Extraits Dialogue n° 188 Dialogue n° 188 – Former, se former dans les variétés du réel Retour à la présentation du n° 188 Editorial Formation… vous avez dit formations ? Lire l’édito Jean-Jacques VIDAL et le collectif Dialogue Être formateur : concevoir… Concevoir une formation : l’expérience du GFEN Jacques BERNARDIN Il est fréquent d’entendre des reproches à l’égard de formations jugées trop « théoriques » et insuffisamment pratiques, et/ou en décalage avec les problèmes professionnels de terrain. Pour ceux auxquels elle s’adresse, la théorie n’est pas opératoire lorsqu’elle précède la conscience des problèmes qu’elle est censée expliquer ou lorsqu’elle n’ouvre pas sur une alternative à l’ordinaire. Suffit-il a contrario de prescrire de « bonnes pratiques » ? Cela rabat la professionnalité enseignante à un métier d’exécution et laisse entendre que certaines pratiques vaudraient quels que soient les situations, le contexte et les acteurs en présence. Plus encore, que le dispositif serait opératoire indépendamment de la façon de le mettre en oeuvre et de l’intention éducative qui le surplombe ? Au mieux, cette prescription règle provisoirement un problème, mais confirme et renforce la dépendance aux supposés experts et laisse en l’état le développement professionnel attendu. Connaissant toutes ces limites, les formateurs sont généralement rétifs à prescrire ce qu’ils nomment des « recettes ». Et pourtant, les enseignants ont besoin d’accroche qui leur parle : cela vaut au cours de la formation mais aussi et d’abord dans la phase de négociation qui la précède. « Les démarches ouvrent aux enseignants des espaces de réflexivité » Interview d’Éloïse PIERREL par Laurent CARCELES Formatrice et formateur au rectorat de Créteil (École Académique de Formation Continue) LC : Peux-tu d’abord nous présenter quels sont « les » métiers que tu exerces au sein de l’Éducation Nationale ? EP : Pour commencer, je suis enseignante en lycée professionnel dans un établissement de Seine-Saint-Denis pour les disciplines Lettres-Histoire. En 2009, j’ai passé la certification Français Langue Seconde (FLS). Cela m’a permis de devenir, depuis septembre 2009, professeure de ce qu’on appelait à l’époque « classe d’accueil ». Depuis 2012, la classe d’accueil est devenue un dispositif nommé « Unité Pédagogique pour Élèves Allophones Arrivants » (UPE2A). Je suis donc coordonnatrice du dispositif qui accueille ces élèves depuis 14 ans maintenant. Je leur enseigne le français. Ces élèves ont vocation à rejoindre une classe ordinaire et à poursuivre leur cursus scolaire en France. Ensuite, je suis aussi professeure testeur au Centre d’Information et d’Orientation (CIO). Je fais passer des tests de positionnement aux élèves qui viennent d’arriver en France, qu’ils soient francophones ou non francophones. Sans détailler les autres critères pris en compte, ces tests permettent de positionner ces adolescents dans la classe qui correspond aux compétences et connaissances qu’ils ont déjà acquises. Depuis 10 ans, je fais également de la formation. J’ai passé le Certificat d’Aptitude aux Fonctions de Formateur Académique (CAFFA) en 2019. L’école inclusive, une déclinaison du « Tous capables » ? Cécile VICTORRI, INSPE de Versailles Il ne s’agissait pas, pour les formatrices ASH que j’ai rencontrées, de maîtriser tous les dispositifs d’adaptation, ni d’individualiser les consignes et les évaluations, il ne s’agissait pas de transformer les professeurs des écoles en personnel soignant, ou en éducateurs spécialisés, l’idée était plutôt d’apprendre à concevoir son enseignement sans présupposer l’incapacité des élèves, en laissant le champ libre à une diversité d’approches et de procédures, en comptant sur les vertus de la coopération. Or ces pratiques pédagogiques, et les principes sur lesquelles elles se fondent, font immédiatement écho aux partis pris pédagogiques du GFEN, me semble-t-il, et me sont apparus comme des évidences. Quelques exemples m’ont frappée. Ceci n’est pas un ready-made mais un road movie initiatique Sylviane MAILLET, GFEN Secteur Arts Plastiques On peut être déconcerté par les consignes des démarches en création et penser que l’on n’est pas capable de pouvoir en élaborer. Même en lisant le dispositif, il est quelquefois difficile de savoir interpréter ce qui est formulé. C’est pourquoi, dans une formation, il est donc essentiel que les participants (es) puissent se donner les moyens pour pouvoir inventer leurs propres démarches. Sans perdre de vue que les ateliers arts plastiques/ écriture ne sont ni des suppléments d’âmes, ni des compléments alimentaires culturels. Voici donc une réflexion sur les dessous d’une démarche : « Les mots dont nous avons besoin » afin de percevoir les enjeux et de se les approprier. … dans un autre rapport à l’institution… De la coopération avec