7ème UE du secteur Langues. Débuter: premiers pas, premiers actes, premiers essais…

Du 24 au 26 août 2015, à l’école Jean Moulin de Vénissieux, cette 7ème Université d’été du Secteur Langues du GFEN proposait de travailler ce que débuter veut dire aussi bien pour l’élève, l’étudiant, l’adulte en formation… pour tout apprenant en somme. Une centaine de personnes a répondu présent pour explorer cette problématique. C’est le travail d’équipe d’une vingtaine de personnes se réunissant une fois par mois à Vénissieux et s’appuyant  sur les deux antennes locales du secteur à Paris-Île de France-Nord et à Toulouse qui permet d’asseoir cette action dans le paysage de la pré-rentrée. On note la présence d’une majorité de professeurs de Langues (mais pas seulement) et de participants venus de pays différents.

En ouvrant l’université, Maria-Alice Médioni souligne l’aspect à la fois exaltant et angoissant de tout début. Elle note le travail effectué dans le secteur pour produire les 17 ateliers (presque tous nouveaux) et le fait que pour certains animateurs se sera également un début dans l’animation. Elle dénonce la situation faite aux professeurs débutants qui doivent faire leurs premières armes dans des classes difficiles et les préoccupations qui sont les leurs lorsque la formation ne permet pas de mettre en travail les questions qui se posent. Cette Université d’été est une invitation à tordre le cou au fatalisme ambiant pour devenir chercheur de son propre enseignement. lire le texte d’ouverture

Journée 1 : Débuter dans une langue nouvelle

Tout commence par une même démarche : lire en Polonais déclinée sur quatre ateliers.

Cette démarche-phare du GFEN a été conçue par des militants Rouennais qui souhaitaient comprendre comment s’y prennent les enfants non-lecteurs à la découverte d’un texte. Situation de lecture donc, à la recherche du sens du texte proposé, une lettre en polonais. Avec le défi suivant : à l’issue de l’atelier tout le monde aura lu le texte… Le texte distribué, le moins que l’on puisse dire, c’est que tous n’en sont pas persuadés. Dans un premier temps, chacun est invité à retrouver les mots qu’il croit (re)connaître avant de mettre en commun dans chaque groupe ce qui a été trouvé. L’animateur invite à se mettre d’accord sur une interprétation commune tout en indiquant qu’une aide sera possible. Un dictionnaire ? Oui, mais quand ? Certains l’acceptent, d’autres non, persuadés qu’ils réussiront sans aide !
Lorsqu’il s’agit de restituer, l’animateur note toutes les propositions et progressivement le texte s’ajuste au gré des arguments. La jubilation est à son comble lorsque la version finale se trouve être la traduction en français de la lettre.
Dans l’analyse qui a suivi, chacun reprend les différentes phases de la démarche, les consignes données et le rôle de l’animateur. On repère les éléments facilitateurs de la tâche : la force du collectif, l’hétérogénéité, l’alternance travail individuel/travail collectif, l’accueil bienveillant de l’animateur garant du cadre.  Débuter l’année par cette démarche crée une cohésion de groupe ou de classe, la confrontation et l’échange permettant d’aller plus loin. De plus, se rendre compte du fonctionnement d’une langue permet le transfert sur d’autres langues.
Après un repas pris en commun, un détour du côté de ces étranges langues étrangères : si loin si proches de nous… qu’il s’agisse du vietnamien La langue au chat avec Eddy Sebahi, du basque Euskara da ! avec Fabrice Corrons, “C’est du chinois !” avec Jessica Picarle , du néerlandais Eerste stappen in het nederlands avec Christian Pirlet. Autant d’ateliers qui mettent en double position : apprenant et formateur.

Pourquoi s’intéresser au néerlandais, cette langue fort peu connue et parlée sur un si petit territoire?

Débuter en néerlandais, c’est entrer dans d’autres sonorités à la fois familières et étranges, s’essayer à répéter quelques formules de politesse puis entrer dans cette comptine où s’affrontent un pingouin et  un perroquet. On écoute le dialogue et on essaie d’en comprendre un maximum de choses. Qui sera pingouin ? Qui sera perroquet ? Mais se pose la question du sens et la logique qui permet de retrouver la structure du poème. Et des célébrités qui parlent néerlandais, on en connait?  Eddy Merckx, Axelle Red, Matthias Schoenaerts… si proches.
Un retour réflexif sur l’atelier a permis d’aborder les stratégies d’apprentissage face à la nouveauté, les blocages liés à ce qu’on croit savoir, le choix des ressources utilisées.  Dans les premiers apprentissages, le repérage des pronoms, de « qui parle à qui », des répétitions permettent d’identifier la situation de communication. Dans cette situation particulière où l’enseignant  renoue avec le statut de débutant, il est amené à comprendre ce qui se passe pour un élève face à une langue étrangère : le manque de repères, la difficulté à oraliser ou répéter un mot, une phrase.

