Extraits Dialogue n° 179

Dialogue n° 179 – L’espoir aussi se construit

Editorial
  • En mouvement !    Lire
    Jean-Jacques VIDAL
Tisser du commun
  • Le collectif confronté au risque de sa perte. Libres esquisses
    Geneviève GUILPAIN, Professeure de philosophie, formatrice à l’INSPE de Créteil-UPEC
    Lorsqu’en mars 2020 les établissements ont fermé, nous nous sommes retrouvés brutalement seuls, privés délivrés non seulement de la présence des élèves mais de celle de nos collègues enseignants et autres adultes de l’établissement. Nous avons été conduits alors à penser plus précisément le rôle joué dans notre vie professionnelle par « ce collectif », ce « corps », cette « communauté ». Des sentiments ambivalents ont pu nous animer : soupirs d’aise en un premier temps, car le collectif des « chers collègues », qu’il soit bavard ou silencieux, contestataire ou obéissant, routinier ou boulimique de projets est, avouons-le, souvent pesant et rarement à la hauteur de nos attentes. Après les élèves (sic), nos collègues ne sont-ils pas l’objet préféré de nos critiques ? Nous avons aussi pu éprouver quelques frustrations, car il est fréquent et pratique de trouver une collègue prête à nous dépanner, lorsque nous rencontrons une difficulté technique ou pédagogique. Et puis les pauses café sont tout de même plus réjouissantes à quelques-unes que celles que l’on prend seule à quelques mètres de son ordinateur dont les mauvaises plaisanteries nous font généralement grimacer. Ceci entendu, que se joue-t-il plus précisément entre une enseignante et son milieu professionnel ? Qu’est-ce qui fait la force ou la faiblesse du collectif ? Peut-on  en prolonger l’existence virtuellement, ou la recréer ? Peut-il exister à distance ? Et si oui, comment ?

  • Résister sans rompre
    Groupe maternelle du Gfen 25
    Pour les enseignants engagés dans une manière réflexive de travailler, le maintien de pratiques assumées, même discret, exige convictions et détermination.
    On peut les comparer à des « résistants de l’intérieur », puisqu’ils doivent faire preuve de résilience, au sens mécanique du terme : face aux coups portés par le conformisme ambiant et à l’usure ressentie, ils doivent maintenir une structure cohérente dans l’ensemble de leurs pratiques en préservant une identité professionnelle fonctionnelle.
    Face à la hiérarchie qui peut aller jusqu’à suggérer de sauver les apparences en se pliant formellement aux directives (« faites-les, ces évaluations, et transmettez les résultats ; après vous ferez comme vous voudrez, c’est la liberté pédagogique ! »), et aux usagers ou partenaires de l’école qui demandent aux enseignants les plus engagés de justifier les protocoles généralisés, assurés qu’ils auront des réponses de leur part, car ils ne se défaussent généralement pas, il faut tenir !
    Il faut aussi rester le collègue des conformistes malveillants dont les réflexions revanchardes ne manqueront pas d’être lancées si des difficultés habituelles ou des problèmes spécifiques surviennent : « ah bon, c’est pas mieux alors, avec tes méthodes…».
  • Partager le travail (personnel) d’infatigables pédagogues
    Collectif : enseignants de Pantin et Laurent CARCELES
    Depuis quatre ans, Pascal Lahet, coordonnateur pédagogique du Réseau d’Éducation Prioritaire (REP+) Jean Lolive, à Pantin en Seine Saint-Denis, travaille avec nous pour partager les démarches GFEN sur le réseau. Il tente de faire de cette déclaration d’intention institutionnelle une réalité. Pour concrétiser cette idée, des enseignants ont accepté de s’engager avec Pascal Diard et moi, Laurent Carceles, année après année, dans une coconstruction. Laquelle ? Et comment en rendre compte pour nous et pour les autres ? Avec les principes d’auto-socio-construction et l’émancipation intellectuelle, en faisant vivre des démarches et en prenant appui sur le collectif. Car il permet de concevoir et de tenter ses propres démarches, donne des moyens pour formuler sa vision pratique de la pédagogie et de l’enseignement. Le collectif permet aussi, à chacun.e, de faire le constat de ce qu’il s’est approprié, et comment il l’a fait, pour le faire entendre aux autres.

