La terre plate. Généalogie d’une idée fausse

de Violaine Giacomotto-Chara et Sylvie Nony

Éditions Les Belles Lettres, 2021, 280 pages

Un livre décapant à l’ère des fake-news.

L’idée reçue, c’est que pendant le Moyen Âge, on croit que la Terre est plate, croyance rétrograde et dogmatique promue par l’Église ; mais grâce à de grands hommes courageux et bravant les prélats, – Galilée, Christophe Colomb… – le monde moderne découvre enfin que la Terre est sphérique.

Dans une première partie, de leur livre, les autrices Violaine Giacomotto-Chara et Sylvie Nony (1) montrent qu’il n’en est rien : Platon (423-348) et Aristote (384-322) considèrent déjà que la Terre est une sphère (p. 22). Et l’argumentent : l’ombre de la Terre sur la Lune lors des éclipses est circulaire (p. 28) ; le Soleil ne se lève pas partout à la même heure ; en se déplaçant vers le nord ou le sud, on ne voit pas les mêmes constellations. Ératosthène (276-194) fournit une méthode pour évaluer sa taille ; il trouve une circonférence proche de 40 000 km (p. 255). Au Ve siècle, Aryab-hata, un Indien, suppose même que la Terre tourne sur elle-même. Al Bîrûnî qui rapporte cette hypothèse dans le monde arabo-musulman au XIe siècle y renonce, après avoir calculé qu’un point de la surface se déplacerait à 1 700 km/h « ce qui ne s’observe pas ».

L’ouvrage détaille de nombreux auteurs du Moyen Âge qui transmettent et vulgarisent l’idée que la Terre est sphérique. Passant du grec au latin puis au français, ce résultat est transmis souvent sans les méthodes qui l’ont établi (p. 85). Il faudra attendre les traductions des textes grecs faites par les Arabes pour qu’au XIIe-XIIIe siècle l’occident latin se réapproprie les démonstrations (p. 216).

Lors de ce parcours, on rencontre à de nombreuses reprises la question des antipodiens, ceux qui de l’autre côté de la Terre auraient la tête en bas ! C’était un argument de Lactance (dc.325)) (p. 58) pour refuser la sphéricité, et il est l’exemple souvent cité. Mais il est seul car cet argument est repris par les Pères de l’Église comme St Augustin (dc. 430)) ou Bède (dc.735)) qui ne contestent pas que la Terre soit ronde. Nulle part – excepté dans un texte de Fernando Colomb – on ne trouve la crainte d’avoir à « remonter la mer » pour revenir des Indes occidentales, comme en témoignent trop souvent les souvenirs scolaires de nos contemporains (p.184).

Dans la seconde partie, les autrices explorent la création et la persistance de ce mythe d’une conception moyenâgeuse de la Terre plate. Comment au XVIIIe et XIXe se constitue un biais cognitif contre les évidences historiques et comment il perdure jusqu’à aujourd’hui. C’est la faute à Voltaire (p. 151-154) mais pas que. Les États-uniens Washington Irving avec son livre History of the Life and Voyages of Christopher Columbus (1828) et John William Draper (1874) alimentent cette fake-news pour alimenter la thèse d’un conflit éternel Église/science. Michelet pour des motifs tout aussi idéologiques présente l’histoire comme la victoire de « fils de serfs » contre l’élite : les héros de la science s’opposent aux détenteurs des savoirs que sont les docteurs de l’Église, mais aussi aux puissants (p. 221).
De nombreuses pages sont consacrées à la construction des mythes qui entourent Christophe Colomb (2).

Cette seconde partie se termine par le constat que les manuels scolaires (français) ne sont pas en reste pour colporter cette infox.
Les autrices, dans la préface et la conclusion se positionnent clairement dans une perspective pédagogique. Il s’agit de lutter contre une manipulation de l’histoire des sciences, et surtout des consciences, contre une vision pauvrement linéaire et téléologique du développement des civilisations issue du positivisme et d’une certaine idée du progrès (p. 13). On prend ainsi conscience de la différence entre les conceptions médiévales (appartenant au Moyen Âge) et les représentations moyenâgeuses (qualificatif visant à les discréditer) (note 16 p. 293).
Les matériaux cités dans le livre, les nombreuses notes ainsi que la bibliographie très détaillée, l’index des personnes citées exhaustif permettent de se servir de ce livre pour construire des démarches en histoire, histoire des sciences, sciences, philosophie…

J’en profite pour citer un autre ouvrage qui n’est pas du tout dans le même genre littéraire. Timeline (1999), en français Les prisonniers du temps (Robert Laffont) de Michael Crichton est un roman de science-fiction – un voyage dans le temps vers le Moyen Âge (également en film 2003). L’intention de Crichton est – à travers des descriptions technologiques ou architecturales – de montrer que la science du 14e siècle (en Dordogne) est développée et que le Moyen Âge n’a pas été une période obscure de stagnation.

Note de lecture par Jean-Louis CORDONNIER
parue dans Dialogue n° 190,“Éduquons-nous à la démocratie ?
Éduquons-nous à la démocratie !”, octobre 2023

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1- Sylvie Nony a été secrétaire générale du GFEN pendant une dizaine d’années. Elle est actuellement chercheuse en Histoire et philosophie des sciences, rattachée au laboratoire SPHere, UMR 7219, université de Paris.
2- On pourra aussi lire « Christophe Colomb » de Michel Baraër in Enseigner l’Histoire autrement, Alain Dalongeville – Michel Huber ed ; Chronique sociale, p. 22-42, 2002 ou « Christophe Colomb sujet bateau », in L’histoire indiscipline nouvelle, chapitre 12, Syros, 1984