Jour 2 : Débuter dans un nouveau métier

Quatre entrées complémentaires pour explorer cette problématique : La première heure de classe avec Valérie Péan et Eddy Sebahi qui explorent des pistes sur les choix à opérer en ce moment particulier qui conditionne souvent l’atmosphère de la classe. Autorité, charisme, rayonnement ? avec Gaëlle Penverne et Bettina Balestier pour analyser l’imaginaire associé à l’autorité de l’enseignant et travailler la complexité de la question de l’autorité en s’appuyant sur les apports théoriques afin de proposer des pistes optimistes. Le culturel avec Florence Mazet et Céline Auguet, vise à explorer l’articulation du linguistique et du culturel tout en interrogeant les représentations sur le culturel, en analysant des situations de classe à la lumière de textes théoriques.

Arrêtons-nous sur tout ce qui se passe à notre insu dans l’exercice du métier avec Christine Corbi et Agnès Mignot. Cet atelier prend appui sur un travail de thèse s’appuyant sur l’analyse ergonomique de l’activité des professeurs des écoles lorsqu’ils enseignent les langues vivantes étrangères (LVE). Bienvenue dans une classe de CP-CE1 pour une initiation à l’anglais car aujourd’hui on enseigne une langue vivante étrangère à l’école primaire. Il s’agit de se familiariser avec les sonorités, jouer avec les mots, repérer les invariants et comparer avec la langue maternelle. A l’aide de vidéos, on observe une enseignante débutante répondre à cette commande institutionnelle : entre ce qui est prévu et ce qui est réalisé, quel écart ?

Pour chaque extrait, et à partir de ce que chacun a prévu d’observer (l’activité de l’enseignant ou celle des élèves), on note cet écart. Après un échange collectif sur ces observations, Christine Corbi présente l’étude qui a été menée dont le cadre théorique et méthodologique relève de l’analyse du travail.  Le réalisé est ce qu’on a vu (cf Yves Clot), le prescrit relève du programme. Pour pouvoir mesurer cet écart, on utilise un regard tiers : par l’observation de son action via la vidéo et l’auto-confrontation simple (avec le chercheur qui s’assure de la bonne compréhension de la situation), le professionnel est à même de rechercher les points critiques de son action. L’échange est enregistré et retransmis. Puis on procède à une auto-confrontation croisée qui fait intervenir le regard d’un autre collègue sur la situation pour inviter à la controverse professionnelle, gage d’une réflexion sur l’acte posé.
En s’appuyant sur les extraits des pages de verbatim des entretiens, les propos de l’enseignant débutant  font naître un questionnement : quelles compétences linguistiques pour l’enseignant ? Quelle formation des enseignants sur la langue à enseigner ? Le jeu suffit-il pour que l’élève apprenne ? Est-on toujours au clair sur ce qu’on enseigne ?…
Christine Corbi l’affirme : le sentiment d’auto-efficacité s’appuie sur un équilibre  entre la démarche didactique et pédagogique, la conduite de classe, la maîtrise disciplinaire. Elle varie en fonction de l’intensité de ces registres.

L’après-midi, intervention de Philippe Meirieu : Peut-on apprendre à commencer ?

On n’apprend jamais à commencer et tout commencement suppose une prise de risque. Si l’on veut éviter la reproduction de gestes professionnels qui n’ont pas démontré leur efficacité, quelle posture adopter ?  Il en est de l’enseignement comme d’autres champs qui interviennent sur l’humain : on se trouve dans une inconnue permanente et le résultat de l’activité est incertain, ce qui est déstabilisant. Pour sortir de l’isolement, le jeune enseignant peut certes s’appuyer sur le compagnonnage et s’essayer au métier en expérimentant des pratiques observées et analysées. Mais quel sens du métier  s’il ne s’ancre pas dans un projet fort qui s’appuie sur des valeurs d’émancipation ?

Philippe Meirieu propose comme modèle d’avenir l’enseignant militant-chercheur, qui s’appuie sur une approche réflexive et collective du métier.
La journée se termine par un travail en petits groupes pour croiser les regards sur ces deux premiers jours : dégager les points forts et les interrogations.  On relève l’intérêt des différentes étapes individuel/groupe/grand groupe. On souligne que chacun peut apporter sa pierre à l’édifice, oser faire des hypothèses même lorsqu’on n’est pas sûr de soi. Avec les ressources des uns, des autres, on devient capable de construire des énoncés même dans une langue qu’on ne connait pas au départ. Mais certains aimeraient des temps de pause, ces moments « où on ne fait rien » pour des échanges informels… et souffler un peu !
Ce fut le cas lors du repas du soir, moment convivial, dans un restaurant lyonnais.

