Reportage des 12è Rencontres nationales d’Education du GFEN

 “Dans et hors l’école”

Samedi 12 octobre 2019 | Besançon

Les “méthodes” à l’épreuve des finalités

 

 

OUVERTURE 

Pascale Billerey, du GFEN25, accueille les participant.e.s dans les
locaux de l’INSPE pour des rencontres décentralisées pour la première fois à Besançon, ce samedi matin où le soleil brille sur les boucles du Doubs. Elle précise les intentions des organisateurs de la journée, contenues dans le dépliant-programme.

On assiste actuellement au retour des « bonnes vieilles méthodes », repeintes aux couleurs des neurosciences qui, parait-il, « ont fait leurs preuves ». On instrumentalise ces recherches et on attend toujours les preuves de la réussite réelle de tous, dans des apprentissages toujours plus ambitieux, qui ne se satisfont pas d’un entraînement mécanique et répétitif visant la maîtrise de simples procédures. Il s’agit aujourd’hui de former chacun.e à comprendre, débattre, utiliser l’écrit avec facilité, développer la curiosité intellectuelle, l’esprit critique et l’ouverture aux autres. Et toutes les méthodes ne se valent pas…

Tout au long de la journée, les interventions et les ateliers vont apporter des réflexions et des pratiques comme autant de « preuves » qu’on peut faire entrer les sujets apprenants, enfants et adultes, dans la complexité du monde.

EXPOSES

Le premier est fait par Michel Henry, administrateur de l’Union rationaliste, ancien professeur de mathématiques et toujours membre de l’IREM de Franche Comté,
compagnon de route du GFEN. Il ne s’agit pas pour lui de dénigrer les avancées des neurosciences mais bien de dénoncer l’exploitation abusive de cette théorie par Jean Michel Blanquer, Stanislas Dehaene et le CSEN
(Conseil scientifique de l’éducation nationale).

Pour ce faire, il va s’appuyer sur de nombreuses références bibliographiques et en particulier, sur l’ouvrage « Neuropédagogie, le cerveau au centre de l’école » de Michel Blais, historien des sciences et Christian Laval, sociologue. Il emprunte d’ailleurs le titre de sa contribution à la partie écrite par ce dernier : « Le virage neuronal de l’Education ». « Cet ouvrage petit par sa dimension, mais grand par son projet entend démystifier et dénoncer une campagne idéologique qui nous ramène des dizaines d’années en arrière, à l’époque où l’on prétendait que les enfants sont doués ou non doués de naissance. »

M. Henry donne de multiples citations qui éclairent les prétentions de ce « nouvel obscurantisme » et montre que « les hypothèses sur les implications pédagogiques des analyses des imageries cérébrales sont considérées comme des conclusions issues de travaux scientifiques, sans qu’aucune justification ne soit avancée. ». Ensuite il trace l’évolution des conceptions qui conduisent à considérer le cerveau comme un ordinateur muni d’algorithmes en citant Michel Blais : «  Il serait temps de se rappeler qu’un homme vivant, vous et nous, n’est jamais réductible à un nombre, à une fiche, à un code ou à un algorithme…. La « science » devient alors une idéologie pouvant servir à toutes les manipulations ».

Cette lecture, revigorante, de M. Henry donne d’emblée la teneur des travaux de la journée.

Le deuxième exposé est intitulé « L’idée du
« Tous capables » : dans les faits, une urgence ! ».

Au-delà du slogan, et avec l’expérience des formations qu’il mène en tant que détaché du mouvement, Pascal Diard développe l’idée du « tous capables » dans une urgence « concrète », comme un processus à construire de
conscientisation des personnes en formation, qu’elles soient enseignantes, publics en reconversion ou professionnels de la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse). Il rapporte des verbatim : « Vous nous apprenez à penser ; on peut s’exercer individuellement mais en collectif » et des situations de « réinvestissement créatif » dans les classes par exemple. Il faut passer du pari philosophique au défi pédagogique. Il cite Lucien Sève qui écrit dans un article du dernier numéro de la revue Carnets rouges et dans la lignée de Vigotski qu’apprendre c’est essentiellement s’approprier le monde déjà là, c’est un processus de conscientisation construit historiquement.
« Une intense bataille d’idées réhumanisant l’humain en son essence est d’urgence à engager, stimuler, enfiévrer et au bout du compte remporter ! »

