Le court terme de l’activité et le long terme du développement (G.Vergnaud-rm2012) Gérard VERGNAUD-rencontres maternelle 2022 Les quatre thèmes sur lesquels je souhaite organiser ma présentation sont celui du développement rapide des compétences des enfants à l’époque de l’école maternelle, celui du pouvoir d’agir (c’est un thème qui n’est pas souvent formulé sous cette forme, mais qui est très important dans la formation de la personne , et pas seulement chez l’enfant), celui de l’aide de l’adulte et de l’intériorisation de cette aide par l’enfant, thème qu’on peut qualifier de passage de l’intersubjectivité à l’intrasubjectivité, celui enfin de la formation de la rationalité, puisqu’aussi bien le jeune enfant n’est pas pure fantaisie mais aussi constructeur d’un rapport vrai et rationnel au réel. Avant de présenter ces thèmes, je voudrais apporter mon témoignage concernant la grande renommée à l’étranger de l’école maternelle française. J’ai été invité il y a deux ans en Corée du Sud, et j’ai pu constater que ce pays, pourtant sous l’influence principale des Etats Unis, est impressionné par ce que nous faisons en France à l’école maternelle : notamment l’accueil de tous les enfants à trois ans (et plus tôt encore pour une proportion non négligeable d’entre eux), et le contenu très riche des activités proposées aux enfants. Le développement des compétences des enfants entre 2 ans et 6 ans est spectaculaire. Il résulte, c’est sûr, de la combinaison de l’école maternelle avec cette période privilégiée de la vie de l’enfant, et on doit remarquer que ce développement concerne d’abord la forme opératoire de la connaissance, observable dans l’activité en situation, comme les compétences spatiales, ou celles concernant l’interaction avec autrui. Cette forme de la connaissance est essentielle aussi pour les enfants plus grands et les adultes, mais pour le jeune enfant elle est incontournable, car il est n’est guère en mesure de formuler les connaissances qu’il utilise dans l’action. Cela ne signifie pas que la forme verbale de la connaissance (que je désigne plus précisément par « la forme prédicative » parce qu’elle consiste surtout à attribuer des propriétés et des relations aux objets du monde) ne se développe pas. Bien au contraire ! puisque, entre 3 et 5 ans, les enfants apprennent une bonne dizaine de mots nouveaux par jour, sans qu’on sache exactement comment ils font. Simplement on ne peut pas évaluer les connaissances des enfants seulement par ce qu’ils sont capables d’en dire ; il faut aussi s’intéresser à ce qu’ils sont capables de faire et à l’organisation de leur activité en situation. Certes c’est un point important que les enfants maitrisent relativement bien la langue orale à la fin de l’école maternelle, alors que nombre d’entre eux, deux ans plus tard, rencontreront des difficultés avec la langue écrite ; mais cela ne signifie nullement qu’on puisse évaluer leurs compétences par les propos qu’ils sont capables de tenir. Le terme de « compétence » n’est pas usurpé, même si, en toute rigueur, ce n’est pas un concept suffisamment analytique pour conduire l’observation et la théoriser ; celui de « schème », c’est-à-dire de « forme d’organisation de l’activité pour une classe de situations » est indispensable pour mette en évidence les buts, la suite des actions et des prises d’information, les concepts et les inférences implicites dans l’activité. Les schèmes concernent tous les registre de l’activité : les gestes, les raisonnements, l’interaction avec autrui, l’argumentation et l’énonciation : or l’énonciation orale en situation a d’autres ressorts et d’autres buts que l’énonciation écrite. Vygotski faisait utilement remarquer que tout en s’appuyant sur la langue orale, la langue écrite présente des propriétés propres. Ce sont deux langues différentes, de telle sorte que Vygotski peut s’appuyer sur une citation de Goethe : « Qui ne connaît pas une langue étrangère ne connaît pas sa propre langue ». C’est ainsi que la connaissance de la langue écrite a un effet en retour sur la connaissance de la langue orale ; effet métacognitif dirons-nous aujourd’hui, même si Vygotski n’utilisait pas ce terme. Que faut-il entendre par développement de la « forme opératoire de la connaissance » ? Evidemment la