« Apprendre avec le numérique », Franck Amadieu et André Tricot

Apprendre avec le numérique, un regard aiguisé sur la question, celui de Franck Amadieu et d’André Tricot. Ces deux spécialistes de psychologie cognitive et ergonomique descendent en flèche les approches techno-centrées qui véhiculent des analyses hâtives et participent de la création de ce qu’ils appellent des « mythes ».

Un mythe, selon le CNRTL, est un « récit relatant des faits imaginaires… mettant en scène des généralités d’ordre philosophique, métaphysique ou social ». Ces discours sont produits à cause d’une ignorance (quasi) totale de tout ce qui est posture et processus d’apprentissage… En quatrième de couverture, l’éditeur évoque les attentes et les croyances associées aux nouvelles technologies. On reste bien dans l?univers mythologique confronté au monde réel.

L’ouvrage ne se contente pas de démonter onze lieux communs sur le sujet, il fait rapidement pour chacun un état de l’art des connaissances scientifiques s’y rapportant (avec étude de recherches et de méta-recherches). Il donne des illustrations à travers des exemples d’usages d’outils spécifiques. Enfin, il dégage des pistes pour agir.

La question fondamentale pour les auteurs est celle de la plus-value apportée parle numérique aux apprentissages, aux apprenants. Il s’agit de nous faire réfléchir à :

  1. la motivation
  2. le jeu
  3. l’autonomie
  4. les apprentissages actifs
  5. les formats dynamiques des informations relatant la complexité du réel
  6. l’adaptation des enseignements
  7. les besoins particuliers des apprenants handicapés
  8. les capacités de lecture et d?attention
  9. les « digital natives »
  10. le coût
  11. le statut des savoirs

tous objets censés être améliorés par le numérique.

A chaque assertion simple, il est répondu par un vrai questionnement et une prise en compte de la complexité des choses.

– On n’est pas plus motivé quand on apprend avec le numérique, la question est de l’utilité et de l’utilisabilité de l’outil, la première renvoyant à la perception d’apprendre, la seconde à la facilité d?utilisation de l’outil par l’utilisateur.

– On n’apprend pas mieux en jouant grâce au numérique car c’est bien le scénario pédagogique qui est l’élément central des apprentissages scolaires.

– L’autonomie n’est pas le résultat des apprentissages avec le numérique, elle en serait plutôt une compétence pré-requise. D’ailleurs, c’est l’expression «auto-régulation de ses apprentissages» qui est préférée au terme «autonomie». Ne pas oublier que la présence de l’enseignant et des autres est essentielle.

– Le fait de rendre des apprentissages interactifs ne suffit pas en soi à rendre un apprentissage actif efficace.

– Les animations et vidéos sont sans doute plus utiles pour faire acquérir des savoir-faire que des savoirs.

– L’adaptation des enseignements n’est pas produite par l’environnement informatique mais par les humains. C’est une voie beaucoup plus modeste et raisonnable.

– Le domaine des handicaps sensori-moteurs est le plus porteur d’espoirs. Les stratégies de compensation, contournement ou ré-éducation sont prometteuses, on en est qu’au début de ces outils qui ont fait la preuve de leur efficacité. Les élèves handicapés pensent, comprennent, conceptualisent comme les autres…

– Un traitement particulier est fait à la lecture : celle faite sur écran est-elle une mauvaise lecture ? Les modes de lecture sont les mêmes, sauf que la lecture numérique est beaucoup plus exigeante et développe une activité plus complexe.

– Le mythe des « natifs numériques » a la peau dure. Les problèmes de générations ont du mal à être étudiés scientifiquement. Massivement il n’y a pas de différence entre les « baby boomers », la génération« X » et la génération « Y ». De toute façon, ce que l’on fait à l’école avec un ordinateur est différent de ce qu’on en fait à la maison.

– La gratuité est fausse. L’accès est peut-être gratuit mais les contenus ont un coût, parfois assuré par les annonceurs.

– Le dernier chapitre traite de cette fameuse révolution numérique, qui chamboulerait jusqu’au statut des savoirs, des enseignants et des apprenants. Amadieu et Tricot n’y croient pas. « Il ne suffit pas d’avoir toutes les ressources à portée de clic. […] Entre les ressources et l’apprentissage par enseignement, il y a une personne importante – l’enseignant – , une institution importante – l’école- et des connaissances très particulières – les savoirs scolaires.

Une belle conclusion sur le métier d’enseignant, pas près de disparaître au profit des technologies. L’enseignant «aura toujours une place centrale dans les apprentissages scolaires».

Isabelle Lardon

 

AMADIEU Franck et TRICOT André – Apprendre avec le numérique : mythes et réalités – Editions Retz, 2014

L’ouvrage,publié dans une petite collection de poche, coûte 5,10 €.

Les illustrations des couvertures sont toutes confiées à l’humour de Christophe Besse.


André Tricot a signé un article dans le numéro 153, juillet 2014 de Dialogue « Enseigner, apprendre avec le numérique ? » consulter le sommaire de ce n°

François Jarraud, dans le Café pédagogique, a recueilli les propos d’André Tricot dans l’expresso du 21 octobre 2014, à la sortie du livre. lire l’article