Et si on se la jouait collectif ? Repenser le métier… et si on se la jouait collectif ? Jacqueline BONNARD – 2012 Dans un contexte où le résultat des élections présidentielles et législatives ouvre des perspectives favorables pour une véritable réflexion sur les enjeux de l’école et les réformes structurelles indispensables à notre système éducatif, la question du métier d’enseignant et d’éducateur se pose avec acuité. Après deux décennies de politiques scolaires qui ont déconstruit les valeurs qui fondaient le modèle républicain d’une école capable de former aussi bien les élites que de permettre à tous d’accéder au savoir – justice sociale, promotion sociale par l’éducation, laïcité, émancipation personnelle et citoyenne- l’ensemble des acteurs se trouve face à une situation paradoxale. Si les professionnels de l’éducation souhaitent majoritairement la réussite de tous les élèves, ils sont confrontés à une valorisation de l’individualisme, de la différenciation qui conduirait à la réussite de chacun. Ces valeurs issues du secteur privé impriment une conception libérale de l’offre scolaire promue par la stratégie de Lisbonne. C’est particulièrement sensible au niveau collège où les offres de formation se diversifient en fonction des lieux, des publics accueillis : options latin, classes bi-langues, classes européennes, internat d’excellence, établissement de réinsertion scolaire, réapparition de classes pré-professionnelles… Cette situation est particulièrement préjudiciable aux enfants des milieux populaires. Dans un système où l’on renvoie à chacun la responsabilité de son échec, les familles assistent, impuissantes, au difficile parcours scolaire puis social de leurs enfants. Parallèlement, la question de la formation professionnelle des enseignants devient cruciale lorsque l’on sait qu’elle s’est réduite à quelques rudiments instillés ici et là au profit d’une plongée en apnée au cœur du métier provocant déstabilisation et souffrance au travail. Chacun dans sa classe et advienne que pourra ! Soumis aux injonctions institutionnelles multiples qui alourdissent la tâche (évaluation permanente, individualisation), perturbés par des prescriptions qui brouillent les attendus (nouveaux programmes, introduction du socle commun), les enseignants vivent mal leur situation actuelle et se sentent disqualifiés car non soutenus par leur institution et dénigrés par les médias. Autant d’ingrédients qui incitent à l’isolement professionnel, au retour à des routines inscrites dans ce qu’on pense être « les bonnes pratiques » mais s’appuyant davantage sur le besoin de se sécuriser que sur l’efficacité pédagogique. Dans la solitude de la classe, répétant les gestes professionnels observés, les façons de « tenir la classe », beaucoup pensent avoir tout essayé sans résultat… Et si on se la jouait collectif ? Il existe pourtant des équipes d’enseignants qui, face à des situations en apparence inextricables, ont relevé le défi du « Tous capables ! » : tous capables d’apprendre et de s’émanciper par le savoir, tous capables d’enseigner et de mener à bien les objectifs visés par les programmes. J’aimerais illustrer le propos à l’aide de deux exemples d’équipes que j’ai suivies pendant plusieurs années : l’équipe éducative d’une classe productique en lycée professionnel, l’équipe pédagogique d’une classe de seconde d’un lycée d’enseignement général. Chalette sur Loing à LP Château Blanc-2008 Un établissement excentré sur le bassin montargois. Ici, on ne choisit pas une section, « on fait Château-Blanc » pour rester sur la commune, par obligation économique mais aussi par crainte de l’ailleurs. Une section a bien du mal à remplir : la 2ème Productique. Des quatre coins de l’académie arrivent les recalés de l’orientation dont un bon nombre de filles : elles rêvaient d’être coiffeuses ou esthéticiennes… elles seront mécaniciennes ! Pendant 4 années, j’avais accompagné cette équipe qui tentait de colmater les brèches du décrochage. Mais que pouvaient ces rustines qui résistent mal à ce flot de désespérance tant du côté de ces jeunes cassés par la vie que du côté des enseignants cantonnés au rôle de fusible de situations explosives ? Même si ces actions avaient permis de recouvrer la paix sociale, les apprentissages semblaient peu efficients. En cette