Enseigner en toute petite section, Isabelle Bastide

 
 Editions Retz « Pédagogie pratique« , 2017, livre (128 p.)  + DVD-Rom, 23,10 euros
 
 

Après avoir ouvert le livre à son sommaire, m’être dirigée directement à des chapitres qui m’intéressaient, je me suis rendu compte que cet ouvrage fourmillait de situations réelles, d’exemples concrets, de pistes pouvant être mises en oeuvre facilement dans une classe « ordinaire ». Je suis ensuite allée lire la postface de Christophe Joigneaux, enseignant chercheur de l’équipe ESCOL. Isabelle Bastide, professeure des écoles, auteure du livre, est elle-même en train de préparer une thèse dans cette équipe avec Jean-Yves Rochex. C’est une caution scientifique mais ce n’est pas le plus important. Finalement je suis revenue à l’intérieur du livre pour y voir que toutes les pratiques présentées n’étaient pas que le fait de la conduite expérimentée d’une classe mais relevaient en amont d’une conception très riche et très précise de l’enseignement à des tout-petits.
Christophe Joigneaux écrit que ce livre répond à une « urgence », la classe des tout-petits est la grande oubliée des réflexions, des recherches, des formations, des publications. Il dit aussi que le livre « contribue à mettre au point des pratiques d’enseignement ». C’est bien ce qui la distingue des autres modes d’accueil de la petite enfance. Au GFEN, nous sommes aussi persuadés que l’école maternelle est ce lieu unique qui permet aux enfants d’apprendre ensemble. Les enseignant.e.s y conduisent des situations d’apprentissage pour rendre les savoirs accessibles à tous. Et c’est bien là que réside la plus grande des difficultés. Comment s’y prendre pour que ces enfants qui arrivent encore centrés sur eux-mêmes, sortant tout juste du cocon familial et ne maitrisant pas le langage, puissent faire des acquisitions de connaissances et de procédures pour devenir des élèves ? Il s’agit bien de construire des apprentissages qui vont les « élever », les tirer vers le haut, comme le dit Vygotski.
Isabelle Bastide a réussi la performance de donner dans cet ouvrage des pistes étayées, progressives, concrètes, adaptées, focalisées sur les possibilités des enfants et non pas sur « ce qu’ils devraient savoir faire avant de l’avoir appris » ou sur ce qu’on attend d’eux en fin de cycle. On ne trouve pas de « recettes toutes faites », ni d’activités « extra-ordinaires », « innovantes » au sens de l’institution mais bien des pratiques de classes « ordinaires », avec des supports et des outils simples, mais pas simplistes, avec des manipulations. Evidemment à l’âge de 2 ans, on est d’abord dans l’action, avant de dire par des pratiques langagières associées, d’abord avec le langage de l’enseignant.e qui organise des reformulations et donne à voir sa propre pensée, ensuite et petit à petit en faisant parler les enfants pour expliquer ce qu’ils ont fait et soient capables de le refaire. Nous sommes bien dans la dialectique faire pour dire, dire pour penser, penser pour comprendre et conscientiser, que développent Véronique Boiron, Élisabeth Bautier, le GFEN… entre autres.
Le livre est organisé en trois chapitres dont les pages sont différenciées par des onglets de couleurs. Ce détail éditorial a son importance dans un ouvrage de référence tel que celui-ci. On sait tout de suite se repérer. La première partie est consacrée à l’accueil et fait le point sur ce qu’on sait du développement des enfants de moins de 3 ans. Comment penser les apprentissages de la propreté, la gestion des « objets transitionnels », la notion de bienveillance ? Comment accueillir les parents, quelle place leur donner à l’école ? Faire alliance pour une co-éducation est primordial en toute petite section.
L’auteure spécifie ce qu’enseigner en TPS veut dire, quels gestes et postures cela implique de la part de l’enseignant.e. Il faut aussi penser l’espace comme évolutif, pour s’adapter aux activités qui changent en cours d’année ; penser le temps, la durée et le rythme de la journée et proposer des temps collectifs et individuels en alternance, des routines et des transitions pour les entre-deux. Ce long chapitre (environ la moitié du livre en nombre de pages) est rempli d’exemples, d’outils, de photos, plans, schémas, etc., tous à même d’aider l’enseignant.e débutant.e ou chevronné.e qui veut réfléchir à sa pratique.
La deuxième partie traite à proprement parler d’activités d’enseignement en insistant sur la place à donner à chacun des environnements pour qu’il soit propice aux apprentissages. L’auteure propose de penser la classe avec :
– des espaces créatifs, où l’élève va exercer ses gestes graphiques et artistiques ;
– des espaces sensoriels où il va pouvoir observer, manipuler, faire des découvertes, des expérimentations techniques ;
– des espaces de jeux de construction et de jeux d’imitation pour apprendre à classer, résoudre des problèmes et à faire semblant, imaginer ;
– des espaces de repos pour retrouver calme et sérénité et des espaces d’actions motrices, tout aussi importants les uns que les autres. Cela demandera une grande organisation et une gestion évolutive pour que le petit puisse bouger et élargir ses actions motrices.
La troisième partie s’attaque au langage et décrit des temps spécifiques à l’enseignement de l’oral. Souvent, comme l’oral fait partie de la vie courante, on pense qu’il est enseigné partout et tout le temps ; c’est faux, il lui faut des temps dédiés. L’auteure met aussi l’accent sur le fait d’acquérir du vocabulaire et de « raconter » des expériences vécues. Enfin elle met en avant les moments des premières interactions entre élèves, guidées par l’enseignant.e, qui apprennent à structurer sa pensée au contact de celle des autres.
Cet ouvrage semble correspondre à l’école maternelle telle qu’elle est actuellement, avec la diversité culturelle et sociologique des élèves, avec la moitié de ses effectifs comportant des enfants issus des classes populaires, qui ont le plus besoin de l’école. Les pratiques proposées dans cet ouvrage sont bien des pratiques d’enseignement, à destination des enseignant.e.s qui travaillent à accueillir ET scolariser les moins de 3 ans. Ces pratiques sont basées sur des années d’expériences et de réflexions de l’auteure et sont véritablement pensées à l’aune de la psychologie du développement et en fonction des besoins des enfants de cet âge-là, parfaitement adaptées à leurs potentialités.

Isabelle Lardon
Juillet 2017