« Dans et hors l’école. Réussir, ils en sont tous capables ! »

Le 26 mai se déroulaient à Ivry sur Seine les 11èmes rencontres nationales sur l’aide du GFEN. Dans une période où les annonces ministérielles visant à « réformer » notre système éducatif se succèdent, nombre de participants à cette journée ont trouvé salutaire de se poser et réfléchir collectivement aux problématiques proposées.


Introduites par Pascal Diard, ces rencontres se veulent un moment de réflexion sur ce qui fait impasse à la réussite scolaire de bon nombre d’enfants issus de milieux populaires (mais qu’est-ce que la réussite scolaire ? Qui décide de la réussite ? Et pourquoi ? Comment ?). Il décrit le contexte dans lequel ces rencontres se déroulent : discriminations, coupes budgétaires, répression contre les étudiants qui protestent contre le « tri sélectif » à l’entrée de l’université. On assiste à une marchandisation de l’éducation (Teach for France, entreprendre pour apprendre pour ne citer que ceux-là), aux replis individualistes quotidiens face aux difficultés scolaires. Il rappelle les principes fondateurs du GFEN : le « Tous Capables ! », le refus des inégalités, la nécessité du collectif pour penser les métiers de l’éducation, une approche de la formation qui s’appuie sur une mise en situation des stagiaires permettant un travail réflexif sur les pratiques. Il souligne  le travail local avec la municipalité d’Ivry sur Seine et le conseil départemental du Val de Marne.  Remerciant tous les organisateurs de cette manifestation, il déplore l’absence d’Anne Barrère victime d’un accident de la route et hospitalisée. Il rappelle la liste des partenaires présents : Café pédagogique, les CEMEA, les partenaires du CAPE, SNUipp et FSU, FNAREN, FNAME.

Méhadée Bernard, adjointe aux affaires scolaires et des politiques éducatives de la ville d’ivry, déclare, au nom du Maire empêché,  que la ville d’Ivry est fière d’accueillir les rencontres du GFEN. La municipalité d’Ivry est consciente que l’école ne peut faire réussir tous les élèves que si on fait évoluer les pratiques. La municipalité d’Ivry mène de nombreuses actions pour une éducation plus juste, mieux adaptée aux besoins. Méhadée Bernard rappelle les partenariats avec différentes associations, mais également avec des institutions comme le Louvre. Réussir, ils en sont tous capables, oui mais si on apprend ensemble : c’est par exemple ce que montrent des pratiques comme « le texte recréé » qui permet de travailler et construire de façon collective. Il est urgent aujourd’hui de s’engager pour redonner du sens au mot éducation.
Evelyne Rabarel, vice-présidente du Conseil départemental du Val de Marne salue les participants. Elle relève que les débats et les mises en pratique de problématiques de cette journée sont  d’une grande modernité : innovantes et audacieuses. De même que la pertinence des actions menées dont la biennale de l’éducation nouvelle qui s’est déroulée en novembre 2017.  « Dans la situation actuelle, il nous faut articuler résistance et efficacité ». C’est le sens donné au partenariat entre le GFEN et le conseil départemental du 94. Contre la sélection et la politique libérale défendues par le nouveau ministre de l’éducation nationale, le département est décidé à continuer à soutenir un système scolaire de qualité : s’engager au-delà des compétences dévolues pour le soutien à l’éducation dans et hors l’école. Le pari du « Tous capables! » est un pari partagé qui va dans le  sens du projet départemental mais également l’importance donnée à la place des parents qui doivent tous être reconnus dans leur statut. « Dans cette période complexe, vous êtes bienvenus en Val de Marne ! «  lire l’intervention

Serge Boimare : « Comment en arriver à une école de la réussite pour tous ? »

Tous capables d’accord ! Mais une école de la réussite de tous ? Faire en sorte que chacun continue sa progression ? Il faudrait arrêter le soutien et la méthodologie  à outrance qui caractérisent les dispositifs d’aide actuels dans les établissements scolaires français.  Il dit fréquenter des jeunes intelligents qui sortent de l’école sans bagage culturel leur permettant de s’insérer économiquement et socialement. Il préconise un nourrissage culturel afin de se construire un véritable fonctionnement intellectuel et sortir de l’empêchement de penser. Une des questions à se poser est la suivante : Qu’est-ce qui fait que certains fabriquent des stratégies pour sortir des apprentissages ?

