Bernard REY : pas de compétences sans savoir et inversement « Enseigner aujourd’hui à l’aune des compétences » Conférence du 16/03/2016, école Saint Exupéry, Tours Invité par le GFEN37, Bernard REY* a tenté d’éclaircir la notion de compétence et les effets d’une approche par compétences dans la sphère scolaire. Sans esquiver le débat autour de la question : « entre savoirs et compétence faut-il choisir ? « , il pointe la spécificité des tâches proposées en milieu scolaire et des réponses souhaitées qui déroute plus d »un élève et en particulier ceux qui sont éloignés des attendus de l »école. Plan de l’intervention Notion de compétence et son incidence sur les apprentissages. – Généralités – Le problème didactique et pédagogique que pose l’acquisition de compétences – Comment peut-on amener les élèves à acquérir des compétences ? 1 – Introduction La notion de compétence en éducation a surgi en Belgique à la fin des années 90 mais déjà en juin 1989 la loi Jospin introduit un référentiel des compétences pour les cycles de l’école maternelle et primaire. La notion réapparait en 2006 avec le premier socle commun (une nouvelle version est prévue pour la rentrée 2016). Dans l’univers scolaire, on peut faire l’hypothèse que dans beaucoup de pays, on se préoccupe du lien entre ce qu’on apprend à l’école et l’usage qu’on en fait dans la vie. En 2000 au Québec, face à un décrochage scolaire massif, on tente une approche par compétences. On peut cependant se poser le problème du risque de l’abandon de l’accès aux savoirs. Faut-il choisir entre compétences et savoirs ? Ils ne sauraient s’exclure : il n’y a pas de construction de compétence sans savoirs associés. 2 – Généralités Définition de la compétence Compétence : possibilité qu’a un individu, dans un domaine donné, d’accomplir des tâches dans ce domaine. Etre compétent c’est quand, pour aborder une tâche nouvelle, l’apprenant s’appuie sur des ressources qu’il a déjà apprises. C’est la nécessité de mobiliser à bon escient des connaissances et des procédures. Une procédure : c’est un acte qui peut s’automatiser en s’entraînant : technique opératoire ; construire une phrase interrogative en anglais. savoirs/connaissances savoir-faire/capacité savoir-être/attitude Pour être compétent dans un domaine il faut dans ce domaine des connaissances et des savoir-faire (procédures). Dans une tâche nouvelle, il faut savoir mobiliser ses connaissances et savoir-faire. C’est « un nouveau nom » sur un problème classique de l’école : le transfert des acquisitions. La notion de compétence pointe l’attention sur ce problème pédagogique : réinvestir les acquis dans une tâche complexe. Tâche complexe : tâche qui implique la maîtrise de plusieurs connaissances et procédures pour la réaliser. Ce n’est pas forcément une tâche compliquée (ex : la production d’écrit) Il y a des actions qui sont des compétences en début d’apprentissage (lire un mot au CP : reconnaissance des lettres, combinatoire) puis au fil de l’apprentissage de la lecture, lire un mot devient une procédure. L’enseignement ne consiste pas seulement à acquérir des connaissances et des procédures : on renoncerait alors à donner aux élèves une autonomie de pensée. Dans l’enseignement il se produit une discrimination entre ceux qui réussissent ou pas à utiliser les connaissances et procédures connues pour accéder à une nouvelle tâche. Les enjeux pour les apprentissages 3 – Le problème didactique et pédagogique que pose l’acquisition de compétences Comment amener les élèves à mobiliser à bon escient leurs connaissances et les procédures acquises? Le problème est de faire accéder à une certaine autonomie intellectuelle (en opposition avec le dressage). C’est un acte décisif qui dépend de la manière dont les élèves interprètent ce qui leur est demandé. Dans les années 90, beaucoup de psychologues ont travaillé sur la notion du transfert. Le concept de schèmes emprunté à Piaget a aussi été exploré. Sur la même période, le concept de familles de tâches semblait très prometteur (‘Émile reviens vite, ils sont devenus fous’, Meirieu et Develay). Mais cela est incomplet. Pour que l’élève, devant un problème (math, histoire), soit capable d’aller chercher les bonnes procédures et connaissances pour le résoudre, il faut qu’il sélectionne les informations pertinentes : les bons éléments, ceux qu’on doit retenir et ceux qui sont anecdotiques et qu’il faut négliger. Ce choix, même dans une tâche élémentaire, peut provoquer des erreurs. D’où