A la rencontre des militants de ARCI en Émilie-Romagne (Italie) Ce voyage d’études était organisé du 27 au 31 mars par un consortium réunissant quatre associations ou mouvements pédagogiques : les CEMEA, l’ICEM, le GFEN et le Secours Populaire. Trois membres du GFEN y ont participé : Isabelle, Gérard et moi. L’objectif était de rencontrer les militants d’ARCI, découvrir leurs champs d’intervention auprès de publics en situation de vulnérabilité, expérimenter et échanger sur des pratiques permettant l’inclusion. L’association ARCI est partenaire du Secours Populaire. C’est une association italienne de promotion sociale, fondée à Florence en 1957, ancrée à gauche, ce qu’elle revendique. Elle a ses racines dans l’histoire du mutualisme et de la solidarité italienne. Elle compte plus d’un million d’adhérents, répartis sur environ 5000 clubs ou cercles qui accueillent des personnes en situation de vulnérabilité dans le cadre d’actions culturelles, de formation, d’intégration sociale, d’accès au logement… Arrivés le lundi à Bologne, nous sommes accueillis par Greta responsable régionale d’ARCI qui nous présente le planning du projet : rencontres avec les associations de Bologne, Modène, Reggio Emilia dans différents cercles. Jour 1 : Bologne Bienvenue à Porta Portello, un lieu emblématique à préserver : à l’origine un couvent devenu mairie de quartier puis lieu de mémoire car ayant abrité une école pour les enfants juifs suite aux lois raciales de Mussolini. En 2018, à l’époque de Salvini, la municipalité a lancé de nombreux projets pour les associations : une réponse politico-culturelle à la politique de migration et les drames qu’elle a générés. Aujourd’hui le bâtiment abrite de nombreuses structures qui poursuivent l’accueil des migrants mais aussi des activités éducatives, culturelles (cinéma, théâtre, livres…) ou le suivi de familles en difficulté. On y trouve également un espace de co-working pour les étudiants. Parmi les associations présentes, l’ANPI (association nationale des partisans italiens) entretient la mémoire de la résistance antifasciste via les chants de partisans enseignés aux enfants (représentation lors de la fête nationale du 25 avril, jour de libération de l’Italie). Pour les associations, c’est un lieu partagé qui fédère l’ensemble des projets. Cela se fait en accord avec la municipalité qui veille à la maîtrise professionnelle des personnels encadrant les activités qu’elles s’adressent aux enfants ou aux adultes. Accueil le midi à Porta Pazienza chez « la fourmi » (cooperative sociale la formica), association d’insertion professionnelle de personnes en situation de handicap dont les lieux d’activité sont des biens mobiliers repris à la Mafia. C’est un restaurant (coopérative sociale) qui privilégie les circuits courts. Adhérant à ARCI, ils prônent : l’insertion sociale par le travail, la gratuité de l’eau et le principe de pizza suspendue « pizza sospesa » qui stipule que lorsqu’on commande une pizza on en paie deux dont une pour une personne défavorisée. Ils organisent aussi des ateliers pour les enfants afin de les sensibiliser à une alimentation plus responsable et équilibrée. Rendez-vous au Centre de Documentation du Handicap, né d’une demande d’une personne en situation de handicap : Claudio Imprudente – personne tétraplégique – souhaitant savoir ce qu’il pouvait faire avec son handicap pour aider la société. Nous sommes accueillis par Luca (éducateur), Tatiana (formatrice et diplômée en sciences de l’éducation), Sarah (animatrice théâtre), et Camilo (animateur et auteur d’ouvrages), ces trois derniers étant tétraplégiques. Ils constituent un groupe qui animent des ateliers dans les écoles pour aborder avec les enfants la thématique de la différence. En maternelle ils utilisent les histoires quant aux plus grands, ils proposent des jeux de rôle afin de faire comprendre qu’être différent ça apporte quelque chose. Quelques exemples d’activités pour se mettre à la place des personnes en situation de handicap : essayer d’écrire avec les pieds, jeux sportifs sur une jambe, tester les fauteuils roulants. L’objectif est de faire comprendre de tous sont capables de réussir et d’avoir une place dans la société. Pour atteindre cet objectif, ils traduisent des livres en langage symbolique : on n’oralise pas, on montre l’action pour parler. Ceci permet en outre l’accès à la culture à des personnes illettrées : ce qui aide le tétraplégique permet l’accessibilité à tout le monde. Une rencontre humaine extraordinaire