Co-éducation : quelle place de l’éducateur ?

Journée départementale dans le cadre du PAQEJ *

DDCSP Service Jeunesse et Sports, CAF ,PEP 28

Vendredi 19 juin 2015 –  Chartres

Dans le cadre du PAQEJ d’Eure et Loir relevant de la Politique de la Ville, le GFEN 28 a été invité à participer à la journée de formation sur le thème de la Coéducation  et la place de l’animateur à la demande de la DDCSPP Service Jeunesse et Sports, la CAF et les PEP 28. Le déroulé de la journée

L’intervention d’ouverture : La coéducation, la place de l’animateur dans la coéducation

Partant des spécificités des différents espaces éducatifs dans lesquels l’enfant évolue : famille, école, activités périscolaires, Jacques Bernardin s’attarde sur l’apport singulier de chacun dans ce qui fonde l’identité sociale. Le cloisonnement de ces espaces a des avantages et des limites : l’école ignorant le « hors l’école », des espaces de liberté s’offrent à l’enfant qui peut s’exercer à « être quelqu’un d’autre » lors d’expériences non scolaires mais valorisantes : théâtre, de la vidéo, du cheval ou du cirque par exemple. Mais il a aussi des limites car l’ignorance mutuelle peut entraver la complémentarité des actions et les apports positifs qu’elles peuvent avoir sur la construction de l’individu. Le nouveau cadre institutionnel lié à ce qu’il est convenu d’appeler la ‘réforme des rythmes’ (PEDT) impose de s’interroger sur le positionnement de l’animateur, les caractéristiques de sa place et de son action. Lire l’intervention de Jacques Bernardin.

L’intervention de synthèse : Un nouveau positionnement de l’éducateur

Une situation qui se caractérise de la façon suivante : une légitimité à conquérir auprès des parents et des enseignants, l’opportunité d’un nouvel espace à s’approprier et valoriser, un pôle d’observation inédit de l’enfant. Les spécificités du terrain de l’animateur offrent des ouvertures intéressantes où l’enfant peut s’essayer à créer, jouer, concevoir, réaliser, présenter… avec l’objectif de réussir.
Pour aider au développement de l’enfant, à son autonomie et son émancipation, l’animateur intervient sur le champ culturel, identitaire, langagier, de la socialisation. En interaction avec les autres partenaires, il contribue à la connaissance de l’enfant et de son développement dans le cadre de son action dans une perspective dynamique où chacun dans l’espace qu’il occupe renforce sa professionnalité et  contribue à faire évoluer les réponses éducatives. lire 
 
 
Plan départemental autour des questions portant sur l’enfance et la jeunesse

Ces enfants de familles populaires qui « s’autorisent » à réussir

Programme de réussite éducative – Ville de Lucé (28)

Vendredi 10 avril 2015 –  Centre Culturel E. Desouches

Présentation

Mis en place en 2008 à Lucé le PRE, volet « éducation » du Contrat de Ville, s’adresse annuellement à 140 enfants et adolescents, de la maternelle au collège. Chaque année une journée de formation sur un thème spécifique (inter culturalité, parentalité, métamorphose de la parenté, etc.) est proposée à tous les acteurs du PRE : régie de quartier, éducateur de la prévention et de l’Institut Médico-Éducatif, assistantes sociales et professionnel-les de la santé, personnels PMI, animateurs-trices du Point Info Familles, des Pupilles de l’Enseignement Public, des associations locales, personnels du conservatoire de musique et de la médiathèque, enseignants d’écoles maternelles et élémentaires, de collèges et de SEGPA, RASED, représentants d’institutions : Caisse d’Allocation Familiale, Direction Générale de l’Action sociale, Centre Ressources Informations, Relais Assistantes Maternelles, Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports…

Pour cette année 2015 le Groupe Français d’Éducation Nouvelle d’Eure-et-Loir a été sollicité pour préparer et animer une journée intitulée « Ces enfants de familles populaires qui «s’autorisent» à réussir » le 10 avril 2015. Un objectif central : prendre appui sur la richesse de l’expérience professionnelle des différents acteurs pour qu’ils se connaissent mieux et se reconnaissent, conditions pour construire ensemble une dynamique éducative au service du développement des enfants et des jeunes.

Mise en oeuvre 
 
Cette initiative de la coordinatrice du PRE de Lucé, Marie-Hélèna L. B., a réuni  cette année 74 acteurs du PRE : personnels municipaux et régie de quartier, Centre social et assistante sociale, psychologues, infirmières, responsables CCAS, Structure Petite Enfance, CRIA 28, ADPEP, RAM, DDJS, CAF, éducateurs-trices du service de prévention spécialisée, animatrices d’associations, enseignants des collèges des Petits Sentiers et Edouard Herriot de Lucé, enseignants et formateurs du premier degré, militants du GFEN.

Introduction

Jacques Bernardin (GFEN 28)

Le choix du thème

Le titre de cette journée, tel que formulé, perturbe et donne à penser. En quoi est-il judicieux ?
Les difficultés scolaires ne cessent de se creuser, révélées par les évaluations nationales comme internationales, et sont toujours corrélées à l’origine sociale des élèves. Cette réalité finit, qu’on le veuille ou non, par peser sur nos catégories de pensée, jusqu’à prendre valeur de prédiction : « Dis-moi où tu es né, je te prédirai ton avenir». 
Cette proposition de titre apparaît assez « insolente » à l’égard de ce « prêt-à-penser »,  interpelle la sociologie abrupte qui l’inspire. Le thème qui nous réunit aujourd’hui invite en effet à échapper aux visions mécanistes et simplistes qui peuvent (à notre insu) brider notre action, écorner nos aspirations, raboter l’horizon des possibilités…
Autrement dit, cette rencontre a pour ambition de nous outiller, sur le plan des idées comme des pratiques, afin de lutter contre les visions fatalistes :
 des familles, aux espoirs fréquemment contraints par l’expérience sociale incorporée (« faut pas rêver, c’est pas pour nous » entend-on souvent, formule témoignant d’une lucidité amenant à s’interdire de penser l’avenir de ses enfants au-delà de ce qui est la « loi commune ») ;
– des élèves, qui partagent cette vision et s’interdisent d’y échapper et/ou qui, confrontés aux épreuves des apprentissages, finissent par renoncer,
    • intériorisent le sentiment d’incapacité personnelle (« je suis nul ») ;
    • auto alimentent leur disqualification scolaire (« je rejette ce qui me rejette ») ;
    • ou limitent leurs aspirations (l’avenir pensé moins en termes d’accès à une profession que d’espoir d’un « boulot », d' »un bon métier dans les mains ») ;
– des éducateurs (dans comme hors l’école) qui, confrontés à des histoires individuelles et familiales témoignant de la fréquence d’une reproduction des destinées, finissent par eux-mêmes l’intérioriser comme mécanique inéluctable, surplombant la scène éducative et surdéterminant la portée de leur action.
Les uns et les autres, nous sommes concernés par le phénomène d‘ »intériorisation subjective de probabilités objectives », pour reprendre les termes du sociologue Pierre Bourdieu, qui amène chacun à perpétuer inconsciemment ce que sa conscience refuse.
Comment y échapper ?
D’abord, en prenant acte des limites attestées de la reproduction. Non, il n’y a pas d’effet systématique des conditions de vie sur le devenir humain. Bien des gens échappent à leur destin, faisant dérailler les logiques fatalistes.
Encore faut-il examiner de plus près les éléments agissants, les contextes et facteurs contribuant à déjouer les prédictions, à élargir l’horizon, à stimuler la construction identitaire, à émanciper des déterminismes. C’est tout l’enjeu de cette journée, dont les modalités ont été élaborées avec les différents partenaires, avec cette proposition :
– s’arrêter sur des histoires singulières, tenter d’identifier ce qui pourrait expliquer ces parcours atypiques ;
– échanger nos expériences, nos points de vue, formaliser des points-clés ;
– sans s’interdire de convoquer des travaux de recherche menés à ce propos.
Parmi ceux-ci, en guise d’introduction de nos travaux, les recherches sur le rapport à l’école et au savoir, conduites de la maternelle au lycée depuis plus de 20 ans, s’attachant à comprendre les processus qui amènent à réussir ou à échouer à l’école.

Le rapport au savoir

Cette notion émerge dès les années 80 (1982 : Quelles pratiques pour une autre école ? GFEN (coll.), avec la contribution de Bernard Charlot : « Je serai ouvrier comme papa, alors à quoi ça me sert d’apprendre ? »). Les recherches se développent depuis les années 90 à l’université Paris 8 (1992 : École et savoir dans les banlieues    et ailleurs, A. Colin).
La problématique : étudier les angles morts de la sociologie critique des années 70-80, théories de la reproduction ou du handicap socioculturel qui sont insuffisantes pour rendre compte de la façon dont se fabriquent les destins scolaires au fil du quotidien scolaire, et notamment pour expliquer les cas atypiques d’élèves de milieux populaires qui réussissent à l’école (et parfois brillamment) et de ceux qui, à l’inverse, échouent bien qu’ayant apparemment tout –  sur le plan de leur environnement social et culturel – pour réussir.
Les recherches initiales se mènent sur des terrains socialement et scolairement contrastées, auprès de collégiens de Saint-Denis / La Courneuve (établissements en zone d’éducation prioritaire) d’une part, de Massy-Palaiseau (classes de germanistes) d’autre part. Elles s’attachent à identifier ce qui « fait la différence » en matière de scolarité :
– le sens que les élèves donnent à leur présence à l’école et aux contenus enseignés ;
– leurs postures et manières de faire face aux apprentissages.
On va ainsi repérer, d’abord au niveau du collège, puis aux autres niveaux de la scolarité (maternelle, élémentaire, lycée.. et y compris supérieur) des invariants différenciateurs distinguant les élèves en réussite de ceux rencontrent des difficultés, invariants qui valent quelle que soit l’origine sociale.  Pour accéder à l’univers mental des élèves confrontés aux exigences scolaires, pour « ouvrir la boîte noire » et saisir ce qui échappe à l’observation classique, deux questions s’avèrent déterminantes :
– Pourquoi apprendre ? (Quelles sont leurs raisons d’investir la scolarité ?)
– Comment faut-il faire ? (Quels moyens pensent-ils devoir mettre en place ?)
Pour concrétiser le propos, nous prendrons appui sur les réponses d’élèves d’Eure-et-Loir, les uns d’une classe de CE2, les autres de classes de 5è, 4è et 3è d’un collège bien connu ( !).
> Diaporama sur le sens que des élèves d’élémentaire et de collège donnent à leur scolarité, leur rapport au savoir et leur conception de l’apprentissage. Quels éléments différenciateurs entre les élèves qui investissent avec réussite leur scolarité et ceux qui « décrochent » petit à petit ?
Bien d’autres éléments contribuent à la « bifurcation » des destinées.
Par groupes, nous allons essayer d’en identifier les ressorts. Les animateurs sont chargés d’amorcer les échanges, en témoignant d’un ou deux cas, ouvrant ensuite à l’expérience de chacun des participants (qu’ils soient témoins ou acteurs de telles dynamiques singulières) :
Des personnes qui échappent à leur destin, chacun en connaît ou en a connu. Comment expliquer ces réussites paradoxales ? 

Comptes-rendus des groupes

I/ Groupe animé par François C. (Ex.  Conseiller pédagogique de Circonscription, acteur historique du PRE de Lucé) lire
II/ Groupe animé par Pascal B. (Principal de Collège – Lucé) lire
III/ Groupe animé par Isabelle F. (Conseillère d’orientation Psychologue ? CIO de Chartres) lire
IV/ Groupe animé par Ilham S. (Educatrice Prévention Spécialisée de l’ADSEA 28) lire 
V/ Groupe animé par Hamid A. (Educateur Prévention Spécialisée de l’ADSEA 28) lire

Récapitulation synthétique

Jacques BERNARDIN, GFEN 28
L’ensemble des rapports a convergé sur de nombreux points, récapitulés de façon synthétique ci-dessous, sans que cela épuise la richesse des exemples qui les ont inspirés et des développements auxquels ceux-ci ont donné lieu dans chacun des groupes.

Parmi les éléments de contexte

La mixité sociale et scolaire
– sortir de son quartier
– un changement de lieu, un nouvel espace  (ex. scolarisation dans un autre établissement)
Le travail avec les parents
– sur le sens de l’école, des apprentissages (peut changer le regard porté sur l’école)
– sur le type d’aide qu’il est possible d’apporter à l’enfant
Les ruptures
– de contexte (voir ci-dessus)
– la réussite étonnante, réelle (qui redonne confiance en soi)
L’appui d’un réseau éducatif
– l’importance de croiser les regards des divers professionnels
– la complémentarité des rôles des diverses institutions
– travailler à la cohérence des messages

Ce qui se joue dans la relation

Le regard sur l’autre
– installer la confiance réciproque
– importance d’attentes positives (image de l’enfant et projections) : appui sur le positif ; éviter les étiquettes, la comparaison avec les aînés, le jugement de l’enfant, de sa famille.
L’autorisation symbolique à réussir (triple autorisation Cf. Jean-Yves Rochex)) :
– l’autorisation que la famille adresse à l’enfant d’investir l’école, d’y réussir ;
– celle que l’enfant s’adresse à lui-même d’être différent de ses parents ;
– celle qu’il adresse à ses parents d’être ce qu’ils sont, sans dévalorisation.
(signalons la réussite atypique des filles, qui investissent l’école pour « s’en sortir », s’émanciper)
Ce qui fait / va faire référence (expérience, événement, personne rencontrée)
– la rencontre opportune (avec une personne, un enseignant qui marque)
– l’identification à des adultes ou à des pairs (modèles de référence pour se construire)
Des éléments favorables 
– l’exigence (qui incite à aller plus loin)
– le cadre (sécurisant parce que structuré, donc structurant)
– la sécurité affective.

Le retour de la morale à l’école ? Citoyens dans le savoir !

2015
« La morale n’est pas un enseignement mais une réflexion permanente et
contradictoire sur les problèmes réels que pose la vie, [il s’agit]
moins d’instruction civique que de l’apprentissage vécu de la vie
collective de la classe ». (Henri BASSIS).
Deux textes sur le concept de citoyenneté dans la construction du savoir
 

Devenir citoyens dans le savoir

Odette BASSIS
 
Présidente d’honneur du GFEN
C’est dès l’arrivée officielle de l’école publique que furent liés aux apprentissages celui de l’« éducation morale et civique ». Accolement traversant des pratiques d’enseignement moulées sur l’autorité et le respect.  Alors oui, citoyens dans le savoir, on le devient, en général, aussi sûrement que passivement, aussi objectivement qu’inconsciemment, dans tout acte d’apprentissage. Mais « citoyen passif », formé laborieusement — et il en faut du labeur et du temps — à devenir membre soumis, docile et appliqué d’une société où quelques-uns seulement pensent et décident pour tous les autres.
Les choses sont pourtant clairement annoncées : dès qu’un savoir est l’objet d’un apprentissage reconnu comme tel, il devient DISCIPLINE au sens précis de dépendance à la fois par rapport à celui qui transmet (l’enseignant) que par rapport à l’enseignement transmis  (la discipline). Double assujettissement.
Derrière le contenu manifeste que désigne telle « discipline » de savoir, se love un autre savoir, un autre apprentissage qui en constitue le contenu latent : c’est celui de l’ORDRE ETABLI et de  sa légitimation, profondément ancré au précédent et d’autant plus tenace qu’il se construit dans une pratique (celle de la transmission) qui en est le garant. C’est en ce sens qu’on peut dire — et ce n’est pas une boutade — que toute pratique de transmission est une démarche, c’est à dire suscite des processus d’auto-élaboration de comportements mentaux (des « habitus » dirait P. Bourdieu). Mais une démarche à rebours, puisqu’elle a un effet d’auto-aliénation et non pas d’émancipation.

Toujours dans le réactif

Michel HUBER
 
Décidément, le sens unique, exclusif : exposition de la théorie puis application dans une pratique a la peau dure. Cherchez le chaînon manquant.
Ainsi, suite aux évènements de janvier, nos jeunes vont avoir droit à des cours de citoyenneté, de laïcité, d’esprit critique face aux médias….
Encore une fois, on scolarise (dans le mauvais sens du terme), on saucissonne des finalités qui doivent être au cœur même des pratiques pédagogiques, indépendamment du contenu disciplinaire.
La forme est aussi un contenu écrivait Henri Bassis.
C’est l’occasion de rappeler ici la conception du GFEN du « citoyen dans le savoir », et  comment je la pratique, sans parler des perspectives d’une mise en œuvre méthodique de la pédagogie du projet/élèves.
La citoyenneté à mon avis doit être non seulement l’objet mais aussi la modalité pédagogique. Ainsi seraient en interaction le fond et la forme pour une plus grande efficacité éducative.
Au GFEN, nous avançons ce concept de la citoyenneté dans la construction du savoir.

« Evaluer scientifiquement les méthodes d’apprentissage de la lecture » à réécouter sur le site de France Culture

Rue des écoles, émission de France Culture du 7 mai 2014  :

« Evaluer scientifiquement les méthodes d’apprentissage de la lecture »

A réécouter

Avec 3 invités :

Franck Ramus, Directeur de recherche au CNRS et au Laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique, ainsi qu’à l’Institut d’Etude de la Cognition. Ses recherches portent sur le développement cognitif de l’enfant, les troubles spécifiques du langage, la dyslexie etc..

François Jarraud, rédacteur en chef du Café pédagogiquepartenaire de l’émission

Roland Goigoux, Professeur des universités (Université Blaise Pascal à
Clermont-Ferrand), spécialiste des méthodes d’apprentissage de la lecture. Auteur avec Sylvie Cèbe de « Lector et Lectrix » et Apprendre à
lire à l’école » éditions Retz. Il mène actuellement une recherche sur près de 3000 élèves de CP. (au téléphone depuis Clermont-Ferrand).

Le débat sur l’apprentissage de la lecture demeure en France passionné et passionnel et… répétitif. En effet, il se limite trop souvent à un échange de banalités sur les méthodes globale ou syllabique. Mais au fond, si les querelles n’ont cessé depuis des décennies c’est parce que, d’une part, le sujet est bourré de non-dits idéologiques d’autre part parce nous manquons d’évaluations scientifiques satisfaisantes sur la question.

Rue des écoles fait le point sur les connaissances dont nous disposons à ce jour et l’état de la recherche sur le sujet.

Pédagogie

Pédagogie explicite contre pédagogie de la découverte

Et si la question était mal posée…

Jacqueline Bonnard – 2016

Si l’on admet que la pédagogie est l’ensemble des méthodes et pratiques d’enseignement, le concept de pédagogie recouvre à la fois les savoirs professionnels intériorisés (les pratiques) que l’enseignant convoque dans la gestion de la classe et la maîtrise des concepts nécessaires à la transmission du savoir (contenus, apports de la recherche en psychologie, en sociologie, en neurosciences…). Influencés par les courants de pensée qui traversent les périodes historiques, les praticiens ont élaboré des modèles pédagogiques porteurs de valeurs et s’appuyant sur des théories de l’éducation. Chaque période de transformation sociale produit de nouvelles propositions cristallisant les partis-pris philosophiques ; c’est sans doute une de ces périodes que nous vivons actuellement.

Les tenants de l’idéologie néolibérale prônent l’individualisation et renvoient chacun à ses performances l’obligeant à une obligation de réévaluation de lui-même. On voudrait nous faire croire que la crise qui traverse le système scolaire serait le résultat d’une pédagogie« laxiste », « centrée sur l’élève » et s’appuyant sur « les méthodes actives » héritières des mouvements d’éducation nouvelle et qu’il faudrait revenir aux « bonnes vieilles méthodes ». Or,qui connaît bien le système éducatif français sait que les pratiques pédagogiques majoritaires s’appuient sur un modèle transmissif  où le cours magistral ou dialogué imprime une démarche déductive sensée installer les savoirs visés de façon progressive et sans rencontrer d’obstacle. C’est une pédagogie de l’implicite qui s’appuie sur l’idée que forcément tous les élèves savent et comprennent de quoi il est question puisqu’ils ont suivi le même cursus. Or nous savons qu’il n’en est rien et en particulier pour les enfants des milieux populaires dont les codes sont trop éloignés de ceux de l’école.

Aux « méthodes actives », l’imaginaire collectif  associe le plus souvent les idées de Rousseau développées dans « l’Emile et l’éducation » : une pédagogie de la découverte, approche heuristique de l’apprentissage visant à l’épanouissement et s’appuyant sur la libre expression. S’il est abusif d’ériger en principe pédagogique la seule motivation de l’élève pour donner sens aux apprentissages, cela ne saurait justifier de revenir à des méthodes pédagogiques relevant plus du dressage que de l’apprentissage. L’enseignant a à imaginer et construire des situations structurées  qui obligent à l’exercice de la pensée, à l’interaction langagière par la confrontation à la pensée de l’autre et l’argumentation. C’est ce que développe notre mouvement avec  la démarche d’auto-socio-construction des savoirs. Découvrir ne suffit pas,  il faut des moments de formalisation et de structuration pour construire les savoirs et les organiser dans un système de représentation du monde cohérent.

Pour autant de quelle dose d’explicite avons-nous besoin pour mobiliser l’élève et l’aider à se mettre progressivement en avant comme sujet ?

Quelques pistes :

– Énoncer les objectifs visés tout en les inscrivant dans une progression pour développer la clarté cognitive : ce que nous allons faire, ce que nous avons déjà fait, pourquoi nous le faisons, de quoi allons-nous nous servir….

– Proposer des situations d’évaluation permettant l’observation de savoirs en action.

– Proposer aux élèves des critères d’évaluation et les indicateurs associés adaptés au niveau attendu et ce, en amont de tout contrôle des acquis.

– …

Méfions-nous des labels qui s’installent sous couvert de rénovation pédagogique, Ce dont nous sommes porteurs et ce qui nous mettons en débat n’a rien voir par exemple avec la pédagogie explicite (la troisième voie) qui tout en explicitant les objectifs visés enferme l’élève dans une démarche individualisée, un chemin balisé par l’enseignant et la répétition de tâches parcellaires.

