Reportage : Colloque « Quelles utopies pour aujourd’hui ? Education – Egalité – Emancipation »

16, 17, 18 septembre 2016

TNP de Villeurbanne

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Quelle place des utopies aujourd’hui dans le champ de l’éducation ? Sont-elles dangereuses ou salvatrices ? Et pour qui ? Dans une période où tout semble incertain, comment dessiner un projet éducatif contribuant à l’ouverture des esprits, la solidarité, la culture, la construction d’une aventure commune ? Tel était l’objectif de ce colloque organisé par le GFEN Lyonnais, le secteur Langues du GFEN, Le GREN (Groupe Romand d’éducation nouvelle).

 
260 inscrits à ce colloque ont participé à tout ou partie des différentes manifestations et travaux proposés.

Le vendredi 16 septembre : les utopies nécessaires pour (s’) éduquer aujourd’hui

Dès l’ouverture, Gérard Médioni pose la problématique. Il remercie le TNP et son directeur ainsi que la municipalité de Villeurbanne pour leur accueil. L’actualité dramatique et la perception que nous en avons ont rendu incontournable cette initiative pour oser croire encore que des possibles existent. Il rappelle qu’étymologiquement, utopie vient du nom d’une île idéale « utopia » (la meilleure des républiques) mais regrette qu’aujourd’hui il soit devenu synonyme de délire, rêve chimérique, alors qu’elles  sont source d’avancées. Nous devons analyser les drames qui ont secoué nos sociétés pour trouver des solutions et en particulier faire évoluer l’acte éducatif. Rien ne peut se faire sans l’émancipation du plus grand nombre. S’appuyant sur une citation Giuseppe Tomasi di Lampedusa(Le guépard) « Pour que tout reste comme avant, il faut que tout change », il rappelle que l’annonce de tout changement génère des freins qui visent à l’empêcher. Les mouvements comme le GFEN et GREN sont issus de la création de la Ligue pour l’Education Nouvelle au lendemain de la première guerre mondiale, porteurs d’idées nouvelles en éducation qui tardent encore aujourd’hui à se faire entendre.

Damien Berthilier, adjoint au maire de Villeurbanne se dit honoré d’accueillir ce colloque dans ce lieu symbolique de l’accès à la culture pour tous, tout près des Gratte-ciel  intégrant des logements sociaux (1930) qui jouxtent le TNP. Deux utopies réalisées, symboles d’une ville qui fait de l’éducation sa priorité et membre du réseau des villes éducatrices. L’accueil est une tradition de cette ville très métissée qui s’articule autour du slogan : « Nous sommes tous venus d’ailleurs, mais nous sommes tous devenus d’ici ».

Etiennette Vellas présente le projet d’écriture d’un Manifeste « Utopie pour aujourd’hui pour construire demain«  qui vise à définir les bases d’une autre éducation. S’appuyant sur les travaux du colloque, rendez-vous est pris pour le 5 novembre pour cette écriture.

Utopie et pédagogie : toujours !

Jean Houssaye, auteur de nombreux ouvrages dont « Le triangle pédagogique » et « Les pédagogues », note que nous sommes dans une période en panne d’espoir  mais pour autant, devons-nous baisser les bras ? La partie sociale de l’éducation est plus importante aujourd’hui en raison d’une réalité plus complexe et génère des outils sophistiqués mais sans grande efficacité. A l’image de Paulo Freire, il revendique l’image du pédagogue engagé dans la cité, porteur de valeurs civiques et démocratiques. Pédagogie et politique sont liées mais que peut le pédagogue sans un engagement du politique sur l’éducation. Il semble que le pédagogue soit condamné à l’utopie : condamné à être insatisfait, critique par rapport aux pratiques dominantes dans sa volonté d’émancipation. Il existe une distance entre idéologie et utopie, l’utopie permet de ne pas se résigner car il faut faire du réel à partir du possible en toute humilité. Elle donne vie à l’espérance.

