Frapper les pauvres, un roman de Jean-Paul Delahaye 27 août 2025 Valérie Pinton Présentation éditeur : Ancien numéro deux de l’Éducation nationale de 2012 à 2014, Inspecteur général de l’Éducation nationale honoraire, Jean-Paul Delahaye n’y va pas de main morte dans ce premier roman.Resté fidèle à ses convictions égalitaires, républicaines et laïques, cet enfant de pauvres, (émouvant récit relaté dans un précédent livre “Exception consolante”) utilise cette fois la forme romanesque pour décrire une société et un système éducatif qui demeurent profondément injustes. Dylan et Brandon, deux jeunes lycéens de banlieue sont scolarisés à Clovis, un grand lycée parisien. Ils sont hébergés à l’internat d’excellence de cet établissement. Le contraste entre les conditions dont ils bénéficient dans leurs études à Paris et celles de leurs copains du lycée professionnel Croizat à Clichy-sous-Bois devient très vite insupportable.Sur fond de pauvreté, de précarité, de suppressions d’heures d’enseignement et de professeurs non remplacés, les élèves du lycée professionnel, conduits par Elsa, l’amie de Dylan, imaginent une façon originale de manifester leur révolte.Aidés par des enseignants et des parents, Elsa, Dylan et Brandon organisent une expédition dans les locaux du lycée Clovis pour porter une revendication qui leur semble normale : avoir les mêmes droits que ceux accordés à la jeunesse des milieux favorisés.Ce roman d’un combat, conduit par des jeunes des milieux populaires contre les injustices subies dans leur quotidien familial et scolaire, se construit autour de leur cahier de doléances qu’ils nomment “Brèves d’en dessous”. Éditions de la Librairie du Labyrinthe, 20 août 2025, 224 pages 18 €https://www.librairiedulabyrinthe.fr/livre/frapper-les-pauvres/
L’éducation prioritaire. Une politique féconde pour le système éducatif 17 février 2025 Valérie Pinton Collectif Langevin-Wallon, Éditions du Croquant, déc. 2024. L’ouvrage est une somme inédite sur l’éducation prioritaire, à bien des égards. La politique de l’éducation prioritaire y est décortiquée dans le détail, depuis ses fondements originels jusqu’à la Refondation de 2014, analyse critique de ses orientations et développements, qui ont fluctué au gré des changements politiques. Loin de s’arrêter à l’archivage du passé (ce qui est déjà une performance), le devenir de l’éducation y trouve de solides ancrages et perspectives. Ayant exercé des responsabilités à différents niveaux de l’institution, les auteurs étayent leur analyse par un corpus impressionnant de sources : textes de lois, circulaires officielles, notes d’information de la DEPP, rapports de l’Inspection Générale, de la Cour des Comptes et de l’OCDE, ouvrages de recherches et revues spécialisées sont ainsi convoqués… sur près de 800 pages. La préface de Jean-Paul Delahaye, ancien directeur général de l’enseignement scolaire, dont on connait les engagements et le rapport sur la grande pauvreté, donne le ton. La première partie s’attache à définir l’éducation prioritaire, qui rompt dans les années 80 avec l’égalitarisme structurel qui prévalait jusqu’alors dans le système éducatif français pour promouvoir le principe d’équité afin de contrer l’effet des inégalités sociales et consistant, selon la formule consacrée de l’époque, à « donner plus à ceux qui ont moins », à prioriser au niveau des moyens financiers et humains, en postes et formation, les écoles et collèges particulièrement touchés par l’échec scolaire, souvent au sein de quartiers socialement ségrégués. On y suit les mutations opérées au fil des changements politiques, avec des glissements compensatoires s’accommodant d’une pauvre politique à l’égard des pauvres, leurrés avec l’idéologie du mérite, et une alternance de relances à l’initiative de gouvernements plus progressistes mais soutenant parfois la thématique ambigüe de l’excellence, loin d’une visée de promotion de tous. Les auteurs tiennent ferme leur ligne d’examen critique, s’inscrivant dans les pas de Langevin et Wallon qui, dans l’après-guerre, plaidaient pour la transformation d’un système éducatif jusqu’alors cloisonné et élitiste n’ouvrant le Secondaire qu’à une minorité, mutation exigée par les besoins de l’époque. Tant pour répondre au principe de justice que pour faire face à la hausse des qualifications alors exigée par l’économie, à une démocratisation restreinte n’ouvrant les études qu’aux plus « méritants » des milieux populaires, ils opposaient l’option d’une démocratisation élargie, la promotion de l’ensemble de la population. Pour réaliser cette ambition, si l’ouverture de l’école à tous est nécessaire, ce changement structurel doit être accompagné d’une transformation des pratiques pédagogiques dominantes, faire place aux « méthodes actives ». Telle est l’orientation du plan Langevin-Wallon qui, bien que jamais appliqué, n’a cessé de servir de référence et d’inspirer les politiques éducatives. La postface de Jean-Yves Rochex rappelle des pages essentielles de ce plan et les commentaires qu’en fait Wallon, associant au principe et à l’exigence de justice le principe et l’exigence de culture, « la nécessité de reprendre les questions de la culture scolaire, de ses formes et contenus, aussi bien que de ses formes de transmission » afin de « rendre réalisable dans les faits le droit de tous à une culture commune, à une culture qui ‘unit’ » (p. 790). La politique d’éducation prioritaire est jugée par certains contradictoire avec le principe de mixité sociale et scolaire souhaitable pour contrer la ségrégation qui perdure. Pour les auteurs, elle reste néanmoins indispensable face à la réalité des inégalités sociales et territoriales actuelles, entretenues et renforcées par la place accordée à l’enseignement privé. L’abandonner signerait le renoncement politique y compris à l’idée d’égalité des chances, contestable dans son principe et déjà si malmenée dans les faits. Que l’éducation prioritaire soit la pointe avancée d’une démocratisation élargie souhaitable au-delà de son périmètre, c’était la volonté d’Alain Savary lors de la fondation de cette politique éducative dans les années 80, c’est ce qui a inspiré la Refondation de 2014, objet central de la deuxième partie. Au-delà de la labellisation et du travail en réseau qui font l’objet d’une légitimation argumentée, les auteurs s’arrêtent longuement sur la partie pédagogique en ayant constitué le cœur, formalisé par le référentiel, dont l’élaboration et les différents axes sont finement exposés, raisonnés et commentés, soutenus par de nombreuses références. On a le plaisir d’y constater que le GFEN compte parmi celles-ci sur bien des thèmes. Au fil des pages, on peut ainsi relever : la visée du « tous capables », l’association de la bienveillance avec l’exigence, l’approche d’un enseignement plus explicite à distance de « l’instruction directe », l’effet des attentes, la conception de l’école maternelle, la relation aux parents, l’importance de la coopération, le rôle du travail personnel ou l’approche de la formation… La troisième partie porte sur des questions vives faisant l’actualité éducative, examine les divers dispositifs d’égalité des chances, interroge la portée de l’internat public et la pertinence de la découverte des métiers et des formations pour en montrer les limites au regard de la promesse de réussite de tous. Le collectif poursuit l’analyse de plusieurs « classiques » en éducation : la question du temps d’apprentissage, les rythmes, le climat scolaire, l’autorité et l’innovation passent ainsi à la loupe. La place des recherches, l’omnipotence des neurosciences sous le ministère Blanquer est examinée avec la même rigueur, bouclant la boucle d’un examen sans concession de la politique scolaire actuelle et reposant avec force la question sociale, jusqu’alors si négligée. Au total, cet ouvrage fera référence pour tous ceux qui, des politiques aux syndicats, des responsables institutionnels aux acteurs soucieux de changement, aspirent à donner un nouveau souffle à la démocratisation de l’accès au savoir, à la culture. La dynamique de la Refondation, élaborée en référence à tout un ensemble de rapports et recherches, pensée dans ses déclinaisons institutionnelles et son réseau d’acteurs à divers niveaux, impulsée par un pilotage coordonné, orienté par un référentiel commun et accompagné par une ample formation des formateurs chargés de la mettre en œuvre, dans la pleine conscience et le partage de ses enjeux, est un modèle de ce que l’on pourrait généraliser pour un changement systémique de l’éducation. Jacques Bernardin, Président du GFEN
La terre plate. Généalogie d’une idée fausse 18 avril 2024 Valérie Pinton de Violaine Giacomotto-Chara et Sylvie Nony Éditions Les Belles Lettres, 2021, 280 pages Un livre décapant à l’ère des fake-news. L’idée reçue, c’est que pendant le Moyen Âge, on croit que la Terre est plate, croyance rétrograde et dogmatique promue par l’Église ; mais grâce à de grands hommes courageux et bravant les prélats, – Galilée, Christophe Colomb… – le monde moderne découvre enfin que la Terre est sphérique. Dans une première partie, de leur livre, les autrices Violaine Giacomotto-Chara et Sylvie Nony (1) montrent qu’il n’en est rien : Platon (423-348) et Aristote (384-322) considèrent déjà que la Terre est une sphère (p. 22). Et l’argumentent : l’ombre de la Terre sur la Lune lors des éclipses est circulaire (p. 28) ; le Soleil ne se lève pas partout à la même heure ; en se déplaçant vers le nord ou le sud, on ne voit pas les mêmes constellations. Ératosthène (276-194) fournit une méthode pour évaluer sa taille ; il trouve une circonférence proche de 40 000 km (p. 255). Au Ve siècle, Aryab-hata, un Indien, suppose même que la Terre tourne sur elle-même. Al Bîrûnî qui rapporte cette hypothèse dans le monde arabo-musulman au XIe siècle y renonce, après avoir calculé qu’un point de la surface se déplacerait à 1 700 km/h « ce qui ne s’observe pas ». L’ouvrage détaille de nombreux auteurs du Moyen Âge qui transmettent et vulgarisent l’idée que la Terre est sphérique. Passant du grec au latin puis au français, ce résultat est transmis souvent sans les méthodes qui l’ont établi (p. 85). Il faudra attendre les traductions des textes grecs faites par les Arabes pour qu’au XIIe-XIIIe siècle l’occident latin se réapproprie les démonstrations (p. 216). Lors de ce parcours, on rencontre à de nombreuses reprises la question des antipodiens, ceux qui de l’autre côté de la Terre auraient la tête en bas ! C’était un argument de Lactance (dc.325)) (p. 58) pour refuser la sphéricité, et il est l’exemple souvent cité. Mais il est seul car cet argument est repris par les Pères de l’Église comme St Augustin (dc. 430)) ou Bède (dc.735)) qui ne contestent pas que la Terre soit ronde. Nulle part – excepté dans un texte de Fernando Colomb – on ne trouve la crainte d’avoir à « remonter la mer » pour revenir des Indes occidentales, comme en témoignent trop souvent les souvenirs scolaires de nos contemporains (p.184). Dans la seconde partie, les autrices explorent la création et la persistance de ce mythe d’une conception moyenâgeuse de la Terre plate. Comment au XVIIIe et XIXe se constitue un biais cognitif contre les évidences historiques et comment il perdure jusqu’à aujourd’hui. C’est la faute à Voltaire (p. 151-154) mais pas que. Les États-uniens Washington Irving avec son livre History of the Life and Voyages of Christopher Columbus (1828) et John William Draper (1874) alimentent cette fake-news pour alimenter la thèse d’un conflit éternel Église/science. Michelet pour des motifs tout aussi idéologiques présente l’histoire comme la victoire de « fils de serfs » contre l’élite : les héros de la science s’opposent aux détenteurs des savoirs que sont les docteurs de l’Église, mais aussi aux puissants (p. 221).De nombreuses pages sont consacrées à la construction des mythes qui entourent Christophe Colomb (2). Cette seconde partie se termine par le constat que les manuels scolaires (français) ne sont pas en reste pour colporter cette infox.Les autrices, dans la préface et la conclusion se positionnent clairement dans une perspective pédagogique. Il s’agit de lutter contre une manipulation de l’histoire des sciences, et surtout des consciences, contre une vision pauvrement linéaire et téléologique du développement des civilisations issue du positivisme et d’une certaine idée du progrès (p. 13). On prend ainsi conscience de la différence entre les conceptions médiévales (appartenant au Moyen Âge) et les représentations moyenâgeuses (qualificatif visant à les discréditer) (note 16 p. 293).Les matériaux cités dans le livre, les nombreuses notes ainsi que la bibliographie très détaillée, l’index des personnes citées exhaustif permettent de se servir de ce livre pour construire des démarches en histoire, histoire des sciences, sciences, philosophie… J’en profite pour citer un autre ouvrage qui n’est pas du tout dans le même genre littéraire. Timeline (1999), en français Les prisonniers du temps (Robert Laffont) de Michael Crichton est un roman de science-fiction – un voyage dans le temps vers le Moyen Âge (également en film 2003). L’intention de Crichton est – à travers des descriptions technologiques ou architecturales – de montrer que la science du 14e siècle (en Dordogne) est développée et que le Moyen Âge n’a pas été une période obscure de stagnation. Note de lecture par Jean-Louis CORDONNIERparue dans Dialogue n° 190,« Éduquons-nous à la démocratie ?