1 – La réalité de l’empêchement de penser
Cet empêchement est à la fois un manque de culture et une pratique langagière déficiente. Il donne l’exemple d’un préadolescent  réfractaire à l’apprentissage qu’il a suivi récemment. J. est vif d’esprit mais en grande difficulté devant les apprentissages de base. Pourquoi n’arrive-t-il pas à apprendre à l’école ? J. entre en 6ème. Ses parents sont très pris par leur métier. Le jour de la rentrée, il est inquiet mais porte le maillot du PSG et de belles chaussures. Au bout d’un mois, il est rassuré, parce « bien respecté » mais ses résultats scolaires sont problématiques. Au niveau de la lecture, il « plonge dans le texte et brode autour », ses connaissances sont  essentiellement phonétiques ; il n’est pas capable d’enchainer deux arguments et termine ses phrases par « sur la vie de ma mère ! ». C’est l’élève sur cinq dans nos statistiques. Quelles réponses de l’institution ?  Marginalisation, groupe de soutien, carnet de liaison (comportement agité pour se faire exclure : avertissement pour le travail et la conduite.) qui devient un objet de discorde entre l’école et la famille qui ne veut pas enfoncer l’enfant. 
Pourquoi cet état de fait ? Si l’on médicalise ce cas, on diagnostiquera « Hyper actif avec troubles de l’inconscient » et l’on trouvera une médication « adaptée ».
Mais que dit J. de ces difficultés : « C’est quand je ne trouve pas tout de suite et que je dois chercher. Tout se brouille dans ma tête et ça m’énerve. Ou c’est trop dur ou c’est l’exercice bidon. » J. n’a pas construit les compétences psychiques nécessaires aux situations d’apprentissage : frustration et entrainement aux interactions langagières, reconnaitre ses manques. Apprendre, c’est accepter d’entrer dans un cadre et vivre un moment de solitude. Ceci déclenche l’arrivée de peurs et de déstabilisation.
 J. se protège par l’empêchement de pensée : évitement systémique du temps du doute nécessaire aux apprentissages, développement des stratégies de réponses immédiates. A cela s’ajoute la dictature du slogan qui s’appuie sur des poncifs ou quelques conformismes, d’où une inhibition intellectuelle ou une rigidité mentale. 

Quelles propositions ? 
Il faut éviter de vouloir combler les manques. Il faut l’aider à remettre en route un fonctionnement de la machine à penser, l’alimenter et l’entrainer à fonctionner. Comment ? en apportant de la culture : lecture de textes sur les questions existentielles puis faire passer ces nouvelles représentations en mots. Parmi ces lectures, les Contes de Grimm sont pertinents. A partir de ces lectures et d’un échange à partir de ce qu’il en a compris, petit à petit il  a pu  préciser sa pensée, se fabriquer une écoute puis revenir sur le récit. La construction d’un langage argumentaire s’inscrit dans le temps (environ 6 mois) mais c’est ce qui permet de supporter ce temps réflexif autour des apprentissages.
A partir de ce cas individuel, comment transférer ces propositions pour la classe ?

2 – Le nourrissage culturel 
Peut-on mettre cela en place cela dans les classes ? Serge Boimare affirme que oui en listant les  bienfaits de cette pratique :
– cela offre une chance d’intéresser les décrocheurs et aller les chercher,
– cela convient à tous les élèves et apporte une cohésion au groupe,
–  on construit un patrimoine commun pour étudier ensemble et donner du sens au savoir,
– c’est au programme de toutes les classes,
– on protège les enseignants de l’empêchement de penser.
Il souligne que faire ce travail en équipe dans une école multiplie la réussite. Il faut prendre du temps pour réinscrire ces élèves dans le développement de la pensée.
Il existe des applications en collège : une question d’équipe avec une rencontre hebdomadaire du groupe d’enseignants. Chaque séance est suivie d’un écrit sur un cahier de médiation culturelle. Ces traces ne sont pas forcément corrigées mais permettent de lancer les élèves dans l’écrit.

Les ateliers du matin : « Faire avec les différences sans les penser et les vivre comme des inégalités »

Dans l’atelier Parents/professionnels de l’éducation, rencontre pour une coéducation effective, Jean Bernardin accueille une vingtaine de personnes constituant un public varié : enseignants du premier et du second degré, animateurs sociaux, responsables de collectivités locales. Dans un premier temps, chacun va trouver trois bonnes raisons de travailler avec les parents ; puis il s’agira de préparer une réunion de parents avant de mettre en commun les différentes propositions. L’objectif est le suivant : comment prendre appui sur les compétences réelles des parents auteurs des premiers apprentissages pour les réhabiliter dans leurs capacités éducatives et construire avec eux une complicité éducative au service du développement et de la scolarité de leur(s) enfant(s) ?

Dans une salle du Petit Robespierre, l‘atelier  Tous capables d’apprendre ! Oui mais comment ? démarre avec une démarche de « texte à trous » pour faire approcher le concept de réflexivité mais sans en prononcer le mot puisque le texte doit apporter des connaissances à ce sujet. Il s’agit d’un texte de Jacques Crinon extrait du livre dirigé par Chabanne et Bucheton « Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire » (PUF,2002).