Quelle(s) utopie(s) revendiquer et mettre en oeuvre ?  Il y a un siècle, l’égalité était l’utopie portée qui a menée à l’école primaire pour tous, puis le collège pour tous, puis l’université pour presque tous. Egalité des chances ou égalité des résultats ? Il ne suffit pas d’ouvrir à tous les portes de l’école (égalité des chances) si on ne combat pas les causes d’inégalité de résultats. Jean Houssaye propose une pédagogie de la fraternité en se référant aux propositions de Dewey dans « Démocratie et éducation » qui pose les enjeux de l’école. Dans sa forme actuelle, elle se caractérise par le formalisme, l’individualisme, l’intellectualisme, la déresponsabilité scolaire et sociale. Si les pratiques ont assez peu évolué, l’ambiance éducative est devenue plus libre. Mais qu’en est-il de la fraternité ? L’école est toujours d’une société donnée et on y retrouve toujours, dans ses mécanismes, les valeurs de cette société. Si les valeurs sont la compétition, la sélection, l’individualisme, la fraternité risque fort d’être au service de ces valeurs et en contradiction avec le but visé car la fraternité vise l’autonomie et la socialisation : une façon de vivre ensemble à l’école, des pratiques sociales qui s’apprennent et s’éprouvent pour faire société. C’est à cette condition que la fraternité se conjugue avec la démocratie.

La pédagogie comme utopie

En introduction, Philippe Meirieu pose la question de l’articulation entre éducation et utopie. Pour lui pédagogie et utopie ne font pas toujours bon ménage car dans les cités utopiques, il n’y a pas d’éducation (Thomas More, Utopia 1516). Chacun a une place prédéfinie et assume son destin dans une société figée, tout projet individualiste mettant en danger le projet collectif.  Dans ce cadre, l’éducation apporte du désordre. A l’inverse on trouve des textes qui promeuvent l’éducation comme utopie dans le sens où elle pourrait tout, transformer l’individu en un homme nouveau ou encore détruire la Cité. Philippe Meirieu fait l’hypothèse qu’entre l’éducation congédiée et l’éducation magnifiée l’éducation impuissante et l’éducation toute puissante, la pédagogie peut se frayer un chemin.  

Un propos en deux parties : les impasses de l’hypermodernité, la pédagogie comme utopie pour résoudre les problèmes actuels
 
Les impasses de la hyper modernité : Nous vivons la fin des sociétés holistiques qui englobaient toutes les composantes de la vie économique et sociale sous une même entité dictant notre bien à notre place. Nous sommes devenus métaphysiquement démocrates (Marcel Gauchet), mais nous le sommes pas politiquement ; nous n’acceptons plus que d’autres nous dictent nos choix. On assiste ainsi à la montée des individualismes sans que ne se soit construit un bien commun remplaçant ces sociétés théocratiques que nous rejetons. Prenons l’exemple de l’école, autrefois les parents faisaient une confiance absolue à l’école, aujourd’hui les parents inquiets interviennent sur les sujets les plus divers. Nous n’avons pas de bien commun à opposer aux crispations identitaires, tout au plus des slogans et des idées généreuses qui ne peuvent suffire à contrecarrer l’intérêt individuel ; les machines à fabriquer du bien commun ne fonctionnent pas et nous sommes contraints à produire des compromis boiteux et verbaux. La montée des individualismes identitaires et le phénomène de l’entre soi touchent tous les milieux. Il s’agit de fuir une société sans repère pour retrouver des éléments allant de soi pour lire le monde car toute clarification est vécue comme une libération. Un troisième phénomène caractérise notre société : la recherche perpétuelle du consensus autour d’une table. Le problème est qu’il n’y a pas de table (Anna Harendt) puisqu’il n’y a plus de langage commun, les logiques des groupes étant différentes et incompatibles bien qu’ayant chacune leur légitimité. Le dialogue est devenu impossible.
Mais sans consensus, comment faire entendre raison à celui qui n’a pas choisi la raison ? Comment faire entendre raison à celui qui refuse obstinément notre enseignement ? Question qui interpelle l’humain que nous sommes à arraisonner l’autre. Face à l’impasse, la tentation est forte de pathologiser. Quelles solutions ? Convaincre par la raison de la raison est impossible. Une deuxième solution serait d’exclure le sujet de la raison en le déclarant fou. Une troisième solution consiste à contraindre par la raison  mais en empruntant les armes de l’adversaire, quelle issue ? Et l’on navigue entre démission et passage en force.
La pédagogie est une utopie parce qu’elle tente d’échapper à ce dilemme. Face à celui qui ne veut rien entendre, si nous refusons d’abandonner, il nous reste la pédagogie, un chantier à défricher sans arrêt sans qu’il ne soit certain qu’il existe un chemin entre la démission et le passage en force. La pédagogie fait le pari qu’il existe une chose plus forte que la raison : la reconnaissance de l’humain (Lévinas). C’est ce commandement du visage de l’autre qui permet la reconnaissance inconditionnelle et réciproque de l’humanité qui ne va pas de soi mais un pari à faire si nous ne voulons pas être condamnés à la barbarie.
Quels seraient les enjeux aujourd’hui ? Une verticalité sans théocratie, du commun sans communautarisme, de la liberté sans individualisme. Philippe Meirieu fait le pari que la pédagogie peut se frayer ce chemin fragile en évitant des écueils comme les neurosciences ou le management qui tenteraient à nous faire croire qu’il existe des solutions toutes faites aux problèmes. Chemin fragile car il passe par la reconnaissance inconditionnelle de l’humain dans l’autre, un humain infiniment fragile mais digne. Ce qui est très exigeant mais est source d’inventivité remise en chantier pour « convaincre sans vaincre ».
Sept verbes en guise de « belles échappées » : surseoir, distinguer, construire, compatir, débattre, se décentrer, coopérer.

