Stages en Guyane 2021 : journal de bord du GFEN

Stage Sud Education
Guyane

« Éducation Populaire et Pédagogies Émancipatrices »

A SAINT-LAURENT-DU-MARONI, les 24, 25 et 26 novembre 2021
A CAYENNE, les 1, 2 et 3 décembre 2021

 

GUYANE SAISON 6 : film documentaire sur l’éducation nouvelle en France équinoxiale

Dimanche 21 novembre 2021

Elles et ils nous attendaient et nous aussi !
Comme dirait Loïc Demey, « on se retrouvaille ».
Et en ce jour de repos, nous sommes déjà au boulot. Sylvie
pille la bibliothèque d’Alexandra pendant que Pascal lit Ecrire en pays dominé de Chamoiseau. Car la saison 5 du GFEN en Guyane s’annonce périlleuse puisque les camarades de Sud éducation ont prévu 2 stages sur les rapports de domination avec un focus universel sur  colonisation, décolonisation de 1871 à nos jours.
Notre plaisir principal est de concocter ateliers et démarches nouvelles  ou pas sous des températures inhabituelles pour des métropolitains venus d’un ciel gris et automnal. Saison particulière parce que nous arrivons au moment où les guyanais et guyanaises sont en partie déconfinées, que la statue de Schoelcher a été totalement dé-soclée depuis un an, que le bar des Palmistes à Cayenne est fermé le dimanche. C’est pourquoi nous vous quittons car c’est l’heure de l’apéro chez marion qui nous accueille et en présence de Claire qui a subi toutes nos questions sur l’organisation du voyage.
Maintenant, il nous reste à organiser le stage pour Saint Laurent du Maroni alors que les camarades ont été contraints de limiter le stage à 30 personnes !
A bientôt, avec des photos.

Lundi 22

statue d’un bagnard

Alors que nous finalisions le déroulé du stage, nous avons appris l’agression violente d’un enseignant inscrit au stage à la sortie du lycée à Saint Laurent du Maroni. Chez les camarades du syndicat, l’émotion est à son comble. A l’heure où nous écrivons, les coups de fil s’enchaînent pour savoir comment réagir syndicalement à cette situation dramatique.
Demain, nous serons à 7h15 devant le lycée pour manifester notre solidarité.
Une fois de plus nous vivons une situation quotidienne : transformer sa pédagogie dans les conditions actuelles est un combat permanent à la fois pédagogique et politique.
Comme le dit Marie, la CPE du lycée, « du collectif, encore du collectif, c’est ce dont nous avons besoin urgemment en Guyane… et ailleurs. Surtout ne laissons pas les gamins dans la rue.»
Ce cri de colère, nous l’entendons d’autant plus que nous nous battons pour que tous les enfants soient accrochés par l’école, et qu’ils puissent ainsi vivre l’aventure humaine des savoirs  dans un conflit socio cognitif qui permet de dépasser toutes les formes de violence.

Mardi 23

Ce matin, rassemblement devant le lycée Bertène Juminer en soutien au camarade blessé hier à la sortie des classes. Première surprise, une bonne centaine de collègues des autres établissements étaient présents.
Une marche s’est vite organisée vers l’antenne du rectorat, puis la sous- préfecture qui ne nous ont pas reçus ; portes closes !
D’abord, un atelier banderoles avait permis aux élèves et à quelques enseignants d’exprimer leur colère : « SOS élèves en
détresse », « Nous ne sommes pas des élèves de seconde zone », « Si on ne s’occupe pas d’eux, c’est eux qui s’occuperont de nous ! », « J’ai peur de sortir de mon lycée à cause de l’insécurité »…
Une AG a suivi dans la matinée, qui a décidé d’un rassemblement demain devant la sous-préfecture pour accompagner la délégation d’enseignants, d’élèves et parents ayant obtenu un rendez-vous avec le sous-préfet pour exiger des solutions concrètes concernant la jeunesse en Guyane, et particulièrement à Saint Laurent.
Le constat général étant un manque de structures sociales et éducatives (ITEP, IME) et l’absence de projets politiques pour une jeunesse abandonnée. Le stage que nous avons continué à préparer aujourd’hui débutera bien demain comme prévu avec les enseignants volontaires.
Nous vous tiendrons au courant, bien sûr, de la suite des événements.
Claire (Sud Education) et Sylvie

