Extraits Dialogue N° 176

Dialogue n° 176 – Prendre la main sur l’évaluation

 

Éditorial

  • L’évaluation,valeurs et usages  Lire
    Jacques BERNARDIN

À quoi a-t-on affaire ?

  • Comment entendez-vous le concept d’évaluation ? Y trouvez-vous de l’intérêt ? Pourquoi ?
    Laurent CARCELES, Joëlle CORDESSE, Pascal DIARD, Eloïse DURAND, Sylviane MAILLET, Michel NEUMAYERVoici quelques réponses de membres du GFEN aux questions posées dans le titre. Elles font apparaître certains aspects de la richesse et de la variété des conceptions de l’évaluation au sein du GFEN.
  • Évaluer entre malentendus et ambivalences
    Rémy DAVID,Rémy DAVID Enseignant de philosophie au lycée Philippe Lamour de Nîmes
    Directeur de programme au Collège international de philosophieCela fait près de 22 ans que j’enseigne, et l’on ne m’a jamais appris à évaluer. Comment m’y prendre concrètement pour établir la valeur des travaux de mes élèves de terminale, et les préparer à l’examen final ? Confronté à cette aporie professionnelle qu’aucune culture de métier, qu’aucun inspecteur, ne vient relayer ou étayer, on a estimé que puisque le concours de recrutement et ma titularisation suffisaient à le certifier, je savais évaluer dans ma discipline. Y aurait-il un « effet Jourdain » de l’évaluation : tout le monde évaluerait sans le savoir ? Peut-être, mais cela ne nous aide pas à savoir ce que l’on fait lorsqu’on évalue, ni  comment évaluer justement et efficacement.
    La question est donc comment s’y prend-on pour évaluer : si l’on ne me le demande pas, je sais le faire ; si l’on me demande comment je procède, je ne sais plus. Sans doute l’évaluation est-elle une activité où se concentre un savoir-faire non conscientisé mais mobilisé : déplier cette disposition acquise (un habitus professionnel ?), déployer ses enjeux me semble nécessaire si l’on veut chercher à construire le sens, à procéder de manière plus explicite et partageable, et si l’on aspire à devenir plus juste que ce l’on est « spontanément ».

  • Les effets pervers de l’évaluation obsessionnelle et du salaire au mérite
    Evelyne BECHTOLD-ROGNONCe texte est extrait du livre d’Évelyne Bechtold-Rognon Pourquoi joindre l’inutile au désagréable ? En finir avec le nouveau management public, publié en 2018 par Les Éditions de l’Atelier/Les Éditions Ouvrières.

    Un millier d’enseignant-es anglais-es ont triché. En aidant leurs élèves. C’est ce qu’on pouvait lire sur Slate le 12 février 20181. Le site reprend un article du Guardian, qui précise : « Près de 2 300 professeurs se sont compromis entre 2012 et 2016 en trichant aux épreuves de l’OCR (Oxford, Cambridge and RSA Examinations), l’une des commissions d’examens les plus importantes et prestigieuses du Royaume-Uni.” Mais pourquoi ? Comment est -ce possible ? Les enseignant-es aiment-ils tellement leurs élèves qu’elles et ils ne peuvent supporter de les voir plancher sans les aider ? Alors même qu’elles et ils savent bien que le but de leur travail est de les rendre autonomes, et qu’une telle « assistance inappropriée » est aux antipodes de cette mission ?

  • La menace du stéréotype
    Jean-Louis CORDONNIERLa psychologie sociale expérimente pour valider ses hypothèses. Dans le champ des apprentissages, elle a mis en évidence l’effet Pygmalion, qui a donné lieu à la démarche « Les attentes », imaginée par André Duny. Un autre apport de cette discipline est « l’erreur fondamentale». Plus récemment, la psychologie sociale a inventé le concept de menace de stéréotype qui concerne l’évaluation des compétences. La plupart des articles sur le sujet étant en anglais, j’en fais ici un rapide survol. Depuis les années cinquante, il avait été repéré que les stéréotypes intériorisés peuvent être source d’échec. Par exemple la croyance que «les femmes sont plus faibles que les hommes en mathématiques ; je suis une femme ; c’est pour cela que je suis faible en maths», favorise l’échec en maths.
  • L’évaluation en chantier (d’insertion)
    Elisabeth LABORELIl y a une dizaine d’années j’ai eu en charge la coordination de deux chantiers d’insertion : l’un dans les quartiers Nord de Marseille, l’autre sur un territoire du pourtour de l’Étang de Berre. J’ai été plus tard administratrice d’une association support de quatre  chantiers d’insertion sur Marseille. Notre réflexion portant sur la (les) question(s) d’évaluation, il m’a semblé utile de faire  témoignage de ces expériences pour signifier mes doutes persistants en la matière : que cherchons-nous à évaluer, à qui sont  destinées les données produites lors des processus d’évaluation ? Sommes-nous toujours capables d’appréhender et combattre les effets pervers des démarches, qu’elles soient imposées ou choisies ? Que nous disent ces démarches à propos des dynamiques de transformation à l’oeuvre ?
    Ce champ d’exercice n’échappe pas à l’affichage de convictions très arrêtées alors même que les pratiques confrontent à la difficulté permanente à opérer le choix d’outils pertinents et à expliciter le sens de ce qui se joue vraiment, à la fois par et pour les
    personnes auxquelles ces dispositifs s’adressent.
  • Savoir où l’on en est pour envisager un possible devenir
    Pascal DIARDLa triple question « Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? », Pierre Dac répondait : « Je suis moi, je viens de chez moi et j’y retourne ! ». On pourrait paraphraser cette boutade à propos de l’évaluation : «Qui m’évalue ? D’où on m’évalue ? Pour aller où ? » et répondre : «Quelqu’un, de quelque part et pour que je reste à l’endroit que l’on m’assigne ». Tellement les critères de l’évaluation habituelle, dans l’école comme hors l’école, restent obscurs dans leurs pratiques et leur logique !
    Mais par quels chemins passe la conscientisation nécessaire de la logique radicalement mystificatrice de l’évaluation ? Je vous embarque sur les sentiers de quelques moments de conscientisation que j’ai vécus.
  • Cher collectif de rédaction de la revue Dialogue…
    Emeline VIMEUX

