TRACeS n°234 Tous capables, Hein !? Un dossier de la CGé où les propositions se succèdent pour que la profession de foi devienne réalité. Que nos amis de la CGé décident d’explorer notre pari philosophique dans un dossier, voilà qui nous intéresse et nous intrigue. Comment vont-ils le décliner? Quels angles d’attaque? Quel(s) public(s)? Questions de société? Questions de métier? Tout commence par l’édito qui permet de revisiter le « tous capables » d’écrire un édito ! Au-delà du risque à prendre quel cadre bienveillant permet de dépasser ses peurs, de se dédouaner du regard de l’autre ? Ecrire un édito, c’est trouver dans les textes du dossier un fil conducteur, une problématique qui traverse les différents articles. « Croire au Tous capables amène finalement à se demander : à quoi sert l’école ? À quoi voulons-nous qu’elle serve ? Tous capables, oui, mais, pour faire quo? » Posture exigeante. Véronique Baudrenghien pose le dilemme auquel l’enseignant est confronté lorsqu’il faut décider d’une orientation d’un élève vers un enseignement spécialisé. A-t-on raté quelque chose ? Est-ce une question de compétences professionnelles ? Après la décision prise à la satisfaction des adultes référents, d’où vient ce malaise lorsqu’on a le sentiment de séparer l’enfant de ses camarades d’une même classe d’âge ? L’auteure constate la corrélation entre inégalités sociales et inégalités scolaires et s’interroge sur le destin de ces enfants s’ils avaient été issus d’un autre milieu social : enfants d’enseignants par exemple. « Il s’agit ici de tout ce que les familles de milieux culturels proches de l’école peuvent mettre en place pour leurs enfants en grandes difficultés scolaires, parce qu’ils comprennent mieux les enjeux d’une orientation, parce qu’ils ont les moyens financiers nécessaires pour suppléer aux manques d’encadrement dans l’enseignement ordinaire pour ces enfants [ ] ». De fortes complicités. Jacques Liesenborghs revient sur le contexte dans lequel le « Tous capables » du GFEN s’est invité en Belgique dans les années 80 lors de formations : une véritable provocation ! Le vécu des démarches d’autosocioconstruction en ont convaincu plus d’un à inventer de nouvelles pratiques en puisant notamment dans les propositions de la pédagogie institutionnelle. Il s’agit d’un pari éthique s’appuyant sur le principe d’éducabilité qui transforme le regard posé sur l’autre, son propre rapport au savoir, à la société, au monde. L’orthographe, un défi pour l’égalité ? Danièle Cogis identifie la maîtrise orthographique comme marqueur social même si les enfants de toutes les classes sociales peuvent être atteints par la peur de la faute. Elle démonte la croyance selon laquelle « c’était mieux avant » lorsque les enseignants ne présentaient au certificat d’études que les élèves prêts à réussir en dictée. On est loin du mythe de toutes les grands-mères qui ne faisaient aucune erreur. C’est par un apprentissage réflexif que la compréhension de la langue se construit et favorise une mise en ?uvre orthographique pertinente. Tous capables ? Mais de quoi ? Dominique Bucheton énumère les visées d’une réforme de l’éducation : apprendre à tout élève de penser par lui-même, qu’il inscrive son développement dans un contrat scolaire, qu’il trouve les formes d’enseignement et les dispositifs lui permettant de comprendre et de s’adapter aux attentes de ce socle, que les élèves apprennent à vivre et à travailler avec leurs pairs. Ce qui oblige à repenser collectivement le métier d’enseignant afin de s’adapter à la grande hétérogénéité sociale, culturelle et langagière des élèves accueillis. Cela peut passer par des changements simples pour commencer et oser faire varier les dispositifs dans la conduite de la classe. Les Cerfs-volants de Trois-Ponts. Pascale Lassablière s’inscrit dans une filiation, celle du tous capables, tous chercheurs, tous créateurs depuis sa rencontre, il y a une quinzaine d’années avec Odette et Michel Neumayer. Elle présente le projet d’une maison de quartier et d’une bibliothèque pour accompagner de jeunes mineurs demandeurs d’asile en leur faisant vivre un moment dense et positif. Tout part d’un objet culturel très fort en Afghanistan : le cerf-volant. En fabriquer, en parler, écrire et échanger autour de la métaphore de l’objet : Quel rapport entre un cerf-volant et la vie ? En travaillant sur des textes de poètes ayant écrit sur la liberté, le vent, l’amour de la vie, les mots et les images surgissent. A chaque atelier, un texte collectif est produit et progressivement les relations se tissent. Un support pour réussites. Marie-Luce Latran nous présente un outil mis en place dans sa classe de maternelle : un porte-folio qu’on nommerait en France « cahier de réussites ». Loin de l’évaluation formelle, il permet à l’enfant de s’inscrire dans un projet : grandir dans la classe et à l’école. Chacun repère ce qu’il a réussi même si c’était difficile, appris : dessins, photos, dictée à l’adulte avant de présenter cela à ses parents lors d’une visite à l’école. Chaque enfant a l’occasion de mettre en avant ses forces et ses qualités et d’énoncer un défi. Un projet à analyser et à consolider. La plasticité cérébrale, clé de l’apprentissage. Catherine Vidal montre que les neurosciences ont permis de modifier notre perception du développement du cerveau et de battre en brèche certaines théories selon lesquelles tout serait joué avant six ans : le cerveau est un organe dynamique qui évolue tout au long de la vie. L’imagerie cérébrale permet de visualiser les régions du cortex concernées selon les