Extraits Dialogue n° 186

Dialogue n° 186 – Quand l’esprit critique

Sommaire

Éditorial
  • Contre l’obscurantisme, la lumière de la connaissance ? Quand l’esprit critique !  Lire l’édito
    Patrick RAYMOND
Critiques dès le jeune âge ?
  • Prendre soin de l’arbre…
    Sophie REBOUL, GFEN 25

L’école, dès la maternelle, est un espace pour grandir, pour apprendre, c’est un lieu de démocratisation et d’émancipation individuelle et collective.
Sous un regard ambitieux où l’on considère que les très jeunes élèves peuvent entrer dans la complexité du monde, il paraît incontournable d’apprendre à développer leur esprit critique. Mais comment ? Ils sont encore très égocentrés, possèdent des connaissances limitées, la compréhension de certaines notions leur sont encore inaccessibles…
Il s’agit alors, tout en tenant compte de l’âge des enfants, de leur apprendre à changer de regard, à se mettre en questionnement, ne pas prendre pour acquis définitif une affirmation, bousculer sa pensée personnelle, approfondir ses connaissances…
Cette posture est réalisable dans tous les domaines, de nombreuses pratiques GFEN le démontrent !

  • « Faire des sciences » ou former des chercheurs dès l’école maternelle ?
    Jacqueline BONNARD

Toutes les études montrent une désaffection des filières scientifiques ou technologiques lors de l’orientation après la classe de troisième ou de 2nde . Ce constat est corroboré par les résultats des évaluations internationales telles que TIMSS. […] Comme en 2015, les élèves Français se retrouvent en bas du tableau des 58 pays participants, leur score ayant encore baissé par rapport à la moyenne des pays de l’UE et de l’OCDE.
Les disciplines scientifiques seraient-elles synonymes d’ennui ou de difficultés à en comprendre le sens ou la finalité pour une majorité d’entre eux ?
Comment expliquer cette situation récurrente malgré des programmes qui instituent de façon obligatoire une initiation scientifique dès l’école maternelle ? Ces savoirs seraient-ils trop complexes à aborder avec de jeunes enfants et suffirait-il d’une simple initiation basée sur des expérimentations et/ou manipulations pour en donner le goût ?

  • Maternelle, littérature jeunesse et esprit critique : quand l’évidence ne va pas de soi
    Damien SAGE, GFEN 75

Est-il possible de travailler l’esprit critique dès la maternelle ? À l’âge où les élèves sont encore en train de construire leurs « premiers » rapports au langage et au monde, est-il pertinent d’essayer de leur faire prendre conscience de la potentialité réflexive du langage, de son pouvoir de mise à distance de ce qui se présente comme une évidence ?
Tout dépend de la représentation que, nous, enseignants, nous avons de la construction du langage par les jeunes enfants. Si l’on adhère à une vision que je me permets de qualifier de « séquentielle » de la construction du langage où l’enfant doit d’abord construire le langage en situation avant de pouvoir construire le langage d’évocation pour, plus tard, construire le langage pour penser, alors l’ambition décrite précédemment peut sembler démesurée. Sauf à considérer qu’il est aussi possible de penser une construction en parallèle des différentes fonctions du langage, le développement de l’une permettant d’accroître le développement des autres.

  • Échanges critiques entre élèves au quotidien : quelle place pour l’enseignant ?
    Sophie NONET

Comme le rappelle un texte d’Eduscol en 2016 : « L’esprit critique, c’est à la fois le principe et la finalité de l’école :
Principe : car on ne peut éduquer que des esprits libres et critiques : sans esprit critique, à proprement parler, un élève s’informe mais ne se forme pas. […]
Finalité : la visée de tout enseignement – quel que soit son objet – est bien de cultiver l’esprit critique […]
Mais à l’heure actuelle, seuls 29 % des professeurs des écoles français donnent fréquemment des exercices obligeant à développer l’esprit critique contre 65 % en Espagne ou 36 % en Suède selon le compte rendu de l’enquête internationale sur l’enseignement et l’apprentissage.
Maintenant le travail de l’enseignant-chercheur commence : Comment créer les conditions de l’exercice de la pensée critique dans la classe ?

 
Histoires de penser critique
  • L’esprit critique à l’épreuve du complotisme
    Geneviève GUILPAIN, secteur philosophie du GFEN

En août 2021, le secteur philo a proposé un stage s’intitulant « Complotisme : une pandémie mentale ; l’idéal du rationalisme en question ». Le complotisme ! Morceau de choix pour travailler l’esprit critique, dira-t-on ! Certes mais cela ne vaut qu’à condition de s’affranchir d’une pensée simpliste qui distinguerait, par anticipation, le sujet raisonnable exerçant de façon mesurée une pensée critique toute légitime, des « mauvais sujets » critiquables car plongés dans l’hubris du doute et du soupçon. La présentation de notre stage mettait déjà en garde contre une telle approche caricaturale du complotisme.
Une recherche éperdue de critères efficients.