ATELIERS

1. La copie promenée ou comment rendre explicites les stratégies opératoires pour copier de manière efficace ?

Partant du constat que les élèves, même au cycle 3, font des erreurs de copie et que celle-ci n’est pas forcément enseignée, le groupe GFEN de Strasbourg en a fait un véritable objet de travail. C’est un geste professionnel implicite de demander aux élèves de « copier » mais qu’est-ce que chacun met derrière le mot ?
L’atelier démarre par l’émergence des représentations des participants : qu’est-ce copier ? Pourquoi savoir copier ? Est-ce copier ou recopier ? Reproduire un modèle ? Garder une trace ? Prendre des repères de sens, de syntaxe, de marques orthographiques ou ponctuation pour copier ? Savoir
copier pour écrire vite dans la prise de notes, pour transmettre, être lisible par l’autre ?

Les participants vont vivre la démarche de la copie « promenée », parce qu’on déambule entre le couloir où le texte est placé et sa place dans la classe, où on va devoir l’écrire. En parallèle, chacun inscrit le nombre d’aller-retours qu’il fait pour arriver à copier le texte. Au bout de 10 mn, des échanges ont lieu pour analyser ce qui s’est passé et s’apercevoir que les stratégies des adultes sont identiques à celles des élèves : observer le mot, le prononcer phonologiquement, oraliser, regarder lettre par lettre en épelant, remarquer les lettres identiques, utiliser des bases culturelles, relire et vérifier ce qui était écrit au début, repérer les accents, photographier les mots en fermant les yeux… L’exercice a été trouvé difficile car on n’a pas de repères syntaxiques ni sémantiques, tout comme les élèves qui arrivent au CP et ne maitrisent pas la lecture.

C’est en fait une copie « différée » – en référence à SCRIPTUM, l’ouvrage de Sylvie Cèbe, où l’on cache le mot ou le texte à copier au lieu de se déplacer.

2. Ecrire pour penser, apprendre et se construire

Pascale Billerey et Brigitte Angeli, complices de longue date au niveau professionnel et dans leurs engagements au GFEN, animent conjointement cet atelier, objet de travail du groupe de Besançon, sur la place et le rôle des écrits dits « intermédiaires », pour apprendre à construire sa pensée par le langage et inversement (clin d’œil explicite à Vigostki et aux travaux de Dominique Bucheton).

A travers l’œuvre de Kandinsky, de son époque et de ses passions, l’objectif est de permettre aux adultes apprenants de se les approprier à la fois par l’écriture et par les arts plastiques. C’est grâce à différents moments d’écrits intermédiaires ponctuant cette démarche qu’ils vont être conduits  à la phase finale : l’écriture d’un courrier à Kandinsky  qui leur permettra de faire un écrit réflexif, reflet ultime de ce qu’ils ont compris de son œuvre. A partir de reproductions de tableaux et de textes de Kandinski lui-même, chacun·e va créer son nouveau monde avec ses propres mots, les mots du groupe et des éléments d’un tableau qu’il ou elle choisit et décalque. La séance se termine par la phase du critique d’art où par un jeu de rôles, il s’agit d’exprimer des ressentis face aux œuvres créées avant d’écrire la lettre à Kandinski.

3.  Si lire, c’est comprendre

Jacques Bernardin, du GFEN28, déplie la panoplie des petites démarches pour lecteurs fragiles ou pour apprentis lecteurs. Le mot « petit » n’est  pas pris dans un sens péjoratif mais dans l’idée que ces activités sont simples à mettre en œuvre demain dans la classe, la simplicité n’étant pas synonyme de simplification.

Encore une fois dans les ateliers ©GFEN, les collègues sont mis en situation d’apprenants, selon le principe d’homologie. Deux exemples de situations – lecture de textes codés, texte à trous –
permettent de faire ressortir les procédures et les stratégies mises en place : prélèvement d’indices, émission d’hypothèses à partir de la silhouette du texte, vérifications, activation de connaissances antérieures sur les différents supports, l’univers culturel du texte, les marques linguistiques et
syntaxiques, etc. Il s’agit de donner au lecteur un projet pour s’engager dans l’activité de lecture et de lui enseigner procédures et savoirs pour entrer dans la compréhension.