Éduquons-nous à la démocratie ! », octobre 2023 _______________1- Sylvie Nony a été secrétaire générale du GFEN pendant une dizaine d’années. Elle est actuellement chercheuse en Histoire et philosophie des sciences, rattachée au laboratoire SPHere, UMR 7219, université de Paris.2- On pourra aussi lire « Christophe Colomb » de Michel Baraër in Enseigner l’Histoire autrement, Alain Dalongeville – Michel Huber ed ; Chronique sociale, p. 22-42, 2002 ou « Christophe Colomb sujet bateau », in L’histoire indiscipline nouvelle, chapitre 12, Syros, 1984
L’insertion des jeunes : question de justice ? 30 août 2022 Valérie Pinton coordonné par Michelle Olivier Editions Syllepse, « Nouveaux Regards », Juin 2022 , 168 p. 12 € Lorsqu’on évoque la délinquance juvénile, un certain nombre d’idées reçues circulent. Parmi celles-ci, il en est une qui se perpétue, celle de penser que si un ou une jeune commet des délits, c’est avant tout parce qu’il ou elle traîne dans la rue. Ainsi, la formation ou le travail serait une solution pour l’en sortir. Certes l’insertion peut être un moyen efficace d’éviter la récidive. Mais ce n’est pas si simple que cela. Une grande majorité des jeunes accompagné.es par la Protection judiciaire de la jeunesse sont cabossé.es par la vie et trop souvent laissé.es sur le bord de la route. L’une des missions essentielles des équipes éducatives est de comprendre leur histoire, de les aider à avancer sur leur problématique. Bien souvent, ces jeunes ont été confronté.es à l’échec, freiné.es dans leur insertion par différents facteurs sociologiques, psychologiques ou encore institutionnels qu’il faut pouvoir prendre le temps de décoder. Fragilisé.es dans leur estime de soi, ils et elles trouvent dans la rue, auprès de leurs pairs, des façons d’être valorisé.es autrement. Dans ce contexte, quels sont les leviers actuels leur permettant de reprendre confiance en eux et elles et de sortir de la spirale délinquante dans laquelle cette situation peut parfois les placer ? De quoi parle-t-on lorsqu’on parle d’insertion ? Peut-on «insérer» sous contrainte ? Quelles sont les perspectives susceptibles de répondre à l’enjeu d’éducation et d’émancipation de la jeunesse parmi la plus en difficulté ? Ce livre retrace les grandes lignes d’un colloque organisé à la Bourse du travail de Paris, le 5 et 6 février 2021, par le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat national des personnels de l’Éducation et du social à la PJJ avec le soutien de la FSU, de la LDH et de la FCPE. Parmi les auteurs Françoise Dumont, présidente honorifique de la LDH Joelle Bordet, psychologue, Jean-Jacques Yvorel éducateur, chercheur à l’ENPJJ et au CNRS, Martine Hannoun, responsable de l’Unité éducative d’activités de jour à Levallois-Perret, Eva Sicakyuz, responsable d’unité éducative d’insertion à Paris et membre du SNPES-PJJ/FSU, Carole Sulli, avocat au barreau de Paris et coresponsable de la commission mineure du Syndicat des avocats de France, Anna Michaut, juge des enfants au Tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer, Pascal Diard, professeur d’histoire-géographie, formateur au GFEN avec un chapitre « Que vient faire un mouvement pédagogique à la PJJ ? » Anne-Gaëlle Dartiguepeyrou, éducatrice, Stéphanie Gadret professeure à l’UEAJ de Levallois-Perret, Sylvie Amici, psychologue de l’Education nationale, Florian Borg, avocat au barreau de Lille. Commander
L’enseignement agricole 25 mars 2022 Valérie Pinton Récemment viennent de paraître deux ouvrages sur la rénovation de l’enseignement agricole dont le GFEN fut un des acteurs : Par delà les camarades du mouvement qui sont cités dans ce livre pour leurs pratiques ou leurs écrits : BASSIS H., BASSIS O., CLOT Y., DALONGEVILLE A., DUNY A., GFEN – IHW Dijon – HUBER M., – TRAMOY M., WALLON H., … il est possible de mieux connaître ce qu’a été la participation du GFEN à la rénovation de l’enseignement agricole. Participation peu connue des militants du mouvement. L’invention des idées – Le défi réussi de l’enseignement agricole français Sous la direction de Philippe MAUBANT et Edgar LEBLANC – Champ Social Éditions 2022. De l’hétérogénéité de ses publics et de ses partenaires, l’enseignement agricole a su extraire une force d’action et une ambition politique. Ce livre tente de décrire, d’analyser et de comprendre la singularité de l’enseignement agricole français faite d’audaces, d’inventions et d’innovations. En découvrant les textes, le lecteur pourra constater combien tous les actes posés, tous les fondements des politiques éducatives soulignés et mis en valeur, tous les argumentaires déployés par les différents auteurs du livre soutiennent une seule et même vision de l’enseignement agricole : « faire société ». En effet, « Faire société » n’est pas une reformulation du « vivre ensemble » des années 1980. L’expression « Faire société » souligne la dimension d’unité et de cohésion sociale, voire d’intégration des différences au service du Bien commun. Or, tous les acteurs de l’enseignement agricole, rencontrés dans ce livre, ont souhaité et souhaitent encore, avec fougue et passion, contribuer à rassembler toutes les personnes œuvrant ensemble pour défendre et soutenir une certaine idée de l’éducation, de la formation, de l’agriculture, du monde rural et plus généralement de la société. À l’heure où différentes études soulignent le caractère encore très inégalitaire de l’École française, l’enseignement agricole semble avoir réussi le défi de « faire société » au sens où il est parvenu à rassembler, à fédérer, à unir et à intégrer. De l’hétérogénéité de ses publics et de ses partenaires, l’enseignement agricole a su extraire une force d’action et une ambition politique. Des différences, il a su construire des lieux uniques et singuliers où la seule ambition est celle de concilier formation, travail, insertion, intégration au service d’une éducation émancipatrice et transformatrice des individus et des collectifs. De l’invention des idées, il a su faire œuvre de transgression et de création au service de la transmission et du dépassement des expériences humaines. site éditeur Un institut en appui à l’innovation dans l’enseignement agricole – INRAP (1968/1993) Auteur : Association Mémorap – Educagri Éditions 2020. L’INRAP n’a pas toujours été l’Institut national de recherches archéologiques préventives, avant 1993, l’INRAP était l’Institut national de recherches et d’applications pédagogiques. Il a été créé par le ministère de l’Agriculture, à la fin des années 1960 dans une période d’expansion économique mais aussi de profonds bouleversements sociétaux. L’intitulé de son sigle « recherche et applications pédagogiques » correspond à une certaine conception de la « diffusion du progrès », en plaçant l’Institut à l’interface entre recherche et pratiques. Dans les faits, l’Institut a beaucoup contribué à la formation des personnels del’enseignement technique agricole, tout en recherchant de «nouvelles méthodes pédagogiques propres à développer et à améliorer l’enseignement», et en produisant pour les praticiens et avec eux, des publications et des outils pédagogiques. L’INRAP a été actif de 1968 à 1993, date de sa fusion au sein du nouvel Établissement national d’enseignement supérieur agronomique dijonnais (ENESAD). L’association MEMORAP, constituée d’anciens personnels de l’INRAP, a entrepris depuis 2016 un travail mémoriel pour documenter les archives et publications de l’Institut conservées par AgroSup Dijon dans les locaux de Mediadoc. Son objectif est de faire connaître aux formateurs de l’enseignement général et agricole, les formations, les expérimentations et les recherches conduites par l’INRAP de 1968 à 1993 pour nourrir la réflexion actuelle sur l’appui à l’innovation pédagogique dans l’Enseignement agricole. Ce travail d’histoire et de mémoire donne à comprendre l’identité revendiquée par et pour l’INRAP, comment les chantiers emblématiques lui ont donné forme et comment le fonctionnement collectif lui a donné sens. Ce faisant, il donne un aperçu des fondements objectifs de la « dynamique d’innovation pédagogique » que l’enseignement agricole revendique « comme un élément important de son identité ». site éditeur
Franchir les lignes. Gitans/Payos, même combat. Philippe Fayeton 28 avril 2021 Valérie Pinton Editions Academia-L’Harmattan, décembre 2020 – 157p., 16,50€ C’est à la fois un voyage et une réflexion sur l’altérité auxquels nous invite Philippe Fayeton, architecte et urbaniste, chercheur en politique urbaine et bénévole dans l’accompagnement scolaire de collégiens du quartier bourg de Narbonne. Durant une année, il a accompagné son héros « H* » jeune gitan de vingt ans dans sa quête du « Graal » : savoir lire pour « pouvoir avoir accès aux formulaires de l’administration … pour obtenir un emploi… parce qu’il faut un emploi pour subvenir aux besoins d’une famille ». Parce que « chez les Gitans, à vingt ans il faut se marier et avoir des enfants, pouvoir subvenir aux besoins de la famille donc être reconnu comme « un homme parmi les hommes » », H*prend conscience de son incapacité à déchiffrer et comprendre le sens des documents, de l’obligation systématique de recourir à un tiers pour y accéder. Certes les associations et services d’aide sociale sont nombreuses dans son environnement mais vouloir s’émanciper d’une tutelle omniprésente passe par l’appropriation de compétences de base en lecture et écriture. Un contrat s’établit entre l’auteur et H*, intitulé : « Apprendre à lire et écrire des formulaires » avec l’installation de rencontres régulières en interaction avec les associations et organismes d’aide locaux. L’ouvrage est une transcription du journal de bord de ce projet mis en place par l’auteur. Mais comment se fait-il qu’un jeune homme intelligent ne sache ni lire ni écrire alors que de nationalité française et sédentarisé, il a été soumis à l’obligation scolaire ? De nombreuses absences dont les motifs n’ont pas été vérifiés, une famille trop éloignée des codes de l’école, une administration qui ferme les yeux et des élèves qui ainsi « glissent » d’année en année pour sortir du système à 16 ans en ayant appris peu de choses. Ce constat, beaucoup de bénévoles de l’aide le font mais l’administration scolaire semble détourner pudiquement le regard sur ces populations