et une illustration en actes du Tous capables… La Fattoria : ferme pédagogique Créée dans les années 1980, elle est liée à l’association de Porta Patienza. Au départ, c’était une demande locale des habitants. Puis le projet a évolué en raison du changement de population qui reste temporairement sur le secteur. Gérée par une vingtaine d’éducateurs salariés et de bénévoles, elle propose des animations pédagogiques : potager pédagogique, des ruches, espace avec des animaux (poules, vache, âne, oies, etc….), bassin pour l’étude de la biodiversité, parcours sensoriels… Une réunion bilan a permis un retour réflexif sur les rencontres de la journée ainsi que la répartition d’articles pour le blog du séjour. Toutes les associations rencontrées sont différentes dans les objets qu’elles travaillent mais elles collaborent et travaillent ensemble. La Porta Patienza, est liée à la Fattoria, ils embauchent des jeunes en situation de handicap et sont ainsi liés au CDH. L’objectif commun est de faire de ces lieux un espace où chacun trouve sa place, développe sa pensée, a un rôle à jouer. Elles partent de la réalité du territoire et des populations qui y vivent et la transforment, portées par des valeurs communes : entraide, coopération, ouverture à l’autre, respect de l’environnement, culture… c’est la force d’ARCI. Jour 2 : Modène Accueil dans les locaux de l’association ARCI de Modène. ARCI Modena est une branche d’ARCI National. Les activités sont propres à chaque branche régionale. Elle compte 148 associations ou cercles. Une de ces spécificités est l’accueil de personnes souffrant de mal-être psychique : Idee in Circulo pour construire des projets pour sensibiliser le public à la santé mentale. Mais on y trouve également des activités culturelles (en dehors du sport) dont le festival du documentaire portant sur l’immigration, la pauvreté, l’exclusion… ou de la danse et de la musique pour les adultes. ARCI propose également des services : l’association Milinda fait la médiation culturelle avec les familles migrantes (démarches, activités pour les enfants), les personnes d’origine étrangère en prison en proposant un accompagnement. Elle accompagne aussi les personnes en fin de vie souhaitant stopper l’acharnement thérapeutique. Visite de l’école « Citadella » (recrutement proche de nos REP+). Accueillis par Iliena, coordonnatrice pédagogique, elle nous en explique le fonctionnement : un directeur administratif qui peut avoir en charge plusieurs écoles et des coordonnateurs pédagogiques animant les équipes. On apprend qu’il n’existe pas vraiment d’école maternelle en Italie (service payant), l’obligation scolaire étant fixée à cinq ans. Les écoles élémentaires peuvent être publiques, communales ou privées avec de grandes inégalités entre le nord et le sud de l’Italie tant au niveau du financement de l’éducation que de la formation des enseignants. Ileana nous explique que si elle était restée dans sa Calabrenatale, elle n’aurait pas pu se former car la formation continue des enseignants dépend du budget et de la volonté des communes. L’approche pédagogique dans cette école est proche de l’Education nouvelle et l’on note que l’inclusion des enfants à besoins spécifiques est effective avec l’apport de lieux tiers et d’enseignants spécialisés. On observe une attention particulière à chaque enfant et parallèlement une grande importance donnée au collectif à travers de multiples projets : projet multilingue, projet lecture, projet journal, projet théâtre, projet cinéma… avec l’apport systématique de professionnels du secteur abordé. Iléana nous rappelle que le droit du sol n’existe pas en Italie : de ce fait, tous les enfants n’ont pas les mêmes droits, ce qui est aberrant ; ils sont exclus des concours et ne peuvent demander la nationalité qu’à 18 ans, après des démarches longues etcompliquées. A Modène des manifestations ont eu lieu, incluant les enfants, pour leur octroyer de manière symbolique les mêmes droits. Une carte de «cittadinanza» leur a été donnée pour leur signifier que même si l’état ne le fait pas, ici ils y ont droit et que les personnes qui les encadrent les considèrent comme des vrais citoyens. Dans cette école, tous les enfants sont accueillis quelles que soient leurs difficultés et des enseignants de soutien aident à leur inclusion. Le repas se prend à Projet radio liberale, une web radio mise en place principalement par des personnes de tous âges ayant des troubles de santé mentale. Ils travaillent également avec