Dans un récent article, Stéphanie Demers* alerte les enseignants sur les mirages de « l’enseignement explicite » du direct instruction, de l’efficacité mal comprise ou des mégasynthèses. Elle invite à réhabiliter la fonction émancipatrice de l’éducation plutôt que viser une efficacité pilotée par la seule performance, confondant la reproduction des savoirs d’un autre avec l’apprentissage. (lire l’article)

Dialogue n° 160  (avril 2016) pose la question : Expliciter pour faire comprendre ?
Dans la mode des « labels » pédagogiques, celui de « pédagogie explicite » nous est présenté par ses thuriféraires comme la panacée pour résoudre les difficultés scolaires. La revue développe la réflexion sur cette question. Une explicitation qui consisterait à découper les phases d’apprentissage, soi disant du simple au complexe, en entraînant l’élève à la reproduction de ce que montre le maître, ne serait, au mieux, qu’une illusion, au pire, une escroquerie.
Ce numéro revient, sur la notion, sous-jacente, d’implicite. Quels implicites ? Portés par qui ? Pour nous demander si tout doit être explicité? N’y aurait-il pas comme une prétention à vouloir, ou prétendre, tout expliciter ?
Mais qu’est-ce qui doit être explicité ? Le cadre, la conduite… de la démarche d’apprentissage, de construction du savoir ? Ou le donné fini de celui-ci, privant l’élève de tout plaisir de sa (re)découverte ?
Qui doit expliciter ? Le maître seulement ? Ou les élèves également, dans un mouvement d’appropriation des connaissances et savoirs travaillés ? Et comment, quelles conditions créer dans la classe, pour que cela soit possible et efficace ?
* STÉPHANIE DEMERS est professeure de fondements de l’éducation, au Département des sciences de l’éducation à l’Université du Québec en Outaouais depuis 2011.

Autres articles

  • Rythmes scolaires, de quoi est-il question ? (dossier 2014) lire

  • Lire/écrire : difficultés et malentendus. Jacques BERNARDIN, 2011

DIALOGUE hors série – Prendre pouvoir sur l’écrit

Avant d’envisager des interventions sur les difficultés des élèves à l’écrit (lecture et écriture), il y a nécessité de travailler sur la nature de ces difficultés.
Lire l’article

  • Pédagogie de l’écrit, enjeu démocratique. Tiphaine YANG et Alexandre DIGNY,(professeurs des écoles et membres de l’AFL) 2011

DIALOGUE n° 141-Avons-nous encore besoin de la pédagogie ? juillet 2011

La description d’un atelier proposé lors du colloque « Avons-nous encore besoin de la pédagogie ? » à Lyon en octobre 2010, où il est question de débusquer l’implicite dans un texte de littérature jeunesse.
Lire l’article

  • Mettre cartes sur tables. Yves BEAL et Frédérique MAIAUX, 2011

DIALOGUE n° 142 – L’ordinaire de la classe

Pour que les élèves osent se risquer dans les apprentissages, indispensable à l’apprendre, les auteurs insistent sur la nécessité de les mettre en confiance en les sécurisant :mettre au courant les élèves  du dispositif pédagogique avec  différents repères pour qu’ils s’organisent dans le temps et dans l’espace.
Lire l’article

  • L’évaluation au service de l’apprentissage, Maria-Alice MEDIONI, 2010

In CRAP, Cahiers pédagogiques, Enseigner les langues vivantes avec le Cadre européen 

Dans une période où tout s’évalue et est évalué, si l’on utilisait l’évaluation comme outil de régulation des apprentissages ? Un outil permettant à chacun de se rendre compte de l’évolution du processus engagé. Quelles situations proposer aux élèves pour qu’ils se construisent les connaissances et les compétences tout en leur fournissant des indicateurs observables pour qu’ils puissent se voir avancer ? Un exemple concernant l’enseignement des langues vivantes en partant des « compétences » listées dans le Portfolio des Langues.
Lire l’article 

  • L’activité, espace de transformation – Jacques Bernardin, LIRE

  • L’éducation nouvelle est-elle si populaire ? Jacques BERNARDIN, 2004

DIALOGUE n° 112-113L’éducation nouvelle est-elle populaire ?

L’auteur liste ce qui peut heurter des milieux populaires dans notre conception de l’éducation : un autre rapport au temps, une autre conception du travail,les activités proposées, le rapport au langage. Il évoque la nécessité de lever les malentendus sur la pédagogie active, d’éclaircir ce qu’on attend du travail à l’école dans un souci de transparence. LIRE 

  • Rencontrer les parents … avec les enfants.  Anne FORGERIT, 2004

DIALOGUE n° 114– Spécial pratiques

Description d’une pratique qui associe parents et enfants dans l’explicitation des attendus de l’école.
Lire l’article

  • Lire/écrire : difficultés et malentendus. Jacques BERNARDIN, 2011

DIALOGUE hors série – Prendre pouvoir sur l’écrit

Avant d’envisager des interventions sur les difficultés des élèves à l’écrit (lecture et écriture), il y a nécessité de travailler sur la nature de ces difficultés.
Lire l’article

  • Poser un cadre de travail et créer des habitudes de travail pour apprendre à comprendre. Cécile COULON, 2004

Dialogue n° 114– Spécial pratiques

Pour recentrer les élèves sur l’essentiel, sont proposés différentes situations, différents supports et outils pour faciliter l’élaboration de réponses collectives et associer les élèves à la reconnaissance des objectifs poursuivis et des progrès réalisés.
Lire l’article

  • Une pratique argumentative.Christine PASSERIEUX et Jean Louis KORZEN, 2004

Dialogue n° 114– Spécial pratiques

Présentation d’une démarche pour la lecture plastique d’images favorisant une pratique de l’argumentation et démontrant l’intérêt de l’interaction langagière.
Lire l’article

  • Travail de groupe : des règles à construire. Maria-Alice MEDIONI- secteur Langues, 2011

Dialogue n° 142 – L’ordinaire de la classe

Règles explicites pour le travail de groupe.
Lire l’article

Rythmes scolaires… de quoi est-il question ?

La loi sur la refondation de l’école que l’on espérait prometteuse d’une réflexion autour des pratiques pédagogiques à infléchir, d’une formation rénovée pour les enseignants, d’une refonte des programmes… s’est déplacée sur la question des rythmes scolaires.

Ce dossier se veut une aide pour y voir plus clair et comprendre les contradictions entre la volonté de concevoir une journée équilibrée pour l’enfant et les contraintes d’une organisation spatiale et temporelle tributaire de paramètres socio-économiques multiples.

 
 
  • Du rythme où vont les choses… Jacques BERNARDIN (GFEN) . La question des rythmes est si envahissante qu’elle mérite… qu’on prenne le temps d’en déplier les dimensions, sous-entendus et conséquences dans la conduite éducative. En effet, dans le débat actuel sur l’éducation, on finit par ne plus très bien savoir de quoi on parle : de rythme scolaire, de rythme d’apprentissage ou de rythme d’enseignement ? lire
 
  • Rythmes, transformation de l’école, mouvements d’éducation populaire… Michel DUCOM (GFEN). Réponse de Michel DUCOM à la question d’un adhérent du GFEN au sujet de la réforme des rythmes. lire
 
  • Du discours sur la réforme des rythmes à la mise en oeuvre chaotique sur le terrain, analyse et suggestions pour sortir de l’impasse. Un entretien avec Christine PASSERIEUX  (GFEN) pour le journal l’Humanité. lire
 
  • Des rythmes au contrat ou la mystification du sujet, Jean-Yves ROCHEX . Poser la question de la difficulté à gérer l’hétérogénéité des élèves en invoquant la difficulté à prendre en compte les rythmes supposés de chacun dans le cadre scolaire mène à l’impasse. « Le temps humain n’est ni une catégorie naturelle, ni une catégorie biologique, mais une catégorie historico-sociale, un système culturel, et donc une catégorie psychologique. » lire
 
  • Rythmes scolaires et réussite de tous, halte aux contre-sens et idées reçues ! Christine PASSERIEUX (GFEN) et Jérôme LAMBERT (SNUIPP)  pointent le flou qui entoure la mise en ?uvre de la réforme des rythmes quant à l’objectif poursuivi et revendiquent un projet ambitieux de transformation de l’école visant la réussite de tous les élèves (café pédagogique). lire
 
  • Les rythmes scolaires prisonniers du temps, Bruno SUCHAUT . « Les nouveaux rythmes scolaires vont-ils contribuer à donner plus de souplesse au fonctionnement de l’école ou, au contraire, produire des effets non escomptés en enfermant les acteurs dans un cadre plus contraignant ? » Bruno SUCHAUT tente de répondre à la question dans cette communication publiée sur le café pédagogique. lire
 
  • « Il faut mener à bien la réforme des rythmes et poursuivre la refondation en l’amplifiant »… La position de Philippe MEIRIEU  relayée par le café pédagogique, lire
 
  • Rythmes scolaires : Comment sortir du conflit ?… La position de Georges FOTINOS relayée par le café pédagogique. lire
 
  • Les temps, les rythmes et la sécurité affective de l’enfant, fondements obligés de l’aménagement du temps scolaire, par Hubert MONTAGNER, Docteur ès-Sciences (Psychophysiologie) sur le site du CRAP. lire
 
  • « Autour des rythmes scolaires », la vidéo d’une conférence d’ Hubert MONTAGNER sur le site web-tv du sceren. accéder au site
 
  • Réorganisation des temps de vie des enfants et des jeunes …   Pour une semaine de classe d’au moins cinq jours éducatifs, chacun de ces jours comprenant des temps éducatifs scolaires et des temps éducatifs non scolaires. Propositions de Claire LECONTE, professeur émérite de psychologie de l’éducation et spécialiste des rythmes de l’enfant et de l’adolescent, chercheur au laboratoire Psitec de l’université de Lille3 . lire
.
  • Argumentaire démontrant l’absurdité du décret publié dans le cadre de la loi POUR LA REFONDATION DE L’ÉCOLE , Claire LECONTE. lire
 
  • Rythmes de l’enfant : De l’horloge biologique aux rythmes scolaires à Dossier INSERM – 2001. Les rythmes physiologiques de l’enfant comme de l’adulte sont soumis à une horloge interne sensible aux variations écologiques et sociologiques de l’environnement. Toute désynchronisation de cette horloge peut avoir une incidence néfaste sur la santé. A cette question des rythmes biologiques se rattache une question d’actualité et d’importance, celle de l’aménagement du temps scolaire. A la lumière des études effectuées en psychophysiologie, que peut-on dire de l’influence des différentes formes d’aménagement des emplois du temps sur les performances des enfants ? C’est pour tenter de répondre à ces questions que la Canam (Caisse nationale d’assurance maladie des professions indépendantes) a demandé à l’Inserm de faire le point de la littérature internationale à travers la procédure d’Expertise Collective. lire 
 
  • Rythmes scolaires : adaptés à nos rythmes biologiques ? Une documentation proposée par la Cité des Sciences et de Industrie, lire
 
  • Rythmes scolaires : à la recherche du « tempo » perdu. Un dossier de vingt textes à télécharger librement sur le site du CRAP. lire
 
 

« N’ayons plus peur des mauvais élèves… », nous dit Serge BOIMARE

Après avoir animé en juin une journée de travail à Tours, Serge BOIMARE approfondit la réflexion à Chartres  et invite les enseignants à ne plus avoir peur des mauvais élèves, affirmantque « c’est sur eux que repose l’espoir d’améliorer l’école. » Cette conviction prend appui sur ses observations et
analyse de praticien qui pendant 45 ans a fréquenté ces « réfractaires à l’apprentissage ». Il décrypte l’empêchement de penser de ces élèves et bat en brèche quelques idées reçues sur l’aide à apporter. Il sera présent le mardi 7 janvier, au Lycée Diderot 61 rue David d’Angers à Paris 19e.

 N’ayons plus peur des mauvais élèves,

c’est sur eux que repose l’espoir de remonter le niveau de l’école

Serge BOIMARE
12 décembre 2013

 

45 ans de fréquentation des réfractaires à l’apprentissage pour en arriver à une idée dérangeante pour nos pratiques pédagogiques.

Au cours de cet exposé, je voudrais réussir à vous convaincre d’une seule idée. Une idée qui va peut être vous surprendre, et peut être même vous sembler bizarre, mais qui pour moi est une idée essentielle, si l’on veut imaginer un jour une école de la réussite pour tous. Cette idée la voici :  »
il ne faut plus avoir peur de nos mauvais élèves, c’est sur eux que repose l’espoir d’améliorer l’école ».

Je ne parle pas seulement de l’ambiance ou du climat général, mais bien d’une amélioration de notre rang dans les classements internationaux.

Pour ne pas que vous me preniez pour un farfelu ou un provocateur, je vais m’appuyer, pour tenter de le montrer, non pas sur des théories psychologiques ou psychanalytiques, encore moins sur les découvertes récentes des neurosciences, mais sur des observations simples, qui me viennent de 45 ans de pratiques pédagogiques, passés dans la fréquentation des enfants et des adolescents
réfractaires aux savoirs que leur propose l’école, de leur famille et de leurs professeurs.

Cette pratique, ces observations m’ont amenés à avoir trois certitudes que je vais soumettre à votre jugement critique et qui vont alimenter les trois parties de cet exposé.

La première certitude, c’est que l’école ne sait pas faire avec la difficulté d’apprentissage dès que celle-ci se montre sévère et résistante.

L’explication de ce manque d’efficacité me parait assez évidente :

A tous les niveaux et à tous les âges, l’école se laisse aveugler par les lacunes et les retards qu’elle veut combler en priorité. Elle n’arrive pas à voir ou elle ne veut pas voir, que derrière ces manques, deux fois sur trois, c’est la machine à apprendre qui est déréglée. Quand le moteur d’une voiture est en panne, il ne viendrait à l’idée de personne de continuer à mettre de l’essence dans le réservoir pour la faire repartir. Eh bien, c’est à l’image de ce que nous faisons pour aider les élèves qui ont des
difficultés persistantes.

  • Pourquoi cette absence de lucidité sur l’efficacité de nos remédiations ?
  • Pourquoi ces explications trop simples sur le mal dont souffrent ceux qui
    restent réfractaires aux savoirs de l’école ?

C’est ce que nous verrons dans la première partie de cet exposé.

Ma seconde certitude, sera le temps fort de cette conférence, je défendrai cette fois l’idée que les besoins essentiels des élèves les plus réfractaires aux apprentissages, sont d’excellents tremplins
pour améliorer la transmission des savoirs pour tous et pour favoriser le fonctionnement de la classe.

D’où cet espoir annoncé dès mon introduction de remonter dans le classement PISA, en proposant à tous, les besoins qui permettent de réconcilier les moins bons avec la classe et avec l’apprentissage.

En quoi consistent ces besoins ? Par quel miracle seraient-ils favorables à tous ? Est ce qu’ils mettent
nos meilleurs en danger ?

C’est ce que nous verrons dans la seconde partie.

Ma troisième certitude concerne cette fois les professeurs eux mêmes : l’institution devrait beaucoup plus soutenir ceux qui rencontrent ces situations paradoxales.

 – Etre professeur avec des élèves qui ne reçoivent pas votre message et qui bien souvent le conteste et le dévalorise, est terriblement déprimant et déstabilisant. Cela fait rapidement perdre la confiance en soi, casse le plaisir de la transmission et oblige à des postures anti pédagogiques pour se protéger.

Comment l’institution peut-elle prendre en charge ce soutien ?
Pourquoi tolère-t-elle que des professeurs travaillent ensemble sans se réunir ?
Comment le faire pour que cela reste compatible avec les budgets actuels ?
C’est ce que nous verrons dans la troisième partie.

Première certitude : l’école ne sait pas faire avec la difficulté d’apprentissage sévère, trop souvent elle la transforme en échec scolaire et en marginalisation.

  • Avec la difficulté passagère, ponctuelle, légère, l’école s’en sort plutôt bien et des résultats sont obtenus. Par contre, dès que le problème persiste après la mise en place d’aides et de soutiens personnalisés, rien ne va plus. Plus les années passent et plus les écarts avec les autres se creusent, surtout si cette difficulté remonte à un ratage dans l’acquisition des savoirs de base
    comme la lecture, l’écriture ou la maitrise des opérations. Le seul résultat visible dans nos statistiques, est toujours le même : l’école arrive au fil des années à transformer la difficulté sévère en échec scolaire et en marginalisation.

Ce n’est pas très gentil de dire des choses pareilles, surtout devant des professeurs, mais pour moi les statistiques sont là et elles sont cruelles : chaque année, 15% de jeunes gens, au moins, sortent de l’école sans maitriser les savoirs de base. Et je peux vous assurer, pour fréquenter régulièrement les adolescents qui n’arrivent pas à décrocher le Brevet des collèges que cela est vrai. Ils existent bel et bien ceux qui ne savent pas trouver l’idée principale d’un texte de cinq lignes quand ils lisent et qui ne
peuvent pas davantage enchainer deux arguments pour défendre une idée quand ils parlent.

Plus ils avancent dans leur scolarité et plus leurs professeurs se sentent démunis pour les aider dans cette acquisition des savoirs fondamentaux qui vont leur manquer tout au long de la vie.

Les réfractaires à l’apprentissage sont d’abord des enfants qui ne supportent pas la confrontation avec le doute.

Avant de penser à des solutions et de mettre en place des groupes de soutien personnalisés qui nous donne bonne conscience, il faut quand même se demander d’abord :

– Pourquoi 15% d’élèves échappent ainsi à notre présentation des savoirs ?

– Comment est ce possible, qu’à 14 ans certains ne parviennent toujours pas à acquérir le niveau scolaire d’un enfant de 9 ans ?

Manquent-ils d’intelligence ou de curiosité ? de motivation ou de concentration ? puisque c’est ce que nous entendons dire le plus souvent.

Non, ces réactions sont pour moi secondaires, je vais essayer de vous montrer qu’elles sont la conséquence d’un mal particulier que j’appelle   » l’empêchement de penser « .

Pour comprendre de quoi il s’agit, je vous engage à observer de plus près les stratégies d’apprentissage déployées par les enfants et les adolescents intelligents qui buttent sur les savoirs fondamentaux. Vous verrez alors qu’ils ont toujours un point commun : un malaise devant le temps du doute.

Même s’ils se présentent différemment, dans leur fonctionnement intellectuel, dans leur comportement en classe, dans leur façon d’apprendre et surtout de ne pas apprendre, ils ont toujours ce point en commun : écourter le temps de la réflexion. C’est à dire qu’à chaque fois qu’il doivent faire un retour à eux-mêmes, pour chercher, réfléchir, élaborer… parce qu’ils n’ont pas la réponse immédiate à la
question posée, nous les voyons utiliser des moyens divers et multiples, pour réduire ce temps  essentiel de  l’apprentissage. L’agitation, le retrait, la provocation, l’auto dévalorisation, étant les moyens les plus couramment utilisés pour cet évitement.

En fait nous devons comprendre que ces troubles du comportement jouent un rôle protecteur pour ces enfants.

Ils sont surtout là pour les aider à échapper à la déstabilisation identitaire, provoquée par les contraintes de l’apprentissage qui remettent en cause leur fonctionnement habituel. Même si nous n’en percevons que les signes les plus superficiels, cette déstabilisation est plus profonde qu’elle n’en a l’air. Elle
s’accompagne souvent d’un réveil de peurs infantiles, voire même parfois par l’arrivée d’angoisses archaïques chez ceux qui sont le plus en difficulté.  Ces infiltrations parasites  finissent par entraîner un dégoût de l’étude et une véritable peur d’apprendre.

Il va donc être nécessaire pour ces enfants de faire barrage à ce dérèglement et c’est ici que nous les voyons inventer des stratégies anti pensée de plus plus invalidantes pour l’apprentissage.

C’est ce scénario j’appelle «  l’empêchement de penser  »
Il représente pour moi la meilleure explication au blocage des enfants intelligents devant les savoirs de base.

Comment en arrivent-ils à l’empêchement de penser ?

Pour être plus précis dans mes explications et réussir à vous convaincre de cette idée, je vous dirais que l’empêchement de penser se met en place en quatre étapes, que je résume ainsi.

Première étape :

Des enfants arrivent à l’école, sans avoir mis en place lors de leurs premières expériences éducatives, les  compétences psychiques qui sont indispensables à l’apprentissage. Ils ne sont pas capables d’admettre leurs manques, de savoir attendre, de respecter des règles, de supporter un moment de solitude .

Les insuffisances éducatives qui produisent ce résultat sont repérables. Je peux vous citer les trois plus fréquentes qui ne vous surprendront pas :

1 – une initiation insuffisante à la frustration

2 – un manque d’interaction langagière

3 – pas de préparation à l’autonomie

Deuxième étape :

Comme on peut s’y attendre, ces enfants se font bousculer par les contraintes de l’apprentissage.

Elles provoquent une remise en cause excessive de leur fonctionnement psychique habituel. Elles viennent réveiller chez eux des peurs, des inquiétudes infantiles, des idées de dévalorisation ou de persécution.

Ce parasitage accentue encore si besoin en était, la perturbation du fonctionnement intellectuel nécessaire à l’apprentissage.

Troisième étape :

L’école ne veut voir que les conséquences de cette difficulté. Elle propose des aides et des soutiens, avec un cadre relationnel amélioré certes, mais toujours pour combler, rattraper, entrainer plus, donner de la méthodologie. C’est surtout ce qu’il ne faut pas faire avec ces enfants. Ils sont alors poussés à
deux actions de verrouillage :

1 . l’opposition, avec contestation et dévalorisation des savoirs pour justifier leur démission et leur incapacité à apprendre.

2 . l’utilisation de stratégies anti pensées pour se protéger.

C’est ici que nous basculons dans la quatrième étape : au cours de laquelle nous allons voir ces enfants, mettre en place deux barrières à la pensée qui se complètent et se renforcent l’une l’autre.

Le premier barrage est le plus superficiel :

Il consiste à saborder le temps de confrontation avec le doute, en utilisant à l’excès des idées d’auto dévalorisation et de persécution. Le mécanisme chez certain est tellement fort et répétitif que l’on peut parler de véritable phobie du temps de suspension.