apprentissages et les grandes capacités de plasticité de celui des enfants. L’opposition entre inné et acquis semble dépassé puisque l’interaction avec l’environnement est la condition indispensable au développement et au fonctionnement du cerveau. Mais à chacun son cerveau car aucun cerveau ne ressemble à un autre, chacun ayant son histoire personnelle faite d’interactions lors de rencontres personnelles et d’expériences individuelles. Mais peut-on voir un cerveau penser ? Chaque cliché est une image dans une situation pour une personne donnée et à un instant « t » et ne dit rien de ce qui la mobilise. C’est dans la relation avec le monde et avec les autres humains que se forge la personnalité et que se structure la pensée. Des visages, des figures. Thomas Michiels, volontaire dans une école de devoirs, aborde le thème de l’évaluation. A quoi servent les notes, interroge-t-il ? Il constate l’impact désastreux de la « mauvaise note » chez les élèves en difficulté au niveau de l’image de soi et de leur capacité à se projeter jusqu’à les conforter dans l’idée qu’ils relèveraient d’un enseignement spécialisé. La note devient un outil à trier et sélectionner qui renvoie à l’élève et ses parents la responsabilité de l’échec sans expliciter les pistes d’action à envisager pour surmonter les difficultés rencontrées. Pourquoi l’idéologie des intelligences multiples plait-elle tant ? Pierre Waaub interroge : cette théorie sonnerait-elle le glas du tous capables ? Ou ne serait-elle qu’une nouvelle forme plus policée de justification des inégalités scolaires ? La proposition de Gardner est une théorie scientifiquement contestée et pourtant elle rencontre un certain succès dans le monde de l’éducation. Il existe une ambiguïté entre ensemble d’habiletés et intelligences. Pour valoriser un individu, on peut mettre en avant ses habilités et lui proposer des apprentissages s’appuyant sur « son type d’intelligence » au risque de ne pas développer chez lui d’autres aptitudes nécessaires à la formation de tout un chacun. Cette théorie permet de classer les élèves selon leurs intelligences et de proposer un panel d’apprentissages adaptés dans lequel chacun pourra picorer dans son bol ce qui le motivera à venir à l’école. Ceci va à l’inverse de ce qu’il faudrait : travailler toutes les habiletés avec tous les élèves pour les rendre tous capables de réussir des apprentissages dans tous les domaines, porter pour tous les élèves l’ambition d’une culture commune et exigeante. Gênés en maths. Renaud Coché s’insurge contre le fatalisme affiché des « nuls en maths » et affirme que tous les élèves sont capables d’y réussir : mais sont-ils tous également capables ? Il réfute l’idée que sous prétexte que l’élève éprouve des difficultés en mathématiques, il faudrait lui en donner moins. Il propose d’adopter une autre posture : établir une relation de confiance et travailler progressivement sur le rapport de l’élève au savoir mathématique. Mais cela ne suffit pas à lever tous les obstacles lorsque les bases ne sont pas maîtrisées. La faute à l’évaluation ? Une extrême dépendance didactique aux années précédentes ? La question de l’enseignement des mathématiques est un dossier à investir. Du sur mesure plutôt que de la taille unique. Joanne Deprez enseigne à l’école maternelle. Véronique Baudrenghien l’interroge sur le pari du Tous capables lorsqu’on accueille de jeunes enfants dont l’origine sociale est très hétérogène. Penser l’enfant capable d’apprendre c’est le mettre dans de bonnes conditions d’apprentissage, c’est l’accueillir tel qu’il est et rendre accessibles les savoirs visés. Certains ont davantage besoin d’étayage que les autres : selon les aptitudes et les comportements repérés, l’enseignant adapte les demandes pour stimuler le désir d’apprendre. C’est dans les activités quotidiennes qu’on peut repérer ce que les enfants sont déjà capables de faire (pas besoin de test ou d’évaluation normée), et sur ce déjà-là, on bâtit des apprentissages « plus disciplinaires ». Le CEFA, l’école autrement. Claudia Taronna relate le parcours de Paolo dans « cette école de la dernière chance ». Comment accueillir ces jeunes, primo arrivants, que la barrière de langue isole dans les relations sociales ? C’est par une prise en charge collective des différentes problématiques liées à son parcours de vie par les professionnels que progressivement la situation s’est améliorée : maîtrise de la langue, apprentissage des gestes professionnels, intégration sociale. Tous capables de mener chacun au plus loin de sa formation professionnelle, personnelle et sociale suppose de laisser à chaque jeune le temps d’exercer son pouvoir sur les choses, de faire des erreurs et progresser car on croit dans son potentiel et sa capacité de réussite. Un dossier très intéressant donc (à la conception graphique équilibrée, très agréable pour le lecteur !) qui permet de décliner ce pari du TOUS CAPABLES sur tous les niveaux de scolarité. Il manquerait peut-être un volet concernant la formation initiale et continue des personnels de l’éducation en termes d’apports théoriques pour étayer le principe d’éducabilité. Le parti-pris philosophique ne suffit pas à lever les doutes liés au paradoxe du développement de la pensée chez l’élève qui ne s’accompagne pas toujours d’une réussite scolaire dont les critères institutionnels s’appuient sur des compétences acquises dans les familles en connivence avec l’école mais de ce fait facteurs de discrimination pour les autres. accéder à la page du site CGé Jacqueline Bonnard février 2018 25 février 2018 Jacqueline Bonnard