Jour 3 : Des déplacements nécessaires

 
Entrer dans l’apprentissage d’une langue étrangère, ce n’est pas seulement acquérir un vocabulaire, apprendre sa grammaire, passer de longues heures à déchiffrer un texte, c’est d’abord entrer dans la culture dont elle s’est nourrie. Le matin, faisons le pari du culturel...
Lisa Boinon et Valérie Péan proposent un voyage dans la vie de Frida Kahlo : une vie dans un autoportrait et posent la question de l’étayage et des ressources à utiliser… pour ceux qui débutent en langue espagnole. Jessica Picarle nous plonge dans le système d’écriture chinois, de l’épée au pinceau : système d’écriture unique où l’esthétisme se mêle à la rigueur, où la notation du monde devient philosophie. A la rencontre de l’autre, à la rencontre de soi… Partons à la découverte d’auteurs catalans contemporains avec Roger Fusté Suné en partant de leurs portraits.

Beaucoup plus classique, l’atelier proposé par Erwan Raulet : Il était une fois l’Amérique… Rien à voir cependant avec une histoire populaire américaine d’Howard Zinn. Approche classique en apparence car il s’agit en réalité de détourner la page illustrée d’un livre scolaire pour en faire une démarche d’appropriation des grandes périodes de l’histoire des Etats-Unis.

Dans un premier temps, proposer ce qu’il paraît important de « faire apprendre » aux élèves à ce sujet : Pourquoi le nom Etats-Unis ? – Histoire et découverte, conquête ? Localisation et impact de l’immensité sur la manière de vivre ? Esclavage/ségrégation/droits civiques ? BD ? Drapeau…
Mais quels obstacles peut-on envisager ? Des stéréotypes véhiculés par les médias – L’idéologie politique du professeur – La confusion avec le Royaume Uni  et l’Irlande – Le manque de vocabulaire ? Le rapport langue/culture…
L’atelier proposé est destiné à des élèves de quatrième (niveau A1-A2)… on devrait donc s’en sortir!
Nous disposons d’une série d’images relatant des événements historiques facilement reconnaissables qu’il s’agit de réorganiser dans l’ordre chronologique. Après écoute d’un enregistrement en anglais qui récapitule la chronologie, on rectifie. Puis on refait une écoute pour une vérification et des réajustements nécessaires, en collectif. Arrivent les légendes associées qu’il faut replacer sous les vignettes. Dans l’échange collectif qui suit, on liste les difficultés rencontrées : les prises d’indices parfois difficiles en raison des représentations antérieures ou des lacunes historiques ; les stratégies sont différentes soit par élimination ou par déduction ou encore par association de noms repérés dans les légendes avec des indices sur les images.
Vient la deuxième partie de la tâche présentée sous la forme d’un jeu qui consiste à poser des questions sur les événements. Chaque groupe est marqué d’une couleur, chacun a un numéro. Mais  au fait, comment formule-t-on une question en anglais ? Un échange s’installe pour clarifier les formules grammaticales. Individuellement chacun prépare  trois questions en lien avec le contexte et qui seront validées par son groupe. En utilisant les codes couleur mis en place, l’animateur choisit une question auquel un numéro pris au hasard répond.
Dans l’analyse qui a suivi, deux questions sont posées : En quoi cette démarche permet-elle de faire construire des savoirs ? En quoi cela a-t-il permis de lever les obstacles ? Malgré des remarques sur le caractère aseptisé des illustrations masquant la violence des rapports sociaux qui ont marqué l’histoire de ce pays, l’ensemble des participants  s’accorde à dire que c’est une première approche historique du pays dans sa chronologie. D’autre part, un travail sur la forme interrogative à partir des productions individuelles a permis de rassurer les non linguistes. Cette entrée en matière peut s’ouvrir sur d’autres prolongements en fonction des questions que chacun se pose : exposé sur une thématique, recherche documentaire sur un événement, comparaison entre les modes de vie différents selon les pays… afin de complexifier ces images.  Il est ici démontré qu’on peut, à partir d’un document sans saveur construire une séquence qui mobilise les élèves et leur donne envie d’en savoir plus.
L’après-midi, les quatre ateliers posent le pari de la complexité pour renverser l’adage selon lequel pour apprendre il faut aller du simple au complexe. Une fête pour débuter dans l’apprentissage de l’espagnol avec La gitana de Juén avec David Rouveure, des situations plus ou moins ludiques pour s’approprier les mots de la langue et travailler les notions de simple et complexe dans What can we do ? avec Eddy Sebahi, l’entrée par la musicalité de la langue allemande pour voyage dans l’allemand sans peine avec Agnès Mignot car chacun sait que Deutch ist super ! 
Une façon très agréable de terminer cette université d’été clôturée par Maria-Alice Médioni tout en se donnant rendez-vous  pour les prochaines actions du secteur. Lire le texte de clôture
Jacqueline Bonnard
photos : Jacqueline Bonnard et Eddy Sebahi