Une mise en activité individuelle, un travail en petits groupes et une mise en commun permettent de se plonger dans les rapports entre langage et pensée et de confronter ses idées avec celles des autres. Il est bien question de pratiques langagières scolaires plus efficaces et plus réflexives que d’autres selon les situations d’enseignement-apprentissage mises en œuvre.  Dans un deuxième temps, Justine Donnard, l’animatrice de l’atelier, donne quelques éléments théoriques en référence aux travaux de Bernard Lahire sur l’oral pratique des familles et l’oral scriptural de l’école et à ceux de Jacques Crinon qui préconise l’usage d’un « journal des apprentissages » avec les élèves.
Ceux-ci écrivent chaque jour ce qu’ils pensent avoir fait ou appris dans la journée de classe. Les élèves de Justine sont au CM2 et commencent souvent par des ressentis (j’ai aimé, c’était drôle), puis peu à peu, entrent dans les disciplines scolaires puis dans les savoirs à proprement parler. Par groupes, nous étudions les écrits de trois élèves à trois moments de l’année. Justine nous décrit précisément comment elle met en place ce dispositif. Une collègue dit l’utiliser en CE et une autre au collège. La conclusion renvoie à des « écrits intermédiaires », proches de ce que Vygotski appelait du « langage pour soi », « tout à la fois traces et outils de l’activité cognitive des sujets en train de résoudre des problèmes et construire des savoirs ».

Plus loin,on s’interroge autour de la phrase de Rimbaud « moi, suis-je un autre ? » et les représentations que nous entretenons sur l’égalité filles/garçons. Marie –Pierre Dubernet explique la genèse du projet dans l’école où elle enseigne. Tout commença par une activité d’acrogym où les groupes de 7 élèves devaient réaliser une pyramide puis en analyser la stabilité ainsi que le mode d’organisation choisi.  Pour poursuivre la réflexion, Marie Pierre propose la démarche « histoire de Julie » à vivre en accéléré lors de cet atelier. Soit un extrait d’un album de Christian Purel et sa traduction en espagnol : il s’agit de retrouver un choix de traduction qui ne semble pas correspondre au mot français. Pourquoi  « garçon manqué »  en français se traduit-il par « garçon mal éduqué, grossier » en espagnol ? Or dans l’histoire, il s’agit d’une fille « Julie » ; mais qui parle ainsi de Julie et à qui ? On comprend assez vite qu’il s’agit d’un échange entre ses parents sur le comportement de leur fille bien éloigné de leurs attentes. Mais ces attentes sont-elles les mêmes selon les cultures, les époques ? Sont-elles les mêmes pour une fille ou un garçon ? Deux groupes sont alors constitués : on donne à chacun des groupes une banque d’images issues de l’album « Julie qui avait une ombre de garçon ». Un groupe dispose des images de Julie, l’autre des images de son ombre (les deux groupes pensent avoir les mêmes images!). Il s’agit d’utiliser ces images, les coller sur une ou plusieurs feuilles et illustrer le hors-champ (qui est avec elle ? que pense –t-elle ? pourquoi cette position ?). Les productions sont affichées sachant qu’il s’agira de commenter l’exposition lors de la venue de l’autre groupe. Quelle surprise lorsqu’on s’aperçoit que selon le « genre » les attentes et les attitudes sont bien différentes ! Une démarche très stimulante donc qui permet de s’interroger sur ce qui fait blocage à l’égalité filles/garçons et pas toujours où l’on croit que ça se niche.

Dans l’atelier « Carte postale ? Mais c’est terminé avec internet ! «  le secteur arts plastiques propose d’aller au-delà de la perception que nous avons tous de nos aptitudes dans un domaine qui nous semble « étranger ». Tous à nos crayons, pinceaux, colle et ciseaux à l’encontre des idées du don mais sur le partage, la solidarité, l’étonnement et la surprise !