les apprenant.e.s Maria-Alice MÉDIONI, Secteur Langues du GFEN Du latin cum, avec, et operare, faire quelque chose, agir, la coopération « est un mode d’organisation sociale qui permet à des individus ayant des intérêts communs de travailler ensemble avec le souci de l’objectif général. Elle nécessite un certain degré de confiance et de compréhension »4. Selon Sullivan (Snyder et Sullivan, 2008), pour qu’une personne coopère, il faut que soient réunies un certain nombre de conditions : un solide sentiment de confiance envers les personnes engagées, l’assurance qu’elle sera reconnue et qu’elle pourra recevoir du soutien en cours de processus. Mais ce que je voudrais développer ici c’est la coopération des enseignants, avec les apprenant.e.s et leurs familles, et particulièrement avec celles et ceux qui sont, non pas les plus fragiles, mais celles et ceux que l’école fragilise. Il semble que ce soit à cet endroit que résident un certain nombre de difficultés de taille, selon un bon nombre de recherches et d’ouvrages récemment publiés. J’en citerai, au fil de cet article, quelques exemples qui permettent de corroborer les partis pris que nous mettons en oeuvre au GFEN. Déformons la formation pour qu’elle soit transformatrice ! Annabelle RODRIGUES, GFEN 67 Cet article s’appuie sur une recherche menée dans le cadre d’un MASTER en sciences de l’Éducation, parcours « Tutorat et Formation d’enseignants », soutenu à l’université de Strasbourg en juin 20226. En tant que PEMF7, j’ai suivi deux constellations, en français, l’une en cycle 2, l’autre en cycle 3, toutes les deux en réseau d’éducation prioritaire. Que disent les enseignants de la visite en classe ? En s’appuyant sur ce que les enseignants pensent de la visite telle qu’ils l’ont vécue depuis le début de leur professionnalisation, la visite telle qu’ils aimeraient la voir en oeuvre dans la constellation et la visite possible dans le plan français, il me paraît soutenable de mettre en débat la visite au sein de la constellation. Écriture et formation / Écrire en formation Michel NEUMAYER, GFEN Provence C’est à force d’inventer puis animer de nombreux ateliers de formation en milieu professionnel comme sur le terrain des ateliers d’écriture que je me suis interrogé sur ce champ de la formation des adultes largement traversé d’écritures-lectures. Des annonces de stages aux formulaires d’inscriptions, de la formulation des attentes sollicitées ici et là par les formateurs aux évaluations mises en place, le rapport à l’écrit, le lire et écrire en formation semblent aller de soi. Je souhaite ici l’interroger. De quelles lectures parle-t-on ? De quelles écritures s’agit-il à tel ou tel ou tel moment du processus de formation ? Comment se déclinent-elles ? Que produisent-elles dans l’esprit des « se formants » : soumission aux routines, conscientisations diverses, nouvelles formes d’estime de soi ? À qui s’adressent-elles : aux pairs ? Si toute formation vise une transformation – pour aller vite « celle d’actes et des pensées » – en quoi le lire-écrire en formation y contribue-t-il ? Comment y gagne-t-on en liberté et développe-t-on de la coopération ? Philosophie et éducation nouvelle dans la formation des enseignant.e.s Manuel TONOLO, PRAG Philosophie, membre du secteur Philosophie du GFEN, INSPE de Grenoble, site de Chambéry Après une vingtaine d’années heureuses à enseigner en Terminale, j’ai commencé en 2003 à intervenir à temps complet dans la formation initiale et continue des professeurs de premier et de second degré à l’IUFM, puis à l’ESPE, et enfin à l’INSPE de Grenoble. Le travail dans la formation initiale des enseignants se révélait alors l’occasion de faire comprendre à ces futurs collègues l’intérêt de la réflexion du GFEN. J’estimais important de montrer à ces étudiantes en formation le gain à retirer de la confrontation d’un contenu rigoureux de savoirs et de questionnements philosophiques avec une pédagogie qui tente de mettre en pratique l’esprit de ces principes afin de pouvoir rendre réellement accessible à tous ce savoir complexe. Voici le témoignage, vingt ans plus tard, de cet engagement en formation des enseignants. … pour une formation réussie ? Aller vers « quelque chose qui n’existait pas auparavant » Évelyne LEDRU-GERMAIN, Professeure d’anglais et formatrice EAFC En effet, nombreux sont les enseignants qui disent : « Moi, je ne vais pas en formation ». Les raisons invoquées sont majoritairement de deux ordres. « On nous prend pour des élèves. On nous dit ce qu’il faut faire, en sous-entendant qu’on ne le fait pas, qu’on n’a pas la « bonne recette ». Mais on ne nous donne pas les recettes en question. » Ou bien « On nous met en atelier pour « échanger », mais ça ne sert à rien. On élabore tout seul des supports, mais on ne sait pas si c’est bien ou pas et le formateur repart