rentrée 2008, l’équipe Prod a décidé de prendre les choses autrement : on se recentre sur les savoirs, on se la joue collectif (côté élève/côté prof) et surtout, on se lance un défi : « Tous en bac pro ! ». Par la force du collectif, c’est une des aventures humaines les plus intéressantes qu’il m’ait été donné d’accompagner. Les objectifs visés s’articulaient autour de trois axes. Tout d’abord réinscrire chaque élève dans une logique d’apprentissage par un accompagnement journalier et hebdomadaire autour du travail personnel. Deuxièmement, réinscrire les parents dans leur rôle en partageant avec eux la progression observée et en les impliquant dans le suivi de la formation. Troisièmement, inscrire le jeune dans un projet professionnel passant par l’obtention d’un bac pro et l’habitude d’un travail en équipe. S’il a fallu toute l’énergie et la cohésion de l’équipe éducative (intégrant assistant d’éducation, CPE, infirmière scolaire, COP) pour installer des habitudes de travail collectif tant chez les élèves que les professionnels au premier trimestre, les résultats ont dépassé les espérances : un très bon score aux résultats du BEP, les ¾ des élèves obtenant une place en bac pro et aucun élève sans solution à l’issue de la formation. Blois à Lycée Dessaignes 2009 Dans le cadre d’une réflexion sur le travail personnel de l’élève, l’équipe pédagogique d’une classe de 1ère S s’interroge sur les compétences transversales utiles aux élèves pour qu’ils réussissent. Mais comment savoir comment ils apprennent ? Les professeurs imaginent donc de les mettre en situation de réviser un contrôle « comme s’ils étaient à la maison » dans chacune des disciplines. Ils observent les supports utilisés par les élèves, les manières de faire, les échanges. Leurs conclusions mettent en évidence deux techniques de mémorisation majoritaires chez ces élèves : pour certains « lire la leçon suffirait », pour d’autres il y a nécessité de réécrire tout le cours, « faire » des fiches. Mais quelle que soit la technique adoptée, les enseignants constatent que la leçon est apprise « au kilomètre », que la construction logique d’un cours ne fait pas sens pour les élèves de même que la complémentarité des documents ou exercices en lien avec la problématique abordée. Après avoir un moment pensé qu’il suffirait de proposer aux élèves « les bonnes méthodes » pour s’approprier le cours, l’équipe enseignante s’est mise en réflexion au cours d’échanges de pratiques sur l’articulation entre « faire cours » pour l’enseignant et « apprendre le cours » pour l’élève. Que ce soit du côté de l’élève ou du côté de l’enseignant, l’équipe en arrive vite à la nécessité d’un travail collectif autour de cette problématique. L’année suivante les professeurs décident de poursuivre l’étude avec les élèves d’une classe de seconde générale en affinant l’observation sur « la posture de l’élève.et les gestes qui accompagnent l’activité intellectuelle révélateurs du sens donné à l’apprentissage ». Quelle que soit la discipline, ils constatent que la mémorisation passe d’abord par une déconstruction du cours, la hiérarchisation des idées ou des connaissances en jeu puis par une reformulation qui permet de reconstruire la connaissance produite afin de l’intégrer dans l’ensemble des connaissances antérieurement acquises. Ce qui correspond au schéma de Piaget sur l’assimilation. En revisitant collectivement ces mécanismes liés à l’apprentissage, chacun a revisité sa pratique pédagogique en y intégrant des objectifs communs pour que l’élève donne sens à ce qu’il apprend d’une part et favoriser l’activité intellectuelle d’autre part. Il s’agit de l’explicitation des attendus de la leçon, de la mise en réflexion des élèves sur les notions abordées par un repérage et une hiérarchisation des idées ou des connaissances, de la proposition de situations d’autoévaluation ou coévaluation pour tester les acquis. Au-delà des projets de ces deux équipes, on mesure la force et l’intérêt du collectif lorsqu’il associe le sens donné à l’expérience scolaire pour l’élève au sens donné à l’expérience professionnelle pour l’enseignant. Une approche collective permet de sortir de la solitude de la classe où tout se joue le plus souvent dans une relation duelle dans laquelle le savoir devient un prétexte alors