différents publics : écoles, maisons de retraites… Un projet important est la semaine de la santé mentale avec l’objectif de faire participer tout le monde : défilé, concours de court-métrages ouvert à l’international. Un autre projet « ouvrons les portes » s’adresse aux jeunes et aborde la santé mentale à travers le cinéma, le théâtre, les présentations de livres, le but étant de lutter contre la stigmatisation des personnes souffrant de ces troubles. Dans les écoles et collèges, des antennes avec psychologues existent pour l’accueil des jeunes lorsqu’ils ne se sentent pas bien. Ils nous proposent un podcast pour présenter le consortium. Bienvenue à la Strapapera. Pour compenser le fait qu’il n’y ait pas de véritable école maternelle accessible à tous, des associations ouvrent différentes structures d’accueil, notamment dans les quartiers défavorisés. Cette ludothèque en fait partie : c’est la première et seule salle de jeux publique de la ville. Elle accueille environ 7000 jeunes par an. C’est un lieu de socialisation pour les enfants et leurs parents, en particulier les mères afin de rompre l’isolement lié à la barrière de la langue. Tout tourne autour du jeu comme véhicule de la rencontre, une occasion de créer des liens tout en proposant un projet éducatif. Elle organise également un accompagnement aux devoirs. La ludothèque permet d’accueillir les enfants de 0 à 5 ans avec un de leurs parents (ou un autre adulte) et les enfants de l’école primaire sur inscription. Ils sont encadrés par des éducatrices diplômées en sciences de l’éducation. Jour 3 : Reggio Emilia A une heure trente en train de Bologne, le site est une ancienne friche industrielle rénovée et aménagée en différents lieux de vie ou écoles. Le CEPAM propose des cours de musique, mais aussi d’arts, de peinture, langue, dessin, principalement pour les adultes. Un projet de langue anglaise pour les enfants se met actuellement en place. Même s’ils interviennent sur le territoire d’Émilie-Romagne, l’école principale est ici à Reggio Emilia. On y enseigne la musique dans le cadre de projets avec les écoles (primaire, collège), grâce aux agréments obtenus. Ces activités sont gratuites pour les enfants : ce sont les écoles qui paient les enseignants de musique. Emmanuel (enseignant de trompette et de cornemuse) nous décrit ses projets pédagogiques visant les écoliers : ils peuvent durer de 2 mois à un an ; cela va d’une simple découverte des instruments à des apprentissages plus poussés. Il donne l’exemple du captage de bruits de la nature afin de créer une partition. Tiziano (enseignant de violon) travaille avec les personnes âgées et/ou en situation de handicap. Il a créé un orchestre où chacun peut faire de la musique en fonction de sa volonté et ses capacités avec un instrument et organisent des spectacles publics. Avec ce projet musique d’ensemble, il note une réelle entraide. Tous les instruments sont à disposition, chacun dit ce qu’il se sent capable de faire et choisit son instrument. Le coordinateur apprend ainsi à communiquer avec les jeunes, à les connaître, analyse leur potentiel et surtout les moyens à mettre en place. Exemple : toucher les touches du piano avec un critérium quand on a un problème d’exécution motrice. La musique contribue donc à la rééducation motrice et au développement de la pensée. Quant aux personnes âgées, cette pratique stimule les souvenirs et l’envie de vivre. Et comme tout finit par des chansons, Emmanuel et Tiziano nous interprètent une chanson française : Les feuilles mortes de Prévert, musique de Kosma. A Corres, nous sommes accueillis par Eduardo qui nous présente l’évolution des lieux mis en place pour les personnes en situation de handicap. Ils ont réhabilité ce vaste entrepôt en créant des espaces fonctionnels interchangeables : salle de bal et de spectacle, espaces d’ateliers, lieux de réunions… L’objectif est de socialiser les personnes en situation de handicap, les aider à gagner en autonomie pour s’insérer dans le monde du travail d’une part, gérer leur vie quotidienne d’autre part. Parmi les projets, ces jeunes ont créé un théâtre de marionnettes avec l’aide de spécialistes : l’histoire, les marionnettes, les costumes, tout est le résultat de leur création. Et ils donnent désormais des cours dans les écoles sur la création de marionnettes. Le repas se prendà Polveriera Crea. Les locaux se situent dans un ancien entrepôt d’industrie de guerre d’où ce nom Polveriera (la poudre), réhabilité en espace social. C’est un