Université d’été du GFEN -2015

L’EDUCATION, FERMENT DE LA DÉMOCRATIE 

Pratiques de savoir : les valeurs en jeu

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Du 6 au 8 juillet 2015, l’Université d’été du GFEN s’est tenue au collège Clairs soleils de Besançon. Implanté dans un domaine partiellement boisé de plus de 2 ha en lisière de la forêt de Chalezeule, ce collège s’ouvre sur le quartier du même nom entre l’entrée nord de la ville et la colline de Bregille. Dans cet environnement propice à la réflexion, les participants ont exploré lors des ateliers proposés l’articulation entre pratique(s) de savoir et valeurs en jeu. 

Ils ont été accueillis par Mme Viviane MAGIN-FEYSOT, Principale du collège. Mr Pierre MAGNIN FEYSOT, représentant Marie-Guite DUFAY présidente du Conseil Régional de Franche-Comté, a mis l’accent sur l’investissement de la région dans le cadre d’une démocratie participative  afin d’accompagner au « tous capables ».

Dans son discours d’ouverture, Jacques BERNARDIN, président du GFEN a rappelé que les événements dramatiques de janvier 2015 ont suscité une réflexion sur les enjeux de l’éducation et les effets néfastes de la déqualification : ce n’est pas par la leçon de morale qu’on devient démocrate mais par la pratique de la citoyenneté dans les apprentissages. « Des savoirs appris comme des catéchismes, deviennent croyances  » 

 Jour 1 : Impliquer et maintenir les apprenants dans l’activité. 

Philippe LAHIANI présente les ateliers proposés qui interrogeront les processus de mobilisation. 

C’est justement l’objet du projet présenté par des enseignants du collège Clairs soleils visant à « remettre en réussite » les élèves en décrochage : parcours sportif commun, travail sur la « dictée sans faute ». L’atelier est animé par Catherine MESNIER, principale-adjointe du collège. L’analyse du projet par les participants est suivie par l’organisation d’une réunion bilan sous la forme d’un jeu de rôle afin de mettre à distance enjeux et perspectives d’évolution sur cette action.

Dans l’atelier « à l’origine des nombres », il s’agit de reconstruire la numération positionnelle pour comprendre ce qui fait obstacle à la compréhension de ce concept par les élèves. C’est en inventant des manières de compter que chacun s’inscrit dans cette invention collective pour comprendre ce que représente le zéro.
Aussi facile que la mécanique  quantique ? Catherine LEDRAPIER nous entraîne hors des cadres habituels de la physique classique, un milieu où deux systèmes en corrélation ne forment plus qu’un défiant ainsi  le « réalisme local » cher à Einstein.  De ce fait, la description indépendante de chacun d’entre eux devient impossible, toute mesure de l’un affectant l’autre et ce, quelle que soit la distance qui les sépare.  Un bon sujet de débat philosophique  car pour  « penser quantique », il est nécessaire de changer de cadre de référence afin de penser discontinu : « Quelle est donc la texture de la réalité ? »
 
 
La réflexion se poursuit l’après-midi sous une chaleur accablante, chacun recherchant la moindre zone de fraîcheur.
Des sujets aussi divers que la préparation de la visite de l’exposition consacrée à « Germaine Tillion, les armes de l’esprit » au musée de la Résistance, le pas de côté pour porter un autre regard sur les objets du quotidien, éprouver  le  Désir d’écrire, écriture du désir ou encore entrer dans l’oeuvre du poète Mahmoud Darwich
 

Arrêtons-nous sur cet atelier animé par Pascal DIARD : commencer par découvrir le panorama dans lequel se construit une pensée (un territoire traversé d’influences diverses, histoire et résistance palestinienne, écrits identitaires entre le mythique et l’intime…) ; puis s’approprier collectivement un poème par la démarche du texte recréé avant de partager la lecture de textes choisis de l’auteur.

Voyage initiatique aux saveurs et fragrances troublantes. «Le café, la première tasse de café, est le miroir de la main, de cette main qui tourne le breuvage. » Mais un parcours en errance où les mots dessinent les contours de paysages confisqués comme un rempart contre l’oubli.
Dans les discussions sur les enjeux des pratiques, quelques principes retenus pour mobiliser les élèves : une approche socio-historique des savoirs, une approche collective des apprentissages, des situations complexes et l’installation de défis à surmonter.
Après un apéritif d’accueil, Michel HUBER (Institut Henri Wallon) propose une lecture théâtrale  « 1945-2015 : 70 ans après ». Avec une dizaine de participants, il nous transporte dans le huis clos du château  de Sigmarigen,  la résidence du gouvernement en exil du régime de Vichy à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce sont les dernières heures des collaborationnistes où chacun tente de se projeter et sauver sa peau.

Jour 2 : Analyser l’activité de l’éducateur et sa posture

Dans son intervention, Odette BASSIS, présidente d’honneur du GFEN  propose une approche systémique des processus vécus dans une démarche : les différents types d’activités vécues dans une «démarche d’auto-socio construction» de la saisie de la situation initiale jusqu’à la conceptualisation et les réinvestissements.  Elle pointe les processus de conscientisation dans le va et vient entre chacun et les autres où interfèrent imaginaire et symbolique, notamment dans le langage et l’écriture. Elle montre en quoi se joue l’implication créatrice du sujet dans sa propre émancipation et ce qu’il se construit comme futur citoyen.