 

Mercredi 24

D’abord des nouvelles rassurantes du collègue de Sud Education Guyane qui est sorti de l’hôpital avec 3 semaines d’ITT et quelques points de suture !!!
Le stage a commencé avec les quelques personnes qui n’étaient pas au rassemblement devant la sous-préfecture de Saint Laurent.
Le programme s’annonce copieux puisque nous allons tenter de déconstruire les rapports de domination, de s’interroger sur  »comment décoloniser » dans le rapport à la langue, à la lecture, à l’écriture, donc au savoir et à savoir.
Ce matin, Sylvie a animé 2 ateliers d’écriture immédiatement réinvestissables en classe. L’un qui permet d’écrire avec les mots des autres (Sylvie avait choisi 4 poétesses et poètes de Guyane), l’autre qui autorise à écrire à partir de son imaginaire.
Les premiers effets émancipateurs se sont exprimés. Par exemple, Hélène, enseignante de couture dans un LP, s’est vécue capable d’écrire alors qu’au départ elle pensait ne pas y arriver. Demain, elle nous
apporte un dossier technique qu’elle travaille avec ses élèves pour qu’on discute ensemble de possibles transpositions dans sa discipline.
Demain, grosse journée : 2 ateliers en parallèle le matin (lettre en polonais et texte recréé) ; l’après-midi : la démarche conçue en 2005 sur « Esclavage, colonisation, racisme et immigration » (voir Dialogue
132).
Après-demain : la Commune de Paris de 1871 et 2 ateliers d’écriture. Comme vous pouvez vous en rendre compte, nous sommes fin prêts, photocopies comprises (à Saint Laurent du Maroni, on les fait dans un Cyber café, le seul de la ville).
Ce soir, repas dans la jungle, comme d’habitude, et repos en hamac avec moustiques ou sur matelas enrobé d’une moustiquaire. Autrement dit, les meilleures conditions pour un stage hors normes.
On vous embrasse tous,
Sylvie et Pascal.

Jeudi 25

Deuxième jour de formation : nous sommes beaucoup plus nombreux, 23, pendant que 140 enseignants, élèves, personnels des établissement se sont retrouvés en AG pour discuter des suites à donner au mouvement.
Le matin, Claire a animé un  »brise-glace  » à 32 ° celsius. Il s’agissait d’occuper l’espace selon des propositions telles : d’où venez-vous ? quel a été votre premier acte militant ? un moment où vous avez été dominé, dominant ?
Cette entrée en collectif a permis de commencer à nous connaitre et d’avoir un premier débat autour des rapports de domination. Sylvie et Pascal ont enchaîné avec les ateliers prévus. Dans l’atelier  » la lettre en polonais  », les camarades stagiaires se sont interrogés sur la transposition possible de la démarche dans les nombreuses langues parlées en Guyane.
Dans l’atelier  »texte recréé », animé de façon inhabituelle, sur un texte de Chamoiseau, le débat réflexif a porté sur, entre autres, la dynamique dialectique entre le sens et le mot à mot du texte.
Après un repas local et collectif, concocté en partie par Claire, notre intendante, logisticienne et régisseuse, mais néanmoins syndicaliste, les stagiaires ont vécu la démarche conçue par le GFEN Ile de France en 2007 après les révoltes de 2005 : « Esclavage, colonisation, racisme, immigration » qui a donné lieu à trois mises en scène autour des 3 siècles 18ème, 19ème et 21ème et qui nous ont permis de réfléchir à comment aborder ces questions brûlantes avec nos élèves de banlieue comme avec nos élèves d’outre-mer.
A peine sortis du stage, nous avons participé au rassemblement sur la place du bagnard contre les violences sexistes, organisé par des camarades féministes, dont Amélie, présente au stage.
Ce soir, nous méritons bien une sortie à « La goélette », bateau échoué transformé en restaurant !
Vous attendez notre compte-rendu ? Désolés, mais il ne vous arrivera que demain car nous ne disposons pas d’internet ce soir, ni à La goélette, ni à notre carbet (notre gîte ouvert sur la forêt guyanaise).
Claire, Sylvie et Pascal.