Le second barrage est le plus grave et le plus profond :

Il est marqué par un rééquilibrage identitaire progressif induit par l’évitement de penser. C’est ce qui va influencer négativement le comportement, la curiosité, le langage et surtout les stratégies d’apprentissage qui ne vont plus évoluer normalement. C’est d’ailleurs ce qui permet aux professeurs de
repérer, de différencier dans les difficultés à apprendre celles qui sont la conséquence d’un empêchement de penser.

Comment reconnaitre l’empêchement de penser ?

Le phénomène est facile à repérer pour un professeur, car il vient perturber les quatre points d’appuis essentiels pour apprendre.

Le comportement d’abord : dès qu’il y a remise en cause (et la confrontation avec le doute est ici remise en cause), le relais est très vite passé au corps.
L’agitation, l’instabilité, la violence, l’endormissement, les troubles psychosomatiques…. sont très fréquents.

Le langage ensuite, qui sans l’appui de la pensée ne parvient pas à franchir le stade de l’argumentaire.

La curiosité aussi est particulière : elle ne peut pas se décentrer ni encore moins se sublimer. Elle reste en prise avec des préoccupations personnelles et infantiles qui freinent l’accès à la règle et à la loi.

Et enfin le plus grave : les stratégies d’apprentissage se développent de façon à ne pas s’appuyer sur la boucle réflexive. Le conformisme, le souci d’immédiateté, la rigidité mentale, l’inhibition intellectuelle…. s’installent et conduisent à l’échec scolaire.

Seconde partie – seconde certitude : les besoins des empêchés de penser pour se réconcilier avec l’apprentissage sont excellents pour les autres aussi et favorisent le fonctionnement de la classe.

Que proposer à ceux qui supportent aussi mal les contraintes de l’apprentissage ?

– Est-ce raisonnable, d’espérer les intégrer aux activités de la classe sans réduire les exigences dont les autres ont besoin ?

– Je voudrais vous démontrer maintenant que les besoins des empêchés de penser pour se remettre dans le sens de la marche et se réconcilier avec l’école sont excellents pour tous, y compris pour nos meilleurs élèves car ces besoins n’ont rien à voir avec du rattrapage, ni encore moins avec un appauvrissement des savoirs puisqu’il s’agit :

            1 – de nourrissage culturel

2 – d’entrainement à argumenter

3 – de savoirs qui prennent du sens et de la force en étant reliés aux questions humaines fondamentales.

Si nous nous appliquons à répondre à ces 3 besoins, nous allons vérifier que non seulement ils permettent de raccrocher les plus démunis aux intérêts du groupe en quelques jours, mais qu’ils enrichissent aussi les possibilités d’apprendre de tous et qu’ils favorisent le fonctionnement de la classe

I – Premier besoin : d’abord du nourrissage culturel pour enrichir et sécuriser les représentations.

a) Pourquoi le nourrissage culturel ?

Le but du nourrissage culturel avec les empêchés de penser peut être résumé simplement : il faut leur donner les moyens de résister aux sentiments parasites qui se déclenchent trop vite, dès qu’il y a confrontation avec le doute.

 – Comment pourraient-ils comprendre le sens d’un texte ou d’un problème s’ils doivent affronter d’un même pas des peurs infantiles ou des idées de persécution ?

– Le nourrissage culturel va être là et c’est son premier rôle : fournir des mots et des images qui vont sécuriser les représentations et les rendent fréquentables.

b) Comment faire pour que le nourrissage culturel enrichisse et sécurise les représentations?

Pour faire ce travail je compte d’abord sur la lecture à voix haute de récits qui vont présenter trois qualités.

1 – Réussir à capter l’intérêt d’enfants et d’adolescents peu concernés par la classe en mettant des mots sur des préoccupations personnelles qu’ils n’ont jamais réussi à formuler et dont ils n’arrivent pas à se dégager.

2 –  Présenter des situations et des personnages aux intentions suffisamment claires et organisées, avec un vocabulaire adapté à la lecture à haute voix, pour les aider à faire de l’image avec le mot entendu, car le défaut le plus grave des empêchés de penser est bien celui-ci : ne pas savoir faire de l’image avec le mot entendu.

3 –  Mais ce n’est pas encore suffisant. Ces deux qualités doivent être complétées par une
troisième.

Après avoir approché les interrogations personnelles, il faut aussi que le texte réussisse à les mettre en lien avec les préoccupations humaines fondamentales, sache trouver le fil pour les universaliser. C’est à cette condition que les inquiétudes et les émotions excessives s’apaiseront et deviendront fréquentables.

c) Le rôle clef des textes fondamentaux :

Les textes fondamentaux qui sont au programme de toutes les classes, chez les grands comme chez les petits sont formidables pour l’exercice. C’est la botte secrète dont disposent les professeurs dans leur arsenal pédagogique.

– Qu’il s’agisse de contes ou de récits mythologiques,
– de textes fondateurs des religions ou des civilisations,
– de romans initiatiques ou historiques,

Qu’ils prennent la forme de poésies ou de théâtre, de fables ou d’épopées ….
On peut toujours compter sur eux pour réussir à donner une forme et à contenir dans une histoire, ces émotions ou ces sentiments excessifs qui font disjoncter la pensée de certains.
Comme on peut compter sur eux aussi pour stimuler l’envie de savoir et l’intérêt pour la classe de nos meilleurs élèves.
Je conseille donc cette lecture des textes fondamentaux 15 à 20 minutes tous les jours.

d) Le nourrissage culturel est-il compatible avec le respect des programmes ?

Est-ce que consacrer du temps chaque jour à la lecture à haute voix des textes, fussent-ils fondamentaux, ne va pas nuire à l’organisation de la classe et au respect des programmes ? L’expérience nous montre, que non seulement cette lecture ne freine pas l’apport des savoirs mais qu’elle le facilite grandement.

Elle donne à chacun des questions, des images qui l’intéressent et stimulent sa pensée.

Elle donne à tous un patrimoine commun qui rassemble et qui permet de fonctionner ensemble, en évitant la marginalisation de certains, cause principale du décrochage et du dysfonctionnement de nombreuses classes hétérogènes.

J’ai d’ailleurs du mal à comprendre comment pourrait fonctionner une classe dans laquelle se trouvent des élèves de niveau et de culture différents, si nous ne leur donnons pas des références communes, qui les rapprochent, qui favorisent la communication et qui leur permettent de vivre ensemble.

Au moment où l’on se prépare tous à renouer avec la morale laïque ces textes qui savent faire comprendre à travers un récit, le rôle de la loi, de la sagesse, de l’interdit, qui savent mettre en histoire l’importance de la solidarité, de la persévérance, du respect de la tradition, facilitent l’approche de ces
grandes questions avec des enfants et des adolescents, surtout quand ils sont issus de cultures différentes.

II – Le second besoin des empêchés de penser, c’est d’être entrainés à argumenter et débattre. Si l’on veut qu’ils se réconcilient avec l’apprentissage, il faut les mettre en situation d’utiliser leurs capacités réflexives d’abord, pour les amener au langage argumentaire, ensuite

a) Comment faire cet entrainement ? :

Sur cette base nouvelle d’images et de thèmes apportés par le nourrissage culturel, nous allons disposer d’un support formidable pour l’exercice.

Avec ce matériel riche, nous allons mettre en place une activité régulière d’expression orale (20 mn chaque jour) et d’expression écrite (20 mn aussi).

Activité au cours de laquelle chacun va être sollicité, pour faire part de ce qu’il a compris après la lecture à haute voix et pour donner son avis sur une question mise en débat.

b) Argumenter pour utiliser les capacités réflexives :

C’est comme cela que nous allons pouvoir remettre les empêchés de penser dans une position active, indispensable à leur intégration aux travaux et projets de la classe.

Selon moi, on ne peut pas faire mieux pour les initier, les encourager, les habituer à utiliser leurs capacités réflexives que de les entrainer à argumenter en confrontant leur point de vue à celui des autres.

Après la lecture d’un texte fondamental qui les a nourrit mais qui a souvent bousculé les certitudes, les sujets de débats ne manquent pas. Ils se dégagent d’eux mêmes quand les élèves remettent de l’ordre dans ce qu’ils ont entendu.

Je vous cite les dix derniers sujets de débats auxquels j’ai assisté, dans les classes que je vois ainsi fonctionner :

* Après la lecture de « la Belle au bois dormant » :

– Vaut-il mieux dormir 100 ans ou mourir de suite ?

– Les qualités demandées à une princesse sont-elles les mêmes que celles demandées à
un prince ?

– Faut-il toujours écouter le plus vieux ?

Après la lecture du « feuilleton d’Hermès » :

– Est-ce que tout savoir sur tout rend heureux ?

– Est-ce bien de connaitre l’avenir ?

– Faut-il connaitre le passé ?

– Comment se désigne le chef d’un groupe ?

* Après la lecture de « Pinocchio » :

– Doit-on parfois mentir ?

– Peut-on apprendre à lire en un jour ?

– Comment prouver sa valeur ?

c) Apprendre à débattre pour accéder au stade du langage argumentaire.

A condition de faire cet entrainement tous les jours, deux trimestres suffiront pour aider « les empêchés de penser » à accéder enfin au stade du langage argumentaire. Etape clef, nous le savons tous, pour espérer maitriser les savoirs fondamentaux et en arriver à une lecture efficace.

Mais, pour les aider à utiliser normalement leurs capacités réflexives, l’expérience montre que le chemin peut être encore long. Bien souvent il faut entre 6 mois et 2 ans d’apport culturel et d’entrainement langagier réguliers, pour se débarrasser de la phobie du temps de suspension.

Ne nous laissons pas impressionner par ces délais. Sortons de l’immédiateté pour ne pas faire comme nos élèves, 2 ans c’est long, mais c’est peu au regard d’une scolarité de 14 ans parfois, qui s’achève sans la maitrise des savoirsfondamentaux.

d) Cet entrainement est-il compatible avec le respect des programmes ?

Est-ce que favoriser l’expression et l’entrainement à argumenter à ce point (je rappelle 20 minutes à l’oral et 20 minutes à l’écrit), reste compatible avec les instructions officielles ?

Voici ma réponse

Ce n’est pas parce que les activités d’expression personnelles sont les grandes sacrifiées de nos pratiques pédagogiques, quelles ne figurent pas dans les recommandations faites aux professeurs et ceci depuis toujours.

Les directives du socle commun sont claires sur le sujet. Elles parlent même de mission prioritaire de l’école qui doit être travaillée dans chaque discipline pour préparer les élèves à devenir des citoyens actifs et responsables et des adultes autonomes.

Je suis pleinement d’accord avec cette idée et cette demande et je rajoute que le moment réservé à l’entrainement à communiquer et débattre est le creuset où se travaille toutes les compétences nécessaires pour bien apprendre et bien penser.

On ne peut que regretter que ces activités aient été si décriées ces dernières années.

Souvent d’ailleurs par des politiques ou des journalistes qui ne connaissent rien aux élèves en difficulté et qui ont assimilé cet entraînement à la communication à une valorisation de la spontanéité et de la parole des enfants au dépens de celle du maître et des savoirs.

Ces critiques absurdes ont eu de l’effet, elles ont remis en scelle, !depuis une dizaine d’années, les activités de rattrapage . Elles ont culpabilisé les enseignants qui ont recentré leurs efforts sur les connaissances qui font l’objet des évaluations.

C’est une erreur regrettable qui prive ces jeunes gens du ressort le plus efficace pour les réconcilier avec l’apprentissage qu’est la remise en route de leurs capacités réflexives et qui les marginalise.

Ils viennent d’ailleurs d’en payer le prix avec un écart de plus en plus grand remarqué dans les classements Pisa entre eux et les meilleurs.

III – Quand au troisième besoin des empêchés de penser, il ne peut que s’avérer favorable à tous puisqu’il s’agit de donner de la force et du sens aux savoirs, en les reliant aux questions humaines
fondamentales 

C’est comme cela que nous allons pouvoir  récupérer l’envie de savoir de ceux qui veulent apprendre avec une curiosité qui n’a toujours pas décollée des intérêts personnels et infantiles, même quand ils sont à l’âge de l’adolescence.

C’est comme cela que nous allons pouvoir vérifier que les textes fondamentaux, surtout quand ils ont été discutés, fournissent un tremplin formidable pour donner des racines aux savoirs fondamentaux.

Je vous assure qu’apprendre à lire ou à parler, à écrire ou à compter; à faire de l’anglais ou des sciences, avec Ulysse ou Athéna, avec Blanche Neige ou Moïse, avec Pinocchio ou Robinson, offre une chance nouvelle de retrouver l’intérêt pour la classe et de relancer le fonctionnement intellectuel de ceux qui
freinent pour apprendre.

Quant à nos meilleurs élèves, on voit mal comment et pourquoi, ce lien entre les savoirs et un apport culturel pourrait les gêner. L’expérience montre, que cette façon de faire les stimule et leur permet de donner toute leur mesure.

J’en arrive à ma troisième certitude qui sera aussi ma troisième idée avant de conclure : L’empêchement de penser est contagieux.

La fréquentation des empêchés de penser est redoutable pour le professeur : les risques de contagion et de contamination sont réels.

– On ne peut pas impunément appauvrir le contenu de ses cours, simplifier son message et se voir encore contesté, sans en payer le prix.

– Le plaisir de la transmission repose pour beaucoup sur la stimulation de la capacité réflexive des élèves, sur la mise en route de leur questionnement, qui relance celui du professeur.

Comme avec les empêchés de penser ce ressort est cassé, parfois même, nous l’avons vu,  perverti et dénaturé, puisqu’il  favorise l’apparition de troubles du comportement dans la classe. Le métier prend alors une toute autre dimension. Le risque est grand pour le professeur, de ne plus être lui-même engagé dans l’activité de penser pendant ses cours. Il ne peut plus alors se montrer en modèle du fonctionnement intellectuel à ses élèves.

Le ressort de l’identification, si important dans l’apprentissage est perdu, ce qui va encore compliquer la transmission.

C’est souvent ce qui conduit le professeur à se protéger pour survivre, derrière les défenses habituelles, que sont l’autorité excessive ou la démagogie.

Pour lutter contre ce risque

– La seule solution est d’engager chaque professeur dans une réflexion régulière sur la pratique pédagogique.

– Elle devrait avoir lieu, chaque semaine dans chaque école et faire partie des emplois du temps.

– Il est quand même très étonnant de voir des lieux d’enseignement sensibles où la cohésion des adultes est indispensable, fonctionner sans temps de concertation  sur les pratiques
pédagogiques, voire même sans temps de coordination des actions quand on est plusieurs à enseigner avec les mêmes élèves.

Au moment où l’on cherche à relancer la formation des professeurs, il y a pour moi à mettre en place une action prioritaire qui ne  coûterait pas chère :

– la co-réflexion entre professeurs.

– On ne peut pas faire mieux pour améliorer sa pratique pédagogique que de l’enrichir de celles des autres.

– On ne peut pas faire mieux pour trouver le plaisir
d’enseigner que d’expérimenter à plusieurs et de se comparer.

– On ne peut pas faire mieux pour améliorer la cohésion groupale d’une classe difficile que de présenter aux élèves, le modèle d’adultes qui se concertent et se soutiennent.

Pour moi, la meilleure des formations, c’est la co formation, deux heures hebdomadaires devraient lui être consacrées dans l’emploi du temps de chaque professeur.

Si un jour nous le faisons, il  sera alors facile de vérifier que l’heure de culture humaniste journalière  que je préconise pour les élèves, facilite ces rencontres entre professeurs et réactivent le plaisir de penser la
pédagogie, même quand elle est mise en difficulté.

Pour conclure, je poserai  trois questions.

Trois questions qui me paraissent être au cœur de ces divergences qui freinent l’évolution de notre école vers la réussite de tous.

* Première question : Est-ce que différer dans le temps, ces aides et ces soutiens qui piétinent, pour les remplacer par des activités culturelles et langagières, qui ont pour visée de stimuler la curiosité et de structurer la pensée de tous, fait courir un risque à nos élèves décrocheurs, ou leur donne enfin la chance de mieux s’en sortir ?

 * Deuxième question : Est-ce que consacrer une heure journalière à faire du nourrissage culturel et de l’entrainement à argumenter pour donner du sens à l’apprentissage, fait courir un risque à nos savoirs disciplinaires ou leur offre au contraire une chance de retrouver la vigueur dont ils auraient besoin en ce moment ?

* Troisième question : Est-ce que dire aux professeurs, que leurs meilleurs formateurs ce sont eux-mêmes, à condition qu’ils se réunissent deux heures chaque semaine, pour analyser leur pratique et expérimenter ensemble, fait courir un risque de dérive à notre cadre pédagogique ou offre une chance de relancer le plaisir du métier qui semble manquer cruellement depuis quelques
années?

En tout cas, je dirais que si nous souhaitons réellement une école de la réussite pour tous, il faudra changer certaines de nos certitudes qui ont fait la preuve de leurs limites.

Rencontres accompagnement 2012

5ème Rencontres Nationales
Saint Denis, le 17 mars 2012

Quelles relations établir entre Familles/Ecole/Quartier, pour une véritable dynamique éducative ? 

Telle était la question posée à ces Rencontres  et travaillée par les 150 participants : enseignants, parents, chercheurs, étudiants, associations, collectivités locales.

Partant du constat que bien que reconnus comme partenaires par les textes depuis plus de vingt ans (loi d’orientation de 1989), les parents peinent à trouver leur place à l’école, il s’agissait d’éclaircir les
rôles respectifs, d’œuvrer à la reconnaissance mutuelle, de changer le regard et les façons de faire, d’informer  mais aussi de promouvoir le potentiel éducatif des parents.

Entre conférences et ateliers, les participants ont abordé :

– Les logiques de socialisation familiale et le rapport à la scolarité dans les familles populaires (Pierre PERIER)
Le sociologue  a rappelé que tous les parents ont besoin d’investir l’école et souhaitent la réussite de leurs enfants mais ils peinent à trouver la bonne distance avec les enseignants. Il y a une attente légitime de respect et de reconnaissance mutuels mais en l’absence d’explicitation d’accords possibles, ces familles se tiennent à distance  ne sachant pas exactement quel rôle l’institution scolaire leur attribue. Si elles souhaitent suivre la scolarité de leurs enfants, elles se sentent parfois démunies (suivi des devoirs) et fluctuent entre méfiance et fatalisme. Pourtant des solutions existent par la création de collectifs parents/enseignants pour clarifier la délimitation des rôles respectifs, la clarification des règles d’échanges, l’explicitation  des enjeux d’apprentissage.

– Les devoirs à la maison (Patrick RAYOU)
On le sait, les devoirs à la maison (cf. initiative FCPE, ICEM « Ce soir, pas de devoirs ! »: http://cesoirpasdedevoirs.blogspot.fr) sont un temps qui cristallise les tensions dans les familles entre
enfant/parents/école. Implicitement, les enseignants supposent que les élèves sont capables de répondre à la demande de l’enseignant à ce sujet, donc de travailler seuls le soir à la maison. Sans trop savoir à quoi servent les devoirs, chacun s’acquitte de la tâche dans des conditions inégales selon les
milieux sociaux et le malentendu s’installe entre les parents de milieux populaires dont la représentation du travail scolaire est souvent éloignée des attendus de l’école actuelle. Patrick Rayou s’interroge sur la
« déscolarisation » de certaines activités scolaires  (sous la forme de devoirs) qui peut apparaître comme un aveu d’échec de l’école. Il serait nécessaire de créer des espaces pour échanger sur la continuité dans/hors la classe pour installer la synergie entre les différents acteurs.

– Dans les différents ateliers, les récits d’expérience, la présentation de projets de quartier ou d’école, des pratiques pour organiser les rencontres ont permis d’explorer des pistes pour faire se rencontrer les familles, l’école, les associations de quartier dans la perspective d’œuvrer à la reconnaissance mutuelle, valoriser l’expérience éducative des parents, clarifier les attendus, impulser des dynamiques éducatives.

La journée s’est achevée sur une table-ronde sur le thème « Famille/Ecole/Quartier : quelles ambitions pour une autre politique éducative ?
Animée par Patrick PICARD, responsable du Centre Savary de l’IFE (ex INRP)

Avec :

–  Jacques BERNARDIN, Président du GFEN,
–  Alain BOCQUET, Secrétaire national de l’ANDEV,
– Régis FELIX, Responsable du réseau école, ATD Quart Monde,
–  Jean Jacques HAZAN, Président de la FCPE
–  Claire KREPPER, Secrétaire nationale Education du SE-UNSA,
–  Sébastien SIHR, Secrétaire national du SNUIPP

Des différentes interventions, il ressort la nécessité de reconnaître les parents comme des partenaires à part entière, de la nécessaire formation des enseignants sur la relation aux familles, de réunir tous les acteurs de l’éducation dans le cadre d’un « projet éducatif local ».

Jacques BERNARDIN propose d’organiser un partenariat  état/ enseignants/ collectivités locales où les rôles seraient complémentaires  autour d’un projet « d’éducation-promesse d’avenir » tant sur le plan individuel que sur le plan collectif :

 « Pour réhabiliter les élèves et les parents, en haute estime il faut que les enseignants aient reçu une formation exigeante, et que tous les parents aient dans la société un droit à une vraie place avec reconnaissance symbolique, valorisation de leur apport éducatif spécifique ».

LIRE aussi le reportage du Café Pédagogique, Expresso du 19 mars 2012

Devoirs ou travail personnel

Journée thématique FCPE à Paris, 31 mars  2012

Devoirs ou travail personnel ?

 

Jacques BERNARDIN

Equipe ESCOL- Circeft, Université Paris 8

Président du  GFEN

 

I/ Les devoirs, d’hier à aujourd’hui

 1)   Une histoire ancienne

Les écoliers ont toujours fait des devoirs, semble-t-il, comme en atteste un fragment de
tablette écrite à Sumer il y a environ 4 000 ans :

« … ils m’ont donné mon travail écrit. Je suis rentré chez moi… J’ai lu ma tablette et mon père était
content… « Réveille-moi tôt demain. Je ne dois pas être en retard, sinon mon maître me fouettera ». Je suis arrivé avant mon maître. Je l’ai salué avec respect. Mon maître a dit : « ton écriture n’est pas bonne » et il m’a fouetté. Il m’a dit : « tu n’as pas bien pratiqué l’art du scribe ».[1]».

