Catherine TAUVERON à Chartres, le 15 mars 2014 Catherine TAUVERON est intervenue le samedi 15 mars 2014 à Chartres « Lecture partagée de la littérature en classe : quelles modalités ? Quelles difficultés pour l’enseignant ? » Ce compte rendu a été réalisé à partir des notes prises lors de son intervention. Comment trouver une approche qui respecte les droits de texte et ceux du lecteur ? Comment travailler la métacognition ? Quelle est la fonction des écrits de travail ? Comment mener un débat interprétatif ? Opposition de deux pratiques scolaires : 1. Une approche bridée de la subjectivité des jeunes lecteurs (observée principalement dans le secondaire) où il est demandé de se conformer à une abstraction de « lecteur modèle » qui dirait la vérité du texte (mythe de la transparence du texte), oubliant la subjectivité du sujet lecteur. La lecture dirigée par les enseignants va faire parler le texte, empêchant les élèves d’en parler et de se parler. Le questionnement sur le texte peut même empêcher que la lecture se produise puisqu’il a pour objet de valider ce que pense l’enseignant de la lecture du texte et la pertinence de son interprétation. Les questionnaires servent essentiellement à vérifier que les élèves ont parcouru le texte et en ont mémorisé la surface, renforçant l’idée que lire c’est (pour) répondre à des questions. 2. Une approche déboussolée de la lecture (observée principalement en maternelle) où il est possible de dire tout et n’importe quoi sur un texte et/ou à partir d’une image (notamment celle de la couverture). On demande (trop) souvent aux élèves de faire des conjectures, c’est-à-dire des actes stériles de divination, en leur faisant deviner ce qui va se passer sur le texte à venir à partir d’éléments insuffisants pour faire des hypothèses pertinentes, ignorant que « tout livre est désir de l’inconnu » ! Comment, entre ces deux postures, trouver une approche qui respecte les droits de texte et ceux du lecteur ? Quelles normes pour la rhétorique du lecteur afin qu’il comprenne ce qu’il lit ? Comment engager dans une activité dialogale du lecteur avec le texte (lecture intime) et entre les lecteurs d’un même texte (lecture extime) ? Le plaisir de lire ne se donne pas, il se prend, se conquiert par un apprentissage culturel (reconnaître les genres, partager les jouissances, mesurer les écarts par rapport à mes attentes). En premier : travailler la métacognition 1. Expliciter très tôt les règles de ce qu’est la tâche de lecture, notamment pour les élèves qui considèrent que lire est un acte extérieur à eux-mêmes, qui repose sur une tutelle externe. Exemple du travail à engager en début d’année (cycle 3 / collège) sur le texte Conte dentifrice de B. Rossadan, Ed. Kolgat, 2005 .(1) – Le texte littéraire ne dit pas tout et il dissimule des indices. Il est souvent ambigu ou contradictoire ; c’est le lieu d’une incompréhensibilité programmée ; c’est une aire de conventions sémantiques qu’il organise. La lecture littéraire est polymorphe : c’est la lecture d’un texte singulier qui s’adresse à un lecteur singulier. – La réponse est dans la relecture car les obstacles sont pensés par l’auteur et sont, pour le lecteur, le signal du début du jeu. – Tout texte littéraire pose des questions implicites. Il faut apprendre à questionner les textes en dialoguant avec eux. « Lire, c’est habiter un texte : le texte fait don de soi, mais le lecteur aussi fait don de soi. Il doit faire la conquête du texte ». (2) 2. Faire en sorte qu’apparaisse, se fasse entendre le texte singulier du lecteur par : – des échanges oraux (confrontation de points de vue), nécessairement précédés par – des écrits de travail individuels (se reporter aux Instructions Officielles de 2002 concernant le « carnet de lecture ») * Immédiatement après une lecture silencieuse, demander à chaque élève d’écrire ce qu’il a compris du texte (avec, pour les GS et CP, voire CE1, l’utilisation de la dictée à l’adulte) * puis de formuler les questions que lui posent ce texte (j’ai compris / je n’ai pas compris) * Il est également possible de remplir un blanc dans le texte, d’écrire la fin d’une histoire… Fonctions des écrits de travail C’est en écrivant qu’on prend conscience de ce qu’on