Vendredi 26

Nous avons commencé à l’heure ce matin, et heureusement car la journée fut dense et chargée en émotions.
Travailler sur la Commune de Paris avec Pascal fut abordé comme un problème sans questions, questions qui ont vite surgi après notre découverte des multiples documents (photos, caricatures, tracts, textes produits par les communards, portraits de communardes, etc.), disposés sur plusieurs tables. A suivi la préparation d’un colloque avec d’un côté des historiens et de l’autre des militants, tous interpellés par la phrase prononcée par Pierre Nora sur France Inter : « Commémorer Napoléon, oui ! La Commune, NON ! ».
Difficile de s’interrompre pour le repas : l’histoire de la Commune est peu connue, peu enseignée, alors qu’elle nous interroge sur nos combats actuels, sur les réalisations en si peu de temps et que nous voudrions voir à nouveau possibles (cantines gratuites, un logement décent et accessible pour tous, ….). Parmi les débats impromptus : est-ce l’histoire qui est écrite par les vainqueurs ou plus insidieusement, une mémoire officielle qui essaie de nier l’histoire faite et pensée par les vaincu.es ? Une histoire, d’ailleurs, qui résonne en Guyane dans l’actualité la plus chaude depuis 2017 et depuis lundi. Antoine, enseignant de lettres-histoire à Saint-Laurent-du-Maroni, a écrit pendant la démarche un texte d’actualité qui est en discussion parmi les militant.es, et qu’il nous offre généreusement (nous sommes convaincus qu’il peut faire battre le cœur de chaque militant.e de l’Education Nouvelle).
L’après-midi a repris avec 2 ateliers d’écriture. L’un à partir des photos de la Commune, et intégrant des langues étrangères au moment de la socialisation des textes. Le second, interrogeant la question de l’Identité, au cœur des discussions guyanaises, s’est terminée par des mises en scène étonnantes par leur diversité.

Mercredi 1er décembre, Cayenne

Comme à Saint Laurent du Maroni, Pascal a eu l’immense plaisir de retrouver ce matin, pendant la demi heure d’accueil, des stagiaires qu’il avait déjà rencontrés les années précédentes.
Le travail fut rapidement engagé par Claire avec le petit atelier du « brise glace » qui fait toujours autant parler et s’interroger.
« D’où venez-vous ? » : s’agit-il de lieux, de notre origine sociale ?
« Quel est votre premier souvenir en tant que dominé ? » : question qui réveille bien des souvenirs
douloureux, souvent liés à la famille et à l’école qui semble son prolongement dans le rapport à l’autorité…
Quant au premier souvenir en tant que dominant, il éveille une prise de conscience pas toujours agréable à ressentir…
La matinée se poursuit avec 2 ateliers d’écriture d’une heure en parallèle, que chacun pourra donc faire, et surtout adapter rapidement avec sa classe, et que certains ont immédiatement transformés.
Les contraintes libératoires de temps, de format, ont fait leur effet, ont fait beaucoup parler, et bien sûr écrire.
A demain…
Sylvie et Pascal.