dont le mode de vie parait à tort ou à raison « étranger ». Et H* est bien à vingt ans un illettré, capable de repérer les lettres mais pas de les associer pour transcrire des sons ni de déchiffrer un texte court. De plus, dans un rapport identitaire au monde H* -s’il veut apprendre à lire et à écrire- semble rejeter tout apport de connaissances non utiles à son projet. Difficile pour l’auteur de trouver un support adapté aux premiers apprentissages de la lecture qui ne soit pas prévu pour de jeunes enfants. Il essaie plusieurs supports : vidéos, fables de la Fontaine, livres d’art… Il accompagne ces séances de lecture d’entretiens pour comprendre les motivations du jeune homme et son rapport au monde, en particulier son rapport au temps qui se traduit par des retards systématiques à tout rendez-vous pourtant fixés en accord avec lui. Dans sa recherche d’un support adapté à la situation, l’auteur propose la lecture du Petit Prince de Saint Exupéry avec ses « phrases plutôt simples, pas longues et surtout des phrases ou des expressions répétées comme dans une comptine ». L’histoire n’accroche pas vraiment le jeune homme mais il veut savoir lire et s’accroche car l’exercice s’accompagne d’échanges systématiques sur les progrès constatés. Ils sont palpables et progressivement H* se met à écrire chez lui, en toute autonomie, quelques lignes sur son cahier même s’il peine à trouver « la lettre correspondant au son prononcé ». Ce sont des phrases retenues d’une chanson, des projets qu’il souhaiterait réaliser… Mais comment faire sortir H* de l’insoutenable ambiguïté de l’aide qui assigne à résidence (soins à domicile, photocopies faites par un médiateur, classement des papiers par un membre de la famille…) et favorise le sentiment de victimisation lorsque le moindre obstacle se présente ? Comment comprendre que tout en s’estimant victime de racisme, la tentation de rejeter la faute sur l’autre – l’immigré – est forte, porteuse de comportements déviants ? Comment saisir cette hiérarchie entre roms, tsiganes et gitans, les gitans s’estimant « supérieurs » alors que la langue qu’ils revendiquent (le calo) est la même ? Que cache cette réponse incontournable de H* : « Chez nous, c’est comme ça ! » ? Pour l’auteur, il y a une culture à explorer pour saisir les freins et les ressorts d’une émancipation individuelle et collective : histoire, organisation familiale et sociale, organisation temporelle et spatiale, rapport au savoir et procédures d’évitement. Dans ce projet, la posture de l’accompagnant ne lâchant rien sur les valeurs qu’il porte -mais sans émettre de jugement sur la personne auprès de laquelle il chemine- devient un point d’ancrage de cette aventure partagée. « Apprendre à lire et écrire des formulaires », c’est aussi comprendre l’environnement dans lequel ces formulaires sont produits, le monde du travail qui est associé avec ses contraintes et ses codes, autant pour l’accompagnateur que pour l’accompagné. Chaque étape du projet permet à chacun de se questionner sur la culture de l’autre, son rapport au monde, sa capacité à respecter l’autre dans ses choix de vie, cette difficulté à imaginer les ressorts d’une décision prise en fonction d’une situation donnée. Toutes les raisons sont bonnes d’esquiver les obstacles mais les échanges permettent la résolution de problèmes pour s’adapter aux situations nouvelles. Prenons les conditions sanitaires du confinement : elles permettent à H* de se familiariser avec le numérique via son téléphone, de se créer une adresse mail et d’écrire des messages. Un pas de plus dans la familiarisation avec l’écrit mais se pose la question de « méthodes pour apprendre » car H* souhaite obtenir le permis de conduire avec l’étape incontournable de l’examen du code de la route et surtout pour s’y inscrire : l’attestation de participation à la Journée Défense et Citoyenneté ! Autant d’épreuves à surmonter lorsqu’il s’agit de franchir les lignes : celle qu’on franchit pour sortir du quartier pour obtenir un extrait d’acte de naissance à la maire du centre-ville, celle qui permet de se présenter seul à la caserne, celle qui transcende la peur de remplir le questionnaire de l’armée mais y réussir en toute autonomie afin d’obtenir le précieux sésame … C’est un voyage au long cours auquel on assiste, alternant avancées et revers tant il semble difficile d’intégrer les codes du monde des payos lorsque les habitudes ont ancré un mode de vie où chaque membre de la famille a si peu d’autonomie que la moindre initiative personnelle représente une gageure, parce que « Chez nous, c’est comme ça ! ». Ce livre – journal de bord de cette aventure – est à la fois empreint d’humanisme et de beaucoup d’humilité. Un récit où l’on découvre qu’aider ce n’est pas « faire à la place de » mais « cheminer à côté de » prêt à apporter les éléments de compréhension des situations rencontrées pour surmonter les obstacles. Une leçon de vie rendue possible par le maillage associatif présent sur le quartier, une première saison durant laquelle le héros a franchi certaines lignes : celle de l’invisibilité sociale dans laquelle il se trouvait, celle de la lecture et l’écriture, celle du monde des adultes chez les gitans même s’il est encore en équilibre sur celle du monde des adultes chez les payos. On aimerait connaître la suite… Jacqueline BONNARD
Comprendre les pratiques et pédagogies différentes, Yves Reuter 15 mars 2021 Valérie Pinton éd. Berger Levault, « Les indispensables », 2021 Yves Reuter nous livre un « petit » livre pour comprendre les pratiques et les pédagogies différentes, « petit » par le format, mais « indispensable » comme l’indique le nom de la collection chez Berger Levrault, dans lequel il est publié. C’est le livre d’un chercheur « impliqué », parce que, estime l’auteur, quand on est chercheur en éducation centré sur les pratiques d’enseignement et d’apprentissage, « il est difficile de ne pas avoir une forme d’engagement, une posture « impliquée » ou, (…) un « horizon praxéologique ». Il nous offre un guide pour mettre en place et analyser des pratiques pédagogiques nouvelles à travers trois temps : analyser des fonctionnements pédagogiques différents, questions de méthode et débats. Chaque chapitre est divisé en sections, subdivisées à leur tour en sous-sections qui proposent une synthèse rapide mais claire et efficace des différentes questions abordées, suivies presque toujours d’une bibliographie, ce qui est bien commode pour le lecteur qui souhaite approfondir une question spécifique. Yves Reuter, à partir de ses travaux sur les écoles de Mons-en-Barœul et de Vitruve (XX° arrondissement de Paris) et sa connaissance des pédagogies différentes, rappelle dans le premier chapitre, les fondamentaux communs aux pédagogies différentes – les apprentissages au cœur de l’école, le postulat d’éducabilité, l’activité du sujet apprenant, la complexité qui caractérise tout autant le processus d’apprentissage que celui d’enseignement – et propose « une vingtaine de principes d’action qui permettent l’opérationnalisation de [ces] principes fondamentaux ». En ce qui concerne l’évaluation (chapitre 2), il dénonce le rôle négatif de la peur sur la mémorisation et les apprentissages et le fait que, dans les évaluations classiques, l’élève, « appréhendé comme un potentiel délinquant scolaire », soit, avant tout « un sujet à surveiller et à corriger ». A l’opposé, il développe, dans le chapitre 3, avec l’exemple de la coopération, l’idée que les pédagogies différentes sont des lieux de ressources. Dans le chapitre 4, il analyse les critiques à l’encontre des recherches qui éablissent les intérêts des pédagogies différentes, caractérisées, pour lui, par la naïveté, l’ignorance ou le mépris, une position qui « tient plus d’une foi en « La Science », sur un modèle quasi religieux, que d’approches scientifiques », qui révèlent que « l’institution et certains chercheurs semblent préférer la résignation et l’inertie à la volonté de changer ce qui ne marche pas », et une certaine indigence propositionnelle basée, principalement sur le « modelage » de l’élève, par le biais de l’enseignement dit explicite, et l’absence de doute. Ces critiques évacuent constamment « les problèmes massifs des démarches pédagogiques « classiques » : échec socialement différencié, décrochage, climat dégradé, ennui, etc. » Il souligne, en outre, que la question de la « plus-value » est demandée à ceux qui pratiquent des démarches différentes mais ne l’est pas aux autres. En ce qui concerne les propositions spécifiques aux pédagogies différentes, une réponse possible pourrait se baser sur la multiplication des garanties de scientificité pour les chercheurs qui travaillent sur les pédagogies alternatives ; une vigilance symétrique quant aux slogans, « plus répétés que construits et mis en débat, de certains thuriféraires des pédagogie différentes » ; la notion de « plus-value » quant à ce qu’apporteraient des démarches différentes à mettre en interrogation dans la mesure où la preuve de cette plus-value n’est pas demandée aux pratiques « classiques » ; ne pas se limiter aux apprentissages disciplinaires considérés comme principaux ; ne pas en rester aux effets chez les élèves, hic et nunc mais prendre aussi en compte leurs trajets ultérieurs. Le chapitre 5 est consacré à un référentiel pour analyser des démarches pédagogiques différentes, conçu comme « un outil de description et d’évaluation afin d’aider les équipes à mieux comprendre leurs points forts et leurs points de fragilité » et dont la première section aborde la question de l’histoire afin de comprendre comment elle « a façonné ce qui existe, au travers des permanences, des évolutions, des crises, etc.. ». C’est l’occasion, pour l’auteur, de rappeler les débuts de l’école Vitruve et « la mise en place en 1962 d’une pédagogie spécifique dans plusieurs écoles de la circonscription par l’inspecteur Robert Gloton, par ailleurs membre du GFEN ». Ce référentiel peut constituer, pour Yves Reuter, « un panorama de vigilances quant aux différents aspects du travail pédagogique », dans un contexte où, qu’on le regrette ou pas, « le changement est à justifier, le statisme peut s’en dispenser ». C’est la question du débat nécessaire qui occupe les deux derniers chapitres (6 et 7) de l’ouvrage. Débat qui porte avant tout sur les critiques à l’encontre des pédagogies différentes concernant les confusions entre activités et apprentissage et sur les implicites et malentendus que ces pédagogies peuvent générer. L’auteur questionne l’idée qu’il pourrait exister des apprentissages qui s’effectueraient en dehors d’activités des élèves ou des pédagogies qui seraient non actives : tout savoir est construit, et il est impossible d’apprendre sans rien faire. En revanche, il s’agit de distinguer des modalités différentes d’activités et de privilégier celles par lesquelles « on essaie de donner aux élèves une maîtrise sur leur existence scolaire, de les associer aux décisions et de les constituer comme acteurs, avec une marge d’autonomie et des projets personnels ». En ce qui concerne la question des implicites et des malentendus, Yves Reuter remet radicalement en cause une idée, malheureusement maintenant trop convenue – « pour quelle raison cela ne toucherait que lesélèves issus de milieux défavorisés, ce qui est rarement étayé au-delà de simples assertions ? » – et dénonce une vulgate, séduisante « en raison de son apparente simplicité » , selon laquelle « nombre de problèmes, voire d’échecs, seraient dus aux implicites de l’enseignement, et dont la solution consisterait à pratiquer ce que d’aucuns appellent une pédagogie explicite ». Parmi les obstacles multiples à dépasser, nous retiendrons particulièrement ceux que l’auteur pensent être générés par certaines formes de militantisme pédagogique : la sous-estimation des variations nécessaires dans la mise en œuvre des