Extraits Dialogue N° 178 Dialogue n° 178 – Les « méthodes » à l’épreuve des finalités Actes des rencontres nationales d’éducation dans et hors l’école – Besançon 12 octobre 2019 Retour à la présentation du n° 178 Ouverture «Tous capables !» une visée anthropologique à concrétiser dans les pratiques réelles Lire Pascal DIARD Attention au «virage neuronal de l’éducation» Michel HENRY Chers amis du GFEN, nous sommes en présence d’une offensive idéologique d’une ampleur rarement atteinte et nous devons mobiliser toutes nos forces pour la contrer. Vous pensez peut-être que j’exagère ? Jugez-en. D’abord, voici quelques citations relevées dans la presse et dans des ouvrages récemment parus. Sous le titre L’engagement actif dans Apprendre, les talents du cerveau, le défi des machines, livre écrit par Stanislas Dehaene édité chez Odile Jacob en 2018 : « Le mieux est une pédagogie qui rende l’étudiant actif, mais qui soit étroitement guidée par l’enseignant – un enseignement structuré qui commence par les fondamentaux pour construire une pyramide de sens… L’échec du constructivisme le montre bien »… « L’idée que l’enfant doit être attentif… ne doit pas être confondue avec le constructivisme connu également sous le nom de pédagogies actives ». Ainsi le GFEN est en première ligne. Mais l’offensive ne se limite pas au terrain pédagogique. Elle est beaucoup plus profonde. Ateliers La copie promenée Justine PAUL-GUEBERT La copie est un exercice incontournable à l’école auquel les élèves ont recours de manière fréquente. Pourtant, les enseignants ont souvent à se plaindre des erreurs de copie de leurs élèves.Mais qu’est-ce que copier et comment enseigner la copie ? Nous tenterons d’abord de définir la copie en nous intéressant à ses fonctions et à ses usages en classe. Ensuite, nous nous pencherons sur le rôle de l’enseignant face à cette compétence. Enfin, nous illustrerons nos propos en soumettant une démarche utilisable dans des classes de cycle 2, 3 et 4. Écrire pour penser, apprendre et se construire Brigitte ANGÉLI et Pascale BILLEREY Pour une approche culturelle de l’écrit L’expresso du Café Pédagogique du 14 mai 2020 a publié une tribune dans laquelle une quinzaine de hauts fonctionnaires (Dasen, inspecteurs généraux, cadres du ministère) dénoncent un projet éducatif réactionnaire à l’encontre de la liberté pédagogique des enseignants, mais aussi de la « liberté de pensée d’une Institution toute entière mise au pas ». Ils déplorent un scientisme débridé : « Ici, ne règne qu’une vision de la recherche cognitive, sans la didactique, sans les sciences de l’éducation, ni la sociologie de l’école.» « «Tout se joue dans le cerveau» dit le ministre. Vive l’imagerie du cerveau. À bas les 100 ans de recherches pluridisciplinaires sur l’école ! La communication ministérielle est formelle, en laissant croire que la simple «remédiatio» technique, fondée sur des procédures et des protocoles, sur du «pilotage par les preuves» suite à des tests de positionnement pourra vaincre la difficulté scolaire. Les neurosciences (et encore, une école particulière) sont érigées au rang de nouvelle doctrine pédagogique au détriment du savoir-faire des enseignants et des personnels d’encadrement de terrain ; elles se substituent ainsi à la compréhension des enjeux culturels, sociaux et cognitifs des apprentissages scolaires ». Notre groupe GFEN Franche-Comté se retrouve dans les propos de cette tribune car ils correspondent à ce que nous proposons dans nos travaux : à l’opposé d’une conception de la langue exclusivement phono-linguistique, développer une approche culturelle de l’écrit. Si lire c’est comprendre Jacques BERNARDIN Les prescriptions officielles concernant l’apprentissage de la lecture, fortement ramassées sur la maîtrise du code et la combinatoire dès le début du CP, sont désormais étendues à la maternelle, invitée dès la moyenne section à en préparer les conditions. S’il ne s’agit pas de nier la part du code dans l’accès à la maîtrise, cela ne