qu’il devrait être l’objet médiateur d’une construction individuelle et collective. On entend beaucoup parler de métacognition chez les élèves, d’installer une attitude réflexive, de permettre le travail d’équipe. Mais chiche ? Si on se l’appliquait au sein des équipes éducatives ? Et si l’on mettait en pratique ce que l’on est sensé installer chez les élèves ? Et si en mettant en travail les pratiques pédagogiques au sein d’une même équipe, on passait d’une co-errance à la cohérence nécessaire à un enseignement de qualité ? Articles : Le métier Enseignant, Jacques BERNARDIN, Audition au Sénat, 21 février 2012 Où il est dressé un constat sur le métier d’enseignant après deux décennies de politiques éducatives qui ont déconstruit le système de valeurs qui fondait « l’école républicaine ». L’auteur propose des pistes pour rompre avec des habitudes professionnelles et faire évoluer les pratiques pour relancer la démocratisation de l’accès au savoir et à la culture. LIRE Vers une transformation de la formation à la professionnalisation des enseignants, Odette BASSIS, 2012 Si le métier de professeur est déjà en lui-même un métier « impossible », tant il est plongé devant un défi de complexité, le métier de formateur ne l’est pas moins, au regard des emboîtements de complexités qu’il revêt. Si la transmission des savoirs est la question-clé de la formation, il faut l’interroger dans une perspective d’intégration réciproque théorie-pratique mais également au travers de pratiques de transmission vécues par les futurs enseignants. Lire Pour une pédagogie de projet émancipatrice, Maria Alice MEDIONI (GFEN Secteur Langues) mai 2010 Travailler en projet est devenu une injonction institutionnelle pour inscrire les apprentissages dans des situations où le savoir se construit « à travers un faire social ». Pour autant interroge l’auteur : N’assiste-t-on pas à une récupération d’une notion qui permettait d’apporter une réponse nouvelle à une situation de crise dans l’école ? Les partis-pris sont-ils les mêmes que ceux qui ont prévalu chez ses concepteurs ? Le projet, est-ce une fin en soi, un supplément d’âme, ou un outil ? Lire Individualisation des situations d’apprentissage, Christine PASSERIEUX, 2005 LIRE Un travail de groupe peut en cacher un autre, Bernard MAYAUDON DIALOGUE n° 142 – L’ordinaire de la classe, octobre 2011 Description d’une pratique de classe qui travaille les questions suivantes : Pourquoi faire travailler les élèves en groupes et que fait-on quand nous faisons cela ? Suffit-il que les élèves soient en petits groupes pour qu’il y ait travail de groupe ? Peut-il y avoir travail de groupe sans mettre les élèves en petits groupes ? Lire Le conseil coopératif,Yves BEAL et Frédérique MAIAUX DIALOGUE n° 142 – L’ordinaire de la classe, octobre 2011 « Les conseils coopératifs de classe permettent à chaque enfant de se trouver impliqué dans le groupe, de poser sa parole et ainsi d’être entendu et reconnu par les autres et bien sûr par l’enseignant. » Lire L’écriture collective à Quels enjeux ? 25 pratiques pour enseigner les langues.,Valérie PEAN et Muriel RENARD DIALOGUE n° 139 – Écrire ses pratiques, janvier 2011 L’article s’appuie sur une expérience d’écriture collective. Lire Sauver les valeurs scolaires de l’école républicaine, Nathalie MONS Deux décennies de politiques scolaires ont déconstruit le système de valeurs sur lesquelles repose le modèle républicain de l’école. Progressivement l’intérêt collectif d’une éducation dite nationale fait place à « la valorisation des particularismes, de l’individualisme et de la différenciation ». Pour autant, ce modèle libéral de système scolaire n’emporte pas à ce jour l’adhésion de la communauté éducative et d’une majorité de parents. http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2012/132_2.aspx Masterisation : Il y a urgence, La tribune de Jean-Louis AUDUC Si enseigner, est un métier qui s’apprend, la formation passe nécessairement par la mise en place de véritables écoles professionnelles. Il y a même urgence à accélérer la reforme de la formation des enseignants « face au champ de ruines entraîné par la masterisation ». http://www.cafepedagogique.net/searchcenter/Pages/Results.aspx?k=Auduc masterisation urgence 2012 tribune ^ Haut de page 17 novembre 2012 Valérie Pinton