Accompagner les élèves. Jean-Pierre Bourreau et Michèle Sanchez éditions Chronique sociale, 2016. 139 pages. 12,90 euros Dans la plupart des établissements du second degré, des dispositifs d’aide personnalisée ou d’accompagnement se multiplient. Qu’est-ce qu’aider l’élève de façon personnalisée ? Comment l’accompagner dans les apprentissages? Et si l’accompagnement commençait d’abord au sein de la classe. Pour basculer de l’Accompagnement personnalisé (AP) à l’accompagnement dans la classe, les auteurs (enseignants du second degré et formateurs) proposent cinq « renversements » possibles qui peuvent s’opérer progressivement dans le cadre du cours pour aider tous les élèves à réussir. Utilisant la parabole du voyage accompagné suivant un protocole, ils déclinent les gestes professionnels utiles pour permettre à chaque élève de trouver sa voie. Le premier renversement : inverser les rôles dans le couple parler/écouter. S’appuyant sur le fait que majoritairement, la réalité de la classe est « le cours dialogué » durant lequel l’enseignant parle à des élèves qui écoutent au risque de ne pas comprendre et apprendre, ils prônent une écoute active de ce que les élèves auraient à en dire. Dans la pratique de l’accompagnement personnalisé en groupes restreints, les auteurs caractérisent ce qu’une écoute active signifie : montrer aux élèves qu’on est là pour accueillir leur parole, faire expliciter les propos des élèves tout en favorisant les interactions, respecter leur parole. Ce qui semble des évidences n’est pas chose facile à établir tant les habitus (aussi bien du côté de l’enseignant que de l’élève) freinent la rencontre des points de vue. Cette écoute active n’est pas qu’une question de techniques, c’est aussi l’installation d’un cadre sécurisant pour chacun du groupe de paroles et la mise en place de retours réflexifs sur les apprentissages. Deuxième renversement : passer du face à face au côte à côte. Traditionnellement, l’interaction enseignant/élève se fait en face à face. Comme pour l’accompagnement d’un groupe de voyageurs, les auteurs proposent de passer au « côte à côte » pour cheminer avec les élèves ; ils isolent trois registres de l’accompagnement : guider, cheminer avec, soutenir. Chacun de ces registres correspond à des positionnements différents de l’accompagnateur tantôt devant, à côté, derrière selon qu’il souhaite diriger, conduire, assister, secourir. Pour guider un groupe d’élèves, deux points de passages obligés : fixer le cadre organisationnel des séances, permettre à chacun d’entrer dans la réflexion. Le cadre proposé s’appuie sur un même schéma temporel : le quoi de neuf ? et le retour sur la séance précédente en début de séance, une activité commune, une clôture de séance avec la pause « fil rouge ». Ceci impose le respect du temps alloué à chacune des phases. Pour entrer dans la réflexion, un temps de réflexion individuelle précède les échanges de points de vue en petits groupes qui peuvent se prolonger par une production d’affiches ou d’écrits collectifs. Cheminer avec un groupe d’élèves, suppose que le parcours emprunté ne soit pas entièrement balisé mais s’adapte au fur et à mesure des besoins, des ressentis, des réactions. Souplesse qui s’accompagne néanmoins d’une anticipation d’une séance sur l’autre tout en évitant de se tromper de chemin. Chemin difficile pour certains qu’il faudra soutenir sans focaliser sur les difficultés en mettant en place un accompagnement personnalisé discret et en faisant le pari du soutien par le groupe de pairs. Il est parfois utile de stimuler le cheminement des élèves en apportant des informations utiles en lien avec les interrogations des élèves, non pour donner des recettes mais pour fournir les éléments utiles à une réflexion pertinente. C’est le rôle de l’expert que de servir de passeur. Mais rien ne se fera sans la mise en mots des « difficultés à » et l’accompagnateur se doit d’être facilitateur en formulant ou en faisant reformuler les élèves pour qu’ils accèdent à une connaissance des possibles. Ces