L’autonomie obligatoire, Sociologie du gouvernement de soi à l’école, Héloïse Durler

Héloïse DURLER

Presses Universitaires de Rennes, collection Paideia, 2015

Nous publions ici une note parue dans Carnets Rouges n°6, mars 2016

Dans une première partie de l’ouvrage Héloïse Durler, à partir du constat que l’injonction à l’autonomie touche tous les milieux, explique comment ce sujet d’études s’est imposé à elle. Sur ses terrains d’observation elle constate en effet que l’autonomie est le maitre mot de l’univers scolaire, au nom duquel se fait l’évaluation des élèves, et qui parallèlement justifie les choix pédagogiques. Se dessine alors le profil de l’élève idéal, « celui qui comprend rapidement ce qui lui est demandé de faire, ou ce qui lui est expliqué ». Cet élève idéal, sur lequel s’appuie le système scolaire est celui qui détient en lui-même les ressources pour trouver les motivations qui vont lui permettre de s’engager dans les apprentissages, tout en se soumettant aux contraintes de la forme scolaire, dans une visée d’épanouissement personnel. L’individu, élève (ou travailleur) doit être l’entrepreneur de lui-même. Se trouve alors évacuée la question sociale alors que la question première à se poser est celle de la construction sociale de cette autonomie. Elle analyse à travers des références puisées chez plusieurs chercheurs du 20ème siècle les relations étroites entre changements sociétaux, conceptions politiques dominantes et conceptions pédagogiques.

L’auteure s’intéresse aux dispositifs mis en place dans les classes, non appréhendés comme méthodes mais comme pratiques sociales, sous-tendues par « des principes pédagogiques, des conceptions de l’enfant, de l’apprentissage et du pouvoir » et qui « façonnent, orientent, valorisent et légitiment certains comportements ».

L’engagement intellectuel des élèves est sollicité par l’école à travers des dispositifs de problématisation, de contrôle intellectuel et d’autocorrection. « La réflexivité apparaît donc comme un levier central de l’autonomie scolaire » dit l’auteure. Elle constate de manière récurrente dans les classes suisses observées que ces dispositifs « tournent à vide » en s’appuyant sur des ressources individuelles » inégalement réparties au regard de l’origine socioculturelle des élèves. La distance est donc grande entre l’élève idéal, qui peut répondre aux injonctions d’autonomie et l’élève réel qui reste en extériorité face aux réquisits scolaires.

L’auteure observe que « les pratiques scolaires de l’autonomie (j’ajouterais telles qu’elles s’exercent très massivement) correspondent en réalité à une nouvelle modalité d’imposition de la contrainte scolaire et d’intériorisation des normes sociales dominantes ». Elle souligne en quoi ces prescriptions mettent également les enseignants en difficulté alors qu’ils doivent à la fois « veiller au respect des spécificités individuelles des élèves (leurs rythmes, leurs envies etc.) et leur donner la possibilité de  découvrir les savoirs scolaires demanière ‘autonome’ ; d’autre part encadrer les pratiques cognitives et comportementales des élèves afin qu’ils se conforment aux attentes de l’institution scolaire en maîtrisant un ensemble de savoirs, de savoir-faire et savoir-être.»

A la toute fin de l’ouvrage l’auteure, pose un certain nombre de questions, sans y répondre car là n’est pas l’objet de sa recherche, sur la nécessité de définir les ressources nécessaires à la construction de l’autonomie. En faisant un usage globalisant du terme de « pédagogies nouvelles », elle assimile idéologie et pratiques dominantes (y compris qualifiées d’innovantes) à une recherche pédagogique certes minoritaire mais bien réelle, qui travaille à apporter des réponses, loin de conceptions spontanéistes de l’apprentissage et naturalisantes du devenir élève.

Cette réserve faite, le dévoilement des paradoxes de l’injonction à l’autonomie et leurs incidences négatives sur un engagement nécessaire des élèves dans leurs apprentissages, font de l’ouvrage un outil précieux de réflexion sur les modalités prescrites de transmission des savoirs.

Christine PASSERIEUX