 2)   L’externalisation du travail scolaire.

Jusqu’à la fin du 19è siècle, dans l’enseignement secondaire, les cours duraient deux heures et le travail aujourd’hui nommé « du soir » se faisait dans le cadre scolaire, avec l’aide de répétiteurs qui encadraient les élèves hors de la classe et notamment à l’étude.

Le raccourcissement des heures de cours et l’expansion des programmes ont contribué à externaliser le travail de l’étude, jugé nécessaire pour poursuivre et parfaire les apprentissages initiés dans l’école. Avec l’ouverture du Secondaire et le prolongement des cursus, l’école primaire a vu elle aussi ses
exigences augmenter, afin de préparer tous les élèves au collège. Le travail du soir s’est banalisé, gage de sérieux pour beaucoup de parents (et d’enseignants), dans la conviction qu’il était indispensable pour asseoir les apprentissages, tout autant que lien d’information entre les deux instances.

 3)  Le cadrage institutionnel, nécessaire mais insuffisant

Censé aider les élèves, il ne répond que très inégalement à cette ambition. On le sait depuis longtemps… mais les pratiques résistent aux textes. Faisons un petit rappel historique.

Dans les années 50, Robert Gloton (ancien Président du GFEN), alors qu’il était Inspecteur de l’Education nationale dans l’Eure, fait une étude montrant l’inefficacité et l’injustice du travail du soir. Sur cette base, il rédige un rapport au Ministère qui sera à l’origine de l’arrêté de 23 novembre 1956 interdisant les devoirs à la maison dans toutes les écoles primaires[2]. Mais on sait que les habitudes vont perdurer…

En 1994, le Ministère de l’Education nationale tente de clarifier la situation et crée les études dirigées dans le primaire. « Les maîtres aident les élèves à intégrer diverses méthodes et à mieux les utiliser à bon escient. Ils contribuent ainsi à développer leurs capacités d’attention, d’organisation et de réflexion (…) dans ces conditions, les élèves n’ont pas de devoirs écrits en dehors du temps scolaire ». On sait ce qu’il en est advenu depuis.

Fin 2004, Dominique Glasman constate dans son rapport au Haut Conseil à l’Evaluation de l’Ecole que « 80 à 90 % des enseignants prescrivent régulièrement des devoirs à la maison, y compris à l’écrit, surplus à une journée déjà chargée, pratique au bénéfice contestable et aux effets discriminatoires accrus »[3].

Depuis, rien de nouveau… Les parents haussent le ton, étouffés par ces « devoirs ».

II/ Les parents face aux devoirs

1) Le temps qu’ils y consacrent…

Selon une enquête réalisée par l’INSEE en 2004, l’aide apportée par les parents est, en moyenne, de 19H par mois (30 minutes de plus qu’au début des années 90). Elle est plus importante au primaire et début de collège qu’après (14 H par mois au CP ; 4 H en Première-Terminale). La mère consacre en moyenne plus du double du temps que le père, tous milieux sociaux confondus, avec des différences selon les niveaux d’études.

Du côté des élèves, le temps consacré au travail du soir varie (selon une étude de 1995) au CP de 12 à 27 minutes pour les plus lents et, en CM2, de 22 à 45 minutes.

2) Un suivi inégal selon les familles

Selon une étude réalisée en 2009 à l’initiative des étudiants de l’AFEV auprès de 400 élèves accompagnés dans leur scolarité[4], 61 % des élèves déclarent que leurs parents leur demandent « tous les jours » s’ils ont des leçons ou devoirs à faire ; 28 % quelquefois et 12 %  jamais (soit près de 40 %). « Pour autant, ces parents (…) ne se sentent pas armés pour aider leurs enfants à les faire » : 24 %
affirment être souvent aidés, 35 % parfois et 41 % sont rarement voire jamais aidés par leurs parents (49 % au collège).

On note un fréquent sentiment d’incompétence chez certains parents. Dès le primaire, un sur cinq a l’impression de ne pas avoir les connaissances nécessaires. Plus de la moitié des mères sans aucun diplôme se sentent dépassées dès l’école élémentaire, avec une difficulté à « suivre » les contenus scolaires (au-delà des fondamentaux) et le sentiment fréquent d’un décalage par rapport aux méthodes utilisées.

3)  La nature des aides

On sait que prévaut souvent un modèle « 3è République » dans les familles populaires, plus tourné vers la mémorisation que vers la compréhension, conception qui a des incidences sur les conseils prodigués à l’enfant et sur la conduite du travail du soir. Certaines modalités d’accompagnement peuvent être contre-productives, oscillant entre confiance exagérée et travail en plus voire harcèlement[5]. C’est souvent en termes de surveillance et de contrôle que le suivi scolaire est assuré au quotidien, les enfants prenant alors l’habitude de ne faire leur travail « que si on est derrière ».

L’aide des parents de milieux favorisés n’est pas de même nature, est moins crispée sur la réalisation du travail que sur son sens. Ces parents interviennent plutôt du côté de la médiation culturelle (sorties, lectures, visites, consultations documentaires, recherche en bibliothèque, etc.), la contextualisation
de ce qui a été appris à l’école (pratiques sociales de référence, lien avec le quotidien ou le passé…) et les mises en relation. Au lieu d’être dans une incitation à « liquider les devoirs » au jour le jour pour se mettre en règle avec l’école (pouvant aller jusqu’à les faire à la place de l’enfant), ils aident à anticiper, planifier le travail et fournissent si besoin un appui méthodologique (usage du manuel, relecture de la leçon, recherche dans les dictionnaires, encyclopédies ou atlas, etc.).

Cette différenciation des aides, en décalage ou en en phase avec les attendus scolaires redouble les discriminations. Cela peut à pour certains – suppléer ce que l’école n’a pas assuré : sens et légitimation des contenus travaillés, renforcement de la compréhension, techniques de travail et organisation dans la
temporalité… Un tel étayage accroit la responsabilisation de l’élève, la confiance en lui et une autonomie croissante face aux études.

Outre le fait que les inégalités scolaires se creusent jusqu’à l’insupportable, les parents à y compris les plus en connivence avec l’univers scolaire à n’en peuvent plus d’y  consacrer une telle énergie et d’avoir
le sentiment de « devoir faire l’école à la place de l’école »…

III/ Quel contenu des devoirs ? Sens, pratiques… et effets

 1) Ce qui est donné : quels problèmes récurrents ? 

Le travail à la maison est souvent trop long. Une étude de la DEP menée il y a dix ans sur le métier enseignant montrait que beaucoup de professeurs attendaient de leurs élèves un temps de travail hors classe disproportionné avec le travail que les élèves, même consciencieux, pouvaient réellement fournir (surtout au collège).

Par ailleurs, le sens des devoirs ne semble pas toujours clair. Une étude menée sur un quartier populaire[6] révélait que ce travail était perçu comme une perte de temps voire une punition pour 25 %  des élèves interrogés, que cela ne servait qu’à faire son métierd’élève en attendant les parents pour plus de 15 %. Pour les 60 % restants, cela permettait de poursuivre le travail engagé en classe, sous des
formes différentes : à mémoriser les notions pour 45,5% ; à mieux les comprendre pour 13,5 %.

Pour les enseignants, quelle est la fonction de ce travail : renforcement, illustration, réinvestissement ou préparation du cours ? Quel usage en est fait en classe ? Est-ce contrôlé ou pas ? Obligatoire ou
facultatif ? Il subsiste beaucoup d’implicites sur les attendus : que faut-il réellement savoir ?… Ne serait-il justifié que parce que les parents en demandent ?

Le travail du soir accroît les tensions école/famille alors qu’il est censé les réduire. Exigeant une mobilisation journalière après leur propre travail, les parents ne comprennent pas toujours ce qui est
demandé, sont parfois en conflit avec leur enfant parce que « ce n’est pas comme ça que la
maîtresse a expliqué »
ou sont en difficulté face à ses demandes (« Tu peux même pas m’aider ! »),
ce travail du soir exaspère… y compris les parents enseignants !

Pour les parents de milieu populaire, si l’école est perçue comme « moyen de s’en sortir », il n’est pas facile d’y entrer. Plusieurs facteurs pourraient l’expliquer : blocage vis-à-vis d’une institution perçue comme « territoire étranger et défendu » ; eux-mêmes disqualifiés par l’école, ils ont du mal à
se penser comme acteurs importants de la réussite scolaire de leur enfant et préfèrent rester à l’écart. Une constante : l’auto-dévalorisation de leurs capacités et potentialités éducatives, qui les amènent souvent à déléguer le suivi à l’école ou aux dispositifs d’accompagnement à la scolarité.

 2) L’accompagnement à la scolarité : pratiques et effets…

Servant la pacification des relations dans la famille, l’accompagnement à la scolarité a une fonction réparatrice pour certains élèves, qui apprécient la bienveillance et la disponibilité d’un adulte compétent. Cet espace tiers, soulagé des impératifs scolaires comme de l’impatience parentale, permet de
reprendre confiance en soi et de se réconcilier avec l’univers scolaire. On note moins de refus ou de rejet de l’école, un recul de l’absentéisme chez ceux qui en bénéficient, ce qui n’est pas rien.

Au-delà de ce rapport à l’école plus serein, qu’en est-il sur le plan des apprentissages ? Selon la synthèse de D. Glasman en 2004, « pour une part non négligeable des enfants et des adolescents, l’accompagnement scolaire est loin de faire la preuve de son efficacité en termes d’appui au travail ». Selon lui, « si on centre sur les résultats scolaires, c’est-à-dire l’amélioration des acquisitions, globalement, la fréquentation de l’accompagnement à la scolarité ne se traduit pas par des
progrès notables »
(p.129-131). Bruno Suchaut, sur la base des études menées par l’IREDU de 2001 à 2003, fait le même constat. « A caractéristiques scolaires et sociales comparables, l’effet global de l’accompagnement à la scolarité est assez ténu : en moyenne, les élèves ayant fréquenté un dispositif, quelle que soit sa configuration, ne progressent pas différemment des autres élèves comparables (non pris en charge dans les dispositifs). »…
Et parfois même, on note des effets négatifs ! [7]

Pourquoi ? Il apparaît qu’en tendance, l’aide au travail du soir s’inscrit dans une logique de réussite plus que dans une logique de compréhension. Il s’agit pour les élèves à et souvent pour ceux qui les aident – de faire les devoirs, de les « liquider » selon la formule consacrée, et non d’en profiter pour saisir l’enjeu des tâches et mieux comprendre les notions en jeu. Ce qui conduit à une reconfiguration et à un balisage des tâches qui rétrécit le travail intellectuel : on explique ou on montre au lieu d’inciter à
chercher, à mettre les paramètres en relation, type d’aide qui laisse peu de traces et ne modifie en rien la posture face à l’étude.

De l’avis de plusieurs partenaires éducatifs impliqués dans l’aide aux devoirs, les principaux obstacles pour les élèves sont : la compréhension des notions censées être apprises à l’école (avant d’être révisées ou réinvesties hors l’école) et la question du sens (sens du travail à effectuer et, plus largement, sens de ce qui se fait et s’apprend à l’école)…

IV/ Faut-il supprimer tout travail après l’École ?

Est-il nécessaire pour les élèves de travailler après l’école ? Critiquer l’existant l’empêche pas de
s’interroger sur la fonction de ce travail personnel, dont on sait la part augmenter tout au long du cursus scolaire.

 1) Quelle fonction pourrait avoir le travail du soir ? En quoi serait-il indispensable ?

Contribuer à la maîtrise des contenus.
Reprendre et stabiliser les connaissances, parfaire la compréhension des notions étudiées en classe par des exercices et des réemplois créatifs : opérer le passage du comprendre au s’approprier (intégrer,
incorporer, faire sien : ce qui est historiquement à l’origine de l’introduction des « devoirs » du soir… MAIS en s’assurant que la notion a été antérieurement comprise à l’école !)

  • Construire des dispositions pour l’étude.
    Apprendre à devenir « étudiant », c’est-à-dire capable d’étudierseul : prendre l’habitude d’utiliser des outils de référence pour trouver les ressources nécessaires (manuels, ouvrages divers, dictionnaire, encyclopédie, atlas, internet…) ; gagner en autonomie intellectuelle, penser de plus en plus par soi-même ; progresser dans ses capacités à réfléchir, élaborer, produire…

2) Pour l’Ecole, des objets d’attention qui devraient être permanents :

a. S’assurer du niveau de compréhension de ce qu’il est demandé d’apprendre, d’appliquer et/ou réinvestir… Afin de ne pas transférer aux familles les prérogatives de l’institution scolaire : initier les apprentissages, fonder la compréhension des notions. Rappelons quelques données : 64 % des élèves suivis par l’AFEV disent ne pas comprendre certaines fois à l’école (20 % souvent) et  41 % des élèves ont peur de se tromper.

b. Veiller à la clarté des attendus. Expliciter ce qui est visé, les critères de maîtrise de tel contenu ou technique. Ainsi, lorsqu’on demande d’« apprendre », s’agit-il de savoir par cœur ? De savoir réexpliquer ? De pouvoir appliquer ?…

Et dans quelle perspective le travail est-il demandé ? S’agit-il de :

– Poursuite du travail engagé en classe (visée d’appropriation, d’incorporation) ;

– Extension, transfert (asseoir la maîtrise par le réinvestissement, le réemploi créatif) ;

– Anticipation du travail qui va se mener (effectuer des recherches préalables).

c. Il revient enfin à l’école d’initier les élèves aux techniques du travail intellectuel requises pour effectuer les tâches demandées, techniques propres à développer l’autonomie :

– stratégies de lecture explicites car partagées en classe ; pratique de l’autodictée pour la mémorisation
orthographique ; du texte recréé pour s’approprier un texte ; échange sur les manières de faire pour écrire ou résoudre les problèmes, etc.

– sur un plan plus transversal, comment faire pour apprendre une leçon ? Trouver la documentation adéquate ? etc. Au-delà de l’initiation à des méthodes opératoires, on peut aider les élèves à la programmation de leur travail, à son anticipation dans la durée.

Conclusion

S’il s’agit de faire le lien avec les parents, bien d’autres modalités peuvent être imaginées : des contacts personnels aux réunions de classe en passant par la collaboration sur tel point sollicitant leur compétence spécifique, sans compter toutes les occasions provoquées (fêtes d’école, soirées thématiques) ou informelles.

Encore faut-il qu’ils se sentent reconnus et légitimés comme partenaires respectables et
indispensables, dans une complémentarité des rôles. Encore faut-il qu’ils soient invités plus que convoqués. Encore faut-il qu’ils soient sollicités sur la base des progrès réalisés par leur enfant et non pour entendre des récriminations culpabilisatrices…

Du côté de l’élève, en matière d’activité personnelle propre à développer « les gestes de l’étude », on peut aussi valoriser ce qu’il a fait, eu fierté de réussir ou souhaite préparer pour le lendemain : document
sur un thème qui passionne ou interroge ; récit, livre à présenter ; écrit pour la boîte à lettres ; préparation d’exposé…

Il arrive même qu’ils se « donnent des devoirs » quand le contenu les a passionnés : ainsi, le montage électrique qui a mobilisé toute la famille présenté avec fierté ; la réponse à l’énigme technologique qui nous mettait en impasse sur le fonctionnement du vélo… ou tel questionnement en sciences ou en histoire ayant fait l’objet d’échanges passionnants avec les aînés… Oui, chercher, apprendre, comprendre, ça peut être passionnant !


[1] Rayou, P. (2009), Faire ses devoirs, Presses Universitaires de Rennes, p. 9.

[2]Gloton, R. (1979), Au pays des enfants masqués, Casterman E3, p. 181-182.

[3] Glasman, D. & Besson, L. (2004). Le Travail des élèves pour l’école en dehors de l’école. Rapport pour le Haut Conseil à l’Evaluation de l’Ecole.

[4] Baromètre Trajectoires / AFEV, Année 2009. 2ème journée du refus de l’échec scolaire, 23 sept. 2009, p.8.

[5] Cf. Thin, D. (1998), Quartiers populaires. L’école et les familles, Lyon, PUL.

[6] Enquête menée en décembre 2008 sur un quartier populaire de la banlieue chartraine, cherchant à croiser les perceptions des divers acteurs (élèves, parents, enseignants, travailleurs sociaux chargés de l’accompagnement),

[7] Suchaut, B. (2007), « Accompagnement à la scolarité et réussite éducative. Intérêts et enjeux de l’évaluation ». 2èmes Rencontres de l’Accompagnement à la scolarité.  Université Paris X Nanterre.

Les logiques parentales

Les logiques parentales

Jacques BERNARDIN

(ESCOLParis 8 / GFEN)

 A/ L’implication parentale dans l’éducation, ses effets

1 –  Un constat : la famille est la première source de savoirs

C’est ce que révèlent les études réalisées en ZEP depuis les années 90 par Bernard Charlot et l’équipe ESCOL (Paris 8), auprès de jeunes de collèges, de lycée, mais aussi de l’élémentaire. Dans 80 % des« bilans de savoir » réalisés, la famille est présente à travers au moins d’un de ses membres (alors que l’école est absente d’un tiers des bilans de savoir !) :

– la famille est citée de façon très personnalisée (père, mère, s?ur…) ;

– la famille élargie (grands-parents, oncles, cousins…) apparaît dans 20 % des cas ;

– la mère est le personnage central qui assure les apprentissages (marcher, manger et boire, parler, s’habiller, se laver, jouer, dessiner), au-delà même des savoir-faire domestiques ;

– les parents sont régulièrement cités à propos d’apprentissages de type scolaire.

Ces bilans mentionnent des apprentissages très variés, au sein d’un réseau familial riche en occasions d’apprendre, confirmant d’autres recherches(Europe, Etats-Unis, Canada) : contrairement aux idées reçues,les familles populaires accordent de l’importance aux apprentissages scolaires et essayent d’y contribuer. Si la famille initie à certains apprentissages, elle contribue également à l’édification de repères, de manières d’être et de faire qui influent sur le développement de l’enfant.

2 –  Les divers « styles » éducatifs… et leurs incidences

L’exercice de la fonction parentale comporte deux dimensions majeures : l’attachement et le contrôle. « Etre parent, c’est d’abord prendre l’enfant en charge, l’aimer et lui exprimer son affection par des manifestations de proximité et de chaleur. (… mais) c’est également contrôler les conduites de l’enfant, exercer la supervision en convenant des règles et des exigences, fixer des limites et imposer des sanctions en cas de dérogation »1.Quatre modes d’éducation se dégagent des diverses recherches menées sur cette question :

-les parents autoritaires exercent un contrôle très ferme, avec peu de place à l’affection ;

-les permissifs sont très affectueux mais exercent peu la fonction de contrôle ;

-les négligents n’assument ni le contrôle, ni l’attachement ;

-les « authoritatifs »exercent les deux fonctions, imposent des règles et des exigences fermes tout en assurant l’affection et la présence chaleureuse2.

Parmi ces modèles, liés à une conception de l’enfant et de ses besoins éducatifs, deux sont très pénalisants : le modèle désorganisé ou chaotique, qui entraîne chez les enfants des déficits d’attention, des problèmes d’apprentissage et de conduite (opposition envers les professeurs,conflits avec les pairs) ; le modèle contrôlant et rigide, qui entraîne anxiété face à l’échec, obsessions, passivité et résistances. Un certain nombre de parents revendiquent un contrôle fréquent du travail scolaire quand d’autres font plus confiance à l’enfant, gèrent l’accompagnement dans la souplesse et le souci d’autonomie, de responsabilisation3. Certains parents accordent peu de place à l’individualité et aux désirs de l’enfant, imposant plutôt une pression importante pour l’assimilation de normes de conduite. L’enfant est rarement autorisé, et jamais encouragé, à explorer de lui-même des lieux,des choses, des idées, des contacts avec autrui (ce qui influe sur le développement des capacités d’autonomie et de réflexivité).

B/ Les pratiques socialisatrices des familles populaires

1 –  Les sorties avec l’enfant

De nombreux travaux ont établi que les sorties « culturelles » sont très peu fréquentes (sorties qui n’appartiennent pas à l’horizon social de leur existence : théâtre, visite d’expositions, musée,voire film au cinéma). Les sorties sont limitées par des contraintes économiques et matérielles (manque de temps, nombre d’enfants… et difficultés liées au comportement des enfants à l’extérieur du quartier (« ils sont pas tranquilles », «… ne m’écoutent pas bien »).Lieu familier, le quartier n’exige pas un contrôle aussi strict des enfants, de leurs comportements (contrairement à l’extérieur,mettant sans cesse les parents en contradiction avec les comportements légitimes).

On préfère ainsi les sorties en famille, la promenade au parc, au stade voisin. « On s’éloigne peu des lieux « qui nous appartiennent », de l’espace dans lequel on tend à s’enfermer parce qu’on y est enfermé ». En dehors, sentiment ou risque de ne pas être« à sa place ». Le monde extérieur paraît hostile et inquiétant à force d’y essuyer des échecs.

Les sorties sont exemptes de tout caractère éducatif (contrairement aux pratiques des classes moyennes et supérieures). Il s’agit de quitter l’appartement, de ne pas rester enfermés, de se détendre, de permettre aux enfants de « se défouler », se dépenser,d’éviter qu’ils deviennent insupportables par un trop long séjour à l’intérieur. Promenades, parties de football… :l’important, c’est le plaisir qu’on prend ensemble.

2 – Les « jeux » avec les enfants

Ce ne sont pas d’abord des jeux de société. Contrairement aux familles des classes supérieures, les jouets ne sont pas considérés comme « instruments de développement cognitif ou supports de l’imagination »(B. Bernstein, 1975). Jouer, c’est prendre du plaisir,s’« éclater » ensemble, sans visée « pédagogique ».

