Carnets Rouges n°24 « Ecole et élitisme »

Soft-skills : pour l’école du bonheur et de la croissance !

L’importance croissante donnée aux compétences comportementales prétend changer la donne d’une réussite scolaire et sociale que l’on affirme désormais fondée sur la révélation des talents et l’épanouissement des potentialités. Elle prétend en finir avec l’élitisme des savoirs et des diplômes en éduquant aux « compétences douces » qui ouvriraient les portes du bonheur et de la croissance !

Vouloir assigner à l’école des finalités éducatives qui outrepassent la transmission des savoirs académiques n’est pas chose nouvelle. Notre école républicaine a connu les tentations des catéchismes citoyens qui prétendaient parfois « instruire des moyens d’être heureux sur terre[1] ».
Et ne nous méprenons pas… dénoncer l’éducation comportementale ne sous-entend pas qu’il faudrait renoncer aux finalités éducatives de l’école mais veut considérer qu’elles résultent d’un exercice de la raison fondé sur les connaissances et la culture commune et construites par la sociabilité scolaire et la liberté. Nombre d’écrits pédagogiques, sociologiques et philosophiques ont, dans les perspectives ouvertes par Durkheim, cherché à définir les conditions pour que l’éducation morale ne puisse pas se confondre avec un asservissement idéologique. Cependant, les classes dominantes voient dans la transmission de comportements normés le moyen le plus sûr de garantir la reproduction d’un ordre social utile à leurs intérêts particuliers.

Apprendre versus apprendre à être

On peut constater depuis les années 1970, des tentatives réitérées d’affirmation du primat absolu de la finalité éducative aux dépens de la transmission de savoirs. Dans un rapport coordonné par Edgar Faure pour l’Unesco, où il est désormais question d’« apprendre à être », cette finalité est affirmée comme préférable à celle « d’acquérir, de façon ponctuelle, des connaissances définitives[2] ». L’époque est traversée par les illusions de l’éducabilité cognitive de Feuerstein même si, très tôt, des études doutent fort des effets positifs de la méthode[3]. L’idée même de pouvoir enseigner des compétences transversales semble des plus fragiles[4] dès lors qu’on constate leur faible transférabilité. On peut fantasmer la boîte à outils… mais cela ne suffit pas à la rendre efficiente. Quant aux évaluations, elles ne constatent généralement que de faibles progrès, limités aux effets immédiats et circonscrits de l’entraînement intensif à une situation particulière. La question reste entière de la pertinence d’un apprentissage procédural sans contenu. Cela n’empêche pas PISA de vouloir intégrer ces « compétences douces » en s’inscrivant dans l’obsession d’une opposition binaire simpliste : «développer la participation, la créativité, la résilience » plutôt que de « remplir le cerveau des élèves[5] ». Mais à chaque fois, c’est au nom de la démocratisation de la réussite scolaire que ce renoncement aux savoirs académiques est affirmé nécessaire. On peut craindre pourtant qu’au-delà de la générosité apparente de l’intention, nous soyons face aux risques d’une pédagogie plus élitaire encore. Ce n’est pas d’une question de méthode dont il s’agit ici : défendre la nécessité d’une centration de l’école sur les savoirs ne présume pas de la manière avec laquelle on les enseigne et ne renonce pas à permettre à l’élève de construire le sens de son activité scolaire. Par contre, on peut craindre qu’« apprendre à apprendre » ne soit qu’une illusion procédurale fort éloignée de l’élucidation des enjeux de l’activité scolaire et qu’elle reste donc une activité socialement très discriminante.

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