Extraits Dialogue n° 189 Dialogue n° 189 – Le pouvoir du travail Retour à la présentation du n°189 Editorial Reprendre le pouvoir du travail. Le travail, le métier, la profession Lire l’édito Le collectif de rédaction de Dialogue Au centre du travail, des relations… Les forçats de l’école. Réflexions sur la valeur du travail au lycée Anne BARRÈRE, Sociologue de l’éducation Professeur à l’université Paris-Descartes L’institution scolaire aujourd’hui se légitime massivement par l’affirmation qu’en travaillant, on peut réussir à l’école. Cette foi méritocratique dans le travail, sur les « décombres » du discours du don, est partagée par les élèves, mais elle rentre en contradiction avec l’expérience quotidienne du verdict scolaire, particulièrement lorsqu’ils travaillent sans réussir. Ces forçats de l’école vivent alors dans l’absence de maîtrise d’un travail dont ils ne comprennent pas qu’il ne soit pas efficace. Cette situation oblige à analyser précisément les malentendus entre une institution qui ne cesse d’en appeler au travail sans être capable toujours d’en définir des normes stables et des élèves qui ont bien souvent du mal à déchiffrer les demandes et à comprendre l’évaluation que l’on fait d’eux; Quand la colère permet de faire le jour Erell BARAËR, Professeure de lettres, Lycée Jean Guéhenno, Fougères « Sylvie Germain m’a niqué mon bac » pouvait on lire sur les réseaux sociaux en juin dernier. En effet, après l’épreuve écrite du baccalauréat de français et face au sujet proposé en commentaire issu de Jours de colère de Sylvie Germain, les réactions d’élèves, injurieuses et violentes, se multiplient. Comme tous les enseignants, j’ai été sidérée. Au delà de l’extrême agressivité qui se dégageait de ces tweets, c’est la posture de ces élèves qui m’a interpellée : derrière la colère d’être désarçonné (il s’agissait d’un texte contemporain qu’ils ne pouvaient classer en un mouvement littéraire et d’une écriture romanesque très poétique qui les amenait à la rencontre de personnages énigmatiques), se lit la volonté scolaire de n’avoir qu’à appliquer. Comment expliquer que des élèves de première, après plusieurs années de français, s’insurgent face à un texte qui leur résiste et attendent d’exécuter des procédures plutôt que d’émettre leurs hypothèses ? J’ai eu le sentiment d’un profond malentendu : ces élèves semblaient attendre de l’exercice du commentaire une restitution de connaissances, le texte qui leur a été proposé les amenait au contraire à s’aventurer. Premières brasses dans le grand bain Interview de Garance CORDONNIER par Jean-Louis CORDONNIER Je ne sais pas si j’avais une représentation. J’ai l’impression que mon travail c’est de travailler avec les élèves ; trouver des façons qu’ils apprennent, qu’ils s’épanouissent, qu’ils se posent des questions : j’ai l’impression qu’elleux et moi, on est dans la même équipe. Je trouve toujours un peu bizarre quand ils sont en mode « je l’ai bien eue ». Quand un élève fait une blague, il a l’impression d’avoir gagné, que je n’aurais pas voulu qu’il plaisante. Moi ça me fait rire. Bien sûr je veux qu’on ne passe pas tout le cours à faire des blagues… Mais ils ont l’impression d’avoir gagné quelque chose contre moi. Je les vois tricher, me mentir, être en conflit. Quand les élèves font un parallèle avec une autre matière ou qu’ils posent des questions sur la vie, j’ai plutôt l’impression que ça participe à faire de l’école un endroit où on réfléchit et où l’on fait des trucs chouettes. Eux, j’ai l’impression qu’ils croient m’avoir arnaquée; Des principes d’Éducation Nouvelle dans le football business ? Michel BARAËR Régis le Bris a été recruté au FCL lorsque Christian Gourcuff en était l’entraîneur et il a passé plusieurs années à ses côtés. Gourcuff avait déjà su tirer le meilleur des équipes lorientaises puisqu’il les avait deux fois fait monter de ligue 2 en ligue 1, que, sous sa direction, elles s’étaient maintenues en ligue 1, et qu’elles s’étaient même, plusieurs fois, très bien classées (7e en 2010, 8e en 2013). Il était le promoteur d’un jeu très collectif fondé sur l’épanouissement des joueurs. Régis Le Bris se réfère aussi explicitement à Claude Fauquet (entre autres, ancien directeur de l’équipe de France de natation) et François Bigrel (professeur au CREPS de Talence). Tous deux défendent une conception de la performance à l’opposé de celle qui a très majoritairement cours : la performance ne résulte pas de la mise en œuvre de compétences travaillées à l’entraînement sous la direction d’un coach, elle réside dans la capacité à résoudre les problèmes, toujours