Retour sur les 8e Rencontres Maternelle -Apprendre à l’école maternelle : un besoin à construire Bourse du travail, Paris – 30 janvier 2016 La bourse du travail de Paris a accueilli samedi 150 personnes intéressées par la question du développement de l’enfant, entre besoin et apprentissage et du rôle central que l’école maternelle peut jouer dans ce cheminement. Comment faire apprendre et se développer tous les jeunes enfants dans une école maternelle à la fois respectueuse des étapes de leur développement et soucieuse de créer les meilleures conditions pour apprendre ? Le secteur Maternelle qui a conçu et coordonné ces rencontres 2016 n’a pas sacrifié à leurs objectifs primitifs : donner à réfléchir, échanger sur l’école maternelle, donner à voir des pratiques qui « fonctionnent ». La visée principale de ces rencontres est toujours de croiser les regards de chercheurs, de formateurs et de praticiens et d’outiller les enseignants pour les aider à faire réussir tous les élèves. Nouvelle formule cette année ! L’architecture de la journée a changé. Une seule conférence introductive et plus longue, des questions vives, non tranchées, qui traversent l’école maternelle actuellement et qui font débat, des ateliers classiques GFEN avec des situations d’apprentissage à vivre et à transférer professionnellement. Claire Benveniste ouvre la journée par des renseignements pratiques et Jacques Bernardin introduit la journée en aidant les participant.e.s à se repérer dans les nouveaux programmes. Il note comme points de rupture le cycle unique, le principe fondamental du « tous capables » d’apprendre et de progresser, la reconnaissance de la diversité des élèves, l’explicitation des situations et leur enjeu, la promotion de la coopération, une pédagogie variée. En exergue de la journée, les deux citations du jour : Tant qu’il n’a pas été satisfait pour la première fois, le besoin ne connaît pas son objet, il lui faut encore le découvrir (Leontiev) L’apprentissage n’est valable que s’il devance le développement (Vygotski) Conférence Elisabeth Mourot, de l’équipe CIRCEFT-ESCOL, a fait état de pratiques qui, à l’insu des enseignants, entretenaient des malentendus à l’école maternelle : les affichages en classe et comme exemple pour illustrer son propos, le trop fameux « petit train des jours » qu’on retrouve dans de nombreuses classes. Elle a mené une recherche dans des écoles de milieux différents, en éducation prioritaire ou en centre-ville à Paris, où elle a interrogé des élèves de grande section sur ce qu’ils pensaient de ces affiches : que croyaient-ils qu’elles voulaient dire ? A quoi servaient-elles ? Elle a catégorisé les réponses en trois parties : Les élèves qui nomment ce qu’ils voient et sont dans une approche réaliste du langage-communication Les élèves qui rattachent ces affiches à du vécu, des expériences et qui ont un rapport pragmatique au langage Et le troisième groupe qui sait que le wagon violet par exemple symbolise le lundi et qui est capable de l’expliquer avec un langage élaboré. Celui-là est dans les attendus de l’école. Il faut donc le savoir quand on enseigne et tenir compte du fait que plus on met d’affichage, en croyant que mettre le savoir « à disposition » permet à tous les élèves de s’en saisir, moins les élèves éloignés de la culture scolaire s’y retrouvent. Le savoir est « à prendre » et l’enseignant doit « montrer ce qui est remarquable », définition étymologique d’enseigner. ********* Pendant toute la journée, la librairie est restée ouverte et a connu un taux de fréquentation important. Les quatre ateliers du matin Les quatre ateliers du matin ont permis d’aiguiser réflexions et échanges sur quatre questionnements importants à l’école maternelle : La bienveillance à l’égard des élèves pourrait faire consensus… mais elle peut dériver vers la compassion et le renoncement : l’école maternelle s’adresse-t-elle à l’enfant générique, socialement aseptisé ou a-t-elle pour mission d’enrayer la reproduction des inégalités ? Christine Passerieux rappelle que ce concept de « bienveillance » est utilisé de façon massive dans