l’intérêt des chercheurs pour les moments où les élèves choisissent les données non pertinentes. De mauvaises interprétations à des problèmes posés L’individu, bien qu’il ait les connaissances et les compétences nécessaires, ne réussit pas toujours à résoudre, réaliser la tâche prescrite. Exemple 1. On demande aux élèves d’écrire un texte argumentatif sur la nécessité de ne pas gaspiller l’eau. L’un d’eux raconte qu’il s’est fâché avec son cousin qui prenait des douches trop longues. Ce faisant, il produit un texte narratif : il n’a pas considéré comme important, dans la consigne, le mot « argumentatif ». Exemple 2. Problème en classe de CE2 : « Fabien veut acheter un jeu à 12euros, il a 5 euros, combien doit-il demander à ses parents ? ». Un enfant répond « 12 » parce qu’il préfère garder son argent et demander tout à ses parents. Deux exemples de décalage du à une mauvaise interprétation du problème posé Il y a des réponses scolairement attendues Est-ce qu’il ne faudrait pas être plus explicite sur ce qui est scolairement attendu ? Il y a un implicite des tâches scolaires qui n’est pas lisible, pour tous les élèves. « L’école évalue les élèves sur des compétences qu?elle ne travaille pas. » (Bourdieu). Mais quelles sont les spécificités de la demande scolaire ? Difficile à cerner car les enseignants, inspecteurs, chercheurs sont habitués à cette interprétation qui paraît aller de soi quand pour certains élèves le problème de mathématiques est un problème relationnel car ramené à une situation familiale. 4. Comment peut-on amener les élèves à acquérir des compétences ? Caractéristiques de la forme scolaire et malentendus Trois caractéristiques : On attend que l’élève interprète la tâche ou l’action au moyen d’une grille de lecture se référant à un savoir, des connaissances, des compétences scolaires mais pas à ses émotions, au relationnel, à ses expériences personnelles, ses préférences personnelles. – Cette tâche relève de quelle discipline ? – Qu’est-ce qu’on attend de moi dans ce que l’on m’a enseigné ? On attend que l’élève pense la situation dans sa globalité, sans chercher à accrocher une procédure isolée à un mot de l’énoncé. On doit penser à l’aide des savoirs scolaires qui permettent de traiter la situation au lieu de sauter sur des données pour répondre coute que coute quelque chose, mais sans rapport avec ce qui est demandé : l’attendu scolaire est mal interprété. Le plus souvent il s’agit d’un profil d?élève obéissant, docile, qui ne pense pas par lui-même. Au moindre indice, même s’il n’est pas très sûr, il va montrer que ça, il le sait. Ces deux premiers points se rattachent aux difficultés pointées par le groupe ESCOL : certains élèves ne voient que le sens premier de la tâche (imbrication), pas le sens second celui des savoirs (secondarisation). Par exemple, faire tracer des cercles pour constater que tous les points sont à équidistance du centre signifie pour certains : savoir tracer des cercles sans « riper ». Il s’agit d’un défaut de « subjectivation » ; pour apprendre, il faut s’engager soi-même car venir dans la classe et s’asseoir ne suffit pas. Ces deux caractéristiques sont à mettre en rapprochement à ce défaut de subjectivation. La textualité des savoirs scolaires Les élèves n’expliquent pas comment ils ont trouvé car ils considèrent que : – c’est évident, – le prof le sait déjà. C’est bizarre de redire au professeur comment on a fait alors que c’est lui qui nous l’a appris. L’école attend qu’on ne s’appuie pas sur la connivence avec le destinataire ; elle demande des textes « universellement valables ». Cette universalité des écrits attendus est incompréhensible pour beaucoup d’élèves. Dans notre quotidien, nos messages se réfèrent aux gens avec qui nous les partageons, auxquels on ne réexplique pas tout puisqu’on sait qu’ils le savent déjà. C’est une spécificité du message scolaire. 5 – Dans l’échange qui a suivi les questions ont porté sur : Quand donner des tâches nouvelles et complexes ? Que doit-on expliciter ? Et les compétences transversales ? Informations et savoirs ? et Evaluer des compétences ? à partir des notes de Ginette Bien-Delajoux, Dominique Seghetchian, Jacqueline Bonnard *Bernard REY est professeur à l’Université Libre de Bruxelles. Il est l’auteur notamment des ouvrages : – Savoir enseigner dans le secondaire, éd.De Boeck 2010 – La notion de compétence en éducation et formation, Enjeux et problèmes, éd. de Boeck 2014 13 avril 2016 Jacqueline Bonnard