nouveaux, posés par la situation de compétition. supplément en ligne : Le(s) métiers(s) d’élèves Jany VIDAL … des contraintes… Un métier à « besoins particuliers » Sophie REBOUL, GFEN 25 L’école a depuis quelques années un nouveau visage appelé communément « école inclusive ». Elle promeut l’égalité des droits et des chances, l’obligation de garantir une « formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Ces jeunes ont le droit d’être inscrits dans l’établissement scolaire le plus proche de leur domicile ». Comment cette obligation a-t-elle modifié le métier d’enseignant ? Relayée par la presse, reconnue dans la société, la notion d’inclusion semble fort louable et incriticable . Il reste pourtant un goût amer, un sentiment d’impuissance, voire de culpabilité dans la profession. Les « manques » seraient ils de la seule responsabilité d’enseignants et parents « incapables » ? C’est ce qui m’interroge et m’interpelle aujourd’hui d’après mon vécu de « classe maternelle inclusive » Entre contraintes et injonctions, des espaces pour se sentir vivant.e Maria-Alice MÉDIONI, Secteur langues du GFEN Le métier enseignant est un métier difficile. Un des trois « métiers impossibles », d’après Freud, parce que, pour chacun d’eux, «on peut d’emblée être sûr d’un succès insuffisant ». Un métier, d’autre part, souvent empêché : « L’activité empêchée, c’est le salarié qui, à la fin de la journée, se dit « aujourd’hui encore, j’ai fait un travail ni fait, ni à faire ». C’est la mauvaise fatigue qui provient de tout ce que l’on n’arrive pas à faire. C’est ce travail qui vous poursuit, vous empêche de dormir. L’activité empêchée, c’est ne pas pouvoir se reconnaître dans ce que l’on fait ». Comment s’en sortir entre le fait qu’on « n’a jamais fini » et les contraintes et injonctions contraires à ce que, en tant qu’enseignant.e, on pense devoir faire ? Les notes, nos menottes Jean-Louis CORDONNIER Lorsque j’étais élève, la seule note qui valait était celle de la composition trimestrielle. La moyenne des trois trimestres servait à déterminer les prix et accessit de maths, français, etc. ainsi que les prix d’excellence. Mai 68 a bouleversé tout ça et introduit le contrôle continu. Jeunes enseignants dans les années 80, on nous a expliqué qu’il fallait faire des évaluations diagnostiques, formatives, sommatives, certificatives, normatives, critériées… On nous a fourni des référentiels de compétences. Puis Pronote est arrivé. Ainsi qu’un nouveau baccalauréat où 40 % de l’évaluation se fait par contrôle continu en Terminale et en Première. Tout au long de l’année, les enseignants doivent informer les élèves avant un contrôle de son statut certificatif ou non. Compte tenu des horaires des différentes disciplines au collège et au lycée, pour produire les deux ou trois notes trimestrielles nécessaires, c’est 15 ou 20 % du temps qui est passé en contrôle soit plus d’une année entière entre la 6e et la Terminale. Les enquêtes montrent que les enseignants consacrent environ 6 ou 7 heures par semaine à corriger des copies. Si vous parlez de temps de travail à un enseignant du secondaire, il va très rapidement vous détailler toutes ces copies à corriger, corvée fastidieuse, fatigante, abêtissante, déprimante, peu utile mais incontournable. On est passé en un demi siècle d’une évaluation ponctuelle à une évaluation permanente. Sans que cela ait provoqué une amélioration notable des apprentissages, bien au contraire. supplément en ligne : Les enseignants et leur temps de travail : réflexions « vues du terrain » Tristan MÉRIEUX supplément en ligne : La stratégie du pourrissement Sylvain GALY … dans un projet émancipateur Le travail, c’est la force émancipatrice majeure Extraits d’une interview d’Yves CLOT par Pablo PILLAUD-VIVIEN Le texte suivant est la transcription, par Nicole Grataloup et Michel Baraër, d’extraits d’une interview orale d’Yves Clot par Pablo Pillaud-Vivien, dans le cadre de la MIDINALE de regards.fr, intitulée « La gauche se trompe quand elle parle du travail », le 16 septembre 2022. Pour moi, la question du travail est le grand refoulé du débat politique et de l’action politique. Je partirai de l’exemple des hôpitaux. On a connu une expérience sociale et à mon avis politique, au sens noble du terme, très importante, puisque avec la pandémie, les soignants se sont trouvés dans une situation catastrophique du point de vue professionnel, à devoir assumer des responsabilités gigantesques au péril de leur santé. Mais ils se sont engagés dans cette affaire avec un soutien de la population qui, à l’époque, a fait le respect