Audition de Philippe Meirieu devant la commission d’enquête au Sénat

COMMISSION D’ENQUÊTE DU SÉNAT SUR LE SERVICE PUBLIC DE L’ÉDUCATION, LES REPÈRES RÉPUBLICAINS ET LES DIFFICULTÉS DES ELEVES
 
Jeudi 16 avril 2015
Présidence de Mme Françoise Laborde
Audition de M. Philippe Meirieu
Crise de l’école et schizophrénie éducative
     Votre commission d’enquête porte sur une question qui me préoccupe particulièrement. Je partage votre conviction que notre École ne va pas très bien ; il est même devenu banal de dire qu’elle est « en crise ». En effet, l’École ne parvient pas à combler les inégalités sociales, l’enquête PISA montre même qu’elle a plutôt tendance à les creuser. L’école est en crise aussi en ce qu’elle n’inspire plus confiance à l’ensemble des parents. Elle voit se déployer, à sa périphérie, une multitude de dispositifs, ce qui montre qu’elle ne parvient pas à s’imposer comme une institution de la République qui se suffirait à elle-même et parviendrait à remplir seule ses missions. J’ai récemment travaillé sur le processus d’externalisation de l’aide aux élèves, extrêmement important aujourd’hui, puisque deux collégiens sur trois, au sein de l’échantillon étudié, bénéficient d’au moins deux dispositifs externes de soutien (qu’ils soient gratuits ou payants, reposent sur l’initiative familiale ou scolaire, s’effectuent dans un cadre associatif ou commercial). L’École est en crise aussi – les enseignants le disent et j’en avais fait le titre d’un de mes ouvrages rappelé par Madame la Présidente tout à l’heure – parce qu’ « il faut refaire l’École pour pouvoir faire la classe ». Dans le passé, l’École était un cadre institutionnel stabilisé dans lequel on pouvait venir et faire classe sans avoir à reconstruire l’institution. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il faut aujourd’hui refaire l’École pour pouvoir faire la classe. Chaque fois qu’un enseignant arrive dans sa classe, les codes scolaires et les principes qui régissent l’École sont à réaffirmer et à reconstruire.
     En réalité, je crois que les enseignants vivent aujourd’hui dans la difficulté, voire dans la dépression. Ils ont le sentiment d’être davantage contrôlés que soutenus par leur hiérarchie. Et si, de toute évidence, il y a dans mes propos une part d’exagération, il n’en demeure pas moins que l’institution enseignante est remise en cause et qu’elle subit de plein fouet les conséquences de la désidéalisation du travail intellectuel et de la culture gratuite…