Le cahier du LIEN
Notre réflexion est ici : en quoi nos actes professionnels et militants sont-ils influencés, nourris, “commandés” par nos convictions, par des utopies, par des hypothèses dont nous acceptons qu’elles soient par nature invérifiable ; par des questions insondables telles que apprendre, former et se former dans le prisme du vivre ?

  • Éducation nouvelle et spiritualité. Le corps, l’esprit, la pensée
    Jean-Louis
    CORDONNIER (GFEN) Michel NEUMAYER (GFEN) Charles PEPINSTER (GBEN)
    TINGLI (GREN/LIFE/Université de Genève) Étiennette VELLAS (GREN)
    Ghoussoune WAHOUD

D’autres propositions

  • Comment rendre formative une évaluation sommative ?
    Réflexions autour d’une pratique d’évaluation coopérative basée sur la tâche complexe de rédaction de synthèse
    Laetitia BISSON, Florie CRISTOFOLI, Mathilde DEHARBELes temps d’évaluations sommatives proposés individuellement, et généralement sous forme de questions-réponses, peuvent être une source de stress pour les élèves, quel que soit leur niveau : une angoisse de la page blanche pour certain.es, la restitution partielle des connaissances pour d’autres, la pression de la réussite et la peur de l’erreur… Ces pratiques d’évaluation peuvent  amener les élèves à développer des stratégies individualistes poussant à la compétition. De plus, ces dispositifs engendrent souvent des restitutions lacunaires – peu d’élèves s’engageant dans la production de réponses complexes.
    Ce type d’évaluation correspond à un exercice purement scolaire dont la tâche principale pour les élèves se résume souvent à restituer des informations mémorisées. Il ne permet pas à l’enseignant.e d’évaluer les capacités d’argumentation, de questionnement et d’utilisation des outils adaptés.
    Nous cherchions donc à mettre en oeuvre de nouveaux modes d’évaluations plus positifs, et à développer, en amont chez les élèves, les compétences de production d’écrits complexes et d’argumentation.
  • Les compétences et leur évaluation
    Maria-Alice MÉDIONI, Université Lyon 2 – Secteur Langues du GFENL’article qui suit est un extrait modifié de L’évaluation formative au coeur du processus d’apprentissage. Des outils pour la classe et pour la formation, publié par Chronique sociale en 2016.

    La notion de compétence s’est imposée ces dernières années dans le monde de l’éducation et de la formation. Venue de l’entreprise, cette notion est décriée par nombre d’acteurs éducatifs : elle renvoie à une vision libérale de l’éducation et individualiste des apprentissages scolaires ; elle s’oppose à l’idée de qualification au profit de la capacité à s’adapter aux situations nouvelles, à innover ; elle entre en contradiction avec les connaissances. Cette critique est plus particulièrement développée par Nico Hirtt :
    « derrière l’approche par compétences se cachent essentiellement des objectifs économiques liés à l’évolution du marché du travail ;
    – l’approche par compétences constitue bel et bien, quoi qu’en disent ses défenseurs, un abandon des savoirs ;
    – l’approche par compétences ne peut en aucune façon se réclamer du constructivisme pédagogique ; il se situe en réalité à l’opposé des pédagogies progressistes ;
    – loin de favoriser l’innovation pédagogique, l’approche par compétences enferme les pratiques enseignantes dans une bureaucratie routinière ;
    – l’approche par compétences est un élément de dérégulation qui renforce l’inégalité (sociale) du système éducatif. »