endroit convivial accueillant tout public disposant de bureaux, d’un magasin et d’espaces pour des conférences. A proximité, on trouve une agence d’aide à l’emploi pour des personnes en situation de handicap. Le projet Starde vise à créer des espaces d’accueil pour des personnes en situation de handicap ou vulnérables (maladie, séparation, pauvreté, …) afin qu’elles retrouvent une vie normale. Il cite cet atelier pour femmes maltraitées afin qu’elles se reconstruisent, apprennent un métier et gagne leur autonomie. Tous ces projets s’appuient beaucoup sur des activités artistiques. Mais comment fonctionne l’ensemble ? Il s’appuie sur la création de coopératives spécialisées dans un ou deux domaines (handicap, immigration). Polveriera écoute et analyse les besoins sociaux et culturels, puis crée les services à partir de besoins identifiés. Par exemple : dans ce quartier vieillissant Polveriera a créé un service pour 10 femmes âgées afin qu’elles se rencontrent, participent à des activités communes. Les locaux appartiennent à la municipalité, Polvereira les occupent contre un loyer modique. Pour créer des événements communs, un représentant élu de chaque coopérative siège au comité d’organisation qui décide de la programmation. Un bel exemple de démocratie locale… Reggio Children. En Italie, pas de programme obligatoire pour l’école maternelle. Les enseignants ont toute liberté pédagogique et ont mis en place ici une école autogérée : la programmation et les activités sont décidées ensemble (éducateurs, « ateliéristes » et enfants). A l’origine, Loris Malaguzzi a fondé après la seconde guerre mondiale 5 écoles autogérées : Robinson, Anne Frank, XXV Aprile, Primavera, Gulliver. Les enseignements partaient des expériences des enfants : émettant des hypothèses les enfants tâtonnent, découvrent une notion, se trompent, se posent de nouvelles questions. Cette approche intéressant beaucoup de monde, des expositions ont été réalisées dans un souci de diffusion. Pour que les visiteurs ne gênent pas les enseignants dans leur travail, le Reggio Children a été créé en 1994. C’est un espace ouvert accueillant des écoles et ouvrant ses portes un dimanche par mois aux parents et leurs enfants pour découvrir leurs méthodes. Les « ateliéristes » animent les ateliers d’expérimentation qui procèdent de la même démarche expérimentale : partir d’un objet, d’une idée, se questionner, émettre des hypothèses. Puis les enfants expérimentent pour vérifier ces hypothèses ; en cas d’invalidation, de nouvelles hypothèses émergent, de nouvelles expériences, de nouvelles questions… Les différents ateliers : « Ray of light » qui explore les propriétés de la lumière ; les ateliers d’art et de manipulation qui testent les outils scripteurs et les matériaux des supports utilisés ; les ateliers de modelage et sculpture qui commencent très jeunes (dès un an). Les sujets ne sont pas imposés : on part du besoin exprimé (ex : des grenouilles pour notre bassin qui a permis de travailler sur la texture de la peau de la grenouille grâce à différentes techniques). Bilan de cette action Cette visite d’études, très dense a permis de belles rencontres… L’objectif était de découvrir l’association ARCI, son fonctionnement et son impact sur la société italienne. Greta, responsable de l’association régionale, insiste sur le fait que nos regards sur leur activité leur ont permis de faire un pas de côté et d’être fiers de ce qu’ils font. Pour resserrer les liens établis, une fiche de présentation de nos associations sera réalisée afin que naissent des collaborations ultérieures car ils souhaiteraient nous connaître davantage au travers de projets menés en commun. Massimo souligne que le lien entre éducatif et culturel est prégnant au sein des cercles. ARCI commence à travailler à l’international pour apprendre des autres et comparer différentes réponses données à des situations similaires même si elles se situent dans des contextes différents. Tous espèrent que ce soit un point de départ à de nouvelles collaborations. Les militants du GFEN que nous sommes se sentent très proches d’ARCI, de leurs valeurs, de cet engagement politique qu’ils revendiquent : la mise en œuvre du Tous capables à grande échelle dans des situations multiformes et dans un objectif d’émancipation individuelle et collective. En guise de remerciements à nos hôtes, produits régionaux… Jacqueline Bonnard voir également le blog de la visite d’études : https://sites.cemea.org/erasmus/ 7 avril 2023 Valérie Pinton