Beaucoup de jeux spontanés entre les individus, fréquents jeux corporels(chatouilles, bagarres, corps à corps). Le langage du corps tient une place capitale dans les familles populaires et l’affection des parents envers leurs enfants passe surtout par le corps. Valorisationde la force et de la résistance physique (valeurs de« virilité »). S’investir par le contact physique :forme dans laquelle on peut le mieux manifester ses sentiments sans perdre de son autorité et de sa légitimité (les parents gardent« le dessus »).

3 –  L‘autorité parentale

Les parents sont souvent accusés de ne pas tenir les enfants, de les laisser sans surveillance, livrés à eux-mêmes, sans autorité et à l’inverse,d’être trop stricts, trop autoritaires, de ne pas leur laisser suffisamment d’autonomie (critiques contradictoires, incriminant le manque de cohérence, l’irrationalité ou l’illogisme des pratiques parentales).

Limites strictes,surveillance et liberté

Selon B. Charlot, « dans les milieux populaires, l’adaptation de l’enfant passe par l’action et par la conquête d’une grande autonomie dans l’action ». Pour J. Kellerhals et C. Montandon, « les techniques d’influence des parents sur les enfants dans les familles populaires sont prioritairement des techniques de contrôle », contrairement à d’autres familles, qui jouent davantage sur les relations avec les enfants et privilégient l’autonomie.

Ce qui domine, c’est une combinaison de la sévérité et de la liberté. Il n’y a pas de surveillance permanente et directe, pas de règle pour régir chaque moment de l’enfant, mais des limites à ne pas dépasser,limites territoriales et limites d’acceptabilité qui, en cas de transgression, entraînent la répression verbale ou physique.

Les parents fixent un cadre à respecter de façon impérative (ex. rentrer à telle heure), mais la liberté est laissée en dehors de ce cadre : on fait « ce qu’on veut ». Dans certaines familles, les enfants peuvent jouer dehors, autour des immeubles ou dans la rue pendant de longues heures sans grande surveillance (le logement en haut de l’immeuble rend la surveillance effectivement difficile).

L’idée de surveillance et de contrôle semble importante pour tout ce qui concerne l’extérieur du domicile familial. Les parents disent avoir peur de voir leur enfant « mal tourner » (exemples pris dans le quartier ou leur propre enfance), évoquent le risque de déchéance, de stigmatisation par le comportement de l’un des membres de la famille.

Ce contrôle« extérieur » (des comportements, des conduites répréhensibles, la surveillance des fréquentations) consistant à fixer les limites et à réprimer sur-le-champ tout écart va à l’encontre d’autres pratiques, visant à transmettre, à faire intérioriser une morale par un discours éducatif, à produire des dispositions par explication de principes moraux, permettant aux enfants de faire eux-mêmes la part des choses, de discerner les bonnes et les mauvaises influences.

Les limites sont rappelées au « coup par coup », les règles à respecter sont peu nombreuses, peu explicites, et pas justifiées par un long discours. Les pratiques des enfants sont en général moins contrôlées quand elles ne semblent pas avoir de répercussion directement visible ( Ex. contrôle de l’usage de la télévision, heure du coucher).

Des sanctions contextualisées et immédiates

Lorsque les parents sanctionnent l’acte de l’enfant, la sanction prime sur la justification (« je veux pas le savoir »…).L’autorité se manifeste de façon toujours très contextualisée,s’applique en relation avec une situation précise et immédiate davantage qu’en référence à des conséquences éducatives lointaines. Répression de l’acte coupable qu’il faut interrompre immédiatement pour faire cesser dans l’instant l’action que les parents désapprouvent, parce qu’elle met en danger l’enfant ou un de ses camarades, parce qu’elle donne une représentation négative de la famille ou contredit l’autorité parentale.

La sanction est généralement peu justifiée par des considérations éducatives générales, mais par l’acte lui-même. Si dans les familles populaires, elle vise à empêcher les actes de désobéissance ou condamnables, les parents de classes supérieures sont plus sensibles aux intentions, en référence à des normes qui s’inscrivent dans un cadre plus large. La morale qui sous-tend la punition est peu ou pas explicitée. Qui plus est, dans certaines familles, les sanctions et punitions semblent dépendre de la colère des parents, de leur état de patience plus que de règles formelles,de principes intangibles valables à tous moments (« ils me font craquer jusqu’à la dernière limite »).

De façon générale, le mode d’autorité est inséparable du contexte dans lequel ils’applique, et ne peut s’exercer que par la présence physique des parents (contrairement à l’intériorisation des principes de comportement, qui permet l’« auto-contrôle » des conduites). Autorité ferme… mais seulement quand l’enfant est présent. Cris et corrections physiques sont des moyens privilégiés pour « voir le dessus », imposer son autorité.

C/ Un rapport difficile à l’institution École…

1 –  Desraisons de ne pas les voir…

Des raisons matérielles sont fréquemment évoquées : horaires de travail (qui ne conviennent pas ou sont peu prévisibles à l’avance) ; souci des enfants (ceux en bas âge à garder ;aînés à récupérer, faire goûter, etc.). Raisons objectives auxquelles s’ajoutent parfois des problèmes de communication(numéro de téléphone pas toujours fiable, oubli de ce qui est proposé trop à l’avance ou passe par l’écrit) mais aussi des raisons symboliques sans doute plus profondes et qui ne« se disent pas » (d’ailleurs parce que certaines agissent de façon diffuse, inconsciente, à l’insu des acteurs).

L’entrée àl’école maternelle…

avec la fréquentation de l’école maternelle, mise à l’épreuve des manières d’être et de faire familières, « appréciation des résultats de l’inculcation familiale » sur divers plans :

état de santé (propreté, fatigue…) ;

développement du caractère (agressif…) ; socialisation de l’enfant (signalé comme étant toujours seul, ou violent avec les autres…) ;

développement cognitif (n’écoute pas, ne comprend pas, peu « éveillé »)

Sans compter le dévoilement possible de problèmes familiaux spécifiques (violence,pauvreté, mauvaise nutrition). La famille se trouve exposée au regard, au jugement social (ce qui pourrait expliquer que certaines familles soient en retrait ou « fuyantes »,soucieuses de s’en préserver). Les messages entre les diverses instances (école / centre / famille) sont potentiellement porteurs de conflits, de culpabilisation, de stigmatisation(notamment en comparaison avec les modes de faire des parents d’autres milieux).

La nature de la situation de rencontre avec les enseignants (les animateurs ?…) :

Les parents sont souvent appelés quand il y a des difficultés scolaires et/ou des comportements réprouvés (les pratiques familiales, les modes de vie peuvent être alors mis en cause). « Etre convoqué »,c’est le signe d’un problème, d’une conduite répréhensible.Ils ont le sentiment d’être suspectés ou désignés comme responsables de problèmes qui leur échappent. Image de« non-conformité », d’illégitimité de leurs pratiques. Les parents se sentent « sur la sellette »(Sentiment d’inquiétude, de culpabilité).

Les interactions sont dissymétriques et inégales (sur les plans institutionnel, culturel,langagier). Il s’échange de l’autorité, de la reconnaissance ou de la dénégation de l’autre. Cela fait ressurgir des souvenirs douloureux (votre enfant est « agité », « en difficultés »… les mots sont retournés, avec le sentiment de revivre leur scolarité)

Pour certains parents,il faut « rester à sa place », « ne pas se mettre en avant », c’est une question de dignité… Venir s’apparente à une démarche de sollicitation d’avantages ou de faveurs, ce qu’ils refusent.

On note un fréquent sentiment d’infériorité (par rapport à la langue notamment) ou d’incompétence. Il faut cacher ce qu’on ressent comme un manque d’instruction. Parfois, les parents craignent que les rencontres produisent des effets négatifs sur leur enfant, et limitent les informations sur eux pour ne pas renforcer de perception négative des enseignants (et parallèlement, les jeunes eux-mêmes n’aiment pas que leurs parents viennent à l’école).

« De la même manière qu’il existe des formes d’auto-censure dans les échanges langagiers, l’évitement de l’école par les parents, leur non participation aux réunions, leurs silences… sont des anticipations des sanctions menaçant leur présence, leur langage,leurs pratiques, leur être sur le terrain de l’école » (D .Thin, p. 182)

2 – Les diverses postures face à l’Ecole

Le repli : Pour ces familles, dont le seul repère est la scolarisation élémentaire (au mieux) la tactique scolaire est le plus souvent « soustractive »ou d’ « abstention ». « Cet évitement prend, mais à l’envers, valeur de stratégie défensive. Se tenir à l’écart du monde scolaire, c’est aussi protéger son identité »  (évite de « perdre la face »ou d’apparaître comme des « mauvais parents »)

La distanciation soumise :Souvent, les familles ayant le moins de maîtrise de l’Ecole ont intériorisé le différentiel de légitimité en leur défaveur et ont aussi un fort sentiment d’incompétence éducative.

– Soumission / résignation(Acceptation respectueuse à confiance « aveugle » du dominé)

– Se sentent incompétents à aider leurs enfants > délégation de responsabilité à l’école.

– Avec le sentiment que le fonctionnement de l’école et les méthodes pédagogiques ne relèvent pas de leurs prérogatives (« chacun à sa place » :refus d’ingérence…)

La collaboration :qui peut être de type…

– savante (médiation réflexive .ex.connaissance ou sensibilité pédagogique)

– domestique (rapport direct au monde des choses concrètes : participer à des sorties scolaires,cuisiner…). A priori, les parents de milieux populaires s’y retrouvent davantage…

D/ S’impliquer dans l’Ecole… ou dans la scolarité ?

Lorsqu’on parle de l’implication des parents, on pense tout d’abord à se manifestations tangibles, à ses formes extérieures :participation aux structures de représentation officielles (ex.conseils d’école…), aux diverses initiatives éducatives(sorties, visites, animations d’ateliers, interventions ponctuelles), aux réunions de parents (de la classe, de l’école,du Centre de Loisirs), etc.

Si cette forme d’implication dans l’école est importante, elle ne suffit pas à assurer une scolarisation réussie…Celle-ci dépend davantage de l’implication quotidienne des parents dans l’espace familial, implication plus souterraine, diffuse voire implicite et néanmoins fondamentale vis-à-vis de la scolarité… (et sans forcément investir l’école !).

Trois processus interagissent dans la dynamique éducative familiale, contribuant à alimenter et à accompagner le projet d’apprendre :

– la construction d’un système de référence. La famille propose des modèles et contre-modèles permettant à l’enfant de se construire par identifications croisées (« ne fais pas comme ton frère ! » ; « regarde ta cousine » ;« elle voudrait bien faire comme sa tante »…). Elle renvoie à l’enfant une image de lui-même (si certains enfants sont décrits comme étant curieux, débrouillards et volontaires, Christophe est présenté par sa mère au début CP comme étant « maladroit, écrivant toujours cochon,cabochard, faignant… et gaucher » !).

– L’incitation.La présentation de l’école, de sa spécificité, de son intérêt, de l’importance des apprentissages qui s’y réalisent participe à donner sens à la scolarisation. Au-delà, les parents ont des attentes vis-à-vis de la scolarité, visent plus ou moins explicitement un niveau d’études pour leur enfant,développent des projets d’avenir pour lui.

L’opérationnalisation. C’est ce qui est concrètement mis en oeuvre : les pré-apprentissages réalisés à la maison, l’aide au travail scolaire et les modalités d’accompagnement.

1 –  La place faite à l’école.

Les familles dont les enfants réussissent à l’école se distinguent par l’importance accordée aux études et aux aspirations scolaires et professionnelles. La valorisation des études n’est pas seulement déclarée,mais exprimée très tôt, à travers une série de gestes symboliques :

– organisation du temps et de l’espaceà la maison dans le but de favoriser les apprentissages ;

– discussions sur les devoirs, sur lesenseignants, les camarades, la vie de la classe ;

– suite donnée aux activités scolaires (ex. visites, sorties, lectures…).

L’attitude des parents vis-à-vis du travail à l’école et l’intérêt qu’ils manifestent ont un effet direct sur les performances scolaires et l’estime de soi.Les « standards parentaux » intériorisés (tolérance ou exigence et visée d’excellence) servent de repères aux enfants. A contrario, il y a problème quand les attentes et« missions » ne sont pas signifiées à l’enfant(interprété comme désintérêt, indifférence) ou quand elles sont ambivalentes, contradictoires (La mère de Vincent :« Moi, j’ai toujours aimé l’école, mais s’il n’y avait que mon mari, il irait pas à l’école. Pour lui, ça sert à rien… »).

En ZEP, il n’est pas rare de noter chez les parents interrogés des sentiments mêlés d’insatisfaction(de leur situation actuelle) et de fierté (de leur culture d’origine)4.Ils oscillent entre deux attitudes : encourager leurs enfants à« ne surtout pas faire comme eux », et les inciter à les imiter et à les dépasser (injonction contradictoire).

2 –  Les attentes à l’égard de l’Ecole :

L’École, pour « s’ensortir », ne pas déchoir…

« Les attentes vis-à-vis de l’Ecole doivent au moins autant à la potentialité de la carrière négative’ omniprésente dans le monde ouvrier qu’à l’espoir d’une promotion sociale »(p.130). On espère, grâce à l’école, « s’en sortir », être capable de se débrouiller dans la vie de tous les jours ; pouvoir remplir ses papiers ; ne pas être perdu devant la complexité des démarches administratives,l’évolution des techniques et moyens de communication ; être autonome. Les attentes par rapport à l’école ne sont pas de l’ordre de l’ascension sociale, mais de la maîtrise de ce que la vie impose quotidiennement. Ce sont des attentes pratiques(sont critiques à l’égard de l’école qui leur semble transmettre de manière abstraite des savoirs de plus en plus abstraits, dont les finalités sont de moins en moins saisissables à court terme).

Pour ces parents, à travers l’école, il s’agit surtout de sortir de la précarité et de la vulnérabilité (…) ce qui n’est possible qu’à la condition « d’avoir un bon métier ».S’il faut travailler à l’école, c’est pour ne pas être comme ses parents (« Discours qui transmet aux enfants l’idée de l’indignité de la vie des parents en même temps que ses difficultés »).

Des ambitions« réalistes »….

Les études longues ? Séduisant mais plus aléatoire, pas toujours rentables et aux débouchés plus lointains, incertains. Hésitation entre le rêve difficile à atteindre… et une réalité plus tangible et plus accessible : avoir « quelque chose dans les mains ».

Les parents qui escomptent des études générales au-delà du collège sont dans le flou des objectifs et des perspectives (il faut aller « le plus loin possible », « jusqu’au bout », « aussi loin qu’il pourra »). Ils ont du mal à envisager des formations précises (faute de les connaître) et manquent d’assurance quant à l’avenir des enfants. On a le « sentiment que si le « meilleur » est souhaité pour les enfants, il n’est jamais sûr, mais le « pire » est toujours possible »(D.Thin).

3 – Valeur et conception du travail à l’école

Un rapport« instrumental » à l’école

« Chaque instant de la vie scolaire est appréhendé selon la logique de l’efficacité ». Toutes les activités qui semblent détourner le enfants des apprentissages dits fondamentaux apparaissent plus ou moins suspectes (arts plastiques, sorties :inutiles, perte de temps). Cela vaut pour le péri-scolaire (Etudes surveillées disqualifiées si les devoirs ne sont pas faits…).Pour ces familles, l’école ne doit transmettre que des savoirs utiles et tous les savoirs utiles.

Pour apprendre, lalogique du « travail ».

Pour les familles populaires, l’acquisition de connaissances est conçue comme addition de savoirs (stock à constituer) davantage que maîtrise de processus ou capacité à raisonner. Pour apprendre, il suffit d’écouter et de « travailler » (bien, beaucoup…disent les enfants). Les parents réclament davantage de travail à l’école (du « sérieux » !) et de devoirs à la maison (dans la même logique, il y a dévalorisation du jeu et de l’école maternelle).

4 – L’accompagnement de la scolarité : du suivi distant au sur-investissement

Extériorité des incitations au travail / Recherche de résultats concrets et immédiats.

Les parents des familles populaires font surtout attention aux résultats (mesurés par les notes et le livret scolaire, seuls repères fiables). « Pour les parents n’ayant pas eux-mêmes d’acquis scolaires suffisants pour apprécier l’évolution des connaissances et la maîtrise des savoirs scolaires, une bonne scolarité est d’abord une scolarité dans laquelle les résultats scolaires sont bons (…)Dans cette optique, les notes deviennent plus importantes que la maîtrise des connaissances qu’elles sont censées évaluer ». (D. Thin, p.142)

Il y a comme une équivalence : mauvaise note/manque de travail (notes :récompense, « salaire » du travail fourni) > logique de récompense et de sanctions (… voire corrections physiques).« En punissant, en corrigeant ou en promettant des récompenses pour tenter d’améliorer les résultats scolaires, les P. agissent de « l’extérieur »(…). Il n’y pas là l’idée de transmettre des dispositions au travail et à l’étude, pas non plus l’idée d’une action continue sur les apprentissages scolaires » (p.145). Les punitions,les sanctions sont des solutions à court terme, immédiates et contextualisées (en phase avec le rapport à l’autorité).

Du suivi distant à la « sur-scolarisation »

Pour les parents n’ayant jamais ou très peu été scolarisés, « s’intéresser à la scolarité est une gageure tant il leur manque les outils nécessaires non seulement pour aider les enfants, mais aussi pour comprendre le sens de ce que les enfants font à l’école et pour l’école ».(p.146)

a/ Le suivi distant :

C’est le lot des parents dont les pratiques socialisatrices sont les plus éloignées du mode scolaire de socialisation, dont la logique n’est pas une action systématique, d’une emprise totale (pour la scolarité comme pour les autres domaines).

Le manque de temps (conditions d’existence, horaires de travail, nombre d’enfants) s’ajoute à la faible maîtrise des savoirs et attendus scolaires. Ils ont le sentiment d’être « hors jeu », évitent d’intervenir…de peur de nuire (ils ont le sentiment de ne pouvoir ou de ne devoir rien faire pour la scolarité).

Ils se contentent d’assurer des conditions correctes d’existence, en tentant de mobiliser et d’utiliser différentes aides pour leurs enfants (personnes extérieures, aînés, dispositifs d’entraide scolaire) et en réalisant des achats de matériel éducatif, parfois très coûteux(dictionnaires, encyclopédies, cassettes et CD Rom « éducatifs »,etc.)… Mais « patrimoine culturel mort » (comme les livres, sacralisés), car «  la possession d’instruments de savoir ou de  culture  est sans efficacité si elle n’est pas accompagnée de la  transmission des dispositions à s’en servir et à acquérir les savoirs qu’ils contiennent ».

b/ Ceux qui « sur-investissent »

Certains parents n’hésitent pas à ajouter du travail supplémentaire aux devoirs donnés par l’enseignant (Selon plusieurs recherches [Cf. Cléopâtre Montandon], c’est dans les milieux populaires qu’on trouve les temps les plus longs pour les devoirs à la maison.)

Parfois, les devoirs sont faits par les parents eux-mêmes, afin que l’enfant soit « en règle » avec l’école, ce qui lui évite le risque d’être pénalisé. Par crainte de l’échec, ils laissent très peu d’autonomie aux enfants. Ceux-ci, au dire des parents, ne font leurs devoirs que si « on est derrière eux » (surveillance,contrainte, contrôle).

Cette logique de sur-investissement apparaît aussi dans les exigences que les parents imposent : les devoirs « bien faits », ce sont des réponses justes mais aussi (surtout ?) un travail propre,soigné, bien présenté… en référence à leur propre scolarité primaire et aux catégories de perception de ce qu’est un travail bien fait dans le monde ouvrier. « Transposition des impératifs scolaires dans les termes de la logique populaire (…)pratiques contraires à la logique pédagogique d’aujourd’hui,qui suppose l’apprentissage de l’autonomie dans le travail scolaire et par là dans la vie sociale » (p.158)

L’école est un espace d’interactions où les membres des classes populaires sont confrontés à des normes et à des logiques dominantes dont la maîtrise leur échappe complètement. Ces parents ont ainsi moins de difficulté à saisir les enjeux de l’école que la manière adéquate de jouer le jeu : accusés de ne pas s’occuper suffisamment de leurs enfants, de « démissionner » ou de se désintéresser de l’école ou bien, à l’inverse, d’en faire trop (trop de pression, trop de travail inutile, d’exigences outrancières qui nuisent) ; ils se trouvent dans les deux cas disqualifiés…

BIBLIOGRAPHIE

-Geneviève BERGONNIER-DUPUY, « Famille(s) et scolarisation »à la Revue Française de Pédagogie n°151« Pratiques éducatives familiales et scolarisation »,avril-mai-juin 2005.

-Jean-Marc Jaeggi et Françoise Osiek, Familles, Ecole et quartier.De la solitude au sens : échec ou réussite scolaire d’enfants de milieu populaire, SRED (Service de la Recherche en Education),Genève, avril 2003.

-Eric MANGEZ, Magali JOSEPH, Bernard DELVAUX, Les familles défavorisées à l’épreuve de l’Ecole maternelle.Collaboration, lutte, repli, distanciation, CERISIS-UCL (Centrede Recherche Interdisciplinaire pour la Solidarité et l’Innovation Sociale), Université de Louvain (Belgique), octobre 2002.

-Daniel THIN, Quartiers populaires : l’école et lesfamilles, Lyon, PUL, 1998.

– L.BERNIER et F. DE SINGLY (dir.), Lien Social et Politiques-RIAC35, Montréal, Québec (Canada), 1996.

-J.-C. KELLERHALLS, C. MONTANDON et al., Les stratégies éducatives des familles : milieu social, dynamique familiale et éducation des pré-adolescents, Lausanne, Delachaux &Niestlé, 1991.

– P.PERRENOUD, C. MONTANDON (dir.), Qui maîtrise l’école ?Lausanne, Réalités sociales, 1988.

– J.LAUTREY, Classe sociale, milieu familial, intelligence, Paris,PUF, 1980.

______________________________________________________________________________________

Typologie du rapport à l’école des familles de milieux populaires

    1) Le partenariat :

– Rapport actif àl’école (assistent aux réunions, contacts réguliers avecl’enseignant) ;

– S’impliquent dans lesuivi scolaire, stimulent l’enfant, l’encouragent.