 
En conclusion, il n’y a pas d’autre choix que de choisir l’humain contre l’inhumain, continuer à échanger et débattre pour créer du commun plutôt que se battre. 
 
 

 

Le 17 septembre : des ateliers pour travailler les pratiques d’auto socio construction des savoirs

Le matin : pratiques pour aborder des questions vives
Démocratie : soigner la langue, la leçon de Victor Klemperer  propose d’interroger notre propre vigilance sur les mots et en particulier lorsqu’on enseigne. Les écrits de Victor Klemperer sur la langue du IIIème Reich montrent comment le totalitarisme s’insinue dans la langue courante et s’inscrit dans le plus intime de chacun conduisant à l’adhésion à un système totalitaire : « les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir ». Peut-il y former à l’esprit critique sans une critique de la langue et ses usages ? Dans l’atelier Des questions au questionnement : une pédagogie à renverser, c’est la forme majoritaire de guidage de l’activité (méthode interrogative) qui est en débat. Et si pour les apprenants, leur poser des questions empêchait qu’ils s’en posent ?

Dans la bibliothèque de la mairie, la réflexion porte sur Luttes et indépendances et la difficulté à aborder les points sensibles de l’histoire. L’étude porte sur les luttes et combats pour l’indépendance de l’Amérique du Sud. Quelle posture de l’enseignant entre neutralité et volonté d’engager le débat critique? Arrêtons-nous sur l’atelier Liberté d’expression, question vive de notre actualité en classe. Peut-on tout dire ou laisser dire, tout montrer ? Qui censure ou autorise ? Parmi une série d’oeuvres qui, historiquement, ont été censurées, chacun est amené à en « sauver » une et à donner les raisons de son choix. Mais on travaillera plutôt sur les oeuvres non choisies. Pourquoi ce non-choix ?  Lorsqu’on découvre l’histoire de ces tableaux, les similitudes s’affichent : reconnaissance des pairs mais censure du pouvoir, séquestration des tableaux qui réapparaissent des décennies plus tard. De bonnes raisons pour endosser le rôle d’un collectif d’artistes projetant l’écriture d’une lettre ouverte pour dénoncer la censure et revendiquer la liberté d’expression. Exercice difficile et périlleux  pour lequel chacun des groupes se charge d’un volet de l’argumentaire : ce que la loi autorise, notre conception de l’art, notre conception de la liberté. Dans la phase réflexive, il apparaît que ce l’on n’aime pas incite davantage au questionnement et permet une exploration plus fine de nos propres rejets. C’est en allant à la rencontre d’une autre époque, dans la confrontation des points de vue et loin des discours moralisateurs que l’on éprouve les limites de la liberté qu’elles soient consenties ou imposées.

