Extraits Dialogue n° 180

Dialogue n° 180 –  Pourquoi faire école ?

Éditorial
  • Mais à quoi sert l’école ?  Lire
    Patrick RAYMOND, Membre du collectif de rédaction
Regards du dedans… Regards du dehors
  • Du dedans vers l’ailleurs
    Marie BESANÇON, Éducatrice spécialisée
    Educatrice spécialisée, je travaille pour un service de prévention spécialisée au sein d’une association de sauvegarde de l’enfance. Les missions de la prévention spécialisée sont celles de l’aide sociale à l’enfance avec des spécificités : pas de mandat judiciaire, libre adhésion, secret professionnel. Nous sommes une équipe de deux éducateurs ayant un logement professionnel au sein du quartier sans y vivre. Cette situation spécifique est pertinente dans la mesure où elle permet une combinaison entre le dedans et le dehors. En effet, l’implantation sur la durée me permet de connaître et d’être reconnue à l’intérieur d’une entité. La distance géographique et sociale, entre le territoire où j’exerce et mon lieu de vie, me permet de véhiculer de « l’extérieur », autant en ouverture psychique que réelle. En effet, des ailleurs sont possibles et souhaitables…
    L’appartement des éducateurs est un lieu où tout un chacun peut être accueilli lors de temps de permanence ou sur rendez-vous.
  • Trouver un sens à l’école : paroles de collégiens
    Sylvie LANGE, Professeur de français (collège Gisèle Halimi d’Aubervilliers)
    Je suis malade : une grosse rhinopharyngite avec extinction de voix. Mais comment faire à Aubervilliers, en REP+, avec mes classes de 4e et de 3e ?
    J’hésite à m’arrêter, jusqu’à ce que je tombe sur l’émission d’Adèle Van Reeth sur France Culture, traitant de la cour, des courtisans et des Caractères, avec une spécialiste de La Bruyère présentée d’emblée par son  »TITRE  »… de noblesse académique.
    Je n’entends pas le nom de la spécialiste, je n’entends que son  »titre ». De quelle noblesse vient-elle donc, cette experte de la Bruyère ?
    France Culture, d’un coup, m’a rappelé pourquoi je vais prendre le chemin du collège malgré cette voix qui me fait défaut !
    Comment supporter en effet que notre monde et notre société soient encore organisés selon des Titres ? Comment accepter que les élèves d’Aubervilliers ou d’ailleurs n’auront que peu de chance, non pas d’avoir des titres, mais de vivre dans une communauté égalitaire où une majorité ne se ferait pas dominer et exploiter par une minorité supérieurement éduquée ?
  • À quoi sert l’école ?
    Mathilde DEHARBE, GFEN 72
    Cette question nous sommes nombreux et nombreuses à nous la poser, enseignantes, alors que l’on nous demande de plus en plus de mettre l’accent sur les « fondamentaux » du lire, écrire et compter, au-delà desquels le rôle de l’école est aujourd’hui largement attesté.
    Le regard des élèves cités ci-dessous en témoigne, mais voient-ils précisément ces compétences plus implicites, moins « scolaires », que nous cherchons à développer chez eux ? Qu’en garderont-ils à leur entrée dans l’âge adulte et dans le milieu professionnel ?
    Certaines réponses recueillies dans les classes de différentes écoles de la Sarthe l’esquissent.
  • Une société sans école d’Ivan Illich
    note de lecture par Michel BARAËR
    « Sans aucun doute, l’éducation a tout à gagner de la déscolarisation de la société, même si cette exigence paraît, à bien des enseignants, une trahison face à la lutte contre les ténèbres de l’ignorance. Mais la lumière s’est éteinte depuis longtemps dans les écoles » (p. 49).