réussite, mais aussi une meilleure manière de s’y prendre, un répertoire plus large de schèmes, et donc une adaptation meilleure à la diversité des cas de figure qui peuvent se présenter, aussi le fait d’être moins démuni devant une situation nouvelle. Ce dernier critère est très important dans le travail, puisque les hommes et les femmes sont de plus en plus confrontés à des problèmes pour lesquels ils ne disposent pas immédiatement des ressources nécessaires. C’est important dans l’éducation également pour la raison que les enfants n’ont pas de raison d’apprendre s’ils ne sont pas confrontés à des situations nouvelles. La déstabilisation est un ressort important de la pédagogie et de la didactique ; il est vrai aussi que, si on déstabilise trop les enfants , ils n’apprennent pas non plus. L’équilibre n’est pas facile à trouver, d’autant qu’il varie d’un enfant à l’autre. Ainsi ll faut à la fois déstabiliser les enfants et les conforter dans ce qu’ils maîtrisent. Retenons l’idée que s’intéresser à la forme opératoire, c’est placer la conceptualisation dans des activités qui ne sont pas toutes verbales, et distinguer ce faisant conceptualisation et symbolisation, en dépit de l’importance du langage dans la conceptualisation. Même Vygotski, cet apôtre du rôle du langage distingue ente la « conscience avant », nécessaire à l’action, et la « conscience après » qui fait retour sur les raisons de la réussite ou de l’échec, et rejoint ainsi l’idée d’abstraction réfléchissante de Piaget ; elle implique une part de langage, fût-il intérieur. Dans la classe, cela prend souvent la forme d’une mise en mots des leçons tirées du travail en situation, sorte « d’institutionnalisation » du savoir selon Brousseau.. Pouvoir d’agir ; c’est un thème peu évoqué dans l’école, qui nous vient de Spinoza, et qui ajoute à la rationalité cartésienne une caractéristique relevant plutôt de l’affect. Les enfants sont au moins aussi concernés que les adultes, dont on sait à quel point ils sont perturbés si on les prive de leur liberté d’initiative ou de leur manière habituelle de faire. Les enfants sont contents d’acquérir de nouvelles compétences et de remporter ainsi des victoires sur eux-mêmes. Ils recherchent même le regard d’autrui et le regard admiratif des parents, de l’enseignant, de leurs camarades. Pouvoir d’agir est donc aussi pouvoir ou influence sur autrui. Les enfants peuvent d’ailleurs en « rajouter » sur les enjeux de leur activité et de leur performance. Souvent ils expriment le besoin de faire seuls, sans le secours d’autrui, et d’être reconnus dans les compétences nouvelles qu’ils viennent d’acquérir. Ils peuvent entrer en compétition avec les autres (ou avec eux-mêmes). Pour donner un exemple empirique simple, je propose celui étudié par Jacqueline Pillot, que certains d’entre vous connaissent peut-être. Alors qu’elle occupait les fonctions d ‘IDEN, et elle a préparé une thèse et utilisé pour cela des labyrinthes visuels programmés sur un ordinateur par son mari, et qui pouvaient comporter un nombre inégal de portes ouvertes ou fermées : cela permettait de distinguer trois niveaux de difficulté ; en outre il était possible à l’enfant de choisir deux conditions distinctes : soit la validation immédiate du pas fait en avant (à droite, à gauche, vers le haut, ou vers le bas), soit la validation des choix faits après trois pas, avec le risque plus grand de s’enfoncer plus avant dans un mauvais chemin. Les enfants ont la liberté de choisir le niveau de difficulté qu’ils vont solliciter (six niveaux donc), et l’ordinateur engendre immédiatement un labyrinthe correspondant à ce niveau ; l’enfant s’engage alors dans cette activité ; puis il demande un autre labyrinthe, soit en restant au même niveau, soit en demandant un niveau plus facile, ou plus difficile. Le nombre d’essais tentés par chaque élève est très variable : entre 10 et 150 essais selon les individus, ce qui témoigne d’un intérêt très inégal accordé à cette activité par les enfants. Les élèves se conduisent de manière très différente : Certains enfants restent prudemment au même niveau, soucieux de maitriser la difficulté qu’ils s’estiment en mesure de contrôler, et parfois redescendent même à un niveau plus facile, pour être encore plus sûrs. D’autres élèves au contraire