L’après-midi : démocratie, culture, éthique en chantier
Nos amis suisses proposaient une réflexion sur « éprouver la vie en démocratie à l’école » en s’appuyant sur des témoignages de pratiques genevoises du conseil de classe, du conseil d’école entre autres pour tenter de faire de ces lieux une espace de paroles réelles. Dans l’atelier La culture entre attachement, arrachement et nouvel attachement, les participants ont tenté d’imaginer une école ou une formation réhabilitant « une culture anthropologique et politique du temps » (Jean Chesnaux). Dans la salle Casares du TNP, on planchait sur le concept de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE). Une entreprise peut-elle concilier le profit et l’éthique ?   C’est le genre de question peu travaillée par les militants pédagogiques tant les représentations sur les acteurs économiques semblent figées dans un imaginaire collectif suspicieux. Pourtant nous subissons tous l’économie de marché sans en comprendre forcément les mécanismes. Deux études de cas : une firme multinationale confrontée à un lanceur d’alerte, une association « artisans solidaires » face à des difficultés financières. Les groupes de travail se répartissent sur chacun des cas et tentent de vérifier l’implication dans la RSE. Où l’on découvre que certains grands groupes l’utilisent pour se donner une image écologique responsable tout en profitant de l’absence de législation  dans certains pays pour polluer sans état d’âme. Tout serait une question de normes admises ou tolérées, l’intérêt étant un maximum de profits pour rétribuer les actionnaires. Endossons le rôle des différents acteurs : Nestlé contre une lanceuse d’alerte, CA de la fédération d’Artisanat solidaire  et nous affutons nos arguments. Exercice intéressant qui montre les limites des directives lorsqu’il n’y a pas de réelle volonté politique d’application et de contrôle.

 
4 heures de conférence gesticulée avec Franck Lepage sur l’école et l’ascenseur social

Oui, vous avez bien lu : cela a duré 4 heures ! Et on en redemande ! Une entreprise de démolition des évidences. « Je me suis mis au parapente parce que j’ai raté mon ascension sociale » déclare Franck Lepage en commençant son spectacle. Le parapente, un fil conducteur allégorique qui lui permet d’aborder les questions qui traversent la société au sujet de l’école, les contradictions du système et les logiques excluantes vécues à l’insu du plein gré des différents acteurs dont les enseignants. Remarques parfois grinçantes qui s’appuient sur une expérience scolaire subie avant l’inscription au Centre universitaire expérimental de Vincennes créé à l’automne 1968 et qui donnera naissance à l’université de Paris VIII.

On rit beaucoup, on se remémore quelques situations vécues (ma parole, il y était !), on comprend les rouages de l’institution, le tri social par la notation, l’illusion de l’égalité des chances quand il suffit de constater les résultats. Et que dire de la logique économique qui consiste à déqualifier les emplois et installer un chômage conjoncturel. Après nous avoir fait beaucoup rire, il en vient même à plomber l’ambiance : dans quelques temps l’école aura disparu pour laisser place à une marchandisation des savoirs au profit de quelques grands investisseurs.  Nous restera-t-il alors que l’utopie d’une école fraternelle ?
Si vous n’y étiez pas et même si vous y étiez,  (re) voir ce spectacle
 
 
 

Le 18 septembre : Education nouvelle, une utopie en marche

Cette matinée du dimanche est organisée autour des différents points de vue sur la question de l’utopie
Etienne Vellas rappelle que l’utopie d’Education Nouvelle est ancienne. Et la pédagogie est-elle une utopie ? Le pédagogue (au sens large du terme) est un praticien de l’éducation qui essaie de faire au mieux en mettant en cohérence savoirs, valeurs, finalités et pratiques. Que s’est-il passé au début du 20ème siècle pour que des centaines de pédagogues se mettent en recherche : l’instruction et l’éducation obligatoires, le « plus jamais ça » au sortir de la première guerre mondiale, l’avènement des constructivismes. Mais les scientifiques ne disent pas comment faire, d’où l’émergence de mille et une façons de faire autrement. C’est là que nait le Tous capables de se construire et de construire la société de demain. C’est un appel à une résistance car les freins existent qui visent à maintenir l’existant (exemple de la notation en Suisse). Il faut créer des lieux où se construisent les savoirs tout en éprouvant les valeurs : coopération, solidarité, justice, reconnaissance de l?autre pour un monde plus juste.
 