avec ». Souvent, les collègues utilisent les deux axes explicatifs, l’un après l’autre. On voit apparaître en filigrane la notion de « bonne recette », de « bon travail », comme si les stagiaires se positionnaient comme des élèves, attendant une validation que le formateur n’accorde pas, ne souhaite pas accorder. Nous sommes là sur un effet de brouillage : quel est le rôle du formateur ? Est-il là pour valider des documents ? Pour transmettre des séquences fonctionnant sur le terrain comme on l’entend souvent en début de formation ? Un outil de formation : le croisement Maria-Alice MÉDIONI, Secteur Langues du GFEN Lors de nos Universités d’été (UE) du Secteur Langues1, que nous organisons chaque année au mois d’août, depuis plus de 14 ans, nous avons l’habitude de proposer quatre ateliers ou démarches par demi-journée. Cela permet d’offrir sur les quatre journées de chaque UE, 12 situations différentes à vivre, en plus de la démarche du premier jour animée en parallèle, pour tout le monde, et l’intervention d’un.e chercheuse.eur que nous invitons à apporter son point de vue sur la question qui fait l’objet de notre UE. Les participant.e.s, chaque jour, doivent choisir entre plusieurs options et se déterminer, soit par rapport à la langue — certains choisissent leur langue de spécialité, d’autres préfèrent « s’étranger le regard » —, soit par rapport au niveau — débutant ou plus outillé —, soit encore par rapport aux différentes étapes du système — primaire, secondaire, supérieur ou formation. Nous tenons à ce foisonnement, reflet de l’activité du Secteur Langues, mais sommes tout à fait conscient.e.s de la frustration ainsi — volontairement — créée. Comment faire entrer tou.tes les étudiant?es dans la lecture de textes complexes ? Sophie CRABOS, Université de Toulouse, département de sociologie Ayant repris des charges de cours à l’Université, j’observais un phénomène nouveau : une minorité d’étudiant.es, représentant, selon les groupes de TD, entre 1/7 et 1/4 de l’effectif, faisait mine de participer activement au cours, mais ne remettait aucun travail. Ces étudiant.e.s pouvaient passer deux ans à l’Université, étant assidu.e.s, voire participant oralement aux cours et travaux de groupes, sans jamais fournir aucun écrit. Or j’animais, entre autres, un enseignement de « Méthodologie du travail universitaire en sociologie », enseignement dont les exigences étaient élevées (quantitativement et qualitativement), il visait à faire entrer les étudiant.es dans les méthodes de la recherche documentaire, la lecture de textes savants, la compréhension de la démarche de recherche en sociologie, ainsi que l’initiation aux outils numériques, tout cela en douze séances de 2 heures. Qu’est-ce qu’une formation réussie ? Côté formé Damien SAGE, GFEN 75 Lors du Congrès du GFEN de 2013, Frédérique Maïaux et Yves Béal ont ouvert leur démarche sur la formation de formateurs en atelier d’écriture par cette question : « Donnez un exemple de formation réussie à laquelle vous avez participé. » Cette question m’a sidéré. Je n’ai pas pu répondre. Devant ma sidération, une collègue eut cette remarque : « C’est pas sympa pour les copains du GFEN qui ont animé des démarches auxquelles tu as participé depuis toutes ces années… » J’étais, je l’avoue, bien marri… Au moment où j’ai commencé à avoir le projet de cet article, j’ai réalisé que le malaise était toujours là. Cela fait plus de 14 ans que je suis au GFEN et la notion de « formation réussie » m’échappe toujours. Et ce n’est pas faute d’avoir vécu des démarches à visée formative, d’en avoir animé et, même, d’en avoir créé. Ce n’est pas faute non plus d’être au quotidien face à des élèves de maternelle et de devoir leur permettre d’accéder à tous les contenus prescrits par les programmes. Ce qui m’échappe, c’est notamment la notion de formation réussie du point de vue du destinataire. Cahier du LIENAu cours de la dernière biennale de l’Éducation Nouvelle qui s’est tenue à Bruxelles en 2022, plusieurs thèmes ont été abordés. Certains étaient liés à nos pratiques, nos méthodes, et d’autres abordaient des thématiques vives de nos sociétés : écologie / migration / démocratie / égalité des genres / numérique. Pour ce supplément du LIEN au sein de Dialogue, nous avons questionné les contenus mais au-delà les raisonnements, les méthodes, les démarches, les pratiques. Deux débats sur les huit proposés par le LIEN sont ainsi questionnés sous l’angle des savoirs : – Débat 2 : Comment le numérique peut-il être aussi au service de l’émancipation ? – Débat 8 : Culture scientifique et Questions Socialement Vives d’écologie. L’Éducation Nouvelle face aux défis écologiques Catherine LEDRAPIER et Jean-Louis CORDONNIER (GFEN) I.A., intelligence artificielle, apprentissage, instruction et école Wallid SFEIR (GBEN) 5 mai 2023 Valérie Pinton