principes pédagogiques selon les disciplines ; la privation de certains concepts précieux (« communauté discursive », « conscience disciplinaire », « contrat didactique », « dévolution », etc.) ; une réflexion parfois insuffisante sur les contenus et par voie de conséquences des pistes non explorées dans la compréhension des difficultés des élèves ; l’absence d’utilisation de dispositifs de travail intéressants construits par les didacticiens. « Il s’agit de comprendre les obstacles « internes » pour mieux les surmonter ». Pour autant, l’auteur s’attache également à souligner les transformations de la « forme scolaire », les intérêts de ces transformations et la congruence avec nombre de recherches. Et de conclure que, malgré l’exigence de prudence face à la maltraitance subie par les enseignants et à la dureté de l’imposition qu’ils subissent, il s’agit d’ouvrir des possibles par des démarches et des pratiques différentes : « c’est intéressant, c’est possible, c’est souhaitable. Elles ne peuvent pas tout mais elles peuvent beaucoup » ! Un livre, donc, indispensable pour tout enseignant, a fortiori d’Education nouvelle, parce qu’il permet de s’outiller sur les plans pédagogique et didactique et de (se) réassurer afin de poursuivre sur la voie de la transformation des pratiques, et de répondre également aux critiques de ceux qui préfèrent l’inertie et la résignation. A ce titre, saluons les références que l’auteur fait au GFEN, même si l’on peut regretter que la bibliographie concernant notre mouvement date quelque peu : pas d’ouvrage, ni d’article, après 1979! Mais la chose n’est pas si répandue et nous ne pouvons que nous réjouir de ces rappels. Un livre aussi pour se mettre en vigilance sur les freins à l’extension des pratiques alternatives à l’école dus aux militants pédagogiques eux-mêmes. Maria-Alice MEDIONI 12 mars 2021 Lire aussi : Présentation éditeur Café Pédagogique – 12 février 2021 TOUTEDUC – le 9 mars 2021
Comprendre l’échec scolaire, Stéphane Bonnéry – réédition 26 février 2021 Valérie Pinton Elèves en difficultés et dispositifs pédagogiques La dispute, 2021 (réédition) Le GFEN a contribué à la diffusion du livre de Stéphane Bonnéry à sa parution en 2007. Ce livre va être republié à l’identique, sauf la couverture, d’ici quelques semaines. Il était épuisé depuis 6 ans au moins. Stéphane Bonnéry nous explique pourquoi les choses n’ont pas beaucoup changé et qu’il est toujours utile de sensibiliser les enseignants aux inégalités sociales de réussite scolaire. Nous vous incitons à le lire, le relire, le diffuser car les analyses sont toujours d’actualité. Tout le monde connait Amidou et sa carte de géographie mais l’ouvrage contient bien d’autres situations dont les enseignants peuvent s’emparer dans des collectifs de travail, pour ne pas culpabiliser mais plutôt lutter contre les déterminismes. Pourquoi faire reparaître « Comprendre l’échec scolaire » ? Il y a quatorze ans, paraissait « comprendre l’échec scolaire ». Cet ouvrage s’inscrivait dans la lignée d’un ensemble de travaux, en sciences de l’éducation ou en sociologie, qui essayaient d’expliquer le maintien des inégalités sociales de réussite scolaire malgré l’existence d’objectifs égaux dans la « scolarité unique ». Le choix consistait à entrer dans les salles de classe, à interroger les modalités pédagogiques et la façon dont les élèves se confrontent à celles-ci, quand ils n’ont que l’école pour s’approprier la culture scolaire. Si l’ouvrage reparait, c’est que fondamentalement, la situation n’a pas changé depuis, et que les phénomènes qui posaient problème sont malheureusement toujours d’actualité, voire se sont accrus. La population scolaire française reste très populaire (jusqu’au collège, plus de la moitié des parents déclarés comme référents à l’éducation nationale occupent des emplois d’exécution). L’écart entre les cultures rencontrées par les enfants à la maison et à l’école reste conséquent pour beaucoup d’entre eux. Contrairement à l’idéologie du « handicap socio-culturel » qui fait de ce constat une fatalité dont il faudrait accabler les familles populaires, on peut au contraire considérer que cet écart définit la mission même de l’école. Or, de plus en plus, plutôt que de faire l’école à l’école, on constate une externalisation des missions de celle-ci en direction des familles. Ainsi, les devoirs qui autrefois consistaient à stabiliser ce qui était appris en classe sont de plus en plus envahis par les enjeux de compréhension, ce qui accroit les inégalités. Mais ce qui se joue au sein même de la classe pose toujours centralement question. Les écarts d’apprentissage des élèves selon les origines sociales se sont accrus. Même si l’on accorde un crédit limité aux évaluations PISA[1], il est intéressant de noter qu’entre 2006 et 2015, la proportion d’élèves « performants » (massivement recrutés dans les familles de cadres et des classes supérieures) a augmenté en France, tandis que dans le même temps la proportion des élèves les moins performants, massivement issus des classes populaires, c’est elle aussi accrue[2]. Pour expliquer comment des enseignants et élèves de bonnes volontés co-construisent ces phénomènes malgré eux, le livre reste d’actualité. Le constat selon lequel les enseignants sont soumis à des injonctions variées et contradictoires dans leurs choix pédagogiques (chapitre II) s’est même accentué. C’est le cas entre les incitations à encourager l’autonomie (qui poussent à guider faiblement les élèves et les laisser ne pas apprendre) et celles à « revenir aux basiques », empreintes de comportementalisme et de certaines sciences cognitives, en passe de devenir une « science officielle», ce qui n’a jamais bien fini dans tous les pays où les gouvernants sont allés dans cette direction. Il en va de même pour ce que je pointais, des télescopages entre les modalités pédagogiques : ceux de la maternelle et de l’élémentaire ont colonisé le collège, et inversement, des exigences du secondaire pèsent sur les élèves à un âge de plus en plus précoces pour conceptualiser, formuler soi-même, déduire, inférer[3], produisant des agencements parfois incohérents entre ces logiques. Et, avec la réforme du socle commun de 2006 et l’injonction à enseigner par compétences, la tension est allée croissant, entre la logique d’enseigner à tous, et celle d’inégaliser les objectifs selon les profils sociaux des élèves, derrière l’argument de « différenciation » ou d’« individualisation ». Ces décisions politiques font pression sur les enseignants. De plus, le rôle catalyseur des tensions que jouait l’évaluation s’est exacerbé, le temps de classe consacré à évaluer les élèves ayant nettement pris de l’importance au détriment du temps d’enseignement, qui a été amputé des samedis matins (sous le président Sarkozy) ce qui représente, de la maternelle au CM2, l’équivalent horaire d’une année scolaire. Transmettre dans un temps réduit des choses plus difficiles, à un âge plus précoce, à une population majoritairement éloignée de la culture scolaire, en étant soumis à des injonctions pédagogiques contradictoires : enseigner semble être devenu plus difficile de nos jours. Les logiques politiques et institutionnelles poussent les enseignants à renoncer aux objectifs d’égalité. Ainsi, pas plus que lors de sa première parution, le propos du livre n’est de culpabiliser les enseignants mais de montrer comment au quotidien, sans s’en rendre compte, le contexte d’exercice, les modèles pédagogiques reçus et contradictoires, peuvent conduire à des malentendus socio-cognitifs. Car les observations dans les situations pédagogiques d’aujourd’hui montrent les mêmes incompréhensions que celles décrites dans l’ouvrage et que rencontrent Bassekou, Amidou, Raffik, Niamounga, Vikash ou Jérémy (chapitres I et IV). Ces exemples ayant été relativement diffusés, je me suis toujours attaché à rappeler que la consonance migratoire des prénoms ne doit pas induire en erreur : les enfants d’ambassadeurs et de cadres originaires des mêmes pays, et qui sont scolarisés dans les établissements de la bourgeoisie parisienne, ne rencontrent pas ces malentendus. Les élèves décrits sont avant tout issus des classes laborieuses, dans lesquelles bien sûr la part des familles issues de migrations est allée croissante, mais qui, quelles que soient leur couleur ou leur nom, ont surtout pour caractéristiques de n’avoir quasiment que l’école comme ressource pour s’approprier des savoirs et des formes de pensées inhérentes à la culture écrite, celle qui permet de prendre pouvoir sur la compréhension du monde, et par là, d’agir dessus. Mais justement, quand l’école ne permet pas d’apprendre, renvoie aux élèves la responsabilité d’être auto-entrepreneurs de leur propre progression, et signifie ces difficultés sans y remédier, sans que la famille ne puisse le faire, alors la pression des copains qui ont déjà renoncé a vraiment prise. Ces tensions entre instances de socialisation restent malheureusement toujours d’actualité pour produire des spirales de décrochage (chapitre III et IV). La relégation de certains quartiers, le renoncement politique à leur décloisonnement, pourrait même avoir accru l’emprise des pairs pour les collégiens dont les cercles de socialisation sont les mêmes dans l’établissement scolaire, dans les loisirs et dans le voisinage. Dans les conférences débats qui ont accompagné la sortie de l’ouvrage (plus de 300), j’ai souvent senti combien le décorticage de ces processus conduisant à l’échec pouvait produire des effets contradictoires. La démoralisation quand l’enseignant est seul, sans solutions pour remédier au constat. Ou au contraire la redynamisation, la motivation pour rejeter la caporalisation pédagogique et se mettre en réflexion sur ses propres pratiques. C’est évidemment à cette dernière perspective que la reparution de l’ouvrage veut contribuer. Il doit ainsi sa large diffusion aux mouvements pédagogiques, aux syndicats enseignants et parents d’élèves qui y ont vu une occasion de travailler à transformer l’école, à contre-courant de l’air du temps anti-égalitaire et des prescriptions autoritaires. Ces analyses, redevable à l’équipe ESCOL et au réseau RESEIDA dans lesquels j’ai suivi ma formation doctorale, ont ensuite été prolongés dans ces collectifs, et en échangeant avec d’autres laboratoires où se sont développés de tels travaux, qui essaient d’articuler l’analyse des enjeux sociaux des scolarités, l’étude de la transformation des contenus, celle des modalités pédagogiques, de leur appropriation par les enseignants comme la confrontation des élèves à ces situations pédagogiques selon leurs caractéristiques sociales. La recherche en éducation, si malmenée et méprisée, continue à avancer pour comprendre les processus inégalitaires et inviter les pratiques à s’en inspirer pour y remédier. Stéphane BONNERY – le 09.02.2021 [1] En ce qu’elles mesurent des choses non enseignées, et parce qu’elles évaluent des compétences dont il a été montré qu’elles peuvent être considérées comme présentes ou non chez un même élève selon la formulation des tâches, ce qui contredit totalement le postulat de PISA de l’existence de compétences stables et mesurables… Ces aspects ont été développés dans le dernier chapitre de : Stéphane Bonnéry (dir.) Supports pédagogiques et inégalités scolaires. Paris, La Dispute, 2015. [2] PISA 2015. Les défis du système éducatif français et les bonnes pratiques internationales. OCDE, 2016. On peut d’ailleurs faire l’hypothèse que ce constat s’explique sans doute en partie du fait de l’influence et des préconisations de soi-disant « bonnes pratiques » de PISA… notamment l’individualisation pédagogique. [3] Dans le cadre d’un ouvrage collectif de l’équipe CIRCEFT-ESCOL, nous avons depuis précisé le rôle des supports pédagogiques dans ces changements : Stéphane Bonnéry, Supports pédagogiques et inégalités scolaires, déjà cité.