4.  Des pratiques pour débattre en classe

Pascal Diard fait d’abord discuter sur ce qu’est un débat. Il note tous les échanges au tableau et tente de catégoriser et de problématiser les questionnements puis il introduit une situation-problème : un élève de GS répond à sa maitresse, après avoir écrasé un ver de terre : « Mais ce n’est pas un animal, c’est un insecte ! ». La consigne est la suivante : comment allez-vous organiser un débat dans la classe, à partir de cette parole d’élève ? Et pourquoi le débat est-il nécessaire dans ce cas-là ? On discute du concept d’animal et de ses propriétés et on glisse vers la question de l’homme…
Alors, les participant·e·s, en 3 groupes, construisent 3 argumentations pour présenter un colloque après avoir rassemblé de la documentation : 1/ l’homme est un animal, 2/ l’homme n’est pas un animal, 3/ l’homme n’est pas un animal comme les autres. Un jeu de rôles s’installe où un·e représentant·e va
confronter les idées du groupe à celles des autres. Une contre-argumentation se construit en même temps que l’argumentation dans le débat qui s’instaure. On peut également le reprendre quelque temps après l’avoir étayé par des textes scientifiques.
L’école est bien ce lieu où on passe de l’opinion et de la croyance au savoir.

Entre les deux séries d’ateliers en parallèle, les moments informels à la cafétéria et à la librairie ont permis de poursuivre les discussions.

5. Peut-on conceptualiser ses pratiques ?

Michel Huber, de l’institut Henri Wallon, centré sur la formation d’adultes, propose d’apprendre la conceptualisation des situations de travail. Dans un travail d’abord autonome pour ensiler des
matériaux, puis en petits groupes pour mettre en commun puis de synthèse en grand groupe, la séance démarre par un retour réflexif sur nos propres pratiques : comment les définir, choisir un titre pour les qualifier, préciser quel auteur nous influence le plus et quel mot-clé il nous inspire. La phase suivante se passe dans des groupes de métiers hétérogène de 3/4 personnes et la consigne est de construire un modèle, un schéma de ce qui représente les pratiques du groupe avec les invariants et les différences. On va théoriser encore un peu plus,   aidé en cela par la lecture d’un seul document choisi parmi plusieurs, extraits d’écrits de Philippe Meirieu (les neurosciences ne feront jamais la classe – dans La riposte), Michel Huber (la boussole wallonienne – dans Dialogue n° 156 d’avril 2015), Pierre
Pastré (l’analyse du travail en didactique professionnelle – dans Revue française de pédagogie
n° 138 de janvier 2002).

6.  « Pour une anthropologie des savoirs scolaires »

Geneviève Orion, du GFEN 70, s’appuie sur l’ouvrage de Lévine et Develay qui a donné son titre à l’atelier  et sur les travaux de l’AGSAS (association des groupes de soutien au soutien). Les participant·e·s’enchainent le vécu d’un atelier philo et des travaux de groupes à partir d’une question, par exemple : dans quelle mesure peut-on parler de croissance d’un groupe –classe ? Les échanges vont bon train. L’approche anthropologique des savoirs…
Develay parle de la genèse des savoirs, c’est par l’épistémologie que les élèves peuvent s’approprier l’idée que les savoirs se construisent dans l’histoire de l’humanité comme réponses à des problèmes qu’elle avait à résoudre. Ils deviennent alors des réinventeurs des savoirs qui ont été pensés avant eux. On peut mesurer l’autonomisation des élèves dans une classe conçue comme un collectif d’apprenants solidaires et le groupe-classe grandit quand chacun·e y acquiert une place. Pour finir l’atelier, on retourne aux textes proposés à la lecture après la question préalable et une restitution finale a lieu.

7.  Les enjeux d’une démarche de construction du savoir 

L’objectif d’Odette Bassis, du GFEN Ile de France, qui anime cet atelier est précis : clarifier ce qui fait épistémologie, éthique et politique dans une démarche d’auto-socio construction du savoir pour
mieux  débusquer la falsification idéologique qui s’opère à l’encontre d’une approche constructiviste. Elle définit les trois phases de la construction d’un savoir qui passent de la computation à la conceptualisation et à la conscientisation. La computation est la répétition, l’entrainement,
l’exercice : faire une opération mathématique, accorder les mots d’une phrase par exemple. Elle distingue sens et signification (ce qui fait sens pour moi et ce qui est signifié par l’histoire, le collectif, le monde) ; intériorisation et distanciation (je fais mien ce savoir qui en même temps existe en dehors de
moi). Quelles difficultés cela pose-t’il au formateur ? Clarifier les nœuds conceptuels, les enjeux des disciplines pour pouvoir construire des situations d’apprentissages. Se dire que la réflexion sur les contenus est inhérente à la réflexion pédagogique. On est dans la praxis, entre le sujet et l’action.

