Les valeurs à l’épreuve des pratiques : valeurs à l’école, valeurs de l’école

Les 10èmes Rencontres Nationales de Saint Denis se sont déroulées le 25 mars, à l’IUT de la Halle Montjoie. Au-delà des discours sur le “vivre ensemble”, c’est au coeur même des pratiques que les valeurs prennent sens, celles qui prônent “l’apprendre ensemble” et visent la réussite de tous. Tâche difficile lorsqu’il s’agit de faire partager les valeurs de la République pour Jean Paul Delahaye ou enseigner le monde social pour Jérôme Deauviau.

Dans son introduction, Jacques Bernardin rappelle que dans cette période de rendez-vous politiques décisifs, il est important d’interroger ce qui est au fondement du lien social : les valeurs qui lesquelles un groupe social s’appuie pour faire corps. Pour ne prendre que celles qui s’affichent au fronton des écoles “liberté, égalité, fraternité”, quelle(s) réalité(s) recouvrent-elles lorsque l’école a tant de mal à enrayer les inégalités sociales et que l’individualisme s’installe battant en brèche les principes de coopération ou de solidarité. Lire le texte d’ouverture

Jean-Paul Delahaye, IGEN honoraire, ancien directeur de l’enseignement scolaire et auteur du rapport “Grande pauvreté et réussite scolaire” (2015) ouvre ces rencontres sur la difficile mission de l’école lorsqu’il s’agit de faire partager les valeurs de la République. Reprenant les textes fondateurs, il rappelle que depuis sa création, l’école de la République a toujours eu mission de faire partager aux élèves ces valeurs. Il affirme que “la République ne pourrait exister si l’école ne formait pas ou ne formait plus de républicains. Cette mission n’est donc pas optionnelle, elle est obligatoire, [ ] et que l’on est Français parce qu’on adhère à ces valeurs dont on connaît l’histoire et les combats”. Principe repris par les deux dernières lois de refondation.

Mais pour rendre possible le partage des valeurs de la République, il faut que l’école et la société agissent de concert. Comment transmettre les valeurs de respect des règles et des institutions, de l’effort ou de la solidarité quand la société prône l’argent vite gagné, le culte de l’individualisme ou la défense des intérêts particuliers ?
Si la mission de l’école est difficile, c’est parce que l’ensemble de la société est en mal d’intégration. Prenant l’exemple de la charte de la laïcité, il s’insurge contre une tendance à croire que seules les populations défavorisées ou d’origine immigrée auraient besoin de recevoir un brevet de laïcité. Le problème aujourd’hui est que certains conçoivent le “vivre ensemble” comme un “vivre entre soi, sans contact avec les autres”. Il donne en exemple le refus des habitants du XVIème arr. de Paris d’un lieu d’accueil pour personnes en difficulté, les qualifiant même de « nuisances ». Lorsque la mixité sociale est considérée comme un drame épouvantable par certains, les valeurs de la République ne sont-elles pas en danger ?
Et la question des valeurs n’est-elle pas en lien avec la justice socio-économique au sein de la société ? Dans les territoires en grande détresse sociale, les habitants les perçoivent  davantage comme des incantations que des réalités vécues. De façon générale, “les zones d’exclusion et les ghettos ne sont pas compatibles avec l’idéal républicain”.
Proclamer le “vivre ensemble” tout en refusant le “scolariser ensemble”, c’est dénoncer de les inégalités de façon théorique sans rien faire pour les combattre. C’est l’institution scolaire elle-même qui doit donnerl’exemple de pratiques conformes aux valeurs qu’elle doit faire partager auxélèves.
Ce faisant, Jean Paul Delahaye poursuit par un propos optimiste car il existe des établissements ayant des pratiques en cohérence avec les valeurs affichées : promotion d’une éthique éducative basé sur le principe d’éducabilité, affirmation que la promotion de tous ne nuit à personne et que l’hétérogénéité est un tremplin. Ces établissements sont accueillants. Ils sont justes (note comprise, orientation consentie), non laxistes, respectueux et ambitieux pour tous les élèves. Car en fait, on sait ce qu’il faut pour réussir (toutes les pratiques ne se valent pas) et on a dépassé certaines contradictions. Il faut savoir réunir et animer les réseaux en s’appuyant sur le principe de coéducation et permettre une diversification des parcours scolaires. Il existe des marges de manoeuvre inexploitées et au-delà du choix pédagogique il faut s’interroger : quel type de citoyen veut-on former ? lire le texte intégral
L’après-midi, les participants se répartissent dans différents ateliers

Atelier Citadelle.