Les gestes professionnels dans la classe, Dominique Bucheton 11 novembre 2020 Valérie Pinton Ethique et pratiques pour les temps qui viennent Editions ESF, 2020 Un métier en crise, face aux enjeux actuels La crise sanitaire a été l’occasion d’une prise de conscience pour bien des parents : enseigner est un métier. Métier actuellement malmené, nous rappelle Dominique Bucheton, de plus en plus sous contrôle et instrumentalisé au service de la sélection, masquée sous un discours officiel lénifiant. La référence au mérite personnel et à l’excellence, l’élitisme et la compétition se substituent de fait à la visée de démocratisation de l’école, principes aux antipodes des valeurs de la République. Le creusement des inégalités, la concurrence des nouvelles technologies, les défis sociaux et climatiques actuels contribuent à déstabiliser la façon ancienne de penser le métier, mettant les professionnels à l’épreuve. La faible reconnaissance sociale, le statut précaire des nouveaux arrivants et une formation jugée indigente et inadaptée alimentent la crise des vocations : enseigner ne fait plus rêver. L’actualité y superpose une gouvernance managériale autoritaire qui heurte la profession. L’ouvrage interroge les visées mais aussi le cœur du métier, réduit à l’acte de simple transmission, dans un appauvrissement techniciste des contenus comme des modalités d’enseignement qui est préjudiciable à l’émancipation intellectuelle. A quoi formons-nous les élèves ? Quelle ambition peut on/doit-on soutenir ? Dominique Bucheton rappelle que l’école a la responsabilité de préparer les nouvelles générations à la compréhension du monde et à la conscience des enjeux contemporains, tout en développant leur pouvoir de contribuer de façon lucide et critique au devenir commun. Les composantes de l’agir enseignant « Développer le pouvoir et la liberté de penser des élèves pour assurer leur avenir et celui de la planète» (p.41), cela nécessite de s’interroger sur la nature des savoirs à enseigner mais aussi sur les modalités les plus à même d’y faire accéder l’ensemble des élèves. Susciter l’intérêt, convoquer la pluralité des expériences, amener à se questionner, mettre les points de vue en débat, réguler l’activité pour que chacun reste dans le jeu, y chemine et y progresse dans une atmosphère sécurisante propice à la prise de risque et au dépassement : pour identifier les composantes de ce qui fait l’essence du métier, Dominique Bucheton avance le modèle du multiagenda, fruit de recherches successives dont elle restitue la teneur et les principales conclusions. Où l’agir enseignant se révèle fait d’ajustements incessants devant composer avec la singularité du groupe classe et la diversité des interventions, dans une préoccupation croisant attention au contenu et souci de l’engagement conjoint des élèves, sur fond d’arrière-plan professionnel collectivement sédimenté et personnellement actualisé, en lien avec la communauté d’exercice. A la diversité des postures des enseignants répondent en écho les postures des élèves, de façon plus ou moins heureuse, « ajustements délétères ou efficients » (p. 127) sur lesquels l’auteure s’arrête, en éclairant son propos par des exemples. Occasion d’interroger consensus et doxas constitutifs d’habitudes professionnelles, impensés collectifs qui figent les pratiques (ainsi en matière d’écriture…), condamnant à la répétition du geste d’enseignement et à la stagnation des progrès des élèves. Mais comprendre l’agir enseignant nécessite de saisir ce qui, au-delà, influe sur leurs conduites, notamment les « logiques profondes d’ordre psychanalytique, sociologique mais aussi culturel, idéologique et politique » (p. 153), logiques concernant tout autant les élèves, rappelant qu’enseigner n’est jamais neutre. Où se croisent et s’entremêlent le rapport à l’autorité, le fatalisme social, le regard sur la « capabilité » des élèves et le sens donné au métier, références singulières historiquement constituées et usuellement peu interrogées dans la préparation au métier. Prospective pour l’avenir L’ensemble plaide pour un métier à défendre et à réinventer, en phase avec les enjeux de notre époque. Appelant à développer la vigilance critique et à exercer la liberté pédagogique, l’auteure propose des principes éthiques pour le métier enseignant, articulés à un projet politique pour l’école. Ce qui doit s’incarner – outre les moyens en postes et personnels – par une formation repensée. L’ouvrage de Dominique Bucheton arrive à point nommé, pour mettre la recherche d’une vie au service d’un changement de politique scolaire « cohérente et démocratique ». Son contenu et ses propositions font écho à nos préoccupations, dans un déploiement didactique très étayé. Nous nous retrouvons notamment, au-delà des aspects structurels et des moyens nécessaires, sur la centralité de la formation. Plaider pour le haut niveau, nous ne saurions être contre. Mais encore faut-il en définir la teneur : l’élévation du niveau de recrutement des enseignants n’a jusqu’alors pas fait la preuve de sa pertinence pour enrayer les logiques de disqualification des élèves, la masterisation non plus… C’est bien dans une professionnalité entendue et travaillée dans la pluralité de ses composantes – ici exposées – interrogeant au-delà du didactique qu’il nous faut poursuivre l’exploration des voies d’un réel changement. Jacques BERNARDIN
L’éducation aux temps du coronavirus, Stéphane Bonnery et Etienne Douat 10 novembre 2020 Valérie Pinton sous la direction de Stéphane Bonnery et Etienne Douat La Dispute, 2020 « Il faut essayer de rester solide car sinon on devient fou »[1] Rester solide ? Vaste programme en ces temps troublés ! Et pourtant cette période interroge, des chantiers de recherche se dessinent : ce leitmotiv revient à plusieurs reprises et fait tout l’intérêt de cet ouvrage écrit à plusieurs voix. Des chercheurs en sociologie et en sciences de l’éducation ont réussi en effet à dépasser l’instant de sidération des débuts du confinement. Comment ? En interrogeant différents acteurs de l’éducation, déconstruisant ainsi les discours gouvernementaux et médiatiques sur cette suspecte « continuité pédagogique », proposant enfin des pistes pour de futures recherches. Les paroles et témoignages recueillis sont d’autant plus frappants qu’elles disent et qu’ils tracent des chemins de compréhension dans des lieux, autour de métiers qui ont rarement les honneurs des commentaires « autorisés » des médias. Voici donc les CPE qui, ne pouvant exercer leur métier de proximité avec les jeunes élèves, se retrouvent bombardés « urgentistes invisibles » de la continuité pédagogique, sans consignes bien précises parce qu’oublié.es des injonctions officielles, obligé.es de se débrouiller pour épauler des enseignant.es. Car quoi faire d’autre quand son cœur de métier est tout bonnement nié par la mise à distance des élèves ? Voici les collègues de l’enseignement professionnel, dont les spécificités d’exercice du métier sont loin d’être reconnues, alors que les métiers auxquels elles forment et ils préparent ont été essentiels à la vie quotidienne sous confinement. Combien ont alors pu constater à quel point « l’expérience scolaire ordinaire des élèves s’est, de fait, trouvée profondément déstabilisée par la virtualisation des apprentissages »[2] ? Voici les étudiant.es des quartiers populaires qui, ne pouvant plus occuper les espaces universitaires nécessaires à la poursuite de leurs études (bibliothèque, amphis, salles de TD), ne pouvant plus compter sur « les moments de l’expérience pédagogique (les échanges, les débats, les explications, etc., qui permettent de comprendre et s’exercer à la pensée) »[3], se découragent devant un savoir devenu abstrait à force de distance, s’interrogent sur le sens de leurs études et ne sont pas loin de l’abandon pour certain.es, les difficultés financières en ajoutant une couche. Voici enfin les parents qui ont du subir la « scolarisation de l’espace familial au quotidien »[4], avec son lot d’inégales conditions matérielles, ses effets de « surinvestissement scolaire », d’aggravations des difficultés en matière de suivi de la scolarité des enfants, et qui se retrouvent « sous le regard des enseignants », non sans gêne. Même si, au fil des conversations téléphoniques, des malentendus ont pu être levés, augurant de possibles relations plus compréhensives entre école et famille. Au final, pourquoi ouvrir de tels chantiers de recherche ? Comme Stéphane Bonnery et Etienne Douat le disent en conclusion[5] : pour « comprendre le bouleversement des scolarités à venir » et à propos, par exemple, de l’externalisation du sport et des arts du temps scolaire, « élucider s’il s’agit d’un changement mineur, d’une disparition tendancielle ou d’une redéfinition profonde de la scolarité unique». Autrement dit, il est question de la manière de penser ce temps du confinement : « moment exceptionnel qui s’est refermé après lui » ou « accélérateur des logiques déjà engagées qui vont tramer les réformes à venir » ? Les réponses sont loin d’être évidentes, même si nous sommes d’accord sur le constat de départ, à savoir que cette « crise sanitaire est aussi une crise du capitalisme », qui n’est pas qu’un « problème médical [mais] aussi un problème économique, écologique et politique »[6] Pascal DIARD [1] Elie, directeur expérimenté d’une école de vingt classes en REP+ [2] p. 94 [3] p. 124 [4] Titre de la contribution de Daniel Thin (p. 39 à 53) [5] « Chantiers … », p.147 à 159 [6] p. 16
Les « incasables » ne sont pas des incapables, au contraire ! 23 septembre 2020 Valérie Pinton Les Incasables Rachid Zerrouki Ed. Robert Laffont, 2020 Dans son ouvrage, Les incasables, Rachid Zerrouki nous invite à parcourir une expérience d’enseignant en SEGPA de 2016 à 2019. Il nous invite à les rencontrer, ses élèves et lui. Et cette invitation au voyage en scolarité vaut beaucoup plus que les discours-clichés sur, pêle-mêle, les déterminations sociales qui conduisent à l’impuissance d’agir et d’apprendre, la démission des enseignant.es devant les difficultés de leurs élèves, l’impossibilité d’ouvrir des possibles et de comprendre ce qui se joue dans la tête des élèves quand ils « décrochent », la crise de l’autorité ou autre analyse à l’emporte-pièce mettant dans un même sac toutes les diversités contenues dans nos classes. Or, la SEGPA est un univers particulier (et déjà les contradictions se disent dans cette expression ; quand le particulier se présente sous la forme d’un univers, pouvons-nous tirer de cette singularité des généralités ?) : elle occupe un espace à part dans le collège, elle a une histoire institutionnelle bien à elle, et elle est perçue, vécue et ressentie comme telle par les élèves … et les enseignant.es. Le premier mérite de Rachid Zerrouki ? Ne pas faire de cette spécificité un enfermement dans des certitudes aliénantes, mais au contraire, de s’y appuyer pour penser en quoi cette situation peut être dépassée, en quoi elle interroge l’ensemble de l’école publique, en quoi elle oblige les constructions pédagogiques à ne pas s’engluer dans des évidences. Car Rachid Zerrouki ne cesse de s’interroger : sur l’apport de son histoire personnelle dans son rapport aux élèves, ces « gamins du fond de la classe » que Patrick, son chef d’équipe du centre de manutention où il travaille pour payer ses études, lui demande de ne pas oublier ; sur sa part de convictions politiques et éthiques qu’un membre du jury de l’ESPE questionne, laissant entendre que cela n’aide pas à enseigner ; sur ses lectures nombreuses en pédagogie, en sociologie, en psychologie qui l’aident à comprendre et qui, parfois, ne répondent pas aux questionnements que sa pratique de prof de SEGPA engendre. Car, en effet, Rachid Zerrouki ne cesse de chercher à comprendre ce que ses élèves peuvent bien receler d’obstacles divers aux apprentissages (et beaucoup d’auteurs cités nous sont familiers : Vygotski, Rancière, Freinet, Meirieu, Lahire, Freire, Bonnery, Pennac, Bourdieu, etc.). C’est cette mise en question permanente qui nous invite à discuter, à confronter cette expérience à la nôtre, à trouver dans les questionnements de ce jeune enseignant des pistes pour confirmer et/ou enrichir nos pratiques d’éducation nouvelle (exemple : « La différenciation ne doit pas céder à l’individualisation » p 247). Voilà bien un témoignage qui trouve votre lecteur actif ! Et puis, parfois il désespère, parfois il reprend espoir. Et puis, dans des moments pas toujours prévus, une grande lumière s’allume qui justifie, selon lui, le fait de ne jamais abandonner. Parmi les passages que je vous incite à lire, outre le chapitre « On peut mettre Nina Simone ? » (p 199 et suiv.), celui-ci, tiré du chapitre « Antigone et reprendre espoir », fait écho à notre pari du « Tous capables ! » : « J’ai entamé la séquence en disant à mes élèves qu’on allait travailler sur quelque chose de difficile mais que j’avais confiance en eux pour ne rien lâcher. On a étudié de véritables extraits de la version de Jean Anouilh, et même de celle de Sophocle. C’était effectivement difficile, mais j’ai senti chez beaucoup de mes élèves une forme de ténacité que je croyais perdue. Leur expliquer que même les classes générales n’étudiaient pas cette œuvre au collège avait engendré chez eux une envie de dépassement de soi. Il y a quelque chose du « vous allez voir ce dont je suis capable » dans leur regard. Antigone est leur victoire, leur insurrection par la littérature, leur revanche sur les moqueries et les humiliations, les livres qu’ils n’ont jamais lus et l’université qu’ils ne verront jamais. L’envie de montrer qu’ils ne sont pas si bêtes que les petites frappes qui leur manquent de respect a comme par magie étendu leur zone proximale de développement, et, au bout de la septième semaine, même si personne n’a saisi l’œuvre dans sa globalité et sa complexité, tous en ont compris quelque chose. » (p 257) Preuve en est la réplique que « Selma la Star » (une élève qui s’est présentée ainsi) balance devant toute la classe, en hurlant alors qu’elle hésitait encore à le dire quelques instants auparavant : « Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur, avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte ! On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent, et cette petite chance tous les jours, si on n’est pas trop exigeant, moi, je veux tout tout et tout de suite, et que ce soit entier ou je refuse ! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d’un petit morceau si j’ai été bien sage. Je veux être sûre de tout aujourd’hui et que cela soit aussi beau que quand j’étais petite ou mourir ! » (p 260) On vous l’avait bien dit, les « incasables » ne sont pas des incapables ! Peut-être peuvent-elles et peuvent-ils devenir celles et ceux qui, en ne cessant de nous interroger sur nos pratiques, nous obligeront à concevoir autrement le rapport à l’éducation, le rapport à l’école, les rapports sociaux en général ? Pascal DIARD
« Éducation ou barbarie » de Bernard Charlot 31 mars 2020 Valérie Pinton Pour une anthropo-pédagogie contemporaine Bernard Charlot édité par Economica, Anthropos, février 2020, 336p. 29 € Il n’y a pas de pédagogie « contemporaine », anthropologiquement fondée, qui serait l’équivalent de ce que furent les pédagogies « traditionnelles » ou « nouvelles ». Celles-ci proposaient un type d’homme à éduquer. Aujourd’hui, l’objectif est : un bon métier plus tard, une meilleure position dans les classifications internationales. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de nouveaux discours. Mais les recherches scientifiques sérieuses servent d’alibi à un neurocharlatanisme envahissant, la cyberculture promet l’intelligence collective et nous livre fakenews et cyberbullying et le transhumanisme annonce, avec une jubilation suicidaire, la fin proche de Sapiens. Pendant ce temps, chacun survit comme il peut avec ses enfants ou ses élèves et les logiques de performance et de concurrence dévorent notre monde. Ce livre est porté par l’idée qu’il faut réintroduire la question de l’homme dans le débat sur l’éducation. Mais comment penser l’homme ? Bernard Charlot pose la question à des auteurs modernes et contemporains, en particulier Gehlen, Heidegger, Arendt, Patocka, Sloterdijk, Descola, Schaeffer, et il interroge la paléoanthropologie, qui étudie scientifiquement comment sont advenues ces diverses espèces humaines dont nous, Sapiens, sommes l’ultime forme. Cet appel à une anthropo-pédagogie contemporaine est une contribution importante au débat sur l’avenir de notre monde, de notre espèce, de notre planète. Éducation ou barbarie… * * * Bernard CHARLOT, Professeur émérite de sciences de l’éducation de l’Université Paris 8, est actuellement Professeur invité à l’Université Fédérale de Sergipe, au Brésil. Il est internationalement reconnu pour ses recherches et publications sur le rapport des jeunes à l’école et au savoir. en savoir plus et commander
Les langues-cultures moteurs de démocratie et de développement 2 mars 2020 Valérie Pinton Martine Boudet (coordination) Le Croquant, juin 2019, 278 pages, papier : 20 €, électronique : 16 € Ce livre cherche à penser les langues et les cultures dans un monde traversé par la mondialisation néo-libérale, et en même temps par des aspirations enracinées dans le local. Dans une perspective qui se veut optimiste malgré les obstacles, cet ouvrage interroge le rapport entre les identités culturelles et linguistiques, et un système démocratique où chaque peuple et chacun devrait voir sa place reconnue. Lire la recension de Jean-Louis Cordonnier sur le site Questions de Classe(s)
Gaston Bachelard, l’inattendu – Les chemins d’une volonté, Jean-Michel Wavelet 13 février 2020 Valérie Pinton Paris, L’Harmattan, 2019 Présentation par l’auteur L’itinéraire du penseur est en effet une véritable énigme. Son parcours est aussi sinueux que romanesque. Gaston Bachelard est né de milieu modeste. Fils d’un cordonnier de Bar-sur-Aube, il a quitté l’école après l’obtention du baccalauréat pour travailler 60 heures par semaine comme surnuméraire des postes à Remiremont. En dépit de conditions de vie éprouvantes, il se forme par lui-même et obtient une licence de mathématiques et de physique. La veille de la guerre 14, il échoue de peu au concours d’ingénieur des télégraphes et des téléphones. 39 mois de tranchée le détournent de cette voie de bâtisseur pour le conduire à débuter à trente-cinq ans une carrière d’enseignant. Il devint professeur auxiliaire au collège de Bar-sur-Aube, tout en élevant seul sa fille après le décès de sa jeune femme et de ses parents. C’est à 38 ans qu’àla tête d’une famille monoparentale, il commence une carrière de penseur hors-norme, bouleversant aussi bien la pédagogie, l’art, la poésie que l’histoire des sciences et l’épistémologie. Ce qui étonnant c’est qu’un parcours aussi complexe qu’original, aussi riche que tardif, a pu conférer à sa pensée une dimension si singulière. Trois éléments ont guidé mes choix et fondent une nouvelle lecture de sa vie et de son œuvre : 1. L’oeuvre produite s’inscrit dans un parcours de vie accidenté qui contribue en retour à son originalité. Le parcours de Bachelard est hors-norme, sa pensée est inclassable. Il comporte de multiples obstacles et détours qui l’incitent à forger la notion de formation tout au long de la vie, Bachelard fut aussi l’un des premiers à incarner l’idéal républicain. Né deux après les lois Ferry, fils de petit cordonnier et natif de Bar-sur-Aube, il dut travailler à la poste de Remiremont pour étudier, inversant par la force d’une volonté aiguisée à l’école, les déterminismes sociaux. De nombreux biographes, coutumier des lignes droites et des privilèges sociaux, n’insistent guère sur ce passage obligé qu’ils jugent accidentel. Et pourtant c’est l’expérience première de Remiremont qui a conduit Bachelard à forger sa pensée. C’est celle-ci qui l’a amené jusqu’en Sorbonne. Il n’a cessé la pratique télégraphique qu’au bout de seize années, à l’âge de trente-cinq ans et y a consacré toute sa jeunesse. Quelque chose de fort s’est joué dans ce monde alors prestigieux et aux contraintes techniques exigeantes. Avant le désir de philosophie, il y eut la tentation technologique en vertu de laquelle on ne s’instruit que de ce que l’on construit. Loin d’être accidentelle, cette expérience s’inscrit dans la continuité d’une histoire et se révèle déterminante dans la construction d’une pensée aussi originale que dynamique. 2. Bachelard qui a débuté sa carrière d’enseignant à 35 ans dans le petit collège de Bar-sur-Aube, en qualité de contractuel en physique et chimie, à l’issue de trente-neuf mois de tranchée et d’un parcours héroïque de cavalier télégraphiste, est l’un des rares penseurs à avoir élevé seul sa fille, tout en enseignant. Ses ouvrages comportent de nombreuses et fines observations de la petite enfance et des processus d’apprentissage des adolescents confrontées aux écrits d’Henri Wallon, de Maria Montessori et de Françoise Dolto. Fait exceptionnel et inaperçu des biographes usuels, il a construit sa carrière en fonction de ses priorités parentales et non de son ambition personnelle. Dans les années 20 et 30, il a voulu faire de sa fille une savante mettant en question par la pratique les stéréotypes de genre. Suzanne Bachelard est devenue mathématicienne et philosophe, ainsi que la première femme à devenir directrice de l’Institut d’histoire des sciences et des techniques à Paris. Il lira Simone de Beauvoir et s’interrogera sur la prééminence grammaticale du masculin sur le féminin qu’il jugera bien avant l’heure inacceptable. 3. Penseur tardif et riches d’expériences de vie, il a produit une œuvre aussi décapante que singulière, bouleversant les frontières entre les disciplines, revisitant aussi bien la pédagogie, l’art, la poésie que l’histoire des sciences et l’épistémologie. Mais il y a plus. Bachelard a construit une éthique qui le conduit à s’interroger sur l’usage des connaissances (en particulier de la physique nucléaire), à dénoncer la pollution industrielle, à mettre en question une hiérarchie entre celui qui sait et celui qui fait, à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes et à se scandaliser de la fabrique de la misère. Au moment où l’Abbé Pierre fonde son mouvement en faveur des sans-abris, Bachelard fait du rêve d’habiter une maison, un besoin universel. Lire aussi le recension de Claude Lelièvre sur le site de Philippe Meirieu
La différenciation sociale des enfants. Enquêter « sur » et « dans » les familles. Séverine Depoilly et Séverine Kakpo (dir.) 30 août 2019 Valérie Pinton Presses Universitaires de Vincennes, Université Paris 8 Saint-Denis, 2019 Comment se construisent les dispositions sociales des enfants lors de la prime socialisation, au sein de la famille ? Quels éléments concrets, tangibles pourraient expliquer les trajectoires singulières et les mécanismes de production des inégalités scolaires et sociales ? Issu de journées d’études qui se sont tenues en mars 2015 sur ce thème[1], l’ouvrage rend compte des problématiques et méthodes propres à servir une « sociologie génétique » (Bourdieu) remontant le fil de la socialisation, à identifier les « processus par lesquels l’enfant intériorise, synthétise les différentes influences auxquelles il se trouve exposé » (Bernstein). La première partie (« Débats ») s’attache à croiser les approches théoriques de la transmission du capital culturel, de la formation de l’habitus. Si celui-ci est le « produit d’un apprentissage précoce, régulier et sur le long terme, au principe de l’acquisition de schèmes d’action et de pensée durables et transférables, qui prennent valeur d’automatismes », cela ne suffit pas à saisir la complexité des mécanismes qui y concourent et à penser l’activité propre de l’enfant. En effet, la transmission n’est ni mécanique ni automatique. Dans un même milieu, l’héritage peut être «raté » ou « réussi », en fonction du cadre et des modalités des relations sociales (Lahire, 1995)[2]. Il faut donc prendre en compte la pluralité des influences socialisatrices, au sein de la famille (les parents peuvent avoir des points de vue différents, les frères et sœurs également) mais aussi en dehors de la famille (groupe de pairs, médias, école, autres institutions). Dans ce jeu d’influences multiples – qui peuvent se combiner, se juxtaposer ou se contredire – l’enfant partenaire agit et réagit, il sollicite, emprunte ou rejette, donne sens aux situations et est amené à faire des choix, il est donc à considérer comme acteur du processus de socialisation. La seconde partie (« méthodes ») s’attache aux moyens d’investigation de ces recherches « sur » et «dans » les familles. C’est un défi méthodologique à plusieurs titres. En effet, l’objet lui-même – le processus de construction de dispositions – ne se donne pas directement à saisir. Le terrain est celui de l’intime : il appelle donc à beaucoup de précautions, d’une part pour y avoir accès, d’autre part pour parer aux réponses convenues et pouvoir accéder au cœur des choses, ce qui exige une certaine temporalité propre à la mise en confiance réciproque et à la possibilité d’identifier des récurrences significatives dans les situations, les propos et les conduites. Quels outils sont pertinents pour saisir dans un relatif court terme ce qui opère sur le long terme ? Enquêtes, immersion in situ, entretiens auprès des parents et/ou auprès des enfants, observations expérimentales : tout dépend de l’objet étudié. Ensuite, reste entière la question du traitement des données. Ces investigations peuvent être croisées avec des enquêtes statistiques. Cette partie, où sont moins exposés les résultats que la « cuisine » de la recherche, dévoile les coulisses du raisonnement méthodologique. Rendu visible, il peut ainsi être soumis à l’interrogation critique. La troisième partie (« Enquêtes ») prolonge et alimente les débats théoriques et méthodologiques précédents en les illustrant par des éléments significatifs de résultats de