippe Watrelot a relevé pêle-mêle l’évaluation, la stigmatisation, le chacun pour soi, l’autonomie sans valeurs partagées, les classes et les programmes trop chargés, le mal logement, les moyens, l’intériorisation du manque d’ambition. A l’inverse, des leviers pédagogiques peuvent participer à la réussite de tous les élèves : la coopération, l’autonomie avec des valeurs partagées, la prise en compte des difficultés, l’estime de soi, le partenariat et la valorisation des parents, la valorisation des filières technologiques, la formation des enseignants contre la méconnaissance sociologique et pour des pédagogies coopératives. Et des leviers évidemment politiques : la mixité dans les établissements et les classes et la mixité urbaine, la création de postes et la baisse des effectifs, la refonte de la politique d’éducation prioritaire.
Parmi les interpellations de la salle, celle de Véronique Decker, directrice d’école à Bobigny, à propos de « ses élèves du 115 » (2), a été particulièrement remarquée : « comment peuvent-ils travailler si on les envoie deux jours dormir à Noisy-le-Grand, puis deux jours ailleurs ?». Des parents issus de la grande pauvreté, militants d’ATD-Quart Monde, livrent également à l’auditoire leurs rapports douloureux à l’école, où parfois ils ont même peur d’entrer.
Un dernier tour de table à la tribune conclut le débat. Agnès Van Zanten assène que «la mixité sociale n’est pas un projet arithmétique», elle est liée à des pratiques pédagogiques et à des politiques sociales. Véronique Bavière nous secoue : «Apprendre est un droit. Quand un enfant est en échec, on peut penser que la loi n’est pas respectée». Jean-Paul Delahaye exhorte les parents de milieux populaires à se battre car le système ne bougera pas pour eux : «La mixité sociale et scolaire ne tombera pas toute crue», a-t-il prévenu. «Il va falloir vous battre, d’autant qu’il y a des projets de retour en arrière», faisant allusion au projet affiché de la droite de remplacer le collège unique par un collège diversifié en orientant plus tôt les élèves . Marie-Aleth Grard conclut en ajoutant aussitôt que les parents et les élèves de milieux défavorisés n’ont pas accès aux politiques et aux médias, c’est à nous, enseignants, militants, universitaires, de nous ranger à leurs côtés pour faire entendre leur voix et transformer le système à leur avantage.
Claire Benveniste

(1) Un autre extrait des Entants du Barbiana résonne avec les parti-pris et les valeurs du GFEN :« Vous ne pouvez plus vous retrancher derrière la théorie raciste des aptitudes. Tous les gosses sont aptes à faire leur quatrième et tous sont aptes à toutes les matières. Il est facile de dire à un garçon : « Tu n’es pas fait pour cette matière. » Le garçon accepte parce qu’il est aussi paresseux que le maître d’école. Mais il comprend aussi que le maître lui enlève son égalité. »
(2) On peut lire à ce sujet ce court article de Véronique Decker.