les institutions, dans les formations, dans la presse, comme une valeur incontournable. Il semble faire consensus mais sur quels critères on le définit ? Les participants de l’atelier sont amenés à y réfléchir et l’animatrice classe les mots et expressions selon qu’ils renvoient à de l’affectif, de l’empathie ou bien à des gestes professionnels. Paul Devin, inspecteur et syndicaliste parle d’un concept « mou » qui laisse donc la porte ouverte à des malentendus ou des pensées carrément contradictoires. Remontent à cette occasion des doctrines plus ou moins bien interprétées autour des intelligences multiples de Gardner, de la pensée de Montessori et son approche spontanéiste de l’entrée de l’enfant dans les apprentissages… Christine Passerieux préfère que l’école maternelle s’interroge sur ses priorités. Individualisation, différenciation ? Ne pas contraindre, attendre qu’ils soient prêts ? Ou bien mettre en place un cadre sécurisant, renvoyer aux élèves un regard positif, créer les conditions d’une égalité d’accès au savoir, permettre l’activité intellectuelle grâce à l’action et au langage… Est-ce qu’on fait des mathématiques à l’école maternelle, ou des « pré-mathématiques » ? S’agit-il de manipuler uniquement ? Quelle approche privilégier avec de jeunes enfants, quelles conquêtes viser ? Joël Briand répond oui à la première question et examine l’enseignement du dénombrement dans les nouveaux programmes qui mettent en avant des résultats de recherches vieux de trente ans et qui ont eu beaucoup de mal à s’imposer. C’est en 1984 que le dénombrement a été défini par les didacticiens des mathématiques comme « la capacité à produire une collection b équivalente à une collection a, sans voir cette collection a au moment où l’on produit la collection b ». Briand propose une continuité dans les apprentissages en maternelle en passant des pratiques familiales à des pratiques sociales, avec des jeux de plateaux, petits chevaux, jeu de l’oie. Ensuite, on se dirige vers des pratiques ordinales, puis cardinales, avec des jeux de listes pour contrôler des collections ou des positions. On trouve ici des situations d’apprentissage par adaptation avec les fameuses « voitures dans les garages », différentes des situations de familiarisation. Enfin, des signes d’écrits aident à la mémorisation et amènent à l’étape finale qui est l’accès au calcul et c’est seulement à ce stade que l’élève acquiert le concept de nombre. Vergnaud écrit : « La reconnaissance de la propriété d’addition est une condition nécessaire à la conceptualisation du nombre ». En EPS, on bouge, on expérimente… mais est-ce qu’on apprend ? est-ce qu’on pense ? L’EPS en maternelle fait vivre aux élèves des expériences significatives des activités physiques humaines qui font partie du patrimoine de la culture physique, sportive et artistique. Elle aide l’élève à transformer sa motricité quotidienne en une motricité porteuse de pouvoirs d’agir nouveaux. « L’école est le lieu où les objets (y compris son propre corps) n’existent pas pour ce qu’on peut en faire dans l’activité quotidienne non scolaire, mais en eux-mêmes comme objet d’apprentissage » (Elisabeth Bautier). A l’école, l’élève passe d’un projet de jeu à un projet d’apprentissage. L’EPS dote les élèves de pouvoirs de penser leur activité et de pouvoirs d’apprendre ensemble. Patrick Lamouroux a illustré son propos d’exemples concrets pris dans les classes et la vidéo, encore une fois, a permis de ramener du réel dans l’atelier. Dessiner, oui… mais le dessin d’observation est-il possible… et souhaitable à l’école maternelle ? Comment s’y prendre lorsqu’on explore le monde des objets ? Jacqueline Bonnard rappelle les objectifs de l’école maternelle qui visent à ce que chaque enfant acquiert une posture d’élève et lui donne envie d’aller à l’école pour apprendre. Pour explorer le monde, le plus important est d’apprendre à observer, repérer les détails qui caractérisent l’objet, par ce pas de côté qui transforme l’objet familier en objet d’étude. Il s’agit d’apprendre à mettre en relation des événements et des cadres d’analyse