recherches récentes ayant exploré la socialisation familiale en lien avec d’autres sphères de socialisation (l’école, le centre de loisirs) : comment se construisent les dispositions à exploiter précocement les « pouvoirs de l’écrit » ? Comment l’école prend-elle en compte les pratiques d’alphabétisation précoce réalisées par les parents ? Quelle place est faite au rôle de « passeurs culturels » que jouent – sans toujours en avoir conscience – les aînés ? Les pratiques ludiques enfantines, qui s’avèrent socialement différenciées, sont-elles également reconnues et valorisées par les personnels éducatifs des centres de loisirs ? Repenser la genèse de l’habitus Mettant en dialogue différentes approches pour mieux en discuter les apports et les limites, les contributeurs aident à repositionner leur champ propre. Ainsi, Régine Sirota revient sur l’émergence, dans les années 90, de la sociologie de l’enfance, qui s’affirme contre l’idée d’une sociologie déterminante et déterministe, en considérant l’enfant comme acteur du processus de socialisation. Et ce, d’autant plus dans le monde contemporain où la transmission intergénérationnelle est brouillée par la profusion des médias et des influences, avec un rôle accru du groupe de pairs, et parfois même un renversement d’expertise eu égard aux nouvelles technologies. On parle désormais d’« éducation buissonnière », qui se caractérise par l’éclectisme et la privatisation des pratiques, dont une large part est désormais possible en restant dans sa chambre, face aux écrans. Bertrand Geay revient quant à lui sur le partage de territoires qui s’est opéré historiquement, depuis Durkheim, entre sociologie et psychologie. La sociologie a eu besoin de cerner son territoire, en appréhendant la socialisation « à partir de la structure sociale, de ses propriétés historiques et des conditions dans lesquelles la société organise la transmission de la culture aux nouvelles générations », laissant à la psychologie « l’étude des mécanismes proprement biologiques ou psychiques qui concourent à produire des êtres socialisés ». Différences épistémologique légitimes, mais qui sont interrogées dès lors que l’on se pose la question d’explorer la genèse des dispositions. La sociologie classique met en avant le poids de la structure sociale et son empreinte, négligeant le rôle actif – précoce et durable – de l’enfant dans le processus de socialisation, rôle exploré par la sociologie de l’enfance. La psychologie cognitive, dominante, peine quant à elle à rendre compte de la variabilité sociale du développement. Or, les recherches récentes en épigénétique ou en neurosciences insistent sur le poids des interactions sociales précoces, aux modalités variables selon les univers culturels. C’est pourquoi un dialogue privilégié avec la psychologie culturelle s’impose, rompant avec une conception asociale et a-historique du développement. Jean-Yves Rochex reprend la balle au bond. Se démarquant autant d’une conception « verticaliste » de la socialisation (comme simple empreinte du milieu) que d’une conception « horizontaliste » (n’insistant que sur l’agency, la capacité d’agir de l’enfant), il invite la psychologie et la sociologie à sortir de leurs rapports d’exclusion réciproque, plaidant la fécondité de la « psychologie culturelle » (ou historique) développée notamment par Vygotski, Wallon et Bruner. Ceux-ci insistent sur la genèse sociale du psychisme, s’opérant par la « double médiation des objets et des traits de la culture propres à une formation et/ou à un groupe social(e) donné(e), et des personnes qui composent ce groupe et des rapports sociaux dans lesquels elles s’inscrivent ». Ainsi, les acquisitions et dispositions prennent «forme et contenu à partir de l’action de ce milieu, toujours historiquement et socialement situé ». Le psychisme est donc inséparable « des contextes matériels, sémiotiques, langagiers et pratiques dans lesquels il se réalise (au sens fort du terme) ». Ce psychisme ne serait-il pour autant qu’un « pli du social », une forme incorporée des actions, interactions et influences du/des milieu(x) à son égard ?[3] Bernard Lahire soutient l’idée d’une hétérogénéité constitutive du sujet, d’un « homme pluriel »[4] constitué au gré des interactions au sein de divers milieux et activant, selon les contextes et les situations, les dispositions ad hoc jusqu’à souhaiter un cloisonnement, une ignorance mutuelle, un « dédoublement pacifique » entre école et famille à même de faciliter la réussite scolaire en milieux populaires, dans une sorte de « schizophrénie heureuse »[5]. Sur la base de ses travaux, Jean-Yves Rochex engage une controverse sur ce point[6], insistant sur les discordances et les épreuves auxquelles l’individu doit cependant faire face, imposant « un travail sur soi » et des dépassements. Il défend ainsi l’idée – au-delà de l’accord sur la pluralité des modes de détermination – d’ « unité intégrative » du psychisme : « unité hétérogène donc, constituée de composantes internes et de traits différenciés mais interdépendants, dont les rapports et contradictions sont sources de développement du sujet ». Eclairer l’action… Au total, cet ouvrage à l’argumentation exigeante et très étayée théoriquement constitue une belle contribution à la connaissance de ce qui s’opère usuellement dans la clandestinité socio-familiale. Si l’ouvrage parle à un public averti, les acteurs de l’école peuvent trouver dans la connaissance de ces travaux de quoi échapper à des conceptions déterministes, qu’elles soient nativistes ou sociologistes, mais aussi de quoi repenser et dynamiser leur action. Certes, les conditions de vie, dégradées pour nombre de familles, pèsent sur la façon dont les enfants sont initiés à la réalité. Toutefois à même milieu les pratiques sont diverses, les acteurs multiples et bien d’autres instances participent aujourd’hui à leur socialisation. Si cette pluralité des milieux et des acteurs qui y interagissent est avérée, on pourrait craindre les effets induits par leurs différences. Il est stimulant de penser que celles-ci voire les contradictions dont elles sont porteuses, loin d’être un obstacle, peuvent être au contraire facteur de développement. Les recherches exposées dans la dernière partie de l’ouvrage constituent des ressources pour les professionnels de l’école, permettant de comprendre la raison des attitudes et manières de faire des élèves en classe (invalidant la naturalisation des différences), éclairant sur la diversité des façons qu’ont les parents d’initier les enfants à l’écrit ou bien encore sur la part que prennent les aînés dans l’initiation à la scolarité. Elles invitent l’école à reconnaître et à prendre en compte ce déjà-là opératoire, ce qui contribuerait au sentiment de continuité et de rebond d’une expérience et d’un milieu à l’autre (y compris en assumant les ruptures de points de vue), au bénéfice de la dynamique développementale. Jacques BERNARDIN [1] « La construction des dispositions sociales durant l’enfance. Enquêter dans et sur les familles ». Journées d’études organisées par l’équipe CIRCEFT-ESCOL, avec le soutien du Réseau thématique « Éducation et formation » de l’Association française de sociologie. [2] Bernard Lahire, Tableaux de familles. Heurs et malheurs scolaires en milieux populaires. Hautes études Gallimard, / Le Seuil, 1995 [3] Bernard Lahire, Dans les plis singuliers du social. Individus, institutions, socialisations, La Découverte, 2013. [4] Bernard Lahire, L’Homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, 1998. [5] Bernard Lahire, « La réussite scolaire en milieux populaires ou les conditions sociales d’une schizophrénie heureuse », Ville-École-Intégration, n° 114, 1998. [6] Jean-Yves Rochex, Le Sens de l’expérience scolaire. Entre activité et subjectivité, PUF, 1997.
Neuropédagogie, Le cerveau au centre de l’école. Michel Blay et Christian Laval 20 juin 2019 Jacqueline Bonnard Michel Blay et Christian Laval Tschan & Cie 2019, 10 euros Un livre de 77 pages à mettre entre toutes les mains des professionnels de l’éducation qui s’interrogent sur le bien-fondé du recours systématique aux neurosciences pour expliquer les difficultés d’apprentissages des élèves et justifier le recours aux bonnes méthodes ( exemple, le livret : Pour enseigner la lecture et l’écriture au CP) qui seraient fondées sur l’état de la recherche. Loin de s’arrêter aux portes de l’école, il semble que ce soit la société toute entière qui s’est emparée d’un nouveau paradigme où le « cerveau » et son potentiel computationnel devient central. Le registre neuronal envahit tous les secteurs d’activité : neuroéconomie, neuromanagement, neurodroit, neuroculture, neuropédagogie. On enjoint à tout un chacun d’apprendre « à bien se servir de son cerveau pour mieux réussir à l’école, pour mieux travailler en entreprise, pour mieux décider en matière d’économie financière et choisir en politique », une sorte de neuropolitique généralisée. Cette conception de l’homme que réfutent les auteurs s’appuie sur les interprétations d’une imagerie cérébrale qui, certes, donne de précieux renseignements sur la façon dont fonctionne le cerveau lors de tâches plus ou moins complexes. Il est à noter que ces images corroborent ce que beaucoup de pédagogues pressentaient : la grande plasticité neuronale qui accompagne et que favorise le développement de la pensée au cours des apprentissages. Le Tous Capables ! du GFEN y trouve bien un argument au postulat d’éducabilité mais il conviendrait qu’on ne se limite pas à renvoyer chacun à son cerveau et ses règles « naturelles » de fonctionnement au détriment des apports de l’environnement et des autres. Deux parties pour cet ouvrage La première partie présente le contexte historique et intellectuel dans lequel ce mouvement s’est opéré et qui a conduit à l’avènement de la neuropédagogie, volet éducatif de la neuropolitique. Christian Laval (professeur de sociologie à l’université Paris Ouest Nanterre La défense) montre que l’entrée de la neuropédagogie en France (2017) n’est qu’un « effort de rattrapage » par rapport à une situation mondiale débutant à la fin des années 80 dans un mouvement général qu’on retrouve dans tous les domaines : politique, économique, juridique et où l’on entend définir les modes de gouvernance des individus à partir de la connaissance du cerveau humain. La neuropédagogie deviendrait la science unique de l’éducation gommant les déterminations sociales et culturelles des parcours scolaires et détiendrait « la clé de l’efficacité universelle en matière éducative ». Christian Laval rappelle que la neuropédagogie est née aux Etats Unis dans un contexte historique et économique particulier marqué par la compétition entre économies et entre systèmes éducatifs à l’échelle mondiale. Dans les années 1990, le développement de l’imagerie cérébrale d’une part, la mise en accusation des méthodes pédagogiques d’autre part (alors qu’il n’y a aucun lien apparent) permettent une inflexion dans la réforme néolibérale de l’école visant « l’excellence » plutôt que « l’équité ». Parallèlement l’enseignant deviendrait « un ingénieur éducatif », « traducteur entre recherche et pratique ». Les chercheurs de l’OCDE ont joué un rôle de catalyseur dans la dissémination de ces conceptions au niveau européen (2007), avec une accélération remarquable en France. Derrière les conceptions neuropédagogiques, l’auteur montre que la visée réelle concerne la définition d l’homme lui-même. Peut-on définir biologiquement « les outils intellectuels », les concepts, les pensées ? La seconde partie soumet à la critique historique et épistémologique les fondements de la conception actuelle du cerveau (cerveau computationnel) sur lesquels s’appuie la neuropédagogie. Michel Blay (sociologue et historien des sciences, directeur de recherche au CNSR) montre que les chercheurs actuels associent le plus souvent le fonctionnement du cerveau à celui d’un ordinateur (computer) : il serait algorithmisé. De ce fait, les neuroscientifiques minimisent le rôle de l’environnement historique, culturel et social ; seules comptent les observations faites à partir de l’imagerie cérébrale et des zones du cerveau repérées au cours des activités. Mais comment de cette simple observation en déduire la présence de processus de types algorithmiques qui se programment et déprogramment ? Sauf si on part de ce postulat, auquel cas on voit ce qu’on attend y trouver. Ce qui renvoie à une certaine conception de la nature et du monde qui nous entoure. Michel Blay replace cette conception dans une perspective historique en déclinant les différentes représentations de la nature et du monde en fonction des époques, l’évolution des techniques et des transformations sociales qu’elles produisent. « Depuis deux siècles environ les choses comme les êtres ne sont plus ce qu’ils sont, mais déjà mécanisés, transformés en réserve d’énergie et nombrés, ils sont déjà un peu désincarnés, dépourvus de leur existence réelle ». Pour lui, le monde computationnel s’impose en lieu et place de choix politiques et de modes d’existence nouveaux. Il s’interroge sur le « ni droite, ni gauche » affiché par certains scientifiques alors que leurs travaux influent sur le mode de vie d’hommes et de femmes sans que ces derniers aient donné leur avis..Cette vision computationnelle renvoie à « l’homme ordinateur » au cerveau normé et éduqué. Est ce souhaitable ? Est ce ce que nous souhaitons ? « Il serait temps de se rappeler qu’un homme vivant, vous et nous, n’est jamais réductible à un nombre, à une fiche, à un code ou à un algorithme quelle que soit la plasticité de son cerveau ! » Ouvrage rapide à lire, clair et éclairant sur un processus qui vise à changer en profondeur l’acte d’enseigner et met à mal nos valeurs. Jacqueline BONNARD