    À sa sortie, en 1971, Une société sans école fit grand bruit. Son appel au démantèlement du système scolaire était en résonance avec les travaux de Bourdieu qui en dévoilaient alors le caractère ségrégatif, avec les critiques de mai 1968 qui avaient, notamment, attaqué le mandarinat à l’université. Le livre correspondait aussi à un moment de désillusion sur les pouvoirs de l’école : une dizaine d’années après l’ouverture de l’enseignement secondaire à tous les élèves, il devenait de plus en plus évident que cet accès n’allait pas fournir les effets égalisateurs espérés.
L’école au service d’un maintien de l’ordre ?
  • À quoi sert l’Éducation nationale ?
    Claude LELIÈVRE, Historien de l’éducation
    Ce n’est pas — tant s’en faut — la même question que « à quoi sert l’école ? ». Mais, compte-tenu de l’importance qu’a revêtue — et revêt encore — l’Éducation nationale en France, cela peut être l’une des façons d’aborder le problème (ou l’une de ses faces).
    De la profondeur historique de l’Éducation nationale
    Contrairement à ce que l’on croit souvent, la question de l’existence d’une « Éducation nationale » a été posée dès la fin de l’Ancien Régime, avant même le moment historique de la Révolution française.
    Sous l’Ancien Régime, l’école était généralement sous tutelle de l’Église. L’État intervenait très peu et laissait le clergé régulier ou séculier s’occuper de l’enseignement ou le surveiller (à l’exception des universités, relativement autonomes). Le renvoi des Jésuites en 1762 donne à l’État l’opportunité d’être saisi de la question de l’enseignement. Les Jésuites sont évincés de plus d’une centaine de collèges et l’on peut songer à mettre ces établissements d’élite sous une tutelle nouvelle : celle des pouvoirs publics.
  • Le Grand Oral, une évaluation qui nous dit tout
    Joëlle CORDESSE
    En général, la forme donnée à des épreuves d’examen terminal oriente les pratiques enseignantes. J’ai beaucoup aimé, par exemple, l’introduction dans les années 90 d’une interrogation orale sur documents inconnus aux oraux d’anglais du Bac et du BTS. Sa préparation encourageait à faire aborder tous les documents, y compris les textes du programme, d’une manière active, comme des objets à décrire, à explorer, à déconstruire. Nous les abordions de front, sans explications préalables de ma part, et les élèves s’habituaient à prendre des indices, à deviner, à produire des interprétations, à en changer, à débattre, à construire une argumentation. Ainsi, je les encourageais à se mettre dans une position où ils allaient entraîner leur examinateur avec eux sur un chemin de découverte progressive de leur interprétation du document. Leur discours s’élaborait au fur et à mesure, dans la collecte de détails qui deviendraient pour eux des indices, et globalement, dans une situation d’interaction et de dialogue avec eux-mêmes qui faisait une place active à l’auditeur.
  • Continuité vs historicité(s), quand la réflexivité s’en mêle
    La « transformation pédagogique » à l’université (30 avril 2020)
    Eloïse DURAND, Anthropologue, militante pédagogique GFEN (article révisé au 13 mars 2021)La crise sanitaire générée par l’épidémie de coronavirus (Covid19) a fait ressortir la question des inégalités sociales dans le domaine de l’éducation, et son instrumentalisation : au moment où la relation pédagogique est perturbée par une situation inédite de confinement qui nécessiterait un temps de réflexion, les enseignants reçoivent l’injonction de continuer… et continuent… à « maintenir le lien pédagogique vis-à-vis des familles et des élèves les plus éloignés de l’école » (Eduscol, 04/2020), à garantir « le contrôle des connaissances », et le calendrier des examens à l’université (F. Vidal, 03/2020). La « continuité pédagogique » s’apparente ainsi à un phénomène de « double contrainte », aux effets délétères : à travers la généralisation du télétravail, c’est l’évaluation permanente des performances (numériques) de tous les enseignants et de tous les élèves/étudiants. Si cette « fuite en avant »1 est difficile à mesurer pour le corps enseignant, cela fait déjà un moment que lycéens et étudiants manifestent un refus net et catégorique – Mouvements contre l’instauration du « SMIC jeune » (1994), du Contrat Première Embauche (CPE Loi pour «l’égalité des chances,» 2006), ou de la Loi Travail (2016) – mais qui les prend au sérieux ?