a compris, beaucoup plus qu’en parlant. Écrire aide à penser sa lecture. Pour les élèves : – occasion de dialoguer solitairement avec le texte, de dire son voyage personnel dans le texte. Il y a là une fonction de réassurance et d?auto-évaluation. Le droit d’avoir son mot à dire, comme les autres, sur le texte étant reconnu il devient avouable de dire ce qu’on ne comprend pas car il s’agit d’un aveu partagé où le lecteur fragile trouve sa place. – prendre le risque de la lecture et affirmer sa liberté et sa souveraineté de lecteur, ce qui n’est guère possible lorsqu’il s’agit de répondre aux questions du professeur, du livre. C’est la fonction d’explicitation et de clarification pour soi. Pour l’enseignant : accéder à la « boîte noire » des élèves Les écrits de travail, individuels, ont une fonction d’évaluation. Les reformulations par les élèves de ce qu’ils ont compris permettent à l’enseignant de connaître les actes singuliers de lecture, le niveau de compréhension de chacun et d’observer, dans la durée, les glissements de positionnement de chaque élève. Elles lui offrent la possibilité d’installer de nouvelles situations qui permettent la mise en débat des interprétations pour passer de l’impossible au plausible puis au vraisemblable. . Explicitation de l’évolution des textes de Gwenaëlle à partir d’une comparaison entre son premier écrit de travail, avant discussion collective (3), et de son deuxième écrit, après discussion collective . Noter que l’écrit de travail s’effectue en deux temps. . Compte-rendu d’un travail effectué à partir du texte Safari de Yack Rivais (4). Pour comprendre ce texte il est nécessaire d’inférer 1) du nom des personnages et de la description de leur engin pour découvrir que nous sommes dans la science fiction et que les personnages sont donc des extra terrestres ; 2) des choses bizarres qui se présentent sous la forme de périphrases (Les bêtes pourchassées sont des humains) Le cahier de lecture a une fonction de mémoire du travail singulier de chacun et du cheminement collectif du sens. Comment mener un débat interprétatif autour de textes ? Le débat interprétatif n’est ni un débat de valeur ni un débat citoyen qui prend le texte comme support pour une discussion sur un sujet. Ce qui n’enlève rien à la pertinence de la pratique de ces débats ! L’un de ses objectifs est de devenir fier de comprendre des textes difficiles et d’appartenir à une communauté de lettrés. La lecture littéraire est une activité intellectuelle intense qui apporte un plaisir esthétique et a des retentissements affectifs (« Qu’avez-vous retiré, pour vous, de ce texte ? ») Distinguer le « débat délibératif » du « débat spéculatif » selon les textes. Pour certains textes il n’y a qu’une solution unique : ils nécessitent un débat délibératif. D’autres textes, polysémiques, sont ouverts à une pluralité d’interprétations : ils nécessitent un débat spéculatif et exigent que soient nommés les indices relevés dans le texte pour chaque proposition afin d’en justifier la vraisemblance (5) . Il est important – de distinguer ce qui est de l’ordre du nécessaire de ce qui est de l’ordre de l’hypothétique, du possible ; le « c’est » de « ça pourrait être » – d’arriver à un consensus sur les diverses interprétations trouvées dans l’espace de la classe. (1) On peut trouver ce texte sur le site www.books.google.fr avec des propositions de Jean-louis Dumortier et Micheline Dispy. (2) Extrait de la conférence de Catherine Tauveron à l’IUFM de Bretagne, site IUFM de rennes, le 16/06/2001 ?site www.ien-st-jacques.ac-rennes.fr où vous trouverez des types de textes, des choix de dispositifs de présentation et de questionnement, les fonctions et la typologie des réseaux, une typologie des écrits de travail et une analyse de la « place du maître ». (3) A partir du texte Pied d’or de Rascalet Isabelle Chatellard, Ed. Pastel. (4) Se reporter à l’intervention de CatherineTauveron lors de la conférence pédagogique « Lecture de la littérature à l’école » (13 janvier 2010 – circonscriptions de Dijon-Centre et DijonSud) : site www.ien21-sud.ac-dijon.fr (5) Voir paragraphe « Typologie des écrits de travail » – site www.ien-st-jacques.ac-rennes.fr 25 mars 2014 Jacqueline Bonnard