… Jamais définitivement acquis

  • Entretenir motivation et implication

2) La délégation :

– Image positive(parfois « sacralisée » à l’école > pensent qu’ils n’ont pas à intervenir (d’autant plus quand il y a un problème de langue).

– Se rendre à l’école ou participer à la vie scolaire est considéré comme une ingérence(« Chacun maître chez soi » – confiance > ne pas se mêler de ce qui « ne nous regarde pas »).

  • Faire comprendre que l’école a besoin d’eux

… pour déclencher ou soutenir l’intérêt des enfants / apprentissages

3) La résignation :

– Parents ayant eux-mêmes connu des difficultés et des échecs scolaires.

– Sont désespérés de constater les difficultés de leur enfant,

– et sont découragés car ils se sentent incapables de l’aider (sentiment d’incompétence et de fatalité : c’est normal pour « des gens comme nous »…).

  • Importance de mieux connaître l’école,

d’y vivre des expériences positives et gratifiantes (> créer des évènements)

  • Redonner confiance en leurs propres capacités éducatives

(Eventuellement…instances de médiation pour résoudre malentendus et conflits)

4) L’ambivalence :

– Pensent que l’école c’est important, s’impliquent dans le suivi de l’enfant (le font travailler…)

– Mais parallèlement,critiquent ouvertement soit :

  • l’école (qui sollicite trop les enfants) ;
  • l’enseignant(e), jugé laxiste ou injuste ;
  • les méthodes d’enseignement.

– Relève plus largementd’une « incohérence éducative »…

L’Ecole doit, plus que jamais :
Expliciter clairement les orientations, objectifs, méthodes de travail.
Valoriser le travail d’accompagnement effectué par les parents.
– Leur donner des occasions de vivre des expériences positives dans le cadre scolaire.
– Et médiation externe pour régler les éventuels conflits.

************************************

L’École a 3 fonctions à assumer auprès des familles des milieux populaires :

  1. Donner une information claire et accessible sur ses pratiques et attendus ;

  2. Réduire la distance existant entre certaines familles et l’institution scolaire ;

  3. Se sentir la co-responsabilité de créer du lien social avec le quartier et avec les autres partenaires.

1 M. CLAES, J. COMEAU, « L’école et la famille : deux mondes ? » dans L. BERNIER , F. de SINGLY (dir.), Lien Social et Politiques à RIAC 35, Montréal, Québec, 1996, p. 77.

2 L’impact sur les résultats se maintient à travers les classes sociales, les structures familiales, les ethnies…

3 Attitude différenciatrice jouant dans la scolarité des collégiens de milieux populaires, Alice DAVAILLON, « Les collégiens en difficulté : portraits de familles », Education & Formations n°36, DEPà MEN, oct. 1993.

4 R. KOHN, « La mobilisation des parents pour la réussite scolaire des enfants », dans B. CHARLOT et al., Rapport au savoir et rapport à l’école dans les zones d’éducation prioritaires, Rapport pour le FAS et la DPM. Equipe ESCOL, Université Paris 8, 1992.

En attendant une « nouvelle » formation

Introduction

  • Quelle formation des enseignants pour mieux faire réussir les élèves ? Jacques BERNARDIN – L’éducation perd sa valeur…    pensée de l’expert ? … – 2012  LIRE

 Articles :

  • La formation des enseignants : un révélateur social et politique.
    Parcours dans l’histoire de la formation des maîtres du primaire. Michel BARAER  Avec la Révolution, le problème de la généralisation de l’instruction passe au premier plan. Mais quels seront ceux qui transmettront les principes républicains et permettront « une révolution dans les têtes et dans les cœurs ? ». De Condorcet à la dernière loi d’orientation, un parcours historique de la formation des enseignants du premier degré. – 2012  LIRE
  • Pour relever le défi de la démocratisation : Une formation au service du développement. Jacques BERNARDIN Des pistes de proposition pour la formation des enseignants. – 2011  LIRE
  • Vers une transformation de la formation : La professionnalisation des enseignants. Odette BASSIS LIRE
  • La démarche d’auto-socio-construction des savoirs à l’école et en formation. Odette BASSIS De quelques prémices incontournables aux paradoxes de la démarche d’auto-socio-construction
    dans la classe et en formation – 2013 LIRE
  • Gérer le temps dans une séquence de formation. Jacqueline BONNARD 
    Au cœur de la pratique, quelle articulation entre contenus et espace-temps ?
    – 2011 LIRE
  • Former des profs de collège dans leur établissement ? A quel prix ? (Histoire Vraie) Patrick PICARD Radiographie de la mise en œuvre d’une formation d’établissement du second degré de la demande exprimée jusqu’à la réponse proposée par le formateur… pas si simple qu’il y parait… – 2007  LIRE
  • Le travail de formateur. Apprendre à observer au-delà de ce qui est visible. Pascale BILLEREY – 2007  LIRE
  • Formation de militants, formation d’enseignants… Quels enjeux ? GFEN 45 – 2007  LIRE
  • Se qualifier tout au long de sa vie, un enjeu de société Collectif (Cathy Bellan, Guy Bonin, Patricia Bonin, Philippe Canetti, Pierre Giovannageli, Gilbert Payan, Nikou Walger) – 2006 LIRE
  • Se former ensemble : enseignants du premier et second degré, animateurs de quartier et responsables culturels dans un réseau ambition réussite en Seine Saint Denis. Jeanne DION, Dominique BAUDRILLART  2008 LIRE
  • Pour une Pédagogie de Projet émancipatrice. Maria-Alice MEDIONI

La pédagogie de projet, clé de voute de tout apprentissage de toute formation.  2010  LIRE

  • D’une loi d’orientation à une autre, les problèmes restent posés. Entretien de Philippe
    PERRENOUD
    avec François JARRAUD

L’entretien porte sur la nécessité d’une approche collective du métier d’enseignant à la fois
dans l’organisation du travail et l’approche pédagogique.  2013 LIRE

Philippe MEIRIEU affirme la nécessité d’une formation pour les enseignants et décrit les différents paramètres dont il faut tenir compte aujourd »hui pour mettre en place des situations d’apprentissage pertinentes.

 

Et si on se la jouait collectif ?

Repenser le métier… et si on se la
jouait collectif ?

Jacqueline BONNARD – 2012

Dans un contexte où le résultat des élections présidentielles et législatives ouvre des perspectives favorables pour une véritable réflexion sur les enjeux de l’école et les réformes structurelles
indispensables à notre système éducatif, la question du métier d’enseignant et d’éducateur se pose avec acuité. Après deux décennies de politiques scolaires qui ont déconstruit les valeurs qui fondaient le modèle républicain d’une école capable de former aussi bien les élites que de permettre à tous d’accéder au savoir – justice sociale, promotion sociale par l’éducation, laïcité, émancipation personnelle et citoyenne- l’ensemble des acteurs se trouve face à une situation paradoxale. Si les professionnels de l’éducation souhaitent majoritairement la réussite de tous les élèves, ils sont confrontés à une valorisation de l’individualisme, de la différenciation qui conduirait à la réussite de chacun.
Ces valeurs issues du secteur privé impriment une conception libérale de l’offre scolaire promue par la stratégie de Lisbonne. C’est particulièrement sensible au niveau collège où les offres de formation  se diversifient en fonction des lieux, des publics accueillis : options latin, classes bi-langues, classes
européennes, internat d’excellence, établissement de réinsertion scolaire, réapparition de classes pré-professionnelles… Cette situation est particulièrement préjudiciable aux enfants des milieux populaires. Dans un système où l’on renvoie à chacun la responsabilité de son échec, les familles  assistent, impuissantes, au difficile parcours scolaire puis social de leurs enfants.

Parallèlement, la question de la formation professionnelle des enseignants devient cruciale lorsque l’on sait qu’elle s’est réduite à quelques rudiments instillés ici et là au profit d’une plongée en apnée au cœur du métier provocant déstabilisation et souffrance au travail.
Chacun dans sa classe et advienne que pourra ! Soumis aux injonctions institutionnelles multiples qui alourdissent la tâche (évaluation permanente, individualisation), perturbés par des prescriptions qui brouillent les attendus (nouveaux programmes, introduction du socle commun), les enseignants vivent mal leur situation actuelle et se sentent disqualifiés car non soutenus par leur institution et dénigrés par les médias. Autant d’ingrédients qui incitent à l’isolement professionnel, au retour à des routines inscrites dans ce qu’on pense être « les bonnes pratiques » mais s’appuyant davantage sur le besoin de se sécuriser que sur l’efficacité pédagogique. Dans la solitude de la classe, répétant les gestes professionnels observés, les façons de « tenir la classe », beaucoup pensent avoir tout essayé sans résultat…

Et si on se la jouait collectif ?

Il existe pourtant des équipes d’enseignants qui, face à des situations en apparence inextricables, ont relevé le défi du « Tous capables ! » : tous capables d’apprendre et de s’émanciper par le savoir, tous capables d’enseigner et de mener à bien les objectifs visés par les programmes. J’aimerais illustrer le propos à l’aide de deux exemples d’équipes que j’ai suivies pendant plusieurs années : l’équipe éducative d’une classe productique en lycée professionnel, l’équipe pédagogique d’une classe de seconde d’un lycée d’enseignement général.

Chalette sur Loing à LP Château Blanc-2008

Un établissement excentré sur le bassin montargois. Ici, on ne choisit pas une section, « on fait
Château-Blanc » pour rester sur la commune, par obligation économique mais aussi par crainte de l’ailleurs. Une section a bien du mal à remplir : la 2ème Productique. Des quatre coins de l’académie arrivent  les recalés de l’orientation dont un bon nombre de filles : elles rêvaient d’être coiffeuses ou esthéticiennes… elles seront mécaniciennes !

Pendant 4 années, j’avais accompagné cette équipe qui tentait de colmater les brèches du décrochage. Mais que pouvaient ces rustines qui résistent mal à ce flot de désespérance tant du côté de ces jeunes cassés par la vie que du côté des enseignants cantonnés au rôle de fusible de situations explosives ? Même si ces actions avaient permis de recouvrer la paix sociale, les apprentissages semblaient peu efficients. En cette rentrée 2008, l’équipe Prod a décidé de prendre les choses autrement : on se
recentre sur les savoirs, on se la joue collectif (côté élève/côté prof) et surtout, on se lance un défi : « Tous en bac pro ! ». Par la force du collectif, c’est une des aventures humaines les plus intéressantes
qu’il m’ait été donné d’accompagner. Les objectifs visés s’articulaient autour de trois axes. Tout d’abord réinscrire chaque élève dans une logique d’apprentissage par un accompagnement journalier et hebdomadaire autour du travail personnel. Deuxièmement, réinscrire les parents dans leur rôle en
partageant avec eux la progression observée et en les impliquant dans le suivi de la formation. Troisièmement, inscrire le jeune dans un projet professionnel passant par l’obtention d’un bac pro et l’habitude d’un travail en équipe. S’il a fallu toute l’énergie et la cohésion de l’équipe éducative (intégrant
assistant d’éducation, CPE, infirmière scolaire, COP) pour installer des habitudes de travail collectif tant chez les élèves que les professionnels au premier trimestre, les résultats ont dépassé les espérances : un très bon score aux résultats du BEP, les ¾ des élèves obtenant une place en bac pro et aucun élève sans solution à l’issue de la formation.

Blois à Lycée Dessaignes 2009

Dans le cadre d’une réflexion sur le travail personnel de l’élève, l’équipe pédagogique d’une classe de 1ère S s’interroge sur les compétences transversales utiles aux élèves pour qu’ils réussissent. Mais
comment savoir comment ils apprennent ?
Les professeurs imaginent donc de les mettre en situation de réviser un contrôle « comme s’ils étaient à la maison » dans chacune des disciplines. Ils observent les supports utilisés par les élèves, les manières de faire, les échanges. Leurs conclusions mettent en évidence deux techniques de mémorisation majoritaires chez ces élèves : pour certains « lire la leçon suffirait », pour d’autres il y a nécessité  de réécrire tout le cours, « faire » des fiches. Mais quelle que soit la technique adoptée, les enseignants constatent que la leçon est apprise « au kilomètre », que la construction logique d’un cours ne fait pas sens pour les élèves de même que la complémentarité des documents ou exercices en lien avec la problématique abordée. Après avoir un moment pensé qu’il
suffirait de proposer aux élèves « les bonnes méthodes » pour s’approprier le cours, l’équipe enseignante s’est mise en réflexion au cours d’échanges de pratiques  sur l’articulation entre « faire cours » pour l’enseignant et « apprendre le cours » pour l’élève. Que ce soit du côté de l’élève
ou du côté de l’enseignant, l’équipe en arrive vite à la nécessité d’un travail collectif autour de cette problématique.

L’année suivante les professeurs décident de poursuivre l’étude avec les élèves d’une classe de seconde générale en affinant l’observation sur « la posture de l’élève.et les gestes qui accompagnent
l’activité intellectuelle révélateurs du sens donné à l’apprentissage ».
Quelle que soit la discipline, ils constatent que la mémorisation passe d’abord par une déconstruction du cours, la hiérarchisation des  idées ou des connaissances en jeu puis par une reformulation qui permet de reconstruire la connaissance produite afin de l’intégrer dans l’ensemble des connaissances antérieurement acquises. Ce qui correspond au schéma de Piaget sur l’assimilation.
En revisitant collectivement ces mécanismes liés à l’apprentissage, chacun a revisité sa pratique pédagogique en y intégrant des objectifs communs pour que l’élève donne sens à ce qu’il apprend d’une part et favoriser l’activité intellectuelle d’autre part. Il s’agit de l’explicitation des attendus de la
leçon, de la mise en réflexion des élèves sur les notions abordées par un repérage et une hiérarchisation des idées ou des connaissances, de la proposition de situations d’autoévaluation ou coévaluation pour tester les acquis.

Au-delà des projets de ces deux équipes, on mesure la force et l’intérêt du collectif lorsqu’il associe le sens donné à l’expérience scolaire pour l’élève au sens donné à l’expérience professionnelle pour
l’enseignant. Une approche collective permet de sortir de la solitude de la classe où tout se joue le plus souvent dans une relation duelle dans laquelle le savoir devient un prétexte alors qu’il devrait être l’objet médiateur d’une construction individuelle et collective. On entend beaucoup parler de métacognition
chez les élèves, d’installer une attitude réflexive, de permettre le travail d’équipe. Mais chiche ? Si on se l’appliquait au sein des équipes éducatives ? Et si l’on mettait en pratique ce que l’on est sensé
installer chez les élèves ? Et si en mettant en travail les pratiques pédagogiques au sein d’une même équipe, on passait d’une co-errance à la cohérence nécessaire à un enseignement de qualité ?

 Articles :

  • Le métier Enseignant, Jacques
    BERNARDIN, Audition au Sénat, 21 février 2012 

    Où il est dressé un constat sur le métier d’enseignant après deux décennies de politiques éducatives qui ont déconstruit le système de valeurs qui fondait « l’école républicaine ». L’auteur propose des pistes pour rompre avec des habitudes professionnelles et faire évoluer les pratiques pour relancer la démocratisation de l’accès au savoir et à la culture. LIRE

  • Vers une transformation de la formation à la professionnalisation des enseignants,
    Odette BASSIS, 2012

    Si le métier  de professeur est déjà en lui-même un métier « impossible », tant il est plongé devant un défi de complexité, le métier de formateur ne l’est pas moins, au regard des emboîtements de complexités qu’il revêt.
    Si la transmission des savoirs est la question-clé de la formation, il faut l’interroger dans une
    perspective d’intégration réciproque théorie-pratique mais également au travers de pratiques de transmission vécues par les futurs enseignants. Lire

  • Pour une pédagogie de projet émancipatrice, Maria Alice MEDIONI (GFEN Secteur Langues) mai 2010

    Travailler en projet est devenu une injonction institutionnelle pour inscrire les apprentissages dans des situations où le savoir se construit « à travers un faire social ». Pour autant interroge l’auteur : N’assiste-t-on pas à une récupération d’une notion qui permettait d’apporter une réponse nouvelle à une situation de crise dans l’école ? Les partis-pris sont-ils les mêmes que ceux qui ont prévalu chez ses concepteurs ? Le projet, est-ce une fin en soi, un supplément d’âme, ou un outil ? Lire

  • Individualisation des situations d’apprentissage, Christine PASSERIEUX, 2005 LIRE
  • Un travail de groupe peut en cacher un autre, Bernard MAYAUDON DIALOGUE n° 142
– L’ordinaire de la classe, octobre 2011
Description d’une pratique de classe qui travaille les questions suivantes : Pourquoi faire travailler les élèves en groupes et que fait-on quand nous faisons cela ? Suffit-il que les élèves soient
en petits groupes pour qu’il y ait travail de groupe ? Peut-il y avoir travail de groupe sans mettre les élèves en petits groupes ? Lire
 
  • Le conseil coopératif,Yves BEAL et Frédérique MAIAUX
DIALOGUE n° 142 – L’ordinaire de la classe, octobre 2011

« Les conseils coopératifs de classe permettent à chaque enfant de se trouver impliqué dans le groupe, de poser sa parole et ainsi d’être entendu et reconnu par les autres et bien sûr par
l’enseignant. »
Lire

  • L’écriture collective à Quels enjeux ? 25 pratiques pour enseigner les langues.,Valérie PEAN
    et Muriel RENARD

    DIALOGUE n° 139Écrire ses pratiques, janvier 2011

    L’article s’appuie sur une expérience d’écriture collective. Lire

  • Sauver les valeurs scolaires de l’école républicaine, Nathalie MONS

    Deux décennies de politiques scolaires ont déconstruit le système de valeurs sur lesquelles repose le modèle républicain de l’école. Progressivement l’intérêt collectif d’une éducation dite nationale fait place à « la valorisation des particularismes, de l’individualisme et de la différenciation ». Pour autant, ce modèle libéral de système scolaire n’emporte pas à ce jour l’adhésion de la communauté éducative et d’une majorité de parents.
    http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2012/132_2.aspx

Le stage « vécu de l’intérieur » (paroles de stagiaire)

Il est très difficile de décrire ce qui s’y passe, il faut le vivre de l’intérieur pour éprouver le foisonnement du travail intellectuel dans les échanges. On se rend compte que les questions personnelles qu’on se pose sur sa classe, ses élèves sont des préoccupations professionnelles qui touchent aussi les autres
collègues. On expérimente « en vrai » et « en grand » qu’on est plus intelligents à plusieurs. On en repart gonflé pour l’année, enrichi, enthousiaste. Voilà à quoi ça sert un stage de rentrée.

Stage : mode d’emploi

L’hétérogénéité des publics

C’est quelque chose qu’on connait bien dans les classes. Ici on a la « preuve par l’épreuve » (Jacques Bernardin) que c’est une richesse et non pas un obstacle.

On vient un peu de partout, selon l’implantation géographique, de la ville ou du département. On en a entendu parler par des formateurs engagés dans le mouvement, ou bien on sait que ça existe et on y participe chaque année, ou encore on l’a découvert un peu au hasard d’une lecture ou d’une rencontre…

Qu’est-ce qui pousse à se retrouver dans une école en cette fin de vacances, alors qu’on pourrait profiter encore un peu de son temps libre, alors qu’on a aussi des tas de choses à préparer pour sa classe ?
On est débutant dans le métier, majoritairement, mais on a aussi plusieurs années d’expérience et on voudrait changer des pratiques qui ne nous conviennent plus, on veut durer dans le métier, ou bien on est soi-même formateur (si, si ça existe la formation tout au long de la vie !) et on vient pour faire un point, une pause. Les motivations sont donc bien différentes, entre celui qui découvre le mouvement et celui qui adhère déjà à ses valeurs.

Les animateurs des ateliers 

Eux, ce sont des militants qui ont travaillé en amont pour préparer ce stage. Au GFEN, le choix est fait de l’animer en binôme, un « ancien » et un « nouveau » dans le mouvement (et ce n’est pas une question d’âge), pour que l’expérience de l’un serve à l’autre, pour que l’un s’essaie sous le regard bienveillant de l’autre. « Assurer la relève, c’est important ! Il faut que les choses se transmettent, évoluent, avancent ; c’est l’essence même d’un mouvement », nous dit une secrétaire nationale.

Un atelier : tentative de description

Le principe est de faire vivre personnellement aux participants une situation dans laquelle eux-mêmes sont en posture d’apprenants, pour voir qu’ils passent par les mêmes cheminements de pensée que leurs élèves en classe. Ces démarches sont transposables et chacun pourra ensuite l’expérimenter professionnellement dans sa classe.

Exemple : Lire une lettre en polonais pour montrer dans quelle situation se trouve un apprenti-lecteur de CP.

Le but de ces ateliers n’est pas seulement de les vivre mais surtout de les
analyser pour déteminer les invariants d’une situation d’apprentissage. On fait et on parle pour conscientiser ce que l’on a fait et formaliser ce concept noyau dur qu’est « enseigner/apprendre ». On revient sur l’activité, ce qui a fait empêchement ou obstacle, quels leviers ou quelles aides ont joué pour comprendre comment on a fait et pourquoi on a réussi.

La question des savoirs est première. Ils sont toujours provisoires et s’enrichissent d’être partagés. L’aspect anthropologique est très important. Il faut du temps pour apprendre (cette idée est souvent occultée).

On enseigne en fonction des conceptions qu’on a de l’éducation et des valeurs qu’on prône. Au GFEN, on (ré)affirme la réussite de tous, on met les élèves en condition de réussir ensemble, en confrontant les idées, en utilisant le langage pour argumenter, préciser. On affine sa pensée en formulant avec ses mots ce que l’on sait de la situation et en l’expliquant aux autres.

Les modalités de la transmission obéissent à des règles de travail précises. L’enseignant doit être au clair avec les enjeux de son enseignement, les attentes qu’il a des élèves et ses propres intentions. Il les explicite clairement aux élèves. C’est toujours plus facile d’arriver à un endroit quand on sait où l’on va !

Le GFEN met en place des situations-défis pour enrôler les élèves dans l’activité. Celles-ci reposent sur de vrais problèmes à résoudre et reflètent la complexité du réel. Filons l’exemple précédent : le défi est de lire et comprendre un texte dans une langue qu’on ne connait pas.