De la politique en pédagogie…

  • Pour une pédagogie de l’aventure
    Jean-Louis CORDONNIER
    Dans la présentation de la Biennale de l’éducation nouvelle de 2017, on peut lire : « La pédagogie au coeur d’un projet politique ». L’éducation nouvelle est par essence politique, et secondairement pédagogique. Mais pour faire de la bonne politique, il faut commencer au ras des fraises.
    Chez mes grands-parents, il y avait un livre illustré de « leçons de choses ». On y voyait les images sereines du travail dans une tannerie, les techniques de bûcheronnage, ou le découpage du cochon. Le projet était sans doute d’enseigner aux élèves à regarder ce qui se passait dans leur environnement de village rural. Ces métiers — sabotier, tailleur, forgeron — ont beaucoup  régressé ou disparu. Maintenant, on n’enseigne plus les leçons de choses aux élèves, on leur enseigne les Sciences. Mais là où l’on aurait pu enseigner une science proche, le choix a été fait d’enseigner une science qui mime un modèle réduit des sciences universitaires contemporaines, une science mise en scène pour la faire percevoir comme ordonnée, sérieuse, rationnelle, éloignée du quotidien. Elle se déguise ou se décore avec des blouses blanches, des microscopes, des oscilloscopes, des laboratoires carrelés. Elle s’exprime par des graphiques, une langue souvent ésotérique. Ses objets sont les virus, les galaxies, les gènes ou les neurones, le climat de la Terre, toutes ces choses invisibles ou inaccessibles.
    Simultanément, on ne fait pas travailler aux élèves les objets de leur environnement immédiat
  • En classe, faire de la poésie pour la poésie : une objection à la pensée rapide
    Justine DONNARD, Professeur des écoles
    Complexité du monde et complexité de la langue
    Faire de la poésie en classe relève d’un choix politique et idéologique : le choix de mettre les élèves, dès le plus jeune âge, en relation avec la complexité de l’homme, du monde et de la langue. Le poète est en alerte constante au monde. Il ne fuit pas la réalité, il l’observe attentivement, sensiblement pour révéler sa vérité et son mystère à travers son regard. La veilleuse du surveillant s’est éteinte – Et le surveillant dans la nuit – s’est éteint aussi – Les enfants en rêvant – avaient soufflé sur lui nous révèle Jacques Prévert. Parfois impuissant face à la réalité de la vie, le recours à la poésie permet de parler et de questionner les mystères, les difficultés et les complexités du monde avec une langue qui se libère des règles et des conventions : Les parents – sont étranges – pour leurs enfants – chers anges – Quand ils naissent – Ils les fessent. – Quand ils meurent, – Ils les pleurent.
    Pour dire cette complexité de l’homme et du monde, le poète use d’un langage libre, inattendu, qui déroute, un langage réinventé comme nous réinventerions notre humanité et notre rapport au monde. Est-ce qu’on peut faire taire – les oiseaux ? – On ne fait pas taire les poètes – Dans une cage – Ils chantent encore.
  • L’enseignement professionnel, révélateur des inégalités face à l’éducation
    Jacqueline BONNARD
    « Éclairer l’action par la pensée, vivifier la pensée par l’action », l’articulation entre pensée et action caractérise l’orientation du GFEN et pousse à analyser les situations afin d’outiller le regard. Étudier l’histoire de l’enseignement professionnel permet d’interroger sa place dans la formation du futur citoyen. Les choix des décideurs sont éminemment politiques, en particulier le référentiel élaboré par une génération sur les savoirs à acquérir par la génération suivante, dans la perspective d’une formation tout au long de la vie. Formation centrée sur employabilité ou éducabilité ? Vise-t-on une « élévation continue du niveau culturel de la nation » ou une formation à deux vitesses où les « laissés pour compte » seront assignés à des emplois peu qualifiés et incertains ? Comment interpréter l’intérêt actuel du patronat pour des écoles professionnelles créées par les entreprises ?
… à la pédagogie en politique
  • Pédagogie et politique : d’un engagement l’autre
    Rozenn MÉTAYER
    Citoyenne engagée depuis 2003 dans des combats pour garder des droits fondamentaux acquis de haute lutte par nos aînés (assurance chômage et santé, système solidaire de retraite, code du travail…), j’ai été sympathisante du mouvement ATTAC, de la Fête de l’Humanité Bretagne et de mouvements écologistes (Collectif Notre-Dame des Landes et Alternatiba). Mon engagement en politique depuis une vingtaine d’années prend corps sur les pavés, sous les bannières et les slogans des manifestations. Mais pas que …
    Militante pédagogique dès ma sortie de l’IUFM en 2001, pour développer l’envie et le goût d’apprendre des enfants, je me suis engagée dans des mouvements de recherche pédagogique : le groupe Freinet 44 puis le GFEN 56. Peu à peu, j’ai compris combien les activités d’apprentissage proposées chaque jour aux élèves, permettent ou non de faire vivre et ressentir des valeurs comme la coopération et l’égalité par exemple. Aujourd’hui, dans le contexte politique et social que nous connaissons, et forte de mes pratiques pédagogiques à l’école élémentaire, j’affirme haut et fort que « je fais de la politique en classe ».
  • Conférence interrompue avec Bernard Friot
    Stéphanie FOUQUET, Jocelyne CLÉMENT, Bernard FRIOT
    Cet article va chercher, par le jeu des interviews, à cerner les enjeux d’un moment politique et pédagogique important pour les acteurs locaux d’une lutte qui n’a pas dit son dernier mot. Le 11 mars 2020 (trois jours avant le premier confinement) a eu lieu une conférence dite «interrompue» avec Bernard Friot, un sociologue et économiste, professeur émérite à Paris X et militant du Parti Communiste Français. Plus d’une bonne centaine de personnes ont participé à cette conférence qui s’est tenue dans les locaux du PCF à Vaux Le Pénil, en Seine et Marne, avec des gens venus de nombreux secteurs d’activités à l’appel d’un collectif très actif dans le mouvement contre la loi retraite, le GIGM 77 (Grévistes Interprofessionnels du Grand Melun).
  • Que peuvent les démarches du GFEN hors l’école ? Récit de la construction d’un calendrier des grévistes
    Damien SAGE
    Le GFEN offre des outils qui ne permettent pas seulement de faire classe avec intelligence, mais aussi de questionner ses pratiques de classe et les valeurs sous-jacentes. À ce titre, si je n’avais pas rencontré le GFEN et les personnes qui portent ses valeurs, je ne sais pas si j’aurais tenu très longtemps dans le métier d’enseignant. Cela m’a permis aussi bien de faire classe différemment, que de construire du sens concernant ce que je fais avec les élèves.
    De plus, cheminer avec le GFEN m’a permis de me construire une conscience politique. Au travers du prisme de l’école et grâces aux échanges que j’ai pu avoir avec les autres militants du mouvement, je me suis peu à peu réapproprié les grilles de lectures et les analyses politiques qui traversent le mouvement. Cela s’est bien évidemment fait dans une dialectique permanente avec la « réalité ». Au sein de cette « réalité » les idées du GFEN me permettent de faire du tri et de me mettre en accord avec les valeurs que je tente de porter, que ces valeurs soient conscientes ou inconscientes.