La parole aux partenaires

Différents partenaires se sont succédé pour aborder le thème de l’utopie. Paroles entrecoupées d’extraits de films : Demain, Comme des lions, Merci patron. Pour l’ICEM, il y a  nécessité pour les associations d’être en lien (exemple : le CAPE). La première utopie, c’est d’être encore militant, de déceler ce qu’il y a de meilleur chez l’enfant et l’accompagner, de reconnaître le rôle des familles. C’est de croire que l’évolution des pratiques peut se faire au sein de l’école publique. Michel Neumayer (GFEN) nous entraîne dans les rues de Brooklyn pour une utopie de quartier en suivant les peintures urbaines : « Connais ton histoire pour qu’elle ne se reproduise pas ». Utopie de l’écriture faite par tous et pour tous : on a davantage besoin d’horizontalité que de verticalité. Pour les représentants de Questions de classe(s), l’aventure du site participatif est une utopie réalisée puisqu’elle se poursuit depuis 2013. L’utopie aujourd’hui est de mettre en cohérence pédagogie et politique en organisant des stages syndicaux. Pour le représentant d’ATD quart monde, il s’agit davantage de rencontrer l’autre et de créer des outils, des situations permettant aux personnes en difficulté de partager leur ressenti avec d’autres. Il illustre le propos par une mise en situation.

Edwy Plenel : un besoin de poétique en politique

Nous avons depuis quelques décennies un problème d’imaginaire, d’idéal, d’horizon. Comment reconquérir un enchantement politique, comment reconquérir une hégémonie culturelle (Gramsci) ? Deux temps pour cette intervention : l’illusion du présent, le réel de l’utopie.
L’illusion du présent. Au moment où Gramsci est emprisonné par Mussolini, il note dans ses carnets que la crise c’est quand un vieux monde se meurt mais s’accroche et qu’un nouveau monde tente de naître. Et dans cet entre-deux éclosent des idées dangereuses : les tueurs d’humanité d’une part, les briseurs de fraternité d’autre part. Les tueurs d’humanité aujourd’hui c’est cette jeunesse qui rencontre une idéologie totalitaire au point d’oublier sa propre humanité. Les briseurs de fraternité s’appuient sur les précédents pour imposer une politique de la peur et du pire. Ces derniers installent la naturalisation de l’inégalité avec l’appui de théoriciens parfois brillants qui s’assument comme tels (exemple : Maurras). Aujourd’hui nos adversaires ne se revendiquent pas comme tels mais leur cheval de Troie est l’identité. Notre défi est d’avoir un imaginaire supérieur pour combattre ces idées. Pour les combattre, il faut en comprendre les failles : le rapport au temps, le rapport au monde, la question de l’idéal. La politique actuelle  est prisonnière du présent, sans rappel du passé ni projection sur l’avenir (le présentisme, François Hartog). Il faut créer des discordances des temps et retrouver des possibles dans notre histoire passée. Le deuxième aspect, c’est l’oubli du monde. Nous sommes devant une crise de civilisation, les premières générations d’une civilisation globale, impérativement multiculturelle. Jusqu’à présent, l’occident avait imposé sa vision du monde mais nous vivons la fin d’un modèle vieux de cinq siècles. Pour les peuples dominés, « l’heure de nous-mêmes a sonné » écrivait Aimé Césaire. On ne peut pas émanciper l’autre malgré lui. Nous sommes un pays qui s?est construit dans l’intégration de nos territoires, de nos particularités ; c’est une caractéristique profonde de notre histoire. Il nous faut un imaginaire de la France telle quelle est et refuser l’identité à racine unique. Le dernier point est la question de l’idéal. Nous avons en face de nous ce que Charles Péguy appelle le monde moderne : un monde où l’on ne croit à rien, pas même à l’athéisme, le monde de ceux qui n’ont pas de mystique. Or dans nos parcours, nous avons eu besoin d’aller au-delà de nous-mêmes. Derrière cette question, c’est le spirituel de l’engagement et le besoin d’aller vers l’autre qui est en jeu qu’il faut retrouver et partager avec la jeunesse.
Une pause pour échanger en petits groupes de proximité autour de cette première partie