se lancent à l’aventure et montent presque directement aux niveaux les plus difficiles, dans certains cas en tirant les leçons de leur échec ou de leur réussite, dans d’autres cas sans se soucier trop de cet échec ou de cette réussite. La compétition avec soi-même, ça existe ! y compris chez les jeunes enfants. Ainsi le pouvoir d’agir s’alimente-t-il à la fois au besoin de maîtrise et au besoin d’atteindre un niveau enviable de performance. La nécessité d’anticiper est présente dans l’activité, ainsi que celle du contrôle. Le concept de schème s’analyse à la fois en termes de buts et de concepts, mais aussi en termes de règles engendrant l’action, la prise d’information et le contrôle. Ce n’est pas un hasard si Piaget a utilisé le concept de schème (emprunté à Kant et aux néo-kantiens du début du 20ème siècle) à l’occasion de son étude de l’intelligence des bébés, car les bébés n’ont pas le moyen verbal d’exprimer leurs connaissances. Même s’il a fallu compléter la définition du concept de schème, il faut rendre à Piaget cet hommage qu’il a créé de toutes pièces la psychologie cognitive du bébé. En liaison avec ce concept de « forme opératoire de la connaissance » on mesure à quel point le choix des situations à proposer aux enfants est un acte de médiation important, le premier en fait, puisqu’il précède les interventions faites par la maitresse en situation. La pédagogie et la didactique devraient sans doute développer leurs recherches sur les situations. De l’intersubjectivité à l’intrasubjectivité. C’est un thème plus vygotskien que piagétien, sur lequel Lee Hwa Do, une de mes étudiantes coréennes a préparé et passé sa thèse. Elle s’est intéressée à la manière dont un adulte, une maman ou une maitresse par exemple, essayait d’aider un enfant dans une situation de reconstruction d’un puzzle. Elle s’est intéressée à l’interaction adulte/enfant alors engendrée par cette situation, et à la manière dont l’enfant réagissait au cours de cette interaction, puis se libérait de cet accompagnement par l’adulte. Une première observation est que les mamans et les maitresses ne se comportent pas de la même manière (en gros évidemment parce qu’il existe des cas relativement contrastés). Les mamans ont parfois tendance à proposer une aide précise, choisissant un morceau de puzzle correspondant à ce qui est recherché, privant ainsi l’enfant de choisir lui-même , de réussir tout seul ou de se tromper. Les maîtresses, elles, essaient davantage d’attirer l’attention de l’enfant sur une caractéristique utile de la pièce manquante ou de la pièce examinée. Elles posent aussi des questions sur les caractéristiques pertinentes, et offrent des occasions de choix entre plusieurs morceaux. Une réaction intéressante des enfants est que, au bout d’un moment, ils ont tendance à repousser l’aide de l’adulte et à réclamer la liberté de faire tout seuls. Le pouvoir d’agir peut donc conduire jusqu’au refus de l’aide d’autrui. Et ce n’est pas propre aux jeunes enfants bien entendu. C’est aussi le cas des apprentis face à leur tuteur, et même des thésards face à leur directeur de recherche. Ce besoin de faire tout seul ne signifie pas que nous ne trouvions pas de satisfaction dans la coopération et dans la réussite collective ; mais les deux faces du processus doivent être prises en compte : le plaisir de la coopération et le plaisir de l’autonomie. Refusant l’aide de l’adulte, que font les enfants lorsqu’ils sont seuls face au puzzle? Eh bien ils imitent les adultes et, parlant pour eux-mêmes, ils annoncent et commentent leur activité d’une manière proche de la manière dont les adultes le feraient. C’est le mérite de Vygotski que d’avoir interprété le langage pour soi de l’enfant, non pas en termes d’égocentrisme, comme Piaget le soutenait, mais plutôt comme une étape vers le langage intérieur qui accompagne l’activité, en l’annonçant et en la planifiant, en la corrigeant et en l’adaptant au vu de son écart avec ce qui serait souhaitable. Ce thème très vygotskien des rapports entre inter et intrasubjectivité est donc très important, en particulier si on apprécie le double besoin des enfants de réclamer l’aide de l’adulte, et de la refuser, selon les circonstances, et selon le moment de leur développement. Lorsque dans une classe à