Controverse : utopie ou visée ?
  • Comment penser l’avenir ? Par l’utopie ? Par le projet ? Par la visée ?
    Débat entre Pascal DIARD et Michel NEUMAYER, questionnés par Dominique PIVETEAUD
    Dominique : Certains évoquent l’idée que le contexte actuel nous condamne à l’utopie, comme si ce concept n’était pas directement lié à l’action. Que pensez-vous de cela et pourriez-vous proposer une définition du terme d’utopie ?
    Michel : Je rappelle rapidement que la vulgate d’utopie renvoie aujourd’hui à des représentations qui, de mon point de vue, sont à plus d’un titre des biais cognitifs. Je postule qu’ils nous empêchent d’en penser la richesse. Quels biais ? D’un côté, le rappel d’errements liés au passé des systèmes totalitaires du 20e siècle mais sans en retracer la complexité de leurs origines. D’un autre « l’oubli » d’utopies socialistes passées – je pense aux kibboutz de l’État d’Israël naissant – sans considérer à quel point il sert les actuels pouvoirs sur place. Sans parler d’autres approximations autour de « l’île » de Thomas More (16e siècle) et son désir humaniste du bonheur trouvé. Ou encore aux 18e et 19e siècles les phalanstères, familistères et autres cités ouvrières du capitalisme de cette époque. Cela fait beaucoup !