  • Crédulurie Une aventure avec Monsieur Sapoje
    Jean-Louis CORDONNIER
    Roman-photo
D’autres possibles déjà là
  • Savoirs en partage, savoirs de passage : pour une école qui apprenne à se déprendre
    Florent RODIER, professeur d’histoire-géographie
    En 1967, lors d’une conférence au Cercle d’études architecturales, Michel Foucault a théorisé le concept d’hétérotopie qu’il définit comme « des lieux réels, des lieux effectifs qui sont dessinés dans l’institution de la société et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées » 1. Reprenant à son compte ce concept, le philosophe de l’éducation Eirick Prairat avance l’idée que « l’école s’est construite et ce, de manière successive, en référence à trois grandes hétérotopies : l’hétérotopie religieuse, l’hétérotopie militaire et plus récemment l’hétérotopie politique » 2. À la suite de cette observation, Eirick Prairat se pose une question : « Où sommes-nous finalement lorsque nous sommes à l’école ? 3 ». L’auteur tente d’y répondre en dégageant quatre propriétés caractéristiques selon lui de l’école : elle est un lieu spécifique de transmission et de formation ; un lieu intermédiaire et transitionnel ; un lieu d’exercice et de simulation ; enfin, un lieu hospitalier, l’hospitalité étant définie comme l’espace fait à autrui.
  • La diversité culturelle : une ressource pédagogique plutôt qu’un handicap
    L’équipe de l’anthropologie pour tous du lycée Le Corbusier ; Catherine ROBERT, Isabelle RICHER, Valérie LOUYS, Jean-Loïc LE QUELLEC, Christian BAUDELOT et Nicolas GRIMAL
    Considérer que la diversité est un défaut, voire un obstacle, laisse supposer que l’uniformité serait une valeur et un but, et qu’il ne saurait exister de totalité qu’unifiée. Une classe, un lycée homogènes seraient, idéalement, composés d’individus identiques ou interchangeables, qui, comme un seul homme, tireraient bénéfice d’un enseignement commun. On sait depuis longtemps que l’école, quand elle est émancipatrice plutôt que normalisatrice, s’accommode très bien de la diversité des niveaux, à condition d’adapter la pédagogie aux différences et aux spécificités individuelles des élèves.
    Dans la société plurielle qui est aujourd’hui la nôtre, la diversité culturelle est présentée comme un frein à la réussite scolaire : l’antienne de la déploration trouve, à cet égard, nombre de pleureuses pour regretter l’unité fantasmatique d’une école républicaine pour tous. Le vocabulaire est symptomatique : au lieu de diversité, on parle d’hétérogénéité, qu’on suppose une entrave à l’identité.
  • L’école : un objet politique ?
    Alexis AVRIL, professeur de philosophie
    Éduquer au politique et y réfléchir exige d’en faire « pour de bon ». Quoi de mieux que la situation des apprenants, à savoir leur place à l’école, pour y arriver ?
    Quand il est question d’éducation morale, il n’est pas rare qu’on prenne pour objet d’étude des situations que les élèves n’ont jamais vécu et ne vivront jamais (espérons-le d’ailleurs !) de près ou de loin. Ainsi ce fameux exemple en philosophie censé illustrer le débat entre Kant et les utilitaristes : « si tu pouvais sacrifier un homme pour en sauver mille autres, le ferais-tu ? » Même si ces situations recouvrent de véritables problèmes éthiques, les décisions à prendre, complètement décontextualisées, impressionnent sans jamais pouvoir modifier les pratiques et conduisent plutôt les apprenants à prendre des postures de principe (« je sais que je ferais ça si j’étais dans cette situation »). On a alors de beaux objets qui, s’ils peuvent faire penser autrement, ne font jamais agir autrement. Tel est sans doute le défi qui doit occuper l’enseignant dans ce domaine : comment montrer aux apprenants qu’ils sont confrontés à ces problèmes concrètement en contexte scolaire même s’ils n’apparaissent pas comme un dilemme tragique2 ? Et ensuite comment faire le lien entre ces problèmes pratiques et les positions théoriques auxquelles ils renvoient ? Il s’agit bien ici de faire construire un savoir qui s’appuie sur une pratique vécue et donc susceptible d’engendrer des changements réels chez le petit d’homme.