Quelques réflexions pour poursuivre…
Nicole GRATALOUP

Je précise d’emblée que je n’étais pas au stage dont le texte de Geneviève rend compte, mais la lecture de ce texte m’a amenée à quelques questions et réflexions que je livre ici, en espérant que peut-être les absents n’ont pas toujours tort…

 

  • Au rayon des savoirs cassés
    Jean-Louis CORDONNIER

Je n’aime pas l’expression « esprit critique ». Elle est souvent une position d’arbitre plutôt que de joueur de terrain, quand elle n’est pas celle de spectateur critiquant (parce qu’il aurait fait mieux). J’y préfère la pensée politique qui met en relation pour proposer une lecture située, voire engagée. Les deux livres ci-dessous sont deux vastes fresques qui proposent deux lectures politiques, alternatives à l’histoire telle qu’on nous la raconte. Deux livres briseurs d’idées reçues qui foisonnent d’anecdotes détaillées sur des faux-savoirs : « j’ai toujours cru que… mais en fait… ». Beaucoup de nos démarches d’auto-socio-construction sont en réalité d’auto-socio-destruction. Ces deux livres sont une mine pour construire des démarches en histoire des sciences et en anthropologie.

  • Apprendre, c’est critique…
    Jean-Jacques VIDAL

Quand on apprend, que se passe-t-il ?
Les apprentissages élargissent-ils les connaissances en s’ajoutant à des savoirs déjà présents ? S’agrègent-ils à des savoir-faire déjà là en les enrichissant, les rendant ainsi plus efficaces ? Ou recouvrent-ils les acquis au point de les enfouir et de compromettre la possibilité de les utiliser ? Des pratiques procédurales trop tôt installées, sans tenir compte des appétences et dispositions individuelles, sont-elles délétères ?
Tout apprentissage est un processus potentiellement déstabilisateur. Gaston Bachelard l’a démontré dans La formation de l’esprit scientifique.

  • Des outils pour penser
    Sandrine BREITHAUPT, Groupe Romand d’Éducation Nouvelle

En regard des courants s’attachant à la Pensée critique, cet article est une invitation à entrer dans la pensée foisonnante et fascinante de Lev Vygotski (18961934), fondateur de la perspective historico-culturelle. Comme beaucoup d’autres au début du XXe siècle, Vygotski cherche à comprendre les rapports entre individus et société, entre esprit et matérialité, entre pensée et langage. Il cherche à dépasser certaines représentations premières du développement de la psychologie d’alors. En tant que formateur d’enseignant·e·s, il s’attachera également à saisir le rapport entre apprentissage et développement des enfants.

Un engagement du quotidien
  • Quand l’esprit crie et tique
    Sandrine LEROU, Professeure d’histoire-géographie et EMC en collège

Madame, on parle aujourd’hui ? ». Quand ils me disent cela, je dois dépasser mon « moi-prof-intérieur » car je me dis toujours : ils pensent que parler, ce n’est pas « faire cours », comme ils disent….. Et pourtant, ce « Madame on parle ? », vient bien des séances d’éducation civique telles que je les aies conçues. Au bout de quelques mois cela devient : « Madame, là faut vraiment qu’on parle ! », ou « Madame on peut parler à un moment dans la semaine ? ». Tout y passe ou presque ! Parfois on me demande des confirmations d’information pour entamer la discussion : « C’est vrai que… ? », ou nous voila juristes : « on a le droit de…. ? ». Depuis quelques années, leurs questions me surprennent de plus en plus. Nous n’avons plus, eux et moi, les mêmes sources d’information, les réseaux sociaux les conduisent vers le trash, le glauque, les ténèbres.
Alors, on parle.

  • Construire l’esprit critique en décloisonnant les disciplines : lire un roman de chevalerie en classe de 5e
    Manon RUBILONI, Professeure de français au collège

Ce réinvestissement d’une démarche GFEN pour un cours de français portant sur Yvain ou Le Chevalier au Lion part d’un constat. Les élèves de cinquième, bien qu’étudiant la période médiévale en cours d’histoire, reproduisent un cloisonnement entre les disciplines. Ils ne parviennent que difficilement à déconstruire une séance de lecture en s’appuyant sur leurs connaissances historiques acquises en cours d’histoire lors de séances abordant le thème II du programme Société, Église et pouvoir politique dans l’Occident féodal (XIe-XVe siècles). Ainsi, lors des séances de lecture analytique, les élèves se contentent trop souvent d’appliquer des modèles et des schémas d’analyse littéraire appris tout au long du cycle 3 de français, sans se servir des outils et des connaissances historiques qu’ils possèdent. Cela les mène à des analyses littéraires incomplètes, « simplistes » voire erronées. De surcroît, cet obstacle empêche les élèves de saisir les enjeux littéraires de textes médiévaux dans leur intégralité. Il les prive également de motivation et d’un plaisir intellectuel : celui de pouvoir relier les disciplines entre elles et d’accéder à un savoir anthropologique et littéraire en partant de leurs connaissances et en mobilisant leur esprit critique.