pour donner un sens à ce qu’on observe, ce qui nécessite les opérations mentales suivantes : reconnaître par comparaison, inférer, déduire, interpréter. Dans ce processus volontaire d’une sélection d’informations durant lequel l’observateur met en relation son corpus de connaissances avec ce qu’il observe, le dessin joue le rôle d’objet médiateur lors des confrontations de points de vue entre élèves. C’est également une trace d’activité qui alimente la mémoire collective qui se construit. Damien Sage présente des activités réalisées en classe sur le domaine « explorer le monde » en moyenne section. Si l’évolution psychomotrice de l’enfant entrave sa volonté d’une représentation réaliste de l’objet, l’échange régulier entre pairs pour rapprocher le dessin de ce qui est observé montre l’affirmation de compétences graphiques au fur et à mesure des dessins. De même, on repère l’outillage progressif du regard sur le monde. Dessiner ce qu’on observe ? Oui mais rappelons que dans ce cadre, le dessin n’est pas une finalité : c’est tout à la fois une mise à distance de l’observable, l’exercice de compétences graphiques et le support qui permet les échanges sur les savoirs abordés. Les ateliers de l’après-midi Les ateliers de l’après-midi sont plus classiques pour les habitués des rencontres, ils présentent des situations d’apprentissage à l’école maternelle sous forme de démarches éprouvées du GFEN assorties de témoignages en classe. Quatre démarches ont été vécues, dans différents domaines. Approche et enjeux du plurilinguisme… Pour quoi faire ? Quelle plus-value apporte-t-il ? Agnès Mignot, du secteur Langues du GFEN, a fait écouter et catégoriser des extraits musicaux pour dégager avec les participantes le concept de « berceuse » dans différentes langues, en se référant aux « exemples oui » et « exemples non » de l’apprentissage de l’abstraction de Britt-Mari Barth. Elle a illustré ces propos en montrant des vidéos de classe en petite section où les élèves apprennent à écouter des berceuses et à reconnaitre un mot dans une comptine chinoise, le mot « Mama ». C’est à ce moment-là qu’on passe du multiculturel au multilinguisme, quand on s’intéresse à la langue de l’autre. La séance se termine par une mise en situation avec les noms des jours de la semaine écrits en japonais et en chinois pour retrouver des ressemblances et au final, avec une aide de type « dictionnaire », la liste des mots dans les deux langues ! Des textes d’auteurs ou des prescriptions officielles sont donnés à lire pour approfondir le sujet. Construction d’un outil mathématique ou comment structurer sa pensée en construisant le tableau à double entrée ? En faisant passer les participants par différentes phases de travail individuel et appuyé sur les mises en commun en grand groupe, faire pour soi, confronter, on arrive à élaborer le tableau à double entrée, que tous les élèves connaissent, utilisent, souvent sans comprendre comment il est construit. C’est le défi d’une « vraie » démarche d’auto-socio-construction du savoir, réalisable en maternelle qu’Odette Bassis et Khoulfia Léonard ont relevé. Activité plastique, citron rouge… Couleurs et matières ! Sylviane Maillet a fait revêtir aux participantes de belles blouses de plastique noir pour les mettre tout de suite en condition ! C’est avec beaucoup d’enthousiasme que les participants à cet atelier ont pu à travers différentes recherches mettre en relief la matière comme élément incontournable dans la peinture moderne. Ils ont travaillé à partir du citron, sujet souvent repris dans les Natures Mortes, mais en ne mettant l’accent que sur sa composition matérielle. Puis dans une seconde étape sur d’autres fruits et légumes dans le même état d’esprit. Beaucoup de questions ont pu être soulevées. Parmi celles-ci : l’esthétisme, les prolongements à cette démarche, la sensibilisation par les élèves à la Nature Morte dans l’art. Apprentissage par le jeu Michel Baraer, Françoise Toanen et ses élèves de en vidéo, sont allés voir de près, dans leur atelier, comment on peut apprendre en jouant, comme le recommandent les nouveaux