saurait si simplement répondre à la réalité des difficultés des élèves d’une part, à l’attendu formatif d’autre part, lié à la compréhension. Comme ces Rencontres y invitent, il faut soumettre « les méthodes à l’épreuve des finalités ». La réussite de tous étant l’objectif visé, il apparaît indispensable de considérer de plus près ce qui peut y faire obstacle… y compris dans les classes qui se sont rangées sous la prescription. Un débat, ça s’prépare ou ça s’invente ? Pascal DIARD C’est l’histoire d’un atelier prévu qui s’est déroulé dans des conditions imprévues. Permettez-moi donc de faire l’éloge de la spontanéité cultivée, autrement dit de tenter de répondre à comment, grâce à la pratique du débat, faire de la contingence un moment prévisible de construction culturelle. Un atelier imprévu mais pas imprévisible Ce qui n’était pas prévu, c’était l’absence de dernière minute de l’animateur et, par conséquent, des documents de la démarche qu’il comptait faire vivre : comment Jérôme, dans ses classes de 5e d’un collège de Fontainebleau, créait les conditions d’un débat sur la scientificité mathématique des nombres négatifs. Conceptualiser ses pratiques. Un retour réflexif indispensable Michel HUBER La finalité de l’Éducation nouvelle, du GFEN en particulier, est de remonter, appreneurs et apprenants, jusqu’aux causes premières des réalités. Remonter jusque là où nous le permet l’état des sciences du moment. Un double mouvement s’opère de l’objet au concept, des concepts à l’action sur ces objets. Remonter jusqu’au fondement théorique n’est pas l’apanage des « bons élèves », de « l’élite » du futur. Nos pratiques rendent possible le « tous capables » d’accéder à la compréhension du Monde, de mettre le doigt sur ce qui serait décisif pour orienter cette dispensable action sur le réel. Les journées d’étude de Besançon étaient l’occasion de nous focaliser sur les concepts qui orientent nos pratiques pédagogiques. Pour ce faire, j’ai imaginé un dispositif sur 2 heures 30 qui mobilisa 17 participants sur la problématique suivante : Conceptualiser ses pratiques, quel sens cela peut-il avoir ? Pour quelle visée sociale ? Avec quel (s) dispositif (s) ? Pour quelle efficacité ? Pour une anthropologie des savoirs scolaires Geneviève ORION La philosophie à l’école peut s’aborder de bien des manières : il s’agit souvent d’un débat animé par l’adulte qui tient alors une place centrale. Le courant AGSAS2 (Ateliers de Groupes de Soutien au Soutien) est reconnu tout autant que les autres par la chaire de philosophie à l’UNESCO, avec une approche particulière initiée par Jacques Lévine. En tant qu’enseignante spécialisée en RASED, cette démarche est un outil qui répond à plusieurs enjeux : développer activement les compétences psychosociales, mettre à disposition des classes et de leurs enseignants un dispositif accessible à tous, et apprendre aux élèves à penser par soi-même. Parmi les points forts qui sont en jeu, il est possible d’identifier l’écoute mutuelle, le respect de la parole des pairs, le sentiment d’appartenance à un groupe, l’égalité entre pairs, la confiance en l’autre, la pensée intériorisée, la confiance en soi et l’estime de soi. Le protocole est simple et il est un fondement de cette démarche : il propose d’emblée un retrait de l’adulte ou de l’animateur, les participants régulant eux-mêmes la distribution de la parole, l’écoute respectueuse et le maintien dans le sujet. La position de l’adulte en retrait du groupe qui échange, exige de développer une posture d’observation confiante et patiente en la capacité du groupe et la ressource de chaque participant. Les enjeux d’une démarche de construction du savoir Odette BASSIS et Pascale BILLEREY Dans le champ de l’Éducation revient souvent la nécessité de relancer le débat, la réflexion sur les enjeux éducatifs. Où se dirige l’Éducation ? Du côté des sciences uniquement cognitives ? Du côté d’une école se satisfaisant d’apprentissages mécaniques ? Du côté d’une école centrée sur