  • René Descartes avec des 4e Une pratique pour l’esprit critique
    Laurent CARCELES, professeur de français et formateur d’enseignant.e.s

L’année de 4e est une année où les élèves ont à construire de manière plus approfondie ce que sont l’explication et l’argumentation. À cette charnière, les matières scientifiques insistent sur démonstration, expériences, protocoles… tout ce qui fait passer la personne qui écrit et/ou qui lit de la compréhension, l’invention d’un imaginaire aux moyens de décrire et partager le plus précisément la réalité. Cette charnière rejoint l’histoire littéraire et l’aventure humaine des savoirs : c’est autour du XVIIe siècle que le rôle du savant a progressivement cédé la place au scientifique ; fort de méthodes et outils développés.
La démarche que je présente est issue d’interrogations personnelles et de plusieurs années d’enseignement pour des 4es. En 2016, nourri de compréhensions partagées au sein du GFEN Île de France, j’ai voulu trouver un texte que je pourrais étudier avec les élèves et qui représenterait ce XVIIe siècle que l’historien des sciences Alexandre Koyré a présenté comme le passage du monde clos à l’univers infini. Il n’hésite pas, d’ailleurs, dans cet ouvrage, à qualifier cette période de « révolution scientifique ».

Pour du politique dans les écoles
  • Avec les jeunes : former à l’esprit critique
    Colette CHARLET

C’est une problématique qu’il est urgent de mettre en travail, en cette période de désespérance, où l’on a du mal à ouvrir des perspectives, construire le dialogue et le questionnement, en particulier avec les jeunes. Mon investissement au sein d’un mouvement de jeunesse et d’éducation populaire, ma lecture de l’oeuvre de Korczak, m’ont permis de mieux comprendre ce qui se joue dans la complexité des « règles de la vie », afin d’imaginer un monde plus juste et solidaire. Des occasions m’en ont été données à la fois avec des jeunes de lycées et collèges du bassin d’Annecy lors des Semaines nationales contre les discriminations et le racisme et avec des jeunes responsables du mouvement de scoutisme laïque des Éclaireuses, Éclaireurs de France (EEDF).
Que faire face aux constats alarmants dans les établissements du secondaire ?

  • « Panique à Plougartel-les Pins ». Construire une démarche pour former à l’esprit critique
    GFEN 75

[…] en cette période, post confinement où le recours à la télévision, aux médias, ou aux réseaux sociaux est massif, l’Ecole se doit d’accompagner les élèves vers une réflexion. Dans une étude d’IPSOP de mars 2022, le temps devant écran pour les moins de 6 ans est de 6 heures par semaine et pour les 7-12 ans il est de 9 heures en moyenne par semaine. C’est particulièrement l’usage d’internet via des plateformes de streaming et replay qui a augmenté. Outre les dangers d’une forte consommation d’écran sur la concentration et le développement neurologique, nous regrettons que ces informations soient souvent dénuées d’analyse critique, de mise à distance. Nous sommes partis de ce postulat pour amener nos élèves à penser l’information. Dans cet article, nous définirons ce qu’est pour nous, l’esprit critique, en quoi il anime notre démarche. Nous relaterons les discussions autour de la construction d’une démarche : comment se faire un avis, débattre, écouter et trouver un accord. Et pour finir nous reviendrons sur notre premier atelier, animé devant les collègues du GFEN Ile de France.

  • La politique à l’école ?
    Maria-Alice MEDIONI, Secteur langues du GFEN

L’école serait le sanctuaire de la neutralité et l’enseignant, au nom de la laïcité, se devrait d’éviter, dans son enseignement, tout sujet religieux ou politique. Cette croyance, bien répandue, reflète un certain nombre de confusions, d’ignorances et d’incompréhensions : confusions, par exemple, entre laïcité et neutralité, entre laïcité et tolérance ; ignorances quant au lien étroit entre les débats politiques dans la société et les programmes scolaires ; incompréhensions ou difficulté à penser le lien entre éducation et valeurs morales, entre les orientations, voire les injonctions, éducatives — les « éducation à », la formation de l’esprit critique, etc. — et les choix politiques qu’elles révèlent.
La classe enseignante, tétanisée par ces injonctions et ces interdits, serait condamnée à l’évitement de tout sujet politique qui viendrait polluer l’esprit des élèves, afin de les protéger de tout endoctrinement : « protéger l’enfant contre la politique, c’est le protéger contre quelque chose d’impur » (Percheron, 1993 : 8).
L’école comme machine à (con)former
Pourtant, l’école a toujours eu comme mission de « former les esprits ».

Cahier du LIEN
  • Construire l’Éducation Nouvelle en Pologne
    Colette CHARLET (GFEN)

Construire l’Éducation Nouvelle en Pologne, ce combat a pris de l’ampleur dès le début du XXème siècle, pour faire face aux injustices sociales et discriminations.
Face au prolétariat errant dans les rues pauvres des grandes villes comme celle de Varsovie, il n’est pas étonnant que des intellectuels, médecins et travailleurs sociaux se soient mobilisés sur différents champs posant alors les fondations d’une éducation nouvelle moderne, défendant aussi les droits de toutes sortes, en particulier ceux des enfants.
Il ne faut pas aussi oublier la question latente de l’antisémitisme dont furent victimes des millions de personnes.
Voici mon témoignage.