programmes. A partir de deux jeux, les tours du fichier « Vers les maths » et un jeu coopératif, les animateurs de l’atelier proposent de réfléchir à l’activité mentale des enfants et précisent que le jeu est détourné sciemment. Les participants vont construire des tours avec des cubes de trois couleurs, avec la consigne de réfléchir aux opérations mentales nécessaires pour réaliser la tâche. La discussion va bon train, on se demande comment maintenir l’enrôlement dans la tâche, avec les multiples allers et retours entre activité individuelle et réflexion collective, s’il faut introduire une consigne intermédiaire, si on a bien résolu le problème… L’enseignante reste au centre du dispositif et permet à chacun de de comparer, raisonner… L’atelier 9 est intitulé « Les rencontres, et après ?… Comment passer d’un évènement à une mise en chantier de pratiques ». C’est un atelier « extra-ordinaire » qui a eu pour objet de mettre en contact des personnes intéressées par l’idée de transposer en classe les démarches vécues au GFEN. Deux équipes ont présenté leurs travaux. Les univers sonores à Besançon. L’objectif est de travailler sur le son avec les élèves afin de présenter un spectacle accompagné par des musiciens. Les enseignants concernés exercent sur les trois niveaux de l’école maternelle. Dans un premier temps, il s’agit de « produire un son » en utilisant des objets et des matériaux différents. Mais qu’est-ce qu’un son par rapport à un bruit ? On essaie, on écoute, on tente de reconnaître puis on verbalise l’action. Trois verbes reviennent : secouer, gratter, taper. Et si on dessinait le son ? Entreprise difficile : il faut coder, marquer le rythme et la durée. L’étape ultérieure sera de reproduire un son. Ces objets qui transforment la matière à Paris. Objets familiers, les ustensiles de cuisine ont permis d’explorer deux procédés de fabrication culinaire : écraser, râper. Après observation et manipulation des objets en situation réelle, les élèves ont travaillé sur le geste, chaque groupe devant guider l’enseignant pour une utilisation correcte. L’écoute des échanges enregistrés lors de cette phase a permis de suivre l’élaboration d’un vocabulaire adapté et cette faculté chez l’enfant à réutiliser rapidement ce qu’il a appris. Même si les domaines explorés sont différents, on repère des similitudes dans ces deux chantiers: la nécessité de rencontres préparatoires pour explorer les concepts abordés et être au clair là-dessus, l’installation d’un temps suffisant de manipulation avant toute séance nécessitant une observation attentive des phénomènes, la pratique récurrente de phases d’échanges et de structuration, l’importance des traces d’activité (dessins, photos, enregistrements…) On est impatient de connaître la suite et chacune des équipes ne demande qu’à s’étoffer Clôture En clôture, Christine Passerieux est revenue sur les objectifs de ces rencontres. « Il s’agissait aujourd’hui de mettre la focale sur cette idée qui semble relever du bon sens, et qui est pourtant loin d’être partagée : l’apprentissage à l’école n’est ni spontané, ni naturel, il relève d’une construction sociale, culturelle que l’école doit prendre en charge pour les enfants les moins en connivence avec ses pratiques. L’envie d’apprendre à l’école s’apprend et pour la moitié des élèves… à l’école ». Jean-Jacques Vidal veut inscrire cette journée dans la continuité et lance un appel aux personnes intéressées pour mutualiser des connaissances, essayer des situations dans leur classe, agir, penser et formaliser ensemble dans un réseau « Maternelle ». Rendez-vous aux Rencontres sur l’accompagnement à Saint Denis le 2 avril 2016 ! Isabelle LARDON Lire aussi : – le reportage du Café Pédagogique, – le compte-rendu plus détaillé de l’intervention d’E. Mourot (Café Pédagogique), – celui de l’atelier de Christine Passerieux sur la bienveillance (Café Pédagogique), – celui de deux ateliers (« le dessin permet-il de mieux comprendre le monde ? », et « Je joue donc je pense », toujours sur le Café Pédagogique). – le compte-rendu de l’OZP 1 février 2016 Jacqueline Bonnard