Les « fondamentaux » : savoir de quoi on parle, savoir ce que l’on vise

Le 22 mars, Maria-Alice Médioni, représentant le GFEN, est intervenue lors des Journées d’Études Fédérales de l’OCCE à Évian sur le thème : les « fondamentaux ».

Un dossier sur les « fondamentaux » à user sans modération en y piochant des références, des résultats d’enquêtes, en allant chercher les articles mentionnés ou même … redécouvrir quelques ouvrages oubliés mais dont le propos résonne furieusement aujourd’hui.

Devant une centaine de militant·e·s de l’OCCE, Maria-Alice a dressé l’historique de cette idée vieille de deux siècles – portée aujourd’hui par la droite et l’extrême droite – avant de dresser un constat : La France est la reine des fondamentaux » sans pour autant que l’impact sur les apprentissages des élèves français soit établi. Étayant son propos sur de nombreux articles et études, elle montre comment la droite française s’est appuyée sur cette idée pour mieux discipliner les esprits : lire, écrire, compter et bien se comporter, sans que soit vraiment développés les savoirs associés. L’extrême droite va encore plus loin qui demande une remise à plat des méthodes pédagogiques et des contenus.

Mais si la France est la championne des « fondamentaux » en raison du temps passé à l’école en français et mathématiques, les résultats aux évaluations nationales et internationales sont médiocres.  Les enseignants français seraient-ils incapables d’assurer leur mission ?

S’appuyant sur les études ayant suivi les expérimentations « plus de maîtres que de classe » ou le dédoublement des classes de CP en REP+, elle montre que les dispositifs ont peu d’effets si on ne change pas les pratiques ou si l’on s’enkyste dans des méthodes relevant davantage d’un « dressage » : ex. maîtrise du code et de la fluence plutôt que compréhension d’un texte.

Mépris des enseignants sommés d’exécuter plutôt que de concevoir de véritables situations pédagogiques, retour à des méthodes qui n’ont pourtant pas donné de bons résultats, telle semble être la boussole des dirigeants actuels qui en focalisant l’opinion publique sur la « maitrise des fondamentaux » empêche une véritable réflexion sur ce qui est important d’apprendre à̀ l’école.

Reprenant les propos de Jacques Bernardin : « Centrer l’école sur les fondamentaux renvoient à un double implicite : à la fois une vision déficitaire des capacités de certains élèves conjuguée à une faible ambition éducative à leur égard » (Bernardin, 2022),  Maria-Alice souligne les dérives inhérentes à cette conception de l’enseignement : inflation d’instruments de mesure faciles, adaptation au marché de l’emploi, attitudes consuméristes des familles et des élèves…

C’est pourquoi elle nous demande d’interroger « les fondamentaux » qu’on nous assène et « redéfinir ce qui pour nous fait fondement et sens pour notre action et notre personne. ».

Quels fondamentaux (fondements) à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui ?

              – Une démocratisation élargie de l’accès au savoir, à la culture : il faut sortir de ces logiques qui transforment les inégalités sociales en inégalités scolaires.

              – Susciter le désir d’apprendre : dans un monde de plus en plus complexe, il nous faut réfléchir aux outils et aux pratiques pour repenser les éléments différenciateurs, les modalités d’action usuelles générant les inégalités puis recentrer le travail, pour tous, sur les contenus, concepts-clés et objectifs obstacles. « Faire accéder à une aventure intellectuelle où les questionnements ouverts sont plus importants que les réponses fermées et qui permette de se confronter à la complexité et à l’incertitude ».

             – Reconstruire la confiance en soi : selon les études, « les élèves français n’ont pas confiance en eux », mais peut-on apprendre sereinement sous la menace de la note ou du redoublement ? C’est à l’enseignant de proposer un cadre sécurisant permettant la prise de risque de changer son système de représentations afin d’arriver à décoder et se représenter le monde… donc apprendre et acquérir le pouvoir d’agir. Agir à l’école mais plus largement en tant que citoyen.

               – Se construire une pensée critique : dans une société dominée par une accélération de l’usage des nouvelles technologies, ce qui était censé améliorer l’information en termes d’accessibilité et de rapidité devient un véritable fléau en termes de flots ininterrompus de nouvelles et de fiabilité de l’information. Comment prémunir les jeunes contre les dérives d’un système qui empêche de penser par soi-même et à confronter sa pensée à celles des autres ? Que pourrait faire l’école dans ce domaine ?

Habituer les apprenants à la prise de distance pour réfléchir et apprendre à surseoir à la pulsion, exercer à la vigilance critique, distinguer croyances et concepts, opinions et vérités scientifique… Mais pour cela il faut casser les formes canoniques de la transmission basées sur une pensée binaire (vrai ou faux) « pour accéder à la complexité́ des objets, des faits, des situations par l’analyse, les mises en relation, le recours à l’histoire des savoirs, la confrontation des points de vue ».

                – Ce qui unit et libère : Reprenant les propos d’O. Reboul sur ce qui unit et ce qui libère et vaut donc la peine d’être enseigné, Maria-Alice nous propose de recréer de la cohérence entre finalités et pratiques, de développer l’auto-socio-construction et faire du groupe d’apprenants un collectif d’apprentissages solidaires. Dans ce cadre la coopération est indispensable, ce qui ne se décrète pas mais se construit dans un cadre basé sur des valeurs : égalité, solidarité, entraide. « Coopérer à l’école, c’est expérimenter des règles sociales qui ‘ font valeur’ bien au-delà » (Bernardin, 2014).

Jacqueline BONNARD

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