CLOTURE DES TRAVAUX

TABLE RONDE

Philippe Lahiani anime une table ronde avec les différents acteurs du CAPE Franche Comté (Collectif des associations partenaires de l’école publique). Eymeric MINUEL (AFEV), François SIMON (CEMEA),
Jean BERNARDIN (GFEN), Yamina BELALIA (OCCE), Aline VOISIN (PEP) avaient à répondre à la question : « Au travers de vos orientations et de vos pratiques, en quoi votre association contribue-t-elle à l’éducabilité du genre humain ? ».Ils ont pu développer les actions qu’ils mènent au regard des
enjeux et finalités qui les sous-tendent, dans cette table ronde comme dans les ateliers auxquels
ils ont participé.

INTERVENTION de Jacques BERNARDIN, président du GFEN

JacquesBernardin, en écho avec les propos introductifs de Michel Henry et les ateliers, celui d’Odette Bassis en particulier, revient sur « l’impérialisme des neurosciences ». Il analyse l’imagerie cérébrale comme une construction d’artefacts de laboratoire qui induisent des biais dans leur utilisation
systématique en éducation : biais scientiste (Michel Henry l’a développé), biais naturaliste (Pascal Diard l’a abordé également) selon lequel ce n’est plus un sujet mais « le cerveau qui apprend ». Ce courant fait l’impasse « sur la singularité des individus qui apprennent, sur la diversité des modes de socialisation vécus » et sur le désir d’apprendre. « Nous sommes ici d’accord avec la psychologie cognitive et les neurosciences, ravis qu’elles redécouvrent les acquis de l’Education Nouvelle et qu’elles avalisent des recherches bien antérieures. »

Mais quand on analyse les promesses et la réalité de ces soi-disant méthodes, la réussite de toutes et tous n’est pas au rendez-vous et la démocratisation en prend un coup. Jacques Bernardin appuie son propos sur l’amélioration très minime des CP dédoublés en éducation prioritaire – selon l’étude de la DEPP du 23 janvier 2019, « le dispositif permet une baisse de cette proportion d’élèves en très grande difficulté de 7,8 % en français » alors qu’on en attendait entre 20 et 30 %.  Les travaux de Roland Goigoux, la conférence de consensus du CNESCO montrent l’importance de tout ce qui concerne l’écriture et la compréhension dans l’apprentissage de la lecture. Que dire des méthodes de lecture « éprouvées » utilisées par l’association « Agir pour l’Ecole » ! Une étude scientifique menée par Edouard Gentaz dans l’académie de Lyon conclut : « « Notre hypothèse était que l’amplitude du progrès serait plus importante pour les classes tests. Les résultats nous ont donné tort. »

Jacques Bernardin rapporte ensuite ces méthodes aux finalités de l’éducation qui sont d’ordre didactique bien sûr  (maîtrise des apprentissages fondamentaux) mais aussi éducative au sens large (former la personne, le citoyen) dans une visée démocratique et émancipatrice. Toutes les pratiques d’enseignement-apprentissage ne concourent pas à œuvrer dans ces deux sens. « On aura compris que
par l’intermédiaire des apprentissages, à travers la façon dont ils se
déroulent, se joue le processus conjoint de personnalisation et de
socialisation, l’édification du sujet singulier et social. Il n’est pas anodin
de conduire les apprentissages en gardant à l’esprit – au-delà des visées didactiques – ces finalités formatives de la personne et du citoyen. A cet égard, les modalités de travail et la conduite des activités sont inégalement propices à développer la curiosité, l’appétit de savoir, l’imagination, l’aptitude à coopérer et à débattre, l’esprit critique et l’autonomie intellectuelle. Souhaite-t-on entretenir le suivisme, la docilité et la soumission ou contribuer à l’émancipation intellectuelle ? C’est une question centrale. »

Le temps est venu de clore cette journée dense et de repartir sur le terrain diffuser ces idées.

Compte rendu et photos

Isabelle Lardon

Le 15.10.2019

Voir aussi :

Le texte del’intervention de Jacques Bernardin

Le texte de l’exposé de Michel Henry

L’article du Café pédagogique