deux rôles de l’accompagnateur ne sont pas exclusifs l’un de l’autre et l’on passe de l’un à l’autre au cours d’une même activité. Ce qui amène à transposer cet accompagnement personnalisé au sein même de la classe : on peut aisément le faire lors des travaux de groupe centrés sur une production (orale ou écrite), lors de la conduite d’un projet pluri ou interdisciplinaire au niveau d’une classe, dans le processus d’apprentissage des élèves dans les tâches complexes ou encore lorsqu’on anime des débats au sein de la classe. Troisième renversement : laisser le temps au temps. Les auteurs préconisent d’instaurer un autre rapport au temps des apprentissages et de la formation. Faut-il obéir à la sacro-sainte obsession de terminer les programmes ou laisser aux élèves le temps de faire des pauses, leur accorder le droit de réfléchir au sens donner à leur expérience scolaire ? Il est sans doute difficile aux enseignants de stopper le cours de la progression mais l’accompagnement personnalisé offre la possibilité de faire « des pauses réflexives » pour un retour sur les savoirs en jeu dans les cours. Si l’exercice s’avère difficile dans un premier temps, il est bénéfique tout particulièrement aux élèves en difficulté peu habitués à s’interroger sur leur capacité à apprendre et à reconstituer « le puzzle d’un savoir en miettes » pour en tirer profit. Par l’échange entre pairs, sous le regard bienveillant de l’animateur qui suit et relance le débat, chacun peut reconstituer la trame d’un cours, d’un documentaire, d’une lecture suivie. Il en est de même pour les « gestes d’études » où chacun peut comparer son propre fonctionnement à celui de l’autre, non en concurrence mais en complémentarité. Très souvent le temps scolaire n’est pas en concordance avec la temporalité personnelle de l’apprenant. Quand la formation imprime un rythme ou un contenu trop éloigné des attentes de l’élève, l’entreprise perd de son sens. Lorsque des jeunes sont dans une situation de survie, la recherche d’une rentabilité immédiate prend le pas sur la mise à distance d’efforts inévitablement infructueux à court terme. L’accompagnement personnalisé doit permettre ces « parenthèses » où l’institution permet une pause et favorise des temps de passages dans d’autres structures pour confirmer ou infirmer l’envie de s’engager dans une filière. Le temps du détour, lorsqu’il est valorisé, restaure l’image de soi et l’engagement du jeune dans la voie ainsi choisie. Mais toutes les bonnes intentions et dans les limites du cadre institutionnel sont vouées à l’échec si l’on n’accepte pas l’idée que les jeunes ont un autre rapport au temps. Cette expérience de l’accompagnement personnalisé pose la question de la transposition des éléments observés dans les temps de formation en classe et en établissement : pause réflexive à l’issue d’un cours ou d’une séquence dans des modalités diverses et à instituer de façon collective. Mais cela suppose certainement pour bon nombre d’enseignants un véritable travail sur soi et une véritable réflexion sur les attendus des programmes : perdre un peu de temps en début d’année en instituant des « pauses réflexives » peut permettre d’en gagner par la suite. Renversement n°4 : se centrer sur l’élève en tant que personne en construction. L’école a tendance à tendance à s’intéresser davantage aux performances scolaires de l’élève qu’à son développement personnel, c’est même une part importante de la tâche de l’enseignant qu’on nomme évaluation qu’elle porte sur le comportement, le travail, les résultats, ses compétences. On oublie souvent que derrière ces notes et commentaires, il existe des personnes inscrites dans un environnement familial et social qui influe sur cette performance. Du fait du petit nombre d’élèves en accompagnement personnalisé, il est plus facile d’installer une relation interpersonnelle et de prendre en compte l’individu dans sa globalité plutôt que de l’aborder en termes de résultats chiffrés. Tous entrent dans ce dispositif en raison de difficultés