La riposte : pour en finir avec les miroirs aux alouettes – Philippe Meirieu Editions Autrement, 2018, 17 € « La riposte » aux attaques dont est victime l’Ecole publique et la pédagogie Pour qui connait les travaux de Philippe Meirieu, ce dernier livre n’apporte rien de nouveau par rapport à ce qu’il dit depuis de nombreuses années mais il a l’immense mérite de faire le tour de toutes les questions de pédagogie exacerbées dans la période actuelle. « La riposte » arrive à point nommée contre toutes les invectives, annonces, injonctions ministérielles. Philippe Meirieu reprend point par point les « sujets qui fâchent », les questions vives, non tranchées, qui n’appellent pas de « bonnes réponses » ou des protocoles simplistes ; non, plutôt des questionnements qui font débat dans le milieu professionnel, qui doivent faire débat de société. L’Ecole est un sujet éminemment politique, au sens étymologique du terme, c’est-à-dire relevant de la cité et des citoyens. Et c’est bien l’objectif de Philippe Meirieu de donner à penser l’école, apporter sa contribution, riche de son expérience de professeur qui a toujours gardé des élèves malgré ses responsabilités et travaux de chercheur – c’est suffisamment rare pour être signalé – riche aussi de sa culture historique et de ses engagements dans l’éducation nouvelle et l’éducation populaire. On peut regretter au GFEN qu’il ne fasse pas suffisamment à notre goût référence à notre mouvement – le GFEN est cité une fois dans l’ouvrage mais c’est ainsi, Philippe Meirieu est un éclectique de génie, un formidable tribun et un fidèle à ses choix éducatifs et politiques sur l’école. Depuis 50 ans, il est au cœur du système, et il y a encore toute sa place, regard de grand témoin tellement aiguisé ! Son écriture est simple, ordonnée, documentée et l’ouvrage peut être mis dans toutes les mains de celles et de ceux qui les trempent dans le carburateur (*ref. Matthew Crawford), qui « mouillent la chemise » au quotidien pour faire fonctionner l’Ecole malgré tout. De nombreux sujets sont abordés, comme il est annoncé sur la page de couverture : les pédagogies alternatives, les neuro-sciences, … mais pas que… la lecture, leprojet, le développement, l’attention, l’évaluation, le goût d’apprendre… Plutôt que de passer en revue tous les contenus du livre, j’ai envie d’en faire ressortir des petits extraits, des phrases choc, qui ont fait résonance en moi, piochés au fil de l’avancée de l’ouvrage, de la façon la plus subjective qui soit. Comme une anthologie personnelle des plus belles pensées ou des plus efficaces « remèdes à ma mélancolie* » pédagogique (*ref. une émission de France-inter), non pas comme des vérités assénées mais plutôt comme des pistes pour prolonger le débat. En exergue, une citation très belle de Pessoa De ma vie, trois impressions demeurent aujourd’hui : la certitude d’être toujours au commencement, la certitude qu’il me faut absolument poursuivre et la certitude que je serai interrompu avant d’avoir terminé. Sur l’Ecole et la pédagogie… La sérénité n’est pas à l’ordre du jour (page 9). Imputer aujourd’hui les difficultés de l’Ecole aux « gourous des sciences de l’éducation » est une imposture (page 11). L’entreprise pédagogique… J’aurais voulu pouvoir rappeler simplement « deux ou trois choses que je sais d’elle » (ref Godard). Que nous devons faire le pari que tout être est éducable et qu’il peut apprendre et grandir (page 13). Et l’on passe à côté de la véritable pédagogie, celle qui forme la liberté tout en assumant des contraintes fécondes, qui transmet la culture dans ce qu’elle a de plus exigeant sans supposer qu’un discours magistral bien construit abolit magiquement toute résistance, qui s’efforce, au quotidien, de conjuguer le plaisir et l’effort dans les apprentissages (page 34). Se demander quelle « Ecole fondamentale » nous voulons, quelle Ecole nous devons construire, pour quelle société et pour quel monde (page 35). Respecter l’élève, ce n’est pas l’abandonner à lui-même mais le nourrir pour qu’il puisse se dépasser ; que l’engagement dans un apprentissage suppose de partir de l’enfant tel qu’il est, mais impose de le faire accéder à des territoires nouveaux ; que « mettre l’élève en activité », ce n(est pas le laisser construire ses savoirs tout seul, mais, bien au contraire, préparer précisément chaque étape de leur appropriation ; que la véritable coopération doit être préparée individuellement en amont et organisée afin d’éviter la division du travail en fonction des compétences préexistantes, etc (page 46). La motivation ne précède jamais « l’entrée en matière », car on ne peut être motivé pour ce que l’on ignore ; la motivation, en revanche, nait dans « l’entrevoir », quand le maitre, sans déflorer le contenu du savoir, sait créer l’énigme et susciter le désir de s’engager dans l’apprentissage… Les objectifs de l’Ecole comme « institution » – ce qui fait tenir debout – doivent donc être toujours présents, ici et maintenant. Les transformer en préalables, c’est habiller notre renoncement des oripeaux d’une rationalité technocratique. C’est, tout simplement, renoncer à démocratiser l’accès aux connaissances nécessaires à l’exercice de la citoyenneté aujourd’hui. C’est creuser les inégalités (page 52). Desserrer les mâchoires enter la pulsion et l’acte, faire de la place à la pensée et la nourrir par la culture. Tel est le rôle du pédagogue. C’est pourquoi il recherche et propose inlassablement les contraintes fécondes, celles qui, loin de brimer la liberté, permettent au sujet de la construire (page 89). Le chapitre 7 « quelles connaissances mobiliser pour atteindre nos finalités » est à mes yeux essentiel, faisant la part belle aux théories de Vigotski , Wallon et Bruner. Ils insistent tous les trois sur l’importance des interactions entre un sujet et son environnement C’est pourquoi éduquer nécessite une institution, au sens étymologique du terme : ce qui fait tenir debout… Ce qui permet d’entrer en relation avec les autres sans s’assujettir à eux ni chercher à les soumettre. Une institution ne peut être réduite à son règlement… Une institution est d’abord un projet collectif… Il faut que l’Ecole tout entière, en tant qu’institution de la Nation, soit « instituante » et exprime… les valeurs qu’elle incarne (page 196). Le projet d’une école inclusive devrait engager, du primaire à l’université, un mouvement délibéré de mixité sociale et générationnelle, d’intégration d’enfants, d’adolescents et d’adultes ayant des parcours de vie, des richesses et des difficultés différentes, de rencontre entre des personnes qui, malgré leur hétérogénéité, doivent apprendre à se respecter, à travailler ensemble, à s’entraider réciproquement et à « faire société » (page 255). Je crois que les véritables « fondamentaux » qui doivent structurer la transmission scolaire et présider à l’élaboration et à la mise en œuvre des programmes sont la capacité de pensée, l’accès aux chefs d’œuvre – ceux que l’on étudie et ceux que l’on fait – et l’apprentissage de la coopération (page 269). Le débat démocratique sur l’éducation et l’Ecole est en déshérence… L’Ecole, une institution qui n’est pas seulement destinée à « apprendre » mais aussi à « apprendre ensemble »… Le bien commun… chacun et chacun doit y voir le moyen de gagner en humanité future… (page 273). On en parle ici : Café pédagogique Le monde Le Nouvel Obs Le blog de Claude Lelièvre Questions de classe AFEF Isabelle Lardon 19 mars 2019 Valérie Pinton