Les ateliers qui suivent visent à analyser  la conception des situations d’apprentissage  et l’approche épistémologique des savoirs abordés qu’il s’agisse d’entrer dans la culture écrite à travers l’aventure des écritures, se pencher sur l’écriture de travail comme ressort pour les apprentissages , vivre une approche culturelle et anthropologique du savoir ou encore retrouver la culture technique d’origine dont chacun est porteur en participant à « Raconte-moi l’objet, il te dira qui tu es ».  Entre vécu individuel et construction collective, à chaque fois l’écrit et l’échange oral alternent accompagnés avec bienveillance par les animateurs de chaque atelier.

L’après-midi voit se poursuivre la réflexion sur le lien entre pratiques de transmission et travail intellectuel des apprenants en partant sur la célèbre démarche des allumettes, prendre connaissance de projets portant sur des devoirs au travail personnel de l’élève. L’institut Henri Wallon quant à lui interroge le couple théorie/pratique : comment sortir de l’impasse ?

Michel HUBER et Hélène BELOU (IRTESS)  nous proposent de construire un concept clé, celui des « opposés/solidaires » rejoignant en cela la pensée quantique abordée la veille avec Catherine LEDRAPIER. Peut-on dissocier théorie et pratique ? En s’appuyant sur l’exemple de l’enseignement du théorème de Thalès, les stagiaires identifient ce qui fait empêchement à la compréhension lorsqu’on assène un savoir comme  vérité. Ils proposent des situations d’expérimentation ou manipulatoires (la pratique) permettant d’assoir la «théorie». Le concept d’opposé/solidaire permet un développement de la dialectique ; le passage de la pratique à la théorie relève de l’épismétisation quand celui de la théorie à la pratique relève de la pragmatisation.
 
La journée se termine par un atelier d’écriture à la librairie Marulaz où chacun participe à une fresque évolutive à peine perturbée par la pluie intermittente.

Jour 3 : Comprendre les valeurs véhiculées par les pratiques

Pour aborder les valeurs véhiculées par les pratiques, nous avons le choix entre un travail sur Parents et enseignants, des rôles complémentaires pour la réussite de tous, une réflexion sur Quelle république à enseigner ? ou l’étude de documents d’époque pour approcher l’actualité du Conseil national de la Résistance. Pour cet atelier, rendez-vous au musée de la Résistance : au regard des lectures des textes à disposition, on perçoit l’esprit novateur des contenus proposés et en particulier en ce qui concerne le plan Langevin-Wallon (1947). Certaines de ces avancées  ont été mises en oeuvre : gratuité de l’enseignement obligatoire, formation des enseignants, contrôle pédagogique des IPR, orientation scolaire ou médecine scolaire. D’autres ont peiné à s’installer comme l’accès à une culture technologique pour tous ou encore des contenus pertinents pour l’éducation morale et civique. Et l’on comprend pourquoi les tenants d’une économie libérale souhaitent en détricoter l’essentiel.
Exposition au musée de la Résistance Etude du plan Langevin-Wallon
Après la pause méridienne, place au débat public  sur la thématique de l’université d’été avec des responsables associatifs (dont les parents d’élèves), politiques et syndicaux. Tous s’accordent à dire que l’éducation est un problème majeur et qu’il y a urgence à penser l’école autrement : un lieu plus juste et plus démocratique où les élèves pourraient faire l’exercice de la citoyenneté en situation réelle et non en endossant des rôles dont les attributions sont le plus souvent des coquilles vides (exemple : délégués de classe).

Ce qui amène Eirick PRAIRAT, professeur à l’université de Lorraine à proposer dans son intervention « le pari déontologique » aux professionnels de l’éducation. Pour lui, c’est une perspective souhaitable. La déontologie professionnelle remplit trois fonctions : une fonction identitaire, une fonction d’aide et d’organisation, une fonction de moralisation. Appliquée au monde enseignant, elle permettrait de réaffirmer la cohésion du corps enseignant, apporter une garantie judiciaire, réarticuler statut et compétence, revitaliser la relation école/parents. Il s’agirait de principes généraux définissant le métier d’enseigner et les valeurs qui doivent animer le professionnel qui s’y engage : l’activité d’enseignement, les relations et obligations envers les élèves, envers les pairs, les relations avec les parents… Sans être un carcan, le régime déontologique permettrait de substituer à la gestion disciplinaire des écarts et des manquements une perspective éthique avec le souci de « bien-faire ». Eirick PRAIRAT soutient qu’il faut « oser la déontologie pour éviter la judiciarisation des rapports entre les professionnels de l’éducation et les usagers ».

Jacques BERNARDIN et Philippe LAHIANI proposent la clôture des travaux en remerciant tous les participants et rappelant les initiatives d’été du GFEN ainsi que le programme de rentrée du groupe local de Franche-Comté.

Jacqueline  Bonnard
Photos : Isabelle Lardon