repérées par l’équipe éducative et souvent confrontés à des situations personnelles compliquées. Dans cette parenthèse, les adultes prennent le temps d’aborder avec eux leur vécu scolaire, leurs aspirations, l’éventail des possibles en termes d’orientation professionnelle. Il s’agit d’aider la personne à se (re)construire, entreprise parfois difficile car il ne suffit pas de vouloir aider pour que ceci soit accepté : la logique du professionnel ne rencontre pas forcément celle du jeune imbriqué dans une attitude de rejet de tout ce qui peut représenter l’institution scolaire. Si chaque parcours est différent, l’objectif visé est d’enseigner « ce qu’est être humain » au-delà du parcours scolaire et ses embûches. Plutôt que de subir, il s’agit de comprendre le fonctionnement du système scolaire, d’aborder les gestes de l’apprendre et le sens de l’expérience scolaire. Tout ceci se fait dans le respect de l’autre et de son droit à l’erreur : chacun a le droit de se tromper dans son parcours de formation et revoir ses choix d’orientation. Ce passage de la fonction enseignante à celle d’accompagnateur oblige à remettre en question le sens à donner au mot « réussite » et ce qui pourrait être mis en place dans la classe en opérant ce renversement n°4 : des projets collectifs et coopératifs, l’entraide entre élèves, l’auto et la coévaluation par exemple. Renversement n°5 : apprendre auprès des élèves pour leur permettre de mieux apprendre. La fonction de l’enseignant est de « faire apprendre les élèves » dans une relation dissymétrique entre celui qui détient le savoir (même s’il n’est plus le seul) et ceux qui aspirent à s’en approprier les contenus. Les auteurs proposent aux enseignants d’opérer un renversement en apprenant de leurs élèves pour parfaire leurs pratiques en levant les malentendus faisant obstacle aux apprentissages. Un préalable : accepter de se laisser surprendre, d’être déstabilisé par les propos des élèves. Ecouter la perception que les élèves ont de leur expérience scolaire, pour autant qu’elle soit déstabilisante, installe les prémisses d’un échange susceptible de faire opérer des déplacements. Allons plus loin, en favorisant l’expression de tous les points de vue, sans langue de bois et sur tous les sujets qui cristallisent les tensions dans les établissements. Cette phase passée, on peut constituer une mémoire collective et construire une parole « efficace » qui permet aux élèves de dépasser leur ressenti négatif pour reprendre pied dans une scolarité avec des perspectives positives. Cette expérience de l’accompagnement personnalisé pose les bases de la nécessaire posture d’accompagnement dans la classe. La situation de classe n’est pas la même que celle des dispositifs d’aide ou d’accompagnement. La posture d’accompagnement s’appuie sur trois dimensions : – une dimension incarnée qui montre la volonté de l’animateur de prêter attention à l’autre et accueillir sa parole ; – une dimension spatio-temporelle par la proposition d’un cadre en rupture avec le cadre dominant ; – une dimension éthique par l’ambition éducative et émancipatrice que l’animateur affiche. Les contraintes institutionnelles liées à l’organisation même des enseignements dans le second degré entravent la volonté des enseignants à modifier leur posture pour aller vers davantage d’accompagnement des élèves pour les aider à prendre conscience de leur potentiel. Rien ne se fera sans une réelle formation professionnelle à ce sujet. Aujourd’hui l’accompagnement personnalisé est cantonné à la périphérie de l’École. Pourtant, de nombreuses activités scolaires ne prennent leur sens que lorsque l’enseignant devient accompagnateur de ses élèves. L’ouvrage pose les bases d’une réflexion sur une professionnalité enseignante qui pourrait intégrer dans les cours les principes développés ici. Encore faudra-t-il que cela fasse l’objet d’une formation pour lever les empêchements à penser la classe autrement. Jacqueline BONNARD Lire aussi l’article du Café Pédagogique 11 février 2017 Jacqueline Bonnard