Laïcité : une question toujours vive

  • De la nécessité de déplier le concept de laïcité
    Patrick RAYMOND, professeur d’histoire, géographie, enseignement moral et civique
    La laïcité a une histoire — sa dimension épistémologique
    Invention pour résoudre des problèmes pratiques, elle a d’abord été, pour reprendre une terminologie empruntée à Odette Bassis, un « savoir-pour-soi » (invention pratique) avant de devenir un « savoir-en-soi » (objet d’étude et de transmission).
    Ces problèmes se sont posés à la France bien avant que le mot « laïcité » n’apparaisse dans la langue (vers 1871) et qu’il nomme une pratique inscrite dans des lois. Le concept devant sans cesse être revisité. Ces problèmes sont au nombre de trois essentiellement :
    %u2022 Assurer le bien commun (l’intérêt collectif) dans une société diversifiée. Produire du collectif en dépassant le particulier ; avec pour corollaire la primauté de la loi civile dans le domaine public. Les sentiments particuliers d’une partie de la population ne doivent pas dicter la loi commune en même temps qu’une démocratie « ne peut interdire l’expression d’un point de vue dès lors qu’il heurte quelqu’un ».
    %u2022 Assurer la souveraineté nationale en ne dépendant pas d’une autorité extérieure (physique et/ou morale) dans la prise des décisions qui intéressent le bien commun.
    %u2022 Garantir les libertés, en premier lieu celles de l’individu, parmi elles, celle de conscience
  • Création et savoir (s) démocratique (s)
    Patrick RAYMOND
    Dans Le Monde des Livres en date du 30 janvier 2015, Jean Birnbaum écrivait :
    « […] les terroristes ne savent pas lire […] ils s’avèrent incapables d’envisager la lecture comme pratique d’interprétation, comme élan vers l’autre, comme geste de vie. Car lire ce n’est pas vitrifier le langage, c’est le remettre en mouvement. Lire, ce n’est pas idolâtrer un texte, c’est l’ouvrir à l’infinie pluralité du sens. »
    Sans mettre en cause leur capacité à déchiffrer les mots, il parlait de lire le livre dont ils se réclament ; mais la généralisation à un lire-comprendre, que je suggère, en extrayant ce passage, a toute sa pertinence. « Le seul vrai lire étant un lire actif, créateur et critique, un lire entre les lignes. » écrivait Henri Bassis.
    J’ajouterais, les terroristes ne savent pas écrire non plus. Écrire au sens, dans et par des écritures de création, de permettre la construction de personnes créatrices, responsables, critiques, soucieuses de l’Autre, porteuses des valeurs de la République et du vivre ensemble.
Note de lecture
  • L’école de Jules Ferry : un mythe qui a la vie dure de Jean Foucambert
    par Dominique PIVETEAUD, Conseiller pédagogique
    Relire aujourd’hui l’ouvrage de Jean Foucambert L’école de Jules Ferry, paru en 1986, a quelque chose d’édifiant et de troublant. Édifiant dans le sens où je retrouve un objet qui a participé à l’édification de ma conscience politique d’enseignant et qui a contribué à construire un réflexe de chercheur de petite bête et de dénicheur des valeurs sous-jacentes aux pratiques. Troublant dans la mesure où l’analyse que faisait Jean Foucambert de l’école dans les années 1980 demeure d’une actualité brûlante et inquiétante. La question posée par l’auteur : en quoi L’école de Jules Ferry nous concerne-t-elle encore ? Est encore la nôtre actuellement si notre intention est bien de questionner les fondements idéologiques qui pilotent les politiques éducatives. Le GFEN n’ayant pas pour objectif de transformer la structure elle-même, la question porte bien évidemment sur la participation des pratiques pédagogiques quotidiennes à la pérennisation d’un modèle paternaliste et par voie de conséquence à la continuité des inégalités et à l’aphasie de la pensée. La question de l’émancipation est au coeur de l’affaire et l’on sent bien combien, sans en faire le plus souvent un objectif revendiqué et assumé, les praticiens agissent, dans un insu bien entretenu, des modalités pédagogiques plus asservissantes qu’émancipatrices. Du point de vue du formateur, faire levier n’est pas chose simple.

Le cahier du LIEN

  • Face au covid ?
    Colette CHARLET (GFEN) Claire DESCLOUX (GREN) Mounira KHOUADJA (ITEN Tunisie)
    Notre terre est ronde, le monde est immense et nous savons tous que des peuples souffrent, se révoltent, se battent et meurent. Chacun le sait dans l’instant, quel que soit l’événement. Les ondes messagères sont porteuses de bonnes et de mauvaises nouvelles. Notre terre est lisse pour ceux qui restent spectateurs de catastrophes lointaines. Il a pourtant suffi qu’un virus inconnu s’immisce et étende ses tentacules du Nord au Sud et d’Est en Ouest pour que cette terre si lisse et ce monde si grand se transforment en une seule unité, atteinte d’une même souffrance.
    Chacun, petit ou grand, a vu son univers changer : le moindre souci a enflé, parfois au point d’exploser. Un quotidien difficile s’est alors souvent révélé irréalisable et insensé. Les adultes ont parfois tangué, voire chaviré, quel que soit l’amarrage. Les enfants eux ont continué à jouer, à apprendre, mais peut-être plus à comprendre. À développer leur esprit critique.