une certaine « naïveté naturaliste » où l’enfant est par nature créatif, mais où la question sociale de la transmission de savoir reste secondaire ? Ou du côté d’une école qui permette à chacun d’accéder aux savoirs complexes, de devenir citoyens dans le savoir ? À quoi ça sert d’enseigner et d’éduquer si tout n’est qu’affaire de dons, de talents ou d’ADN ou d’appel à l’intérêt spontané des élèves ce qui se révèle finalement très élitiste? Stanislas Dehaene (2018, p. 263) en rajoute encore dans ce débat, en assimilant le constructivisme à de la pédagogie active ou de la découverte : « Pas question pour autant de laisser l’élève tout découvrir par lui-même, ce serait retomber dans l’écueil des pédagogies de la découverte ». L’École se retrouve en tension, clivée entre toutes ces différentes orientations éducatives. C’est pourquoi il nous semble primordial dans un premier temps d’essayer de débusquer ces dérives computationnelles dans l’Éducation, voire même de mettre en exergue certaines falsifications éthiques, pédagogiques, politiques. Dans un second temps, nous revisiterons les enjeux de la démarche d’auto-socio-construction du savoir : un projet anthropologique qui dévoile une conception de l’homme dans Les mouvements participant aux Rencontres L’AFEV (Association de la Fondation Étudiante pour la ville) Eymeric MINUEL L’AFEV agit depuis 30 ans dans l’engagement citoyen et solidaire des étudiants, dans la Ville. Forte de cette conviction que la jeunesse étudiante a soif d’engagements, que ces engagements sont tout à la fois une ressource essentielle à mobiliser dans les territoires de la politique de la Ville, et aussi que par ces engagements, nous pouvons accompagner les étudiants dans l’apprentissage de la citoyenneté, en prenant une place dans leur territoire d’étude. Les CEMÉA (Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Actives) François SIMON Le parti pris des personnes « Tout être humain peut se développer et même se transformer au cours de sa vie, il en a le désir et les possibilités », c’est un des principes des Ceméa et c’est le leitmotiv qui nous anime dans toutes les actions que nous mettons en place. Le GFEN (Groupe Français d’Éducation Nouvelle) Jean BERNARDIN Le GFEN est un mouvement de praticiens chercheurs dont les travaux s’enracinent dans les apports de ses présidents successifs : L’OCCE (Office Central de la Coopération à l’École) Véronique BARAIZE CONTRIBUER À L’ÉDUCABILITE DU GENRE HUMAIN. Comment les méthodes promues par l’OCCE permettent-elles la réussite de tous ? L’OCCE est plutôt reconnu comme un mouvement d’éducation sociale quand il est connu autrement que pour la gestion de l’argent. Il a en effet développé l’éducation citoyenne dès son origine en faisant de la coopérative scolaire un levier d’apprentissages citoyens. Les PEP (Pupilles de l’Enseignement Public) Aline VOISIN Comment les PEP participent à l’éducabilité du genre humain ? Les Pupilles de l’Enseignement Public, mouvement d’éducation populaire, créé en 1915 par des enseignants a toujours eu la mission de venir en aide aux enfants les plus fragiles et en premier lieu sur le plan de l’éducation au travers des différentes activités développées tout au long de son histoire. Clôture Les méthodes à l’épreuve des finalités Jacques BERNARDIN Cette question concerne l’activité de l’éducateur, de l’enseignant mais aussi le pilotage du système éducatif. En effet, les pratiques pédagogiques ont aujourd’hui tendance à être de plus en plus encadrées, au motif d’une efficacité qui aurait été attestée par des méta-analyses de source nord-américaines notamment et/ou par l’imagerie cérébrale. Importée du modèle médical, l’evidence-based education l’éducation basée sur des preuves — rejette toute autre approche du côté des sciences molles, discutables voire soupçonnées d’idéologie. Ainsi, la sociologie est accusée d’« excuser » les difficultés scolaires, quand l’approche méthodique assise sur les neurosciences fait promesse de les araser. Non