Créée par Colette Charlet et reprise par le  groupe odébi, cette démarche propose d’interroger le processus de création dans la rencontre entre écriture et arts plastiques à partir du mot citadelle. Dans un premier temps, on pose les mots qui viennent sur une fresque pour en faire ensuite une lecture effervescente où chacun imprime sa vision du monde. Il n’y a pas de citadelle interdite… alors construisons ensemble ! A partir d’une banque de photos de “citadelles”, on repère puis extrait les éléments supposés caractéristiques d’une citadelle. Et les murs sortent de terre à partir des matériaux mis à disposition, oeuvres collectives de qu’il conviendra de visiter. Dans la phase d’analyse, les processus de construction se mettent à jour dans leur complexité.

Dans une autre salle,  le propos porte sur l’exercice de la démocratie par la pratique du débat (colloque et controverse). La démarche s’appuie sur un travail mené en classe avec des élèves de 5ème. Comment  les négatifs sont-ils devenus nombres ? Quels obstacles rencontrés ? 

En petits groupes, les participants sont confrontés  à des travaux d’élèves dont les résultats s’affichent sur les murs. Dans un premier temps, les élèves ont donné leurs représentations sur les nombres négatifs qui s’appuient sur une approche matérielle des nombres et posent la problématique de l’addition, de la soustraction et du “zéro”. Les blocages des élèves sont les mêmes que ceux rencontrés par les hommes lors de la construction des règles de calcul. Où l’on découvre que les règles se construisent par tâtonnements et sont l’objet de débats. Par la mise en place d’un jeu de rôle (Vous êtes banquiers. A la fin de chaque mois, vous faites le bilan des comptes en banque de vos clients), on passe d’une écriture symbolique des calculs à l’élaboration  de règles de calcul qui amènent à comparer des nombres relatifs puis à rompre avec la représentation majoritaire : “soustraire, c’est diminuer”. Le colloque permet d’inscrire les élèves dans une histoire de savoirs mathématiques qui se sont construits par tâtonnements. La verbalisation permet d’éclaircir les notions.

Sur l‘Île des religions, on planche sur une situation où les 500 derniers survivants de l’humanité se retrouvent sur un même territoire et tentent de cohabiter  dans le respect des différentes religions. Il s’agit d’imaginer deux ou trois scénarii pour envisager un cadre commun : jours travaillés, fêtes religieuses, échanges, partage des lieux de vie, éducation des enfants. La décision de “cadre commun” est due à la nécessité de la survie suite aux évènements tragiques récents. Deux scénarii possibles : consensus ou guerre civile où les plus nombreux prendraient le pouvoir (alliance forcée). Un autre scénario serait de se séparer géographiquement selon la culture d’origine (risque de conflit et de guerre). A moins qu’on ne soit sur une ritualisation de l’ancien ou une technocratie en raison des urgences vitales qui nécessite une coopération.

Chaque groupe   essaie ensuite de catégoriser les scénarii proposés en s’appuyant sur six types d’organisations politico-religieuses. La  réflexion est approfondie  grâce à des textes théoriques sur la laïcité.

Quant à démontrer que la Terre tourne autour du soleil (mais dans quel sens ?) et pourquoi on ne voit pas la même chose dans le ciel selon les moments de l’année (mais comment le prouver ?), c’est l’objet de l’atelier ” Esprit critique contre dogmatisme : en sciences, croire ou savoir, on peut choisir !”  Les participants sont répartis en trois groupes. Chaque groupe a une facette du phénomène et va représenter corporellement leur interprétation du problème. Dans quel sens la terre tourne-t-elle  et à  quelle vitesse ? La rotondité de la terre, quelle preuve d’après le texte d’Aristote (comment à l’instant “t” on ne voit pas la même chose en face selon le lieu d’observation sauf pour ce qui est au-dessus?). Pourquoi la terre tourne autour du soleil (le déplacement de la terre permet d’expliquer les différentes constellations vues au fur et à mesure de l’année) ? Pas facile d’être le soleil ou une planète lorsqu’on est soi-même partie prenante du phénomène étudié. Mais le fait d’essayer d’interpréter les observations (corporellement, verbalement ou en dessinant) permet de structurer sa pensée.

Après l’intervention de Jérôme Deauviau  portant sur  “Enseigner le monde social : enjeux et pratiques”, Jacques Bernardin a invité à participer aux différentes initiatives prochaines :
A lire sur le Café Pédagogique, dans l’Expresso du 27 mars  :

  • Rencontres GFEN : Comment mettre les valeurs républicaines en pratique à l’Ecole ? lire
  • Jacques Bernardin (GFEN) : Maintenir vivant l’objectif de démocratisation de l’Ecole lire
Jacqueline Bonnard