  • Du monde réel à l’univers mathématique
    Sophie REBOUL, GFEN 25
    L’école où je travaille se trouve dans un quartier défavorisé, le français n’est pas la langue maternelle pour nombre des élèves, il est nécessaire de mettre les parents en confiance et de les accompagner pour qu’ils comprennent les attendus de l’école maternelle… Mes collègues d’élémentaire de l’école me rendent compte des difficultés que leurs élèves rencontrent lorsqu’ils ont un problème mathématique à résoudre. Les plus importants obstacles concernent la compréhension de l’énoncé et la réalisation utile du schéma. Il s’agit pour les élèves d’entrer dans une activité complexe où il faut représenter, analyser et résoudre dans l’abstrait en suivant une logique et des méthodes propres aux mathématiques.
    La démarche que je propose à mes élèves de moyenne et grande section, adaptée de celle d’Odette Bassis1, leur permet d’entrer dans ce monde étrange, très éloigné de leur univers sensible. Ils sont amenés à la fois à identifier ce qu’on cherche à travers la question posée et à comprendre le récit en tant qu’énoncé mathématique. Ils doivent extraire les informations nécessaires à la résolution, les représenter symboliquement pour en faire des objets mathématiques qu’ils manipulent dans l’abstrait.
… Autre lieu, même projet
  • Dessiner… je n’sais pas ! Une semaine pour lever les fatalités
    Jacqueline VAHÉ-DEGROUAS
    Dessiner… je n’sais pas ! Bizarre pour un atelier qui projette d’engager un rapport positif aux arts plastiques… j’ai proposé cet atelier à l’Espace des Possibles, lieu de vacances alternatives et enrichissantes, où chacun peut proposer un atelier, de 2010 à 2017. Chez la plupart de ceux qui sont venus, cela sonnait comme une fatalité.
    Pourtant, lors de la synergie — dernière soirée où les vacanciers présentent quelque chose de leur semaine en atelier — en 2010, les participants traversaient la salle, dansant, brandissant et accrochant aux murs les portraits réalisés. D’autres fois, debout, leur livre en images sur le coeur, ils racontaient l’histoire qu’ils avaient inventée et surtout celle de sa création. Ou tenaient table d’auteur, avec leur oeuvre de la semaine… productions personnelles, uniques, artistiques…
Le cahier du LIEN
  • À la guerre comme à la guerre !
    Joëlle CORDESSE Catherine LEDRAPIER (coord., GFEN)
    – La 3ème conquête. Mounira KHOUADJA (ITPEN Tunisie)
    – Face à l’ethnicisme et à l’esprit de guerre, des projets d’éducation multiculturelle. La naissance du GKEN Kenya & Sud-Soudan. John Otinya Iyadi (GKEN / GSSEN), Joëlle Cordesse
    – L’éducation nouvelle… face à la troisième guerre mondiale. Catherine LEDRAPIER (GFEN)
    – Nouvelle guerre… Nouvelle éducation ! Ghoussoune WAHOUD (Liban)
    – Une vie dans la guerre ! (Haïti). Joël Saintiphat, enseignant, formateur (IEHPEN)
    – Catastrophe pédagogique ou pédagogie de la catastrophe ? Sandrine BREITHAUPT (GREN).
    – Les manichéens d’aujourd’hui. Walid SFEIR (GBEN & GROEN Belgique, Roumanie)