seulement l’imposition de méthodes dites « scientifiquement fondées » heurte le principe de liberté pédagogique, reconnu depuis la fondation de l’école publique et rappelé dans la Loi Le Pors de juillet 1983, mais on peut aussi s’interroger sur les preuves en question. Preuves de quoi ? Certes, ça s’allume sur l’écran, mais est-ce que cela suffit à produire un raisonnement brillant ? Arrêtons-nous sur quelques zones d’ombre… Hors thématique La notion de rapport au savoir : origines et problématiques Bernard CHARLOT La vie est une aventure — avec des imprévus, de l’inattendu, des rencontres. Mais cette aventure est rarement l’effet de complets hasards. Quand on y réfléchit, apparaissent des logiques qui font que ces rencontres inattendues étaient possibles ; on ne rencontre pas n’importe qui, n’importe où, n’importe quand. Le GFEN a reçu de l’extérieur la notion de rapport au savoir, par mon intermédiaire, au début des années 80, mais, d’une certaine façon, cette notion fait partie de son ADN, tout au moins implicitement. La question du rapport au savoir est aussi ancienne que la philosophie. « Connais-toi toi-même », conseillait déjà Platon, et Descartes validait l’évidence des idées claires en partant de la coïncidence entre « je pense » et « je suis ». Si la question est ancienne, la notion est plus récente. Elle apparaît pour la première fois, semble-t-il, chez Lacan, en 1960, dans une conférence où il critique l’idée d’unité du sujet et pose le rapport au savoir comme élément constitutif de ce sujet. La notion a donc partie liée, dès l’origine, avec la psychanalyse, la question du sujet et celle du désir. Elle a partie liée, également par une autre voie, avec la sociologie, la question de l’école et celle des inégalités sociales face à l’école. Elle apparaît en effet, sous des formes voisines, chez Bourdieu — d’une façon indépendante de Lacan. Dans La Reproduction1, en 1970, Bourdieu et Passeron utilisent les expressions « rapport au langage », « rapport au langage et au savoir », « rapport à la culture ». Les gestes professionnels dans la classe. Éthique et pratiques pour les temps qui viennent de Dominique BUCHETON Note de lecture par Maria-Alice MÉDIONI Attention : c’est un livre politique que vous aurez entre les mains si, et je vous y engage, vous vous y plongez ! C’est un livre qui éclaire la pratique, fait le pari de l’humain, place les enjeux à la hauteur de la planète et donne de l’énergie. Le cahier du LIEN À demain la terre ! Petits cailloux d’éducation nouvelle Emmanuel BOUVIER (GREN) Jean-Louis CORDONNIER Michel NEUMAYER (GFEN) Diana DRAGHICI (GROEN) Lorson OVILMAR Joël SAINTIPHAT (IEPENH) Étiennette VELLAS (GREN) « Le monde d’après tant espéré risque fort d’être semblable, sinon identique, au monde d’avant » écrit récemment Dominique Bourg1, philosophe, professeur à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’Université de Lausanne. Il ajoute : « Alors que nous menacent diverses catastrophes écologiques et autres effondrements, jamais nous ne nous sommes si peu montrés prêts à les anticiper, ni même à leur faire face. En cause : le progrès tous azimuts d’un certain crétinisme, tant au plan individuel que collectif. Doit-on définitivement désespérer ou peut-on rêver a%u0300 une possible décrétinisation ? » Voici une parole forte d’un très honorable Cassandre à laquelle ce supplément du LIEN donne une réponse optimiste. Il existe en éducation, hier comme aujourd’hui, bien des lieux où des ruptures s’inventent. Celles présentées ici illustrent une Éducation nouvelle où se croisent le faire réfléchi au quotidien (dans une école élémentaire suisse, dans un lycée français), l’expérimentation sociale intergénérationnelle (en Roumanie), un regard sociétal critique sur un pays caribéen (Haïti) en quête d’une justice climatique autant économique que culturelle et encore le signalement d’un Appel à éduquer pour le Jour d’après (+ 2 degrés). Retour à la présentation du n° 178 26 novembre 2020 Valérie Pinton