plusieurs niveaux on observe des enfants plus âgés qui aident des plus petits (on voit aussi parfois des plus jeunes qui aident des plus âgés), il est frappant que les enfants qui aident imitent les interventions de l’adulte : tutelle, contrôle, évaluation, encouragement. L’adulte est donc un modèle. Parmi les progrès que font les enfants en situation, il faut mentionner l’élargissement du répertoire de ressources auquel ils peuvent faire appel, justement parce que les enfants ne s’approprient pas purement et simplement ce qui leur est enseigné, mais y vont de leur initiative et de leur imagination. C’est une dimension du développement qui n’était guère valorisée dans l’enseignement d’il y a un siècle, qui l’est davantage aujourd’hui, et c’est bien ! Il est tentant de considérer que, lorsqu’on a une bonne méthode, il n’est pas besoin d’une autre. Mais c’est mésestimer le fait que lorsqu’on dispose de plusieurs approches, il est plus facile de s’adapter à des cas de figure différents. Un deuxième avantage de ce répertoire de ressources élargi est qu’on est moins démuni devant une situation nouvelle. Venons en au dernier point : la formation de la rationalité. La rationalité est un des moyens de développement du pouvoir d’agir. Commençons par le nombre, ou plutôt le dénombrement, qui permet d’associer un nombre à une petite collection d’objets. Lorsqu’un enfant de quatre ans dénombre les personnes assises là au premier rang, (un, deux, trois, quatre, quatre !), il utilise deux concepts mathématiques importants : – Celui de correspondance biunivoque (bijection) entre quatre ensembles d’objets distincts : les personnes, les gestes du doigt et de la main, les gestes du regard, les gestes de la voix. S’il va trop vite ou trop lentement dans un registre, il ne peut pas dénombrer. – Celui de cardinal (ou encore de mesure) : son usage du mot « quatre » a deux fonctions différentes : indiquer le quatrième élément, et dire le cardinal de toute la collection. C’est le cardinal qui donne un sens à l’addition, pas le numéro d’ordre des objets dénombrés : les numéros d’ordre ne s’additionnent pas. Parlons donc de l’addition : supposons qu’une petite fille se trouve dans la cuisine avec sa maman, qui lui demande d’aller compter les personnes qui sont dans le salon. « Un, deux, trois, quatre, cinq, cinq ! », et la petite fille retourne dans la cuisine pour délivrer son message. « cinq ! ». La maman demande alors : « et dans le jardin ? » Et la petite fille court dans le jardin : « Un, deux, trois ! » et revient « trois !». Et la maman demande alors « Combien ça fait en tout ? » Et la petite fille retourne dans le salon (« un, deux, trois, quatre, cinq ! »), puis se précipite dans le jardin (« six, sept, huit ! ») et rapporte ce résultat à sa maman : « huit ! ». A-t-elle fait une addition ? La réponse est non ! parce qu’elle n’a pas composé deux nombres mais seulement fait un nouveau dénombrement. L’addition est une opération sur les nombres, pas sur les objets et les collections. Le dénombrement n’est pas une addition. Les objets, les ensembles et les nombres, ce n’est pas la même chose. Le théorème en acte associé à l’addition est celui qui dit que compter les parties d’abord et additionner les cardinaux, c’est équivalent au dénombrement du tout. L’opération porte alors sur les nombres : 5 plus 3 ça fait 8. Et si l’enfant ne sait pas que 5 plus 3 ça fait 8 (le fait numérique comme disent les anglo-saxons), il peut résumer l’information sur la première collection, « 5 », puis compter à partir de là 3 pas en avant : « six, sept, huit », faisant ainsi l’économie du recomptage de la première collection. C’est une première manifestation de l’addition des nombres. Une anecdote au passage : au moment de la préparation de la coupe du monde, en 1997, le comité d’organisation s’est inquiété de ne pas trouver en France suffisamment de grands stades, susceptibles d’accueillir les visiteurs potentiellement très nombreux, venant du monde entier. Un membre du comité a alors évoqué le stade de Nantes, auquel le comité n’avait pas encore songé. Le président a donc téléphoné le lendemain au Directeur du stade de Nantes ; « Combien y a-t-il de places dans votre stade ? » Réponse du directeur « je ne sais pas ». Celui-ci a alors payé deux personnes