Samedi 4 décembre

La saison sèche a été de courte durée pour nous ; la saison des pluies a déjà commencé et aujourd’hui, nous vous écrivons sous un parapluie !
Que s’est-il passé ces 2 derniers jours ?
Jeudi matin, texte recréé de trois quarts d’heure mené par Sylvie  »à sa manière » dès 8h30. Le pari une fois réussi, un groupe est parti se rassembler à 10h devant la préfecture de Cayenne, en soutien à la délégation qui à Saint Laurent de Maroni était reçu à la sous-préfecture, suite aux événements de la semaine dernière.
L’autre groupe d’une dizaine de stagiaires vivait le texte en polonais pendant ce temps-là.
L’après-midi, la démarche  »Esclavage, colonisation, racisme, immigration » a été l’occasion de nombreuses résistances, surtout dans le groupe qui devait préparer une soirée publique dans un quartier populaire. Un grand moment de conflit socio-cognitif.
Parmi les blocages observés, que fallait-il entendre par populaire, Pascal étant soupçonné d’avoir des  »arrière pensées », ce à quoi il a répondu qu’il ne pouvait pas penser à la place des autres. Peut-être qu’à Cayenne, il est difficile d’intervenir dans des quartiers populaires, quand on est professeur dans un collège ? Peut-être est-il encore plus difficile de s’autoriser à travailler ses représentations dans un jeu de rôle ? Dans un autre groupe par exemple, une stagiaire tombe en larmes après avoir découvert le contenu insupportable des chansons coloniales. Grâce au groupe, elle a quand même réussi au final de jouer le rôle d’un député de la 3ème république favorable à l’exposition coloniale de 1931. Elle vivait alors cet effet de rupture qui consiste à prendre une distance critique par rapport au rôle que les documents de la démarche nous incitaient à jouer.
Mais le conflit n’était pas terminé puisque  au moment de l’analyse, le groupe  »soirée publique » arguait du fait qu’ils n’avaient pas assez de temps et trop de documents pour continuer à se sentir en échec alors qu’ils avaient réussi à jouer une situation. L’un des participants se demandait encore et toujours quelle pouvait bien être  »la problématique » de cette démarche. Sur le ton passionné qu’on lui connaît, Pascal insistait sur le fait que les enjeux de la démarche étaient théorico-pratiques et que la question du racisme suffit elle-même à faire problème.
Mais voilà, répondre à une question comme un militant passionné peut être pris comme de l’agressivité. Décidément, il n’est pas simple de transformer la violence des représentations racistes ou colonialistes en conflits d’idées, sans que les personnes se sentent personnellement attaquées. C’est sans doute autour de cette question qu’il nous faudra repenser l’animation de cette démarche fondamentalement politique et pédagogique.
Le lendemain, les esprits une fois apaisés, la démarche sur la Commune de Paris s’est terminée par un colloque de grande qualité, les paroles militantes croisant les paroles historiennes pour conclure à quel point il est important contrairement à ce que dit Pierre Nora de commémorer cet événement historique aux échos toujours vivants.
L’atelier d’écriture de l’après-midi a clôturé le stage, mais pas la réflexion, sur la question  »Identité/Identités », au cœur du sujet en Guyane. Nous devions tous apporter  »un objet  qui nous représente ». Un peu bousculé par les différentes contraintes, néanmoins libératoires, chacun a pris plaisir à produire texte individuel ou à plusieurs, pour finir par une mise en scène des objets et des textes.
Fin du stage par un bilan sous forme d’un mini atelier proposé par Claire.
Séparation dans les au revoir et les à bientôt chaleureux…
Sylvie et Pascal.

***

Stage SNUipp-FSU Guyane
« Pratiques pour (re) mobiliser les élèves ? »

A CAYENNE, les 2 et 3 décembre 2021
A SAINT-LAURENT-DU-MARONI, les 29 et 30 novembre 2021

Tous capables : du défi aux actes ! Comment transformer le rapport aux savoirs. Faire de la diversité un tremplin pour les apprentissages. Colloque animé par Jacques Bernardin (docteur en sciences de l’éducation, président du GFEN). Avec également l’intervention de Philippe Lahiani (GFEN)