de tous. On se souvient des urgentistes qui disaient « on n’a jamais aussi bien travaillé que pendant la pandémie ». C’est incroyable, d’autant plus que ces mêmes urgentistes sont dans la situation qu’on sait et que très récemment ils ont manifesté à quel point ils étaient étranglés par les problèmes multiples. Comment peut on passer d’une situation où il y a fierté du travail, plaisir de travailler absolument considérables, à une situation dans laquelle on va travailler à reculons et — c’est massif pour les infirmières —, on est tenté par la démission. Le prix du travail bien fait. La coopération conflictuelle dans les organisations, sous la direction d’Yves CLOT note de lecture par Pascal DIARD En avril 2021, alors que nous sortions à peine du confinement, paraissait Le prix du travail bien fait. La coopération conflictuelle dans les organisations, rédigé par des psychologues du travail et un ergonome, sous la direction d’Yves Clot. Son contenu ? Le titre de l’introduction l’indique clairement : « Au delà de la pandémie, repenser le travail » La justice au travail d’Alain SUPIOT Éditions du Seuil, Libelle, 2002 note de lecture par Jacqueline BONNARD Juriste, Alain Supiot est professeur émérite au Collège de France. Spécialiste du droit social et de la théorie du droit, il a écrit de nombreux ouvrages dont La justice sociale face au marché total (Seuil 2010 ; Points 2021) et La gouvernance par les nombres (Fayard, 2015 ; Pluriels, 2020) Ici, c’est un texte court, version augmentée de la Conférence d’ouverture des Rendez-vous de l’histoire de Blois (2021) consacrés au « Travail ». Le titre invite à penser la justice selon deux entrées : d’une part comme élément moteur de la construction du monde et d’autre part sa place dans le monde du travail. Pour Alain Supiot, la justice au travail « s’entend comme juste répartition du travail et de ses fruits. Mais elle signifie aussi que c’est une force historique qui ne cesse de travailler les sociétés humaines et d’interroger leurs institutions » Enseigner, métier ou profession ? Catherine LEDRAPIER La professionnalisation de l’enseignement est actée en France par la création des IUFM en 1991. «Professionnalisation du métier» : les instituteurs deviennent «professeurs des écoles», et les professeurs du secondaire auraient enfin une vraie formation didactique et pédagogique ! Un même niveau de formation entraîne une même rétribution, c’est un aspect fondamental de cette transformation. Une formation universitaire et professionnelle était l’ambition fondatrice des IUFM. Les chercheurs constatent que la professionnalisation de l’enseignement est internationale, son but est de rendre les enseignants plus efficaces pour assurer une meilleure réussite scolaire du plus grand nombre d’élèves. Il s’agit de réussir une vraie démocratisation de l’enseignement, de qualité, qui ne se réduise pas à une massification. Mais qu’entend on par «professionnalisation» ? Quelles différences avec le métier d’enseignant ? Entre travail, emploi et activité : les métiers de l’éducation plongés dans un conflit démocratique Pascal DIARD Il y a des lectures qui vous ouvrent des perspectives, des horizons nouveaux. En un mot : des possibles d’action et de pensée. L’ouvrage d’Alexis Cukier est de ces lectures là. Un extrait, en particulier, me remue encore les méninges : « Cet ouvrage partage bien l’objectif de transformer radicalement le sens du travail, pour en faire un moyen central de l’activité démocratique. Mais à cette fin, il convient de distinguer radicale ment le travail de l’activité (la mobilisation de la personne pour réaliser une tâche prescrite), de l’emploi (la rémunération et l’intégration sociale dans l’exercice d’une profession), et du salariat (les institutions de l’exploitation économique et de la subordination juridique du travailleur). […] La définition du travail est une question politique […] parce que le travail n’a pas seulement une fonction économique – produire des biens et des services – mais aussi une fonction politique : produire (reproduire, contrôler, transformer) les rapports sociaux.[…] Cahier du LIEN Débat « Migration » Deux textes (Tunisie, Suisse) se font ici écho. Complexité d’un tableau à l’horizon infini, dont le titre pourrait être « émigration et/ou immigration ». Les couleurs de l’espoir et du désespoir s’y mêlent. On peut le regarder de loin ou s’en imprégner et y ajouter toutes les couleurs susceptibles de l’illuminer. La pulsion viatorique Mounira Khouadja (ITEN) Qu’en est-il de cet ailleurs rêvé ? Claire DESCLOUX (GREN) 4 septembre 2023 Valérie Pinton