Le réel de l’utopie. Contre le présentisme, contre les crispations identitaires, contre le goût de la concurrence et le profit immédiat, comment retrouver le réel de l?utopie ? Notre république est déclarée démocratique et sociale ; il aura fallu un siècle pour que les démo socs (démocrates et socialistes) l’obtiennent. La question démocratique est indissociable de la question sociale. Edwy Plenel, évoquant son actualité, rappelle son admiration pour le Maitron (dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français créé par Jean Maitron, 76 volumes), véritable instrument d’émancipation car elle raconte la victoire des vaincus qui sont porteurs d’espérance. C’est chez les vaincus qu’on trouve une flamme qui va ré enchanter le futur. Dans le Maitron, Il y avait la volonté de raconter l’histoire d?itinéraires pluriels à hauteur d’humanité, en dehors de l’Histoire officielle. A la suite d’une collaboration avec les éditeurs actuels, l’écriture d’un ouvrage « voyage en terre d’espoir » s’est imposé qui sortira prochainement. Le propos est de montrer comment se libérer du 20ème siècle et de ses chagrins : la social-démocratie et le stalinisme. Il nous faut retrouver la jeunesse de cette scène originelle lorsque ces idéaux originaux n’étaient pas encore saisis par l’esprit de système. Retrouver les mots dans leur sens premier et relever cette histoire ancienne pour lui redonner sa vitalité et sa force. La révolution numérique crée un rapport à un monde sans frontière, un monde partagé, d’échanges. C’est un imaginaire d’horizontalité que nous pouvons utiliser. Face aux néo conservateurs, il y a aujourd’hui  à reprendre ce flambeau essentiel de l’idéal démocratique dans sa radicalité. Un deuxième levier pour le réel de l’utopie s’appuie sur la place des minorités. Ce sont elles qui ont toujours fait bouger les lignes car lorsqu’on est dominé, on a toujours besoin de se regrouper pour créer un rapport de force. Nous devons faire du nous avec des je et retrouver le chemin du collectif : ce qui importe, c’est ce que nous ferons ensemble. Le troisième levier, c’est cette nécessité d’aller au-delà de soi, cette recherche de l’élévation car nous avons besoin d’un horizon ; c’est un enjeu de pédagogie populaire essentiel. Nous ne sommes pas naïfs, la catastrophe peut arriver, que les civilisations s’effondrent par méconnaissance de leurs fragilités, par délire de puissance. Et que nous reste-t-il ? à parier sur l’improbable, l’inattendu ; à être au plus proche du terrain pour libérer le potentiel qui existe dans le peuple. 
En conclusion, deux phrases fétiches car la politique a besoin de poétique. On ne fait pas la leçon à un raciste, on ne le punit pas mais on l’entraine à se dépasser lui-même, à sortir de ses crispations par un imaginaire supérieur et libérateur.
« Marcheur, il n’y a pas de chemin. Le chemin se construit en marchant. » (Machado).
« Tenter, braver, persister, persévérer, être fidèle à soi-même, prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête ; voilà l’exemple dont les peuples ont besoin, et la lumière qui les électrise » Les Misérables, Victor Hugo.

Synthèse et clôture du colloque

Dans la synthèse qui suit, Maria-Alice Médioni reprend le fil du colloque en soulignant que c’est un élan extraordinaire qui a permis cette rencontre autour des utopies Dans des lieux improbables, se construisent des possibles comme en témoignent les films projetés en matinée. Les différents intervenants ont rappelé la place importante des pédagogues dans la Cité et la place de l’Education Nouvelle comme rempart à la barbarie. Le pédagogue est condamné à l’utopie, à préférer la fraternité à la compétition à condition que la fraternité ne se résume pas à la compassion comme lot de consolation. Idée familière au GFEN qui défend l’idée que la démocratie se construit au sein même de la construction des savoirs et que les ateliers proposés ont permis de faire vivre aux participants. La parole des différents partenaires est soulignée comme complémentaires de l’engagement du GFEN dans une visée émancipatrice. La dimension politique est plus que jamais nécessaire en pédagogie comme l’a démontré Edwy Plenel mais aussi Franck Lepage dans sa formidable conférence gesticulée qui, au-delà de l’exagération du propos, nous invite à nous engager contre le projet de démantèlement de l’école de l’Union Européenne et déclare en  déployant son parapente « sur votre souffle j’avancerai ». Rendez-vous est pris pour les prochaines dates du GFEN Lyonnais, du secteur Langues du GFEN, du GREN afin de poursuivre ces utopies.
 Le texte de synthèse sur le site du GFEN Lyonnais
Jacqueline Bonnard