pendant deux jours pour dénombrer les places du stade de Nantes. Evidemment s-ils n’avaient disposé dans leur répertoire que du schème de la petite fille de quatre ans, ils y seraient encore ! Mais ils disposaient heureusement de ressources complémentaires : Le théorème d’addition pour les grands nombres : tu comptes ça, moi je compte ça, on fera l’addition ensuite ; l’algorithme de l’addition en numération écrite (les unités, les dizaines, les centaines etc) la décomposition des blocs rectangulaires en rangées égales : on multiplie alors le nombre de rangées par le nombre de sièges par rangée ; et dans les coins du stade, que fait-on ? L’un des deux comparses suggère alors au second : « tu montes en haut ; tu comptes la dernière rangée ; moi je compte la rangée du bas ; on fait la moyenne et on multiplie par le nombre de rangées ». Mais son interlocuteur reste perplexe « Tu crois ? A l’évidence cette solution dépassait ses convictions. En d’autres termes le dénombrement est une compétence plus complexe qu’il n’y paraît, et qui peut mettre en défaut des adultes. Mon dernier exemple concernant la rationalité est issu s’une recherche que j’avais faite pour ma thèse, et qui utilisait un dispositif de barres encastrées les unes dans les autres. Les enfants avaient de quatre à dix ans. J’ai préparé un transparent pour vous en parler, mais comme je n’ai pas de rétroprojecteur, il vous faut imaginer ce dispositif. On demande à l’enfant de tirer une barre rouge, dans laquelle sont encastrées deux barres : une barre noire qu’on peut tirer, et une barre verte qu’on ne peut pas tirer parce qu’il y a une autre barre (bleue) encastrée dedans. Et dans cette barre bleue une autre barre (violette) est encastrée, dans laquelle une autre barre est encastrée, (orange cette fois). Evidemment les manières de s’y prendre varient beaucoup entre quatre et dix ans, et au-delà de dix ans si on recouvre le dispositif d’un écran, et qu’il faut alors faire des hypothèses sur les relations cachées, comme devait le faire l’observateur de Platon dans le mythe de la caverne. Qu’observe-t-on ? D’abord des enfants qui ne voient pas la relation d’encastrement et qui ne dessinent que des barres de couleurs différentes ; Des enfants qui voient cette relation entre barres mais n’aperçoivent pas son caractère antisymétrique : ils tirent la barre rouge, qui ne vient pas ; ils tirent la barre verte qui ne vient pas non plus puisqu’elle est elle-même bloquée par la barre bleue. Et ils tirent ainsi alternativement la barre verte et la barre rouge, sans succès évidemment. J’interprète cette conduite comme une perception de la connexité, mais pas de l’antisymétrie. D’autre enfants tirent les barres en tournant autour du dispositif, par exemple dans le sens des aiguilles d’une montre. Théoriquement ils devraient pouvoir aboutir en un nombre fini de tentatives, mais aucun n’y parvient. La première manière rationnelle de s’y prendre est de remonter de la barre bloquée à la barre qui la bloque, et d’essayer de tirer cette dernière, en remontant ainsi de la barre rouge jusqu’à la barre ultime (orange), qui bloque toute les autres ; puis partir à nouveau de la barre rouge. La plus jeune des enfants ayant réussi de cette manière avait quatre ans et demi. C’est un algorithme spontané. Elle s’est bien gardée de tirer les barres qui n’étaient encastrées dans aucune autre barre. Bien sûr les enfants peuvent progresser encore, par exemple en utilisant la propriété de transitivité de la relation de blocage : « s’il faut tirer x pour tirer y ; et tirer y pour tirer z, alors il faut tirer x pour tirer z » Cet algorithme n’apparaît guère avant l’âge de 6 ans, sauf exception. En résumé, avec ce dispositif, on voit les enfants développer progressivement et spontanément une rationalité importante, à laquelle nous pouvons attribuer des qualités caractéristiques : connexité, antisymétrie, transitivité. On dit souvent, en mathématiques, que c’est la culture qui apporte aux enfants la rationalité et les algorithmes qui vont avec. C’est vrai pour l’essentiel ! mais il faut reconnaître en conscience, que la rationalité est aussi une caractéristique spontanée de la pensée, et de celle des enfants en particulier, pas seulement des adultes. ^ Haut de page 30 janvier 2012 admin