Les espaces parents dans les collèges : comment accompagner le développement d’une politique de coéducation ?”

Le 25 janvier, la Direction de l’Éducation et la Jeunesse de la Seine Saint Denis a organisé une journée sur la co-éducation, dédiée principalement aux partenaires du département et la communauté éducative.

Une journée de réflexion et d’échanges sur  les pratiques partenariales entre tous les acteurs impliqués dans la vie de l’élève et sur la mise en place d’une politique de coéducation au sein des collèges publics du territoire : « Les espaces parents dans les collèges : Comment accompagner le développement d’une politique de coéducation ? »
Jacques Bernardin, président du GFEN, y a tenu une conférence intitulée « Quels enjeux de la coéducation ? ».
Après avoir étudié les obstacles à la venue des parents de milieux populaires, il a mesuré l’impact de l’implication parentale sur la réussite scolaire au collège.
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Quels enjeux de la coéducation ?

Jacques BERNARDIN
(Circeft-ESCOL, Université Paris 8 / Président du GFEN) 
Les textes officiels, de la loi d’orientation au référentiel de l’éducation prioritaire, prescrivent d’instaurer des relations pérennes avec les parents, dans une démarche de coéducation visant la réussite de tous. S’il faut saluer l’investissement du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, qui veille à ce que les conditions optimales d’accueil des parents soient réunies, avec la construction de locaux spécifiquement dédiés dans les nouveaux collèges, il appartient désormais aux acteurs de terrain de les faire vivre. 
Vous témoignez, par votre présence, de votre engagement à cet effet. Cependant, nous savons tous que cela ne va pas de soi, tant cela dérange les habitudes des uns et des autres, de part et d’autre de la scène éducative. Si certains parents s’inscrivent volontiers dans cette démarche de coéducation et rencontrent aisément les enseignants, d’autres sont moins à l’aise vis-à-vis de l’univers scolaire et plus rétifs à venir au collège, notamment ceux de milieux populaires. Pourquoi ? Mieux vaut en connaître les raisons, car la méconnaissance réciproque est facteur de distance, de malentendus et de tensions, préjudiciables à la scolarité des jeunes.
Des obstacles à la venue des parents de milieux populaires  
1/ Leur rapport à l’école :
Outre des raisons objectives pour ne pas venir (compatibilités des horaires de travail, garde des enfants, etc.),  les parents qui ont peu fréquenté l’école, que ce soit à cause du contexte de leur époque ou parce qu’ils n’ont pas fait de longues études, ne sont pas très « chauds » pour y retourner. Plusieurs raisons à cela :
Le poids des souvenirs scolaires
Beaucoup de parents ont une expérience négative. Ainsi par exemple, ce père agent SNCF invité à évoquer son rapport à l’école, alors que sa fille entre au CP : « L’école, ça n’a été qu’une douleur. Je n’ai jamais rien choisi, on a toujours choisi pour moi » et un autre, cuisinier : « l’école, ça sert à rien. S’il y avait que moi, il n’irait pas à l’école ») . Certains évoquent des scènes d’humiliation, des paroles blessantes à leur égard ou à propos de leurs enfants. On ne va pas volontiers vers ce qui nous a rejetés.
Les conditions de la rencontre 
Les parents sont souvent appelés quand il y a des difficultés scolaires ou des comportements réprouvés : les pratiques familiales, les modes de vie peuvent être alors mis en cause. Etre convoqué, c’est le signe d’un problème, d’une conduite répréhensible. Ils ont le sentiment d’être suspectés ou désignés comme responsables de problèmes qui leur échappent, d’avoir des pratiques non-conformes, illégitimes par rapport à un standard implicite du « bon parent » (en fait, conduites propres aux classes moyennes et supérieures, érigées en modèle universel). Partagés entre inquiétude et culpabilité, les parents disent se sentir « sur la sellette ». La fuite est une manière d’échapper au contrôle social et à ce qu’on ressent comme une situation de domination ; l’agressivité est une autre manière de gérer ces situations inconfortables.
Les échanges avec les enseignants
Les interactions sont dissymétriques et inégales sur les plans institutionnel, culturel et langagier. Dans ces rencontres, il s’échange de l’autorité, de la reconnaissance ou de la dénégation de l’autre. Les parents sont extrêmement sensibles à la façon dont ils sont accueillis et à la tonalité des échanges, savent très vite s’ils sont réellement respectés et écoutés. S’entendre dire que son enfant a un comportement insupportable fait revivre ce qu’on a déjà vécu, réactive les souvenirs de sa propre scolarité. Les reproches de mauvais résultats ou de manque de travail renvoient à ce qui est ressenti comme une insuffisance parentale quant au suivi scolaire.  
L’auto-dévalorisation
Beaucoup de parents estiment ne pas être en mesure d’aider leur(s) enfant(s), en évoquant leur niveau scolaire ou leur trop faible maîtrise du français (« Ma femme et moi, on est pas beaucoup allés à l’école »). Ce sentiment d’infériorité, fréquent, conduit à cacher ce qu’on ressent comme un manque d’instruction. Parfois, les parents craignent que les rencontres produisent des effets négatifs sur leur enfant, et limitent les informations sur eux pour ne pas renforcer de perception négative des enseignants (et parallèlement, les jeunes eux-mêmes n’aiment pas que leurs parents viennent à l’école, et de moins en moins avec l’adolescence). Pour Daniel Thin, « De la même manière qu’il existe des formes d’autocensure dans les échanges langagiers, l’évitement de l’école par les parents, leur non-participation aux réunions, leurs silences sont des anticipations des sanctions menaçant leur présence, leur langage, leurs pratiques, leur être sur le terrain de l’école » . 
–      et le sens de sa place
Fréquemment, les parents de milieux populaires estiment qu’ils « n’ont pas leur place » dans l’école . Ils pensent ne pas y être légitimes, dans une logique de séparation assez stricte entre l’école et la famille, les enseignants étant jugés seuls spécialistes des apprentissages qui s’y réalisent. [  ]  lire le texte intégral