Chacun va dans une première phase mobiliser ses connaissances antérieures sur le type de textes, prendre des indices. Dans la mise en commun qui suit, on va se confronter aux autres et s’enrichir de ce que l’autre a trouvé. La phase individuelle est primordiale pour que chacun puisse se questionner et apporter des choses au collectif. Car le rapport au savoir est avant tout personnel et singulier.

Dans ces pratiques, la posture de l’enseignant est essentielle pour faire penser les élèves et la question de la nature des étayages qu’il propose s’affine au fur et à mesure de l’avancée des travaux des ateliers. En filigrane, la question de l’aide est présente. Celle-ci n’est pas conçue comme une adaptation ponctuelle pour les « élèvesendifficultés » (écrit en un mot comme si c’était dans leur nature d’être en difficultés).
L’aide est apportée au groupe en fonction des besoins, il y a des moments où il est nécessaire d’apporter de manière magistrale, des connaissances que les enfants ne possèdent pas, ce qui les
empêche d’avancer dans leur cheminement de pensée.

L’animatrice de la lettre en polonais a laissé chercher les participants jusqu’à ce que l’obstacle soit insurmontable. Elle apporte à la demande des mots de vocabulaire pour que le sens ne soit pas « deviné », elle met en garde sur certains mots faux-amis, elle encourage mais protège la « prise de risque » des apprentis lecteurs en polonais. Elle ne valide jamais, elle renvoie au groupe, demande des justifications et fait avancer la réflexion.

Et on y arrive. La preuve sur la photo ! 

stage paris_affiches

 

En même temps que les ateliers se poursuivent, des moments de discussion s’instaurent, autour d’un café ou d’un apéritif, à propos d’un livre dans le coin librairie, dans ces petits interstices informels tellement importants aussi dans les relations professionnelles.

 

Ici pas d’ambiance « colonie de vacances » mais une convivialité affirmée par un pique-nique dans cour d’école, buffet sur table de ping-pong. Il n’y a que le buffet d’improvisé avec ce que chacun apporte, tout le stage a été minutieusement préparé dans une rigueur qui n’exclut pas la bonne humeur.

Les pratiques, parlons-en !

Jacqueline BONNARD, 2012

Plus de cinq cent personnes ont assisté à nos stages de rentrée autour d’un thème fédérateur « Des
pratiques pour une autre école ! » Au-delà du slogan, de quoi s’agit-il ?

Au regard des comptes-rendus produits par les groupes et secteurs du mouvement, on mesure l’intérêt que suscitent les outils proposés. Je dis « outils » pour ne pas entrer dans le rayon des « méthodes qui marcheraient » comme s’il suffisait d’appliquer une procédure ou une recette pour l’élève se construise
des savoirs. Je dis « outils » car tout professionnel a besoin de savoirs formalisés pour exercer son action en fonction des objectifs visés. Je dis « outils » car au-delà de l’apparente facilité de l’exercice vécu ou observé, c’est la pratique de l’outil qu’il convient d’interroger

Entrer dans le métier enseignant c’est endosser une identité collective faite de valeurs et d’habitus[1],
c’est-à-dire d’un certain nombre de principes générateurs intériorisés par chacun d’entre nous et qui vont se traduire par des pratiques dont les caractéristiques sont identifiables comme relevant du métier sans pour autant présupposer de la visée consciente et de la maîtrise des opérations nécessaires
pour atteindre les objectifs visés. Ainsi comme le souligne Stéphane BONNERY[2],
Le dispositif pédagogique  majoritaire pour mener une séance de cours ou de formation répond à la logique de « l’indifférence à la différence », c’est-à-dire qu’elle s’appuie sur un modèle
implicite de « l’élève normal » qui adopterait spontanément les postures adaptées, apprendrait de façon fluide en répondant aux sollicitations de l’enseignant. De ce fait, les élèves les plus éloignés des évidences scolaires ne construisent pas de savoirs même s’ils participent aux activités proposées,
de plus ils se trompent d’objet de travail puisque pour eux « l’important est de participer » en faisant plaisir à l’enseignant.

De quoi sont révélatrices les pratiques produites et proposées par les militants du GFEN ?

1. Le pari du « Tous capables ! »

Les critères actuels de réussite et d’échec scolaire induisent une relation dissymétrique entre ceux qui possèdent les codes de l’école et ceux qui en sont éloignés de par leur origine sociale, tout en instaurant un rapport conflictuel puisqu’apprendre et réussir ne peut se faire qu’à coté ou contre l’autre. Le pari philosophique du « Tous capables ! » s’appuie sur le regard positif porté sur les potentialités de chaque individu à interroger le monde pour s’en construire une représentation en cohérence avec les connaissances actuelles et devenir ainsi acteurs de leur propre vie. Encore faut-il que les situations d’apprentissage proposées permettent à  chacun de mobiliser ses ressources internes et de se construire solidairement avec les autres des savoirs émanant du capital culturel bâti par les générations précédentes.

2. Le savoir au centre

Plutôt que d’annoncer « l’élève au centre de…», il s’agit de s’interroger sur les savoirs à transmettre et les processus de transmission. Il n’y a de savoir que construit par un sujet, en interaction avec les autres. Ce faisant l’individu se construit comme sujet en construisant son savoir. Pour le GFEN, le savoir est à la fois un objet construit socialement et le processus de cette construction. « L’idée du savoir implique celle du sujet, d’activité du sujet, de rapport du sujet à lui-même, de rapport de ce sujet aux autres » [3]

Cette approche nécessite une grande rigueur au niveau de la connaissance des concepts à aborder à la fois dans leur historicité et  les obstacles épistémologiques[4] liés à leur construction. C’est sur cette connaissance que la situation d’apprentissage proposée aux élèves est construite dans la perspective d’une appropriation collective de ces savoirs.

3. Les processus de transmission des savoirs

« On n’apprend jamais que seul, on n’apprend jamais qu’avec les autres », avons-nous coutume de dire. En proposant la démarche auto-socio-construction,  le GFEN favorise la mobilisation de chacun, installe le nécessaire conflit socio-cognitif et permet l’élaboration collective d’une synthèse active des savoirs abordés. Par la réussite de l’entreprise, ce processus installe une image positive de soi et de ses capacités.

Mais peut-on parler de pratiques sans évoquer la formation professionnelle des enseignants ?

Malgré les affirmations selon lesquelles le métier d’enseignant s’apprend en enseignant, ce qui a motivé la suppression de la formation initiale des professeurs néotitulaires, de nombreuses recherches montrent la nécessité d’une formation de haut niveau. Il y va de la qualité d’un enseignement qui doit contribuer à l’élévation générale des connaissances du corps social. Comme toute profession, les enseignants ont à se construire des compétences et en particulier celle d’analyser leurs pratiques pour prendre conscience de l’écart toujours présent entre travail prescrit et travail réel, entre objectifs visés et  objectifs atteints, afin de rechercher les solutions pertinentes pour en améliorer les effets. Ceci ne peut se passer que par un travail réflexif collectif fait de récits de pratiques, d’échanges entre
pairs, de comparaisons des stratégies pédagogiques adoptées. La verbalisation de la pratique génère un cadre interprétatif de l’acte professionnel et oblige à un dialogue entre théorie (apport de la recherche sur les items explorés) et pratique (situations de classe analysées). Intégrer à la formation
professionnelle des enseignants les travaux relatifs à l’ergonomie du travail (en particulier d’Yves Clot[5]) d’une part et les apports des nouveaux pédagogiques d’autre part pourrait contribuer à une formation professionnelle plus formatrice que « formatante ».


A lire

  • La démarche d’auto-socio-construction du savoir, Odette BASSIS

Dialogue n° 120 – Le savoir ça se construit, l’émancipation aussi, 2006

Définition et retour sur un concept élaboré par Odette et Henri BASSIS dans le cadre du GFEN et dans la lignée de la psychologie constructiviste (Piaget, Wallon, Vygostsky). Pour les militants du GFEN, l’apprentissage n’est pas affaire de recettes mais de stratégie ; le savoir ne se transmet pas, il se construit ; l’acte d’apprendre est un acte singulier, individuel ; l’apprentissage se conduit
dans un cadre socialisé : « on n’apprend jamais que seul mais on apprend avec (coopération) et contre les autres (contradiction et confrontation) ». Lire

Quelques pratiques et démarches proposées par des militants du GFEN :

  • La copie, cela s’apprend ! Corinne OJALVO

    Dialogue n° 145 – Du refus d’apprendre au pari de comprendre , juillet 2012

Une copie pour apprendre à copier… sous l’œil observateur d’un camarade avec retour réflexif sur les procédures utilisées : découpage syllabique, référence sémantique, remarque morphologique… Lire

 

  • Entrer en littérature par la pensée effervescente ou la mise en œuvre d’un chantier au CE2, Ghislaine MORANT

Dialogue n° 145 – Du refus d’apprendre au pari de comprendre, juillet 2012

Penser collectivement le métier. Le groupe cycle3 du GFEN38 a mis en place un chantier de lectures afin de proposer une alternative
aux situations de travail traditionnelles en classe. Lire

  • Jour de rentrée, les cinq premières minutes, Jacqueline BONNARD

Dialogue n° 103 – Collège, diversifier ou démocratiser l’accès au savoir, 2002

De l’importance d’installer une véritable rencontre
lors de « la prise de contact » avec une classe. Lire

  • La place du symbolique dans la conceptualisation, Odette BASSIS

Dialogue 139 –  Écrire ses pratiques, 2011

Retour sur une démarche d’auto-socio-construction,
ouvrant sur la notion d’addition qui donne matière à revenir sur les étapes de
conceptualisation. Lire

  • Du texte littéraire aux concepts en technologie Jacqueline BONNARD, Philippe GESSET

Dialogue Hors Série – Prendre pouvoir sur l’écrit, 2011

Introduire une séquence en technologie par l’étude d’un texte littéraire, c’est le défi que deux enseignants (un professeur de technologie et un professeur de lettres) d’un collège
« Ambition-Réussite » de Tours se sont lancés. Lire

 

  • « Les chocolats littéraires » Pourquoi des débats littéraires à l’école maternelle, Sylvie MEYER-DREUX

Dialogue n° 134 – Pour que la maternelle fasse école, 2009

Evoquer le débat à l’école maternelle soulève parfois des réticences car envisagé comme trop complexe pour de jeunes élèves. Pourtant, ce mode de communication met en jeu des capacités fondamentales tant sur le plan linguistique, cognitif et social que sur le plan individuel… Lire

 

  • Une pratique du débat à l’école primaire,  Marie SERPEREAU

Dialogue n° 107 – Oeuvrer pour la paix : les paradoxes du conflit, 2003

Dans la salle polyvalente de l’école, du côté des grands pour cette école à deux ailes, les chaises sont disposées en deux cercles concentriques. Le cercle intérieur est réservé aux enfants qui se sont inscrits comme participants au débat quelques jours auparavant. Le second cercle, le cercle extérieur attend les auditeurs… Lire

  • Le magistral et la mise en activité, Maria-Alice MEDIONI

Dialogue n° 136 – Transmettre. Enjeux sociaux et pratiques éducatives engagées, 2010

Comment mettre en activité des étudiants lors d’un
cours magistral intitulé « Apprentissage et didactique des
langues » et installés dans un amphi ? Lire

 

  • L’atelier de création poétique, à propos de l’acte d’écrire Christine JEANSOUS, Michel POLETTO

Dialogue Hors Série – Prendre pouvoir sur l’écrit, 2011

Ecrire, loin d’être un simple transcodage de l’oral est une vraie « bataille » avec la langue et l’acte d’écrire est une activité à part entière, bien particulière. Lire

  • L’atransmission, des chantiers pour créer… des ateliers… des démarches, Bernard MAYAUDON

Dialogue n° 137 – Education Nouvelle en marche. Chantiers d’avenir, 2010

Pratique du secteur Arts plastiques, Recherche et Création, il s’agit d’un dispositif pour permettre à TOUS l’invention d’ateliers, de démarches. Lire

  • « Le triomphe par le ratage » Dans les parages d’Henri Michaux, Odette et Michel NEUMEYER,

Dialogue n° 138– Difficulté scolaire. comment retourner la peau du destin ? Actes des 3èmes rencontres nationales sur l’accompagnement (St Denis, 27-28 mars 2010) 2010

La formule, provocatrice à souhait, est du plasticien et écrivain belge Henri Michaux. Les auteurs en ont fait un atelier de création pour interroger les notions de réussite, d’échec d’essai et d’erreur. Lire

  • Penser le Tous capables, Maria-Alice Médioni

Dialogue n° 109 – Tous capables ! Quel travail ! 2003

Une réflexion autour la posture de l’animateur et de la
nature de l’activité à proposer dans une séquence d’apprentissage. Lire

 

  • Le rôle des attentes dans la construction de l’image de soi : l’effet « Pygmalion » Jean Bernardin

Dialogue n° 138 – Difficulté scolaire. comment retourner la peau du destin ? Actes des 3èmes rencontres nationales sur l’accompagnement (St Denis, 27-28 mars 2010) 2010

Toute action de transmission repose sur des théories implicites concernant le regard que l’on porte sur l’apprenant, nos attentes à  et notre conception de l’objet à transmettre (avoir, geste professionnel…). Lire

Mais d’autres pratiques et démarches figurent dans les différents numéros de notre revue Dialogue.

Lire également :

Un dossier de l’IFE : Les effets des pratiques pédagogiques sur les apprentissages, n° 65, septembre 2011 – Auteur(s) :  Annie Feyfant

http://ife.ens-lyon.fr/vst/DA/detailsDossier.php?dossier=65&lang=fr

Existe-t-il des pratiques pédagogiques efficaces? La recherche en éducation peut-elle apporter une
réponse à cette question? Cette revue de littérature tente de cerner les réponses apportées, surtout hors de nos frontières. Plusieurs courants de recherche tentent de répondre à la question « Qu’est ce que l’efficacité en éducation ? ». On pourrait faire état des travaux sur l’effet-maître, l’effet-établissement. Les travaux sur l’efficacité entremêlent les différents facteurs qui semblent favoriser les apprentissages.


[1] Pierre BOURDIEU : Le Sens pratique, Les Éditions de Minuit, 1989, p. 88-89).

[2] Au sens que donne Stéphane BONNERY (2007) : des dispositifs récurrents, de classe en classe, abstraction faite de la façon d’enseigner propre à chaque professeur

[3] Bernard CHARLOT, Du rapport au savoir, poche éducation (p. 70)

[4] Gaston BACHELARD, La formation de l’esprit scientifique.

[5] Yves CLOT, Chaire de Psychologie du travail, CNAM

Du tri à l’exclusion

  • Du plan Langevin-Wallon à aujourd’hui, Jacques BERNARDIN, 2011, Lire

Du rapport Thélot à la loi Fillon en passant par les déclarations et textes plus récents, les discours sur l’éducation utilisent la notion d’aptitudes, de talents propres à chacun pour justifier l’individualisation des cursus et l’abandon des ambitions démocratiques au nom d’un pragmatisme qui serait plus adapté aux besoins économiques d’aujourd’hui. On a même pu entendre certains responsables justifier ces choix en faisant référence au Plan Langevin-Wallon qui, lui-même, parlait d’aptitudes. Qu’en est-il exactement à chacune des époques ? D’hier à aujourd’hui, quel sens est attribué à cette notion et au service de quelles finalités ?

  • Ecole pour la réussite de chacun, les points de vue d’Agnès VAN ZANTE et Choukri BEN AYEB, 2011, Lire
  • L’individualisation dans la classe, Stéphane BONNERY, 2009, Lire

En partant de ses travaux et en empruntant à des recherches réalisées par des collègues, l’auteur essaie de répondre à la question « L’individualisation : une réponse à l’exclusion sociale ? », en posant cette question à trois niveaux.
1 – « L’individualisation dans la classe : inégalités, compensation, lien social et leurre ».
2 – de l’individualisation dans la classe à « l’individualisation dans le système scolaire », et notamment l’individualisation dans le traitement de la difficulté scolaire.
3 –  « L’individualisation dans le système économique et dans la société », en traitant de la relation entre les contradictions qui sont dans la société et celles dans la salle de classe.

  • « Individuel/collectif en éducation : un faux débat ? », Bernard BIER,2009, Lire
  • Les paradoxes de l’individualisation, bulletin XYZep du Centre Alain Savary, 2006, Lire

  • Les difficultés d’apprentissage seraient-elles des pathologies qu’il conviendrait de soigner ?

Jacqueline BONNARD

A tous les niveaux de la scolarité, les injonctions faites aux enseignants, aux éducateurs sont fortes pour dépister, prévenir, anticiper… afin d’individualiser et traiter les difficultés de façon parcellaire, en rejetant sur l’individu lui-même les causes du dysfonctionnement. A force de chercher des causes
individuelles à des difficultés scolaires qui pourtant sont communes à un certain nombre d’élèves issus le plus souvent des classes populaires, on en vient à concevoir la difficulté scolaire comme une maladie. Le vocabulaire utilisé est d’ailleurs sans ambiguïté : on dépiste pour prescrire, on diagnostique
pour prévenir, on traite le « problème » après avoir identifié la nature du « dys »fonctionnement en externalisant  ce qui pourrait être pris en charge dans le cadre de la classe par une approche pédagogique concertée.

Le courant neurocomportementaliste tente d’imposer cette conception : prolifération des « dys » (dyslexie, dyscalculie, dyspraxie…), arrivée massive de troubles (de l’attention, de langage, de mémoire…), comme autant de d’indicateurs attestant d’un dysfonctionnement génétique ou neurologique empêchant d’apprendre. Dans un modèle où la difficulté est renvoyée à chaque individu
comme un problème personnel à résoudre -ou pire à une fatalité-, la porte est ouverte à une médication dont les effets peuvent être dévastateurs. Tout se passe comme s’il n’existait pas de mémoire pédagogique faite de connaissances et d’expériences à partager, comme si l’expertise de l’enseignant se cantonnait aux routines installées dans la classe. Pourtant l’école a besoin de construire du collectif, à commencer chez les professionnels de l’enseignement : échange de pratiques, regards croisés sur les élèves, élaboration de projets de classe, réflexion sur les enjeux et les visées…

Au sein d’une société ou l’individualisme triomphe, le risque est de faire imploser l’institution si les problèmes repérés sont compris comme organiques ou physiologiques alors même que les sciences de l’éducation nous apprennent que la difficulté est constitutive de l’apprentissage et qu’il conviendrait
d’analyser ce qui fait obstacle chez certains élèves. La tentation est grande de laisser croire que les réponses à la difficulté scolaire se trouvent soit dans le soutien scolaire (rattrapage, révisions, aide aux devoirs…) soit dans le soin (orthophonie, rééducation, suivi psychologique…).

Il ne s’agit pas de nier l’intérêt scientifique des neurosciences dont l’apport nous permet de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau,  mais face à une dérive idéologique, on peut à juste titre s’inquiéter de cette propension à externaliser la résolution du problème de l’élève en laissant croire que  ses difficultés n’ont pas de rapport direct avec l’enseignement proposé d’une part, et des discours de neuroscientifiques peu soucieux de l’éthique nous expliquant comment « dépister » dès le plus jeune âge les enfants « à risques ».

Un texte de Laurent CARLE, psychologue scolaire. Face à l’indignation justifiée par le projet gouvernemental de dépistage des enfants « à risques », l’auteur incite à signer la pétition mais s’interroge sur les tabous qui verrouillent les esprits et lient les langues, empêchant les enseignants à faire évoluer un système d’évaluation qui relève d’un logique élitiste. Avec en
prime, un lien sur le document « protocole d’évaluation en grande section » sensé aider les enseignants à repérer « l’enfant à risque ».

Un billet d’humeur de Guy TRIGALOT Maître E, qui s’interroge sur « le besoin de néologismes pseudo-scientifiques qui font penser que l’on a une docte maîtrise du problème »

Un article très complet et intéressant de Michel S Levy* sur la tentation de médicaliser les difficultés scolaires à partir d’études pseudo-scientifiques qui visent en outre à déresponsabiliser les différents professionnels et de faire porter massivement sur les sujets souffrant la responsabilité de ce qui se passe.

*Michel S LEVY :  Psychiatre, PsychanalYste à Rodez, auteur de « Psychanalyse : l’invention nécessaire », 2005, L’Harmattan et « Psychanalyse : une éthique de l’engagement » 2011, L’Harmattan

  • Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent. Rapport de l’INSERM – 2005La lecture du rapport de l’INSERM auquel tous les auteurs font référence est fort utile si l’on veut comprendre ce qui se joue et comment – et quoi- l’idéologie libérale s’appuie sur une étude à priori « neutre et désintéressée » pour exclure.

Repenser l’école

« Restituer aux savoirs leur portée émancipatrice »

Jacques Bernardin (GFEN)

Article paru dans « Les idées en mouvement »

N° 185, Journal de La Ligue de l’Enseignement, Janvier 2011
Les évaluations en témoignent : l’école française est impuissante à enrayer la ségrégation scolaire1. On pourrait l’imputer au creusement des inégalités sociales, à la concentration de foyers de pauvreté, à la dégradation des conditions de vie des familles ou encore aux choix néfastes d’une politique éducative régressive à bien des égards. S’il importe de veiller à tous ces facteurs qui pèsent lourd sur l’institution scolaire, une vision prospective exige d’interroger conjointement les éléments endogènes par l’intermédiaire desquels se perpétue l’inégalité devant l’école.

L’épuisement du sens d’apprendre

Le spectre de l’avenir professionnel attise l’aspiration des parents – notamment ceux de milieux modestes – à une école efficace pour l’emploi. Redoutable pression qui tend à instrumentaliser l’éducation au service de l’économie, amène les élèves à dénier l’importance d’apprendre au regard de la dévalorisation des diplômes et à ne s’investir qu’a minima dès lors qu’ils doutent, dans cette logique, de l’utilité des contenus proposés.