petite pause à la librairie

Ateliers de l’après-midi :  » Pas de liberté de pensée sans égalité de pensée « 

Justement parlons d’égalité : Le mot « égalité », ça veut dire quoi ?  Laurent Carcéles propose un partage d’expériences pour questionner l’égalité et mettre en route la machine à penser. Il présente la démarche qui va être vécue : « texte à trous  » que certains nomment « démarche vocabulaire » conçue dans les années 70 par des enseignants du premier degré ; c’est une situation à vivre où chacun est mis d’emblée en difficulté et contraint de s’appuyer sur le groupe pour réussir l’exercice. Pour l’instant, il s’agit de l’extrait d’un Rapport présenté au Sénat à propos d’une proposition de loi  en 1880. On comprend assez vite qu’il s’agit d’éducation mais de l’éducation de qui ? Il nous revient qu’un certain Jules Ferry était alors Ministre de l’Instruction Publique ; l’une d’entre nous se souvient même qu’il étendit aux jeunes filles l’enseignement secondaire, voilà ce qui pourrait nous aider à retrouver les « bons » mots. Pas si simple ! Malgré tout on retrouve l’essentiel et par la même occasion, on perçoit le chemin parcouru depuis cette période pour l’obtention juridique d’un accès à l’enseignement secondaire pour tous ; pour autant l’accès au savoir pour tous reste à construire. 

Dans la cour du Petit Robespierre, place au Théâtre de l’opprimé initié par Augusto Boal qui déclarait en 2009 à l’UNESCO lors de la célébration de la journée mondiale du théâtre : « Nous sommes tous des acteurs : être citoyen, ce n’est pas vivre en société, c’est la changer ». La méthode du théâtre de l’opprimé partage les convictions du GFEN : la conviction que l’être humain possède le langage théâtral (tous capables !) et la conviction que le théâtre comme l’éducation nouvelle peuvent et doivent être un outil pour changer le monde par une émancipation qui ne peut être qu’individuelle et solidaire. Quelques exercices d’échauffement pour apprendre à se connaître et se faire confiance, puis le groupe produit un théâtre forum qui est déjà l’occasion de changer la société : à partir d’une question d’actualité la troupe interprète une scène au dénouement dramatique dans laquelle se joue un rapport de domination. Une occasion de réfléchir, de mettre en action ses idées, ses alternatives, sa volonté de changer la situation.

Changer la situation, ce fut le combat des peuples colonisés dans la deuxième moitié du 20ème siècle. Décoloniser les consciences : une urgence d’égalité! A partir d’un texte de Galieni après la démarche « questions préalables », il est demandé de faire le portrait du malgache selon les colonisateurs, sur un plan individuel mais également sur un territoire. Sous le trait de crayon de Pascal Diard, se reconstruisent les stéréotypes coloniaux : proche de l’état de nature, primitif, peu éduqué, vivant de peu, naïf. 

Il est rappelé la grande révolte de 1947 à Madagascar qui fut réprimée violemment. Pour les historiens, il existe deux conceptions de la décolonisation : la décolonisation (pacification)  ou la guerre de libération. Décoloniser les consciences s’applique  d’abord aux colonisateurs mais cela concerne également les colonisés qui ont intériorisé sans le vouloir certains des stéréotypes listés précédemment. Ce que décrit très bien Franz Fanon dans « Peau noire, masques blancs ». «L’objectivité scientifique m’était interdite, car l’aliéné, le névrosé, était mon frère, était ma sœur, était mon père».

Rencontrer l’autre, ses écrits, ses doutes et ses richesses. Le secteur écriture nous propose de s’inviter dans les parages et les pages d’une ville au détour d’un atelier d’écriture. Il s’agit de sortir des murs, d’écouter de manière inattentive, de se plier aux contraintes  cependant pour mettre en travail une langue. Commençons par une lecture de textes dont on retiendra quelques bribes pour faire une fresque à l’aide de feutres et de couleur. Avec comme seul bruit de fond le crissement de la pointe des feutres sur l’affiche, les textes défilent au sein desquels s’échappent les mots. Mais déjà on roule la fresque et on l’emmène ; on prend les feutres, un carnet et un stylo pour faire de la matière : vagabondage assuré !

De mots, il est encore question dans un « colloque des philosophes » réunissant Platon, Hobbes, Rousseau, Kant, Stuart Mill et Lucien Sève autour de la question « Les hommes sont-ils égaux ? ». Cette démarche construite par le secteur « philo » et animée par Nicole Grataloup semble répondre aux questionnements posés dans les autres ateliers. Quel concept de l’égalité peut nous être utile ? L’égalité est toujours à construire ; dans la pratique, selon que j’envisage une activité en pensant égalité ou non je ne pratique pas de la même façon. L’égalité n’est pas un état et selon le contexte elle se construit lorsque chacun s’autorise à dire « je » et apprend à dialoguer avec la pensée de l’autre. L’égalité s’appuie sur le principe de négociation de droits. De l’avis des participants, la démarche a permis de construire de l’égalité dans le sens où tout le monde est déstabilisé au départ, mais chacun a réussi à développer sa pensée dans un domaine qui n’est pas le sien.
Un grand merci aux organisateurs et petites mains locales qui ont permis un bon déroulement de cette journée. 

Jacqueline BONNARD
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