  • Les différentes valeurs de l’évaluation
    Jean-Jacques VIDALAutrefois, on était noté, classé, caractérisé au fil des scores obtenus, des commentaires qu’ils produisaient et des conséquences
    de leur utilisation exclusive pour le devenir personnel. Par l’école, pour le reste de la vie. Il fallait traverser ces épreuves, mais une fois scolairement certifié et recruté dans un secteur professionnel, on était censé s’adapter aux usages partagés d’un métier, et nonobstant quelques contrôles ou inspections, assez rares pour faire événement personnel, on « faisait son travail ».
    C’est encore ainsi, en apparence. Sauf qu’on perd plus souvent son travail, ou c’est lui qui nous perd. En profondeur, une conformation générale s’est produite, et… « qui n’est pas évalué n’a plus beaucoup de valeur ».
    Ce ne sont donc plus seulement les élèves ou les postulants qui vivent les notations et orientations qui en découlent, mais tout le monde, dans tous les secteurs et structures : le directeur de chaque point de vente d’une enseigne commerciale annonce régulièrement les scores comparés du magasin aux moindres intérimaires, car son devenir en dépend. Les agences de notation attribuent leur sanction à tous les niveaux des politiques.
  • Évaluer pour apprendre des élèves
    Jean BERNARDINUne classe de Cours élémentaire […] très hétérogène tant au niveau des acquisitions (maîtrise de connaissances) qu’au niveau des attitudes et comportements. […] Tout se passe comme s’il y avait un “malentendu” entre ce que j’attends des élèves et ce
    qu’eux attendent de l’école et croient que j’attends d’eux. Certains répondent aux questions avant même qu’elles ne soient posées, d’autres, le crayon à la main, se précipitent pour “remplir la fiche” ou “faire l’opération”, d’autres encore sont dans l’attente que l’adulte leur dise (ou leur répète) ce qu’il faut faire et comment il faut le faire. Chacun campe sur ses propositions lors du travail de groupe, où le vote à la majorité remplace la confrontation des propositions, et les moments de correction collective ne trouvent sens que dans le comptage des réponses justes/ fausses…
    Bref, comme nous le dirions aujourd’hui, les élèves se mobilisent sur des tâches à effectuer sans véritablement entrer dans une activité intellectuelle réflexive.
  • La meilleure façon d’évaluer… (ce n’est pas la nôtre)
    Laurent CARCELESDans les milieux randonneurs, il existe une ritournelle traditionnelle, parmi celles qui sont censées donner de l’énergie pour franchir
    les longues distances : « La meilleur’façon d’marcher / C’est encor’la nôtreuh / C’est de mettr’un pied d’vant l’autr’ / Et d’recommencer ». Je n’ai été ni scout, ni éclaireur, mais je connais cette chanson. Même si je ne vous propose pas un long périple, je vous emmène faire un petit bout de chemin avec mes élèves de 6ème de cette année scolaire 2019-2020. Grâce à eux, j’ai vécu une évaluation d’une démarche que je leur avais fait vivre (un texte à trous), ce qui m’a fait changer l’évaluation prévue à l’issue de ce travail.
  • L’intelligence au travail, si on n’y prend garde, c’est du sable qui file entre les doigts
    Michel NEUMAYERC’est un réseau belge d’associations qui m’a contacté pour une évaluation. Elles agissent dans le domaine social (magasin de seconde main, lieux d’écoute, tables de convivialité, accueil santé, accueils migrants, défense des droits de la personne, formation alpha, conférences, films, etc.), dans et autour de l’école et la formation d’adultes en alphabétisation, dans les grandes villes et les zones rurales, etc.
    Mon intention dans cet article n’est pas d’entrer dans le détail des ateliers d’évaluation que j’ai menés. Ils sont évoqués au fur et à mesure. Mon souhait est, en matière d’évaluation, de développer un argumentaire plus anthropologique. J’entends par là que je me situe au carrefour de questions liées au regard, à l’écriture, la notion de trace, à la santé, aux notions d’intelligence collective, de  collectifs de travail et d’action militante. Je veux relier la question de l’évaluation à un ensemble de savoirs, de pratiques, de valeurs que l’Éducation nouvelle porte plus que jamais aujourd’hui et qu’elle a élaborés au fil de son histoire, notamment à partir des années 1980.
  • Conseils de jardinier : si vos petits pois sont rouges
    Jacqueline BONNARDÉchange surpris dans la salle des profs à la récréation. «Ils sont comment les 5 C aujourd’hui ? » demande le collègue de mathématiques au professeur de musique. – « Ben, répond l’autre, Bryan est éteint ; pour Kévin la flûte c’est mission impossible… Quant à Stéphanie elle préfère se repoudrer le nez plutôt que d’apprendre à respirer… et puis j’ai envoyé Samir prendre l’air, il parait que la flûte, c’est pas de la vraie musique… Les maths, ça les inspire peut-être davantage… – Va pas falloir qu’ils me gonflent… je n’suis pas d’humeur! »
    Et voilà la machine à café transformée en mur de lamentations, chacun y allant de son couplet sur les élèves de cette classe, certes difficile, mais sur laquelle aucune réflexion collective n’a été menée pour comprendre les difficultés des élèves et envisager des actions concertées. Car à quoi bon se concerter, ceux-là ne s’intéressent à rien, ne comprennent rien, refusent de travailler.