Mais l’Ecole est-elle toujours à même de les détromper quand elle privilégie l’écoute, la mémorisation et l’exercice comme modalités d’apprentissage, quand elle multiplie notes et contrôles pour stimuler leurs efforts et gagner leur implication ? Est-elle plus pertinente quand elle privilégie le « faire » sans que soient ménagées les étapes pour s’en détacher afin d’en tirer leçon, quand l’enjeu et le sens de l’activité restent dans un implicite propice aux connivences… ou aux malentendus ?

Il est toujours possible pour certains de se récupérer grâce aux aides apportées le soir à la maison ; d’autres ne disposent guère d’appuis pour étayer ou reprendre ce qui a été mal fondé. L’aide dans l’espace scolaire, qui répond à des aspirations légitimes, est-elle plus efficace ? Si elle semble conforter ceux qui ont appréhendé l’essentiel, elle n’opère qu’un rafistolage incertain voire contre-productif pour ceux qui sont passés à côté, confortant les attitudes de passivité et la dépendance.

L’audace du changement

Comment révolutionner leur rapport au savoir ? Le problème est ancien mais devient défi social quand l’ouverture de l’éducation à tous est perçue comme promesse non tenue. Bourdieu a dénoncé en son temps la violence symbolique d’une Ecole attendant de tous qu’ils disposent également de ce qu’elle n’enseigne pas, que ce soit en matière de rapport au langage, de dispositions vis-à-vis de la culture ou à l’égard de l’étude. L’interpellation reste pertinente.

Lever les implicites

Sans doute faut-il considérer à pour véritablement parler à tous à que rien ne va de soi, qu’y compris bien des natifs de langue française ne « parlent pas la même langue » que celle de l’école, peinent à saisir le sens des situations, l’objectif des activités et les attentes à leur égard. Ce qui plaide pour une explicitation de ce qui est vécu : que va-t-on faire et pourquoi ?
Comment va-t-on procéder ? Clarification de l’enjeu et du but de l’activité comme des modalités de travail installant un cadre facilitant l’inscription dans la séance, mais aussi accompagnement réflexif en cours ou au terme de celle-ci pour échanger et comparer les moyens mobilisés et leurs effets, dévoiler et partager les techniques intellectuelles au bénéfice de tous. Eviter donc la « pédagogie invisible » de l’allant-de-soi.

L’étrangement du familier

De la maternelle au lycée, l’école ne cesse de convoquer une approche du réel singularisée par la distance, un rapport second aux choses en rupture avec l’expérience première des élèves.
Ainsi propose-t-elle d’arrêter le cours ordinaire des échanges pour « mettre la langue au tableau » et l’observer, de sortir de sa fonction pour s’attacher à son fonctionnement, de s’extraire du rapport d’usage familier pour s’installer dans la posture savante du grammairien. Dans ces premiers pas à l’école se joue le prototype de la relation scolaire, exigeant de chacun d’arrêter de parler pour comprendre sa langue, de passer de la maîtrise pratique à une maîtrise symbolique ouvrant à de nouveaux pouvoirs de compréhension et d’action. Et ce n’est pas un hasard si bien des destins s’échouent précocement dans ce passage de la culture orale à la culture scripturale-scolaire2.

L’aventure passionnante des savoirs : pour une culture vivante et émancipatrice

Que ce soit en matière de langage, de comptage, de rapport au temps ou à l’espace (avec la géométrie et le plan), chacun est confronté à des codes symboliques, des systèmes de représentation ayant fait l’objet d’une genèse laborieuse à l’échelle historique, avec des points de butée faisant étrangement écho aux zones de turbulences affrontées par les élèves. Quel que soit l’objet proposé, l’enseignement devrait s’inspirer des leçons de l’interrogation épistémologique : à quel problème a-t-il répondu ? Quelles étapes en ont jalonné la mise au point ? A quelle grammaire répond son économie interne ? Et où les élèves en sont-ils ? Autant d’éléments pour élaborer la situation d’apprentissage, baliser la mise en scène de ruptures conceptuelles, anticiper le cheminement intellectuel des élèves.

Changement d’approche subordonné à un enjeu central : comment restituer aux savoirs leur portée émancipatrice originelle ? Les savoirs sont d’abord défis à la fatalité, outils pour compenser les handicaps natifs de l’espèce. Autrement dit, savoir rime avec pouvoir. Et ce serait trop court d’ajouter une pincée d’histoire culturelle à la leçon classique. C’est au cœur même de la séance  d’apprentissagequ’il faut le faire vivre aux élèves, solliciter imagination, créativité et exercice de la raison, occasion forte d’éprouver leur intelligence et de les inscrire dans le vif d’une aventure humaine passionnante.

Rompre la solitude

Le savoir n’instruit que s’il transforme. Qu’il s’agisse de projets, d’ateliers de création ou de démarches de construction de savoir, c’est le sujet qui est convoqué, met ses connaissances à l’épreuve, transforme son regard sur le monde mais aussi sur lui-même, plus fort des défis relevés. Comment peut-on accepter la dégradation de l’estime de soi relevée par les observateurs de notre système au fil du cursus scolaire ? Nous avons beaucoup à faire pour repenser une autre école, attentive aux progrès de chacun, soucieuse d’une autre dynamique pour chaque sujet en construction.

Si apprendre relève d’un engagement individuel, personne n’apprend seul. L’école souffre d’être un espace de solitude paradoxale où les pairs sont plus concurrents que solidaires. Or, la confrontation des idées amène chacun à prendre distance avec ses opinions premières, à exercer son esprit critique et à sortir de lui-même : expérience clé d’une altérité qui fait grandir, libère de tous les communautarismes, d’un enfermement aliénant.
A moins qu’il ne soit leçon de morale, où pourrait se fonder le lien social si ce n’est au quotidien des apprentissages ?

Former : conformer ou transformer ?

Participer à l’émancipation des élèves, les amener à jubiler de leurs conquêtes intellectuelles, les inscrire dans une communauté humaine qui transcende l’époque et les appartenances sociales, contribuer à l’édification de citoyens critiques et solidaires : belle mission, plus enthousiasmante que la mise au cordeau de l’employabilité.

L’histoire a montré qu’il ne suffit pas de prescrire, quelle que soit la pertinence du projet. Faute d’acteurs convaincus et mobilisés…
C’est le rôle de la formation. S’adresser à tous suppose d’interroger les conceptions relevant de l’opinion commune, qu’ils’agisse du regard sur les élèves ou leurs parents, sur le savoir ou sur l’activité d’apprentissage. Une logique de compagnonnage ne peut répondre aux exigences d’un métier complexe, obligeant chacun à concevoir et à agir en fonction de variables situationnelles mouvantes.

Relancer vigoureusement la démocratisation exige, pour contrer les effets délétères de situations sociales difficiles, une action sur le long terme, ce qui plaide pour le travail d’équipe. On le pratique et on y prépare jusqu’alors trop peu, alors que nous en avons expérimenté la puissance transformatrice à divers niveaux de la scolarité. Le changement serait-il à portée de main ?


1Christian Baudelot, Roger Establet, L’élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales. La République des Idées / Seuil, 2009.
2Cf. Bernard Lahire, Culture écrite et inégalités scolaires, PUL, Lyon, 1993.

Formation au service du développement

Colloque « Avons-nous encore besoin de pédagogie ? » – Lyon / 8-9-10 octobre 2010
Table ronde (avec Stéphane Bonnéry et Walo Hutmacher) : « Quelles pédagogies ? Pour quelles
sociétés ? »

 Pour relever le défi de la démocratisation :
Une formation au service du développement

 Jacques BERNARDIN (GFEN)

 

Selon l’OCDE, « en période d’austérité, il faut conserver les moyens essentiels qui vont permettre d’assurer une croissance économique durable, en particulier dans l’éducation ». Les
économies faites à tous niveaux aujourd’hui en France, touchant particulièrement l’INRP, les mouvements pédagogiques et la formation ne vont-elles pas coûter cher au pays demain, sur le plan économique, mais aussi au niveau social et humain ? Avons-nous les moyens de nous passer de
formation ?

La France dans le paysage international

Sans que les résultats soient globalement catastrophiques (plutôt dans la moyenne des pays de l’OCDE), on constate un tassement progressif, avec un accroissement des écarts et des inégalités[1].
Le prix à payer pour la sélection des élites ? Même pas… Avec un record, celui du mal-être à l’école : 45 % des élèves s’y sentent à leur place contre 81 % en moyenne dans OCDE[2], constat corroboré par l’enquête AFEV auprès de près de quatre cents des jeunes écoliers et collégiens[3].

Il n’est pas fatal que la France soit parmi les systèmes les plus ségrégatifs, que la naissance pèse autant sur les destins scolaires ; pas fatal que les élèves s’y sentent si mal…

Développer la démocratisation

L’école n’a pas à perdre à s’intéresser au sort des plus faibles, bien au contraire. Les comparaisons internationales montrent que les systèmes les plus efficaces sont aussi ceux qui sont les plus équitables, les mieux à même d’enrayer les effets des inégalités sociales. Outre les choix structurels
(tronc commun jusqu’à la fin du collège, suppression du redoublement et des classes de niveau), ces résultats sont redevables à un investissement pédagogique conséquent[4].

En Finlande, on donne une autre place à l’activité de l’élève. Les maîtres mots sont non pas contrôle, note, classement, sélection mais autonomie, responsabilité, confiance, échanges entre pairs. Le changement de culture professorale a été impulsé et soutenu par une formation et un accompagnement
pédagogiques conséquents, avec une incitation forte au travail en équipe.

L’avenir de l’éducation ne peut s’imaginer sans le levier d’une formation repensée dans son orientation, ses objectifs et ses modalités. Formation conçue non comme entreprise de conformation (au prescrit, au standard de « bonnes pratiques ») mais comme dynamique de transformation  individuelle et collective des impensés à l’œuvre au quotidien de l’activité professionnelle, d’interrogation d’un habitus professoral cristallisé au fil des ans (hérité du « petit lycée » dans le Secondaire), modelant à
notre insu les façons de voir et les manières de faire…

Echapper aux logiques ségrégatives exige de reconsidérer le métier sur des points clés de la pratique quotidienne : sortir de l’incompréhension à l’égard des élèves ; reconsidérer l’évidence de la chose enseignée ; modifier la conduite des temps d’apprentissage.

Que transformer ?…

1) Le regard sur les élèves, davantage singularisé jusqu’alors par le jugement, l’évaluation-sanction que par l’interrogation à visée compréhensive. Regard à modifier par un triple éclairage :

– des compétences didactiques, afin de mieux comprendre la logique des élèves. Ainsi, les erreurs, inhérentes à tout nouvel apprentissage,pourraient avoir une autre place, constituer des repères témoignant de l’avancée de leur compréhension, servir de points d’appui pour débattre des
divergences, lever les malentendus, tester la pertinence des propositions, pousser à l’argumentation raisonnée et à l’exercice de la preuve. Le rapport de l’IGEN d’octobre 2006 avait pointé cette difficulté majeure des enseignants en éducation prioritaire à pouvoir spécifier la nature des difficultés des élèves[5].
Sans doute ces enseignants ne sont-ils pas les seuls à naviguer sans repère…

– une dimension éthique. Toute entreprise éducative nécessite d’être soutenue par un regard sur l’apprenant. Ce qui était hier postulat philosophique (« Tous capables ») est aujourd’hui attesté scientifiquement. La notion de plasticité cérébrale étaye le pari d’éducabilité, appelant à une vision optimiste de l’Homme dans son historicité. Ajoutons-y les acquis de la psychologie sociale, notamment l’effet Pygmalion, phénomène des prophéties auro-réalisatrices rendant compte des processus modifiant inconsciemment nos comportements selon le regard porté sur l’autre. L’ensemble pourrait faire pièce aux postures fatalistes, à la rhétorique des aptitudes, des talents ou de l’ « excellence propre », cache-misère d’une vision naturalisée des différences justifiant tous les renoncements.

– un positionnement social. Dans une visée de démocratisation, le regard des enseignants doit également être instruit par les apports de la sociologie de l’école et de la famille, dévoilant les logiques des élèves face aux savoirs et à la scolarité, les divers modes de socialisation et les attentes différentielles des parents à l’égard de l’institution scolaire.
Apports nécessaires pour contrer les effets insidieux des stéréotypes sociaux et appeler à la responsabilité professionnelle.

2) La conception du savoir.

Il n’est pas simple, pour celui qui y excelle à tel point qu’il le professe, de se déprendre de l’évidente simplicité du savoir enseigné. Des siècles d’éducation ont banalisé l’idée que le savoir, empreint
de logique, pouvait s’exposer aussi clairement qu’il se concevait. Or, nous devons bien constater la faillite de ce modèle hérité du passé, qui ne parlait en fait qu’aux héritiers, véhiculant une conception a-historique et réifiée des contenus. Quelles dimensions y substituer ?

      – Le savoir comme rupture. Contre cette vision linéaire et cumulative simpliste, nous soutenons l’idée d’un savoir polémique. Savoir, c’est rompre avec le rapport d’évidence, de transparence (aucun savoir ne « va de soi »), c’est rompre avec le « bon sens » amalgamant information, connaissance et savoir. Tout savoir nouveau est en rupture par rapport à ce qui précédait, que ce soit sur le plan socio-historique ou au niveau individuel. C’est ici faire place au poids des représentations initiales, au « déjà-là », aux concepts quotidiens, simultanément appuis et obstacles aux concepts scientifiques (Vygotski).

– le savoir comme terme d’un processus. S’il est énonçable, stockable, mémorisable, le savoir ne s’y réduit pas. Il est essentiellement le résultat de « crises » constitutives, il témoigne d’une genèse qui en a imposé l’économie. Son évidence n’est apparue qu’après-coup, pour reprendre les termes de Bachelard. Il s’agit de faire revivre auprès des élèves ce travail du passé afin qu’ils accèdent au cœur de la logique des savoirs constitués, produits de rectifications successives. Quelle sont les caractéristiques de ce processus ?

·       Il est amorcé par un contexte problématique (un problème à résoudre) ;

·       dynamisé par un débat polémique, une argumentation critique (débat de preuves) ;

·       finalisé sous la double exigence des principes d’efficacité et d’efficience.

Il incorpore dans son économie actuelle les traces de ces ruptures historiques. Sa forme répond à des exigences non pas formelles mais intrinsèques, sa genèse en justifie la pertinence… et lui donne valeur
universelle. La formation disciplinaire ne saurait oublier l’histoire culturelle et une approche épistémologique des contenus à enseigner.

Du côté des élèves, cela signifie que le savoir n’est pas à imposer (l’apprentissage est alors
perçu comme tentative de normalisation) mais doit à grâce au travail pédagogique – s’imposer aux
élèves (activité les amenant à comprendre que sa normativité interne est justifiée).

– le savoir comme outil d’émancipation.
Piégé dans l’unique valeur d’échange pour bien trop d’élèves, le sens des savoirs est à remettre en chantier dans des activités qui en réhabilitent la valeur formative. Tout savoir atteste de l’intelligence humaine face aux défis posés, est conquête contre les fatalités (assurer les besoins vitaux, échanger à distance, cumuler les savoirs et pouvoir les diffuser, prévoir le temps, échapper aux maladies, maîtriser l’espace, etc.), ouvre à des pouvoirs accrus de compréhension et d’action.

Le savoir « révolutionne » la façon de penser les choses, le rapport au monde. Quelques exemples :
la  découverte de la circulation sanguine [William Harvey,1628] ; les microbes pour expliquer les maladies contre l’idée de génération spontanées [Pasteur, fin 19è ] ; la tectonique des plaques  qui s’impose face à la dérive des continents de Wegener [1912] dans les années 60-66 ; le modèle de l’ADN de Crick et Watson [Prix Nobel en 1962] et, en matière de Préhistoire, les récentes découvertes qui
remettent en cause les hypothèses jusque là admises…

Cela vaut à l’échelle de l’histoire comme sur le plan personnel. Le travail de l’enseignant consiste à introduire chaque génération dans le mouvement vivant de la culture humaine… et, ce faisant, prépare chacun à y contribuer.

 

3) L’approche de l’apprentissage.
Cette conception socio-historique des savoirs va de pair avec une conception socioconstructiviste de l’apprentissage. Outre l’appui déterminant du groupe de pairs pour avancer dans la compréhension, par dépassements de conflits sociocognitifs (ce qui repositionne le rôle de l’enseignant, autrement indispensable), que changer aux conceptions usuelles ce niveau ?

– Au centre de l’action éducative, c’est moins l’élève que son rapport au savoir. Il s’agit tout d’abord d’imaginer la situation propice pour convoquer, mobiliser chacun des élèves sur un objet dont l’intérêt n’est pas préalable mais à conquérir (voire à reconquérir, comme dans les dispositifs relais). Qu’est-ce qui peut activer la curiosité puis la passion de comprendre ? Engager n’est pas tout. Encore faut-il ensuite organiser le cheminement intellectuel avec l’appui solidaire et exigeant des pairs.

– L’important, c’est moins réussir que comprendre. Cela doit guider la conduite de la leçon : faire place à la diversité des avis, aux contradictions ; donner un statut à l’erreur comme témoin d’une pensée en
chantier qui cherche ses marques ; inciter à la preuve (et ainsi former à la rationalité, à l’esprit critique) ; solliciter la réflexivité à tous moments. Il s’agit d’exercer un regard connaissant, d’apprendre à réfléchir sur les objets, situations et conduites pour accroître sa maîtrise du réel.

– Sans oublier l’enjeu, la visée éducative derrière l’instruction.
Derrière l’appropriation de contenus, sont convoqués et éprouvés des cadres de pensée, des façons d’appréhender le réel. A travers chacun des apprentissages, le sujet est amené à passer :

* de sa subjectivité à une mise à distance réfléchie (processus d’objectivation) ;

* de l’opinion à un point de vue conceptuellement outillé, rationalisé ;

* de l’auto-centration à l’ouverture à l’altérité.

Ce qui contribue au processus conjoint de personnalisation et de socialisation élargie, participant ainsi à l’émancipation intellectuelle.

Une formation au service du développement

Le développement de la démocratisation passe par un recentrage du métier sur le développement personnel des élèves comme sujets et futurs citoyens, et requiert pour y parvenir de s’appuyer sur le développement professionnel des enseignants.

1) Du développement personnel desélèves…

De la famille à l’école, l’éducation transforme, fait grandir, « élève ». On y construit un rapport second au monde : prise de distance, médiatisation par les outils intellectuels, conscience accrue de l’ordre des choses; passage d’une maîtrise pratique à une maîtrise symbolique. C’est parallèlement l’ouverture à une socialisation élargie : échanges avec les pairs ; appropriation d’objets sociaux à portée universelle ;
affiliation, par l’entremise des apprentissages, à l’histoire humaine. Tous ces outils permettant d’échapper à la captation, à l’influence sans partage de la sphère familiale.

Au-delà, la pluralité des apports sur le plan culturel (appropriation de codes symboliques, de concepts, d’œuvres et de techniques), sur le plan intellectuel (capacités réflexives, pensée critique), sur le plan social (ouverture aux autres, aptitude au travail collectif) participe d’une citoyenneté agissante, indispensable pour actualiser et dynamiser la démocratie.

2) Du développement professionnel des enseignants

Face aux enjeux (de démocratisation, d’extension de la formation vu l’accroissement des savoirs et les transformations de plus en plus rapides des métiers), l’exercice solitaire du métier n’est plus viable. La formation doit préparer au travail d’équipe, soutenir et accompagner une conception solidaire de la pratique professionnelle que ce soit pour préparer la classe, pour la conduire ou pour harmoniser l’action éducative.

– Élaborer des situations d’apprentissage :

Un rapport instruit à la pratique suppose de démonter la logique des savoirs pour en aménager la reconstruction, la ressaisie signifiante par les élèves : quelle est la nature de leurs erreurs ? Autour de quelle(s) rupture(s) conceptuelle(s) organiser la situation d’apprentissage ?

– Échanger sur les gestes professionnels :

Gérer la classe, s’ajuster à l’inattendu, faire face à l’imprévu… La logique d’action a ses impératifs qui amènent à faire des choix dans l’urgenced’un temps contraint. Mettre à distance le quotidien est indispensable pour mieux en assurer la maîtrise. Des entretiens croisés à l’ « instruction au sosie », c’est pointer là le rôle formateur de la polémique professionnelle (Y. Clot).

– Élaborer une stratégie éducative durable. Inscrire l’action éducative dans une cohérence d’ensemble et dans la temporalité, c’est une condition indispensable pour obtenir des effets significatifs. Faire des choix concertés de stratégie éducative (diagnostic, sélection de priorités, suivi, relations avec les familles, évaluations régulatrices, etc.) nécessite une mobilisation de l’ensemble des acteurs. Nous savons par expérience combien les élèves et leurs parents y sont sensibles.

Face à la surpression normative et l’indigence des appuis, il faut « étendre le pouvoir d’agir des
professionnels pour ‘faire autorité’ sur le travail », « soignerle métier »
(Y. Clot). Cela ne peut s’improviser, nécessite du temps, de la détermination politique… Mais l’avenir de la démocratie en vaut bien le coût !


[1] Christian Baudelot, Roger Establet, L’élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, La République des Idées / Seuil, 2009.

[2]« C’est en France que les élèves souffrent le plus ! », Interview de Bernard Hugonnier, directeur adjoint de l’Education de l’OCDE dans Le Nouvel Observateur, 7-13 avril 2005.

[3] Selon le Baromètre Trajectoires /Afev 2009: 36 % ont parfois ou souvent mal au ventre avant d’aller à l’école ; 37 % ne lèvent jamais le doigt, par peur de se tromper (25 % des écoliers, 41 % des collégiens) ; 53 % s’ennuient à l’école (parfois pour 37 % ; souvent ou tout le temps pour 16 % des élèves) ; 64 % avouent ne pas toujours comprendre (c’est souvent le cas pour 20 % des élèves).

[4] Nathalie Mons, Les nouvelles politiques éducatives. La France fait-elle les bons choix ? PUF, nov. 2007.

[5] Anne Armand, Béatrice Gille, La contribution de l’éducation prioritaire à l’égalité des chances des élèves, Rapport IGEN / IGAENR, MEN, octobre 2006.