Quelques notes mitigées sur « Enseigner en petite section » de Marie Goëtz-Georges, Retz 10 avril 2019 Valérie Pinton éditions Retz dans la collection Pédagogie pratique – avec un CD-Rom Juste quelques mots pour dire que ce livre est une réédition de « Débuter en petite section » paru en 2009, sans mention « édition revue et augmentée ». Evidemment en pédagogie, tout ne se réinvente pas chaque année mais dans la période 2009-2019, beaucoup de choses se sont passées à l’école ! Loi sur la refondation de l’Ecole de la république, 2013 — nouveaux programmes de maternelle, 2015. Il n’y a pas d’accroche aux nouvelles prescriptions, sauf une note de bas de page (page 71) et exactement 10 lignes page 157. Quant aux références bibliographiques, elles datent toutes des années 1999-2000-2002. Dans la recherche aussi, il s’est passé des choses depuis 20 ans ! L’ouvrage comprend deux grandes parties : la première aborde l’aménagement et la gestion de la classe, la deuxième propose des activités. En dehors de cet ancrage hors du travail prescrit actuellement, il me semble que l’ouvrage présente d’autres défauts dans le travail réel : apprentissages spécifiques en petite section – connaissance des potentialités d’un enfant de3 ans — travail en collaboration avec l’ATSEM. Quant aux activités proposées, elles manquent d’originalité et de références théoriques et didactiques. (Les extraits de l’ouvrage sont en italiques.) 1/ L’ouvrage offre des généralités qui ne s’adressent pas spécifiquement à l’enseignement dans une petite section. Les conseils sur la gestion de la classe paraissent éloignés de ce qu’on peut demander aux élèves dans les regroupements, les ateliers par exemple. – Les exemples de documents utilisés en classe sont écrits en cursive. Pour les ateliers (page 42) un tableau nous en montre l’organisation et les prénoms des enfants sont écrits en cursive avec la majuscule en cursive ; inaccessible en petite section. Autre exemple : une fiche d’auto-évaluation, que l’on peut placer au-dessus de chaque porte-manteau — je sais enfiler mon manteau — avec majuscules et lettres cursives. Ceci ne relève que la forme mais que penser de l’auto-évaluation en petite section. Rien n’en est dit. – Avec le rituel de la mascotte, un rituel de la phrase écrite (ce que la tortue rapporte comme objet rapporté de la maison par les enfants à tour de rôle. Et voilà la phrase (toujours écrite avec majuscules et lettres cursives) : C’est Anaïs qui apporte une étoile de mer dans la carapace de la tortue. On peut s’interroger sur la syntaxe (c’est… qui) et du Puis : On amènera les élèves à noter la présence du point et de la grande lettre que l’on appelle majuscule. La mascotte est un outil intéressant pour faire des liens école/familles, pour organiser des enseignements de l’oral mais en petite section mais ce n’est pas explicité. Est-ce utile de passer à l’écrit ? A la place, on aurait pu imaginer des jeux de kim, de questions-réponses, avec des réponses uniquement par oui ou par non, … – L’emploi du temps de la première journée de classe est présenté avec la consigne suivante (page 20) : ne pas exiger que tous les élèves viennent se regrouper, il faudra plus de temps à certains pour s’intégrer au groupe et aux activités. Le jour de la rentrée effectivement, certains élèves ne seront pas prêts ! Les enseignants, même débutants, peuvent le penser eux-mêmes. 2/ La collaboration avec l’ATSEM est traitée en 4 pages. Comment ce volume insignifiant sur le travail intermétier peut aider pour les jeunes collègues qui arrivent en maternelle et doivent partager cet espace-temps avec un·e autre professionnel·le ? On y lit (pages 63 et 64) : Bien souvent les communes établissent une charte définissant les tâches qui peuvent être demandées à l’ATSEM, selon son bon vouloir, sur le temps scolaire. – En présence de l’enseignant, seul celui-ci peut juger bon de réprimander un enfant. L’ATSEM peut cependant faire part à l’enseignant des actes de l’élève. (extrait d’une « charte de l’ATSEM et de l’enseignant » dont on ne connait pas la sources Les ATSEM sont présentés tour à tour comme tout-puissants et infantilisés… Il aurait été intéressant de dire que leur rôle éducatif est cadré dans des textes. 3/ Les ateliers sont présentés comme des routines qu’on n’interroge pas et leurs contenus peuvent être sujet à caution. Un exemple (page 36) – Groupe 1 — 10 élèves Réaliser un cadeau pour la fête des parents : un cadre en pois chiches avec la photo de ses parents dedans. Le lundi, on les trie. Le mardi, on les peint. Atelier autonome. Le jeudi, on les colle. Le vendredi, on découpe la photo et on vernit le tout. Atelier dirigé. Ils vont être contents les parents ! On a fustigé les colliers de nouilles mais là, ça vaut son pesant de… pois chiches. 4/ L’enseignement de la compréhension de textes narratifs n’est pas travaillé. Dans les années 1980, quand les BCD ont été créées dans les écoles et que la littérature de jeunesse a été tintroduite dans les écoles, on recommandait de faire deviner aux élèves les contenus des albums en leur faisant observer l’image de couverture. La maitresse lisait et on infirmait ou confirmait les hypothèses émises. Avec les apports nombreux faits depuis 20 ans par les recherches, on sait que cette activité est contreproductive pour comprendre le texte lu par l’adulte et s’en faire une représentation mentale. « Si on veut apprendre aux élèves à s’intéresser à l’écrit et à faire un usage analogue des mots et des images, il faut dans un premier temps les empêcher d’utiliser le moyen de représentation le plus à leur portée c’est-à-dire l’image. Faute d’être clair sur cette question, on croit mettre les élèves au travail sur l’écrit alors que l’image le rend inutile. » Brigaudiot, 2000 « C’est par les mots que se construit le sens. Il faut donc commencer par dire et redire pour que les images se façonnent et prennent corps mentalement. » Gioux, 2004 Ne pas voir les illustrations oblige les élèves à traiter l’écrit, les mots, les phrases, le texte ; à fabriquer un film (dynamique) dans leur tête, qui intègre les représentations des différents personnages (en puisant dans leurs connaissances), des lieux, des déplacements, des actions… C’est possible dès la petite section. Voir la collection Narramus (Apprendre à comprendre et à raconter) de Sylvie Cèbe et les albums « Le machin » et « Un peu perdu ». https://www.editions-retz.com/pedagogie/francais/narramus-le-machin-album-et-cd-rom-9782725636269.html Selon l’auteure, il faut « exploiter » l’album, faire à partir de lui tout un tas d’autres choses que d’entrer dans la littérature, des activités dans tous les domaines, mathématiques, sciences, arts plastiques, comme on exploite un filon dans une mine. Les projets suivent des thèmes (1 par période) qui ne présentent pas vraiment d’originalité dans les propositions. En conclusion, cet ouvrage est une somme de pratiques d’une personne, qui a été enseignante en école maternelle et est devenue inspectrice de l’éducation nationale. (Le projet de circonscription est accessible sur internet) Il y a un adossement théorique qui date et peu de références didactiques — l’école maternelle en a besoin, c’est une école où on enseigne et où on apprend. Il n’y a pas non plus de réflexion explicitée au lecteur du « pourquoi je fais ça comme ça ». On est dans le « faire », comme souvent on met les élèves en situation en maternelle, mais on n’est pas dans le « penser ». Il n’y pas de questionnements sur les rituels, les ateliers, les projets thématiques. A quelles conditions favorisent-ils les apprentissages ? Quels apprentissages ? Comment réduire les inégalités socio-scolaires présentes dès l’entrée à l’école maternelle ? C’est dommage… car il n’y a pas tant que ça dans la production éditoriale d’ouvrages sur la section des petits en maternelle. Isabelle Lardon 16.03.2019
Territoires vivants de la République. Ce que peut l’école : réussir au-delà des préjugés – coord. B. Falaize 19 mars 2019 Valérie Pinton Echos de lecture à propos du livre La Découverte, 2018 – Version papier : 18 € – numérique : 12,99 € Présentation de l’éditeur Depuis une quinzaine d’années, un discours décliniste sur l’école ne cesse d’occuper la scène publique et médiatique, insistant sur la grande difficulté, voire l’incapacité des enseignants à exercer leur métier dans les quartiers déshérités face à de jeunes élèves essentialisés (communautaristes, antisémites, sexistes, anti-France…). Pourtant, dans ces territoires que l’on ne sait désigner que par leurs difficultés, leurs handicaps ou leurs dangers, l’école fait son travail, quotidiennement et avec acharnement, de manière presque invisible. C’est ce que souhaite montrer ce livre, en offrant un autre regard sur les réseaux d’éducation prioritaire et, plus largement, sur les enfants de milieux populaires et le travail des enseignants. Ces derniers livrent ici des témoignages précieux pour partager leurs expériences et retranscrire la parole de leurs élèves. Pour montrer que les écoles républicaines peuvent et savent être des lieux d’accueil et de mise en partage de ce qui est commun comme de ce qui divise. Sans tronquer la réalité ni minimiser les problèmes, ce livre restitue les conditions possibles et réussies de l’enseignement en France aujourd’hui. Il défend ainsi une vision politique de l’école, d’intégration, d’affranchissement et de construction civique. Lire Café pédagogique – Article paru dans l’expresso du 24 août 2018 L’école en banlieue : « Territoires vivants de la république » « Le titre n’a pas été choisi au hasard. Mais, bien qu’il fasse référence au livre « les territoires perdus de la république », le but de cet ouvrage n’est pas de se positionner contre », nous explique Amaury Pierre, l’un des nombreux auteurs des « Territoires vivants de la République » (La Découverte), enseignant en collège à Stains (93). Fabien Pontagnier, auteur lui aussi et professeur dans le même collège, ajoute : « Notre but n’est pas de nous positionner contre un livre mais plutôt contre un système de pensée, un discours, qui veut que l’enseignement dans certaines banlieues dites difficiles soit réduit à du sensationnel. On oublie d’en décrire le quotidien de notre métier d’enseignant qui n’est pas, non plus, un acte de foi, un engagement messianique, tel qu’il peut, a contrario, aussi être présenté. Nous avons souhaité, simplement, raconter nos expériences, multiples de par nos parcours divers, faites de réussite mais aussi d’échecs ». Coordonné par Benoit Falaize, l’ouvrage montre, sans faire l’impasse sur les difficultés, le travail obstiné de l’Ecole pour la réussite de ces jeunes malgré les préjugés. Lire Le Monde Idées – Propos recueillis par Luc Cédelle le 3 septembre 2018 Laïcité à l’école : « territoires perdus » et « territoires vivants » de la République Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie, et Benoît Falaize, chercheur correspondant au centre d’histoire de Sciences-Po, publient deux livres offrant des visions divergentes de la laïcité en milieu scolaire. Ils confrontent leurs points de vue dans un entretien croisé au « Monde ». France culture émission Etre et savoir de Louise Tourret du 30 septembre 2018 Avec une des auteures du livre Ecouter France culture, émission Matières à penser par Patrick Boucheron du 26 septembre 2018 Notre besoin d’histoire (3/5) – L’école, la nation et la joie d’enseigner On lit dans Les territoires vivants de la République des témoignages sur la joie d’enseigner. « Et pourquoi ne pas le dire ? Faudrait-il le cacher ? Qu’avons-nous à perdre à dire aussi ce qui fonctionne ? » France inter – L’édito politique de Thomas Legrand du mercredi 4 septembre 2018 Ecouter France inter – émission Une journée particulière de Zoé Varier du 13 janvier 2019 Avec Elsa Bouteville. Ecouter Mediapart par Faïza Zerouala le 10 septembre 2018 Les «Territoires vivants de la République» font le récit de l’école des déshérités. Dans cet ouvrage collectif au titre éloquent, l’historien Benoît Falaize et la trentaine d’enseignants et personnels éducatifs de tous degrés qui l’épaulent racontent leur école. La plupart exercent en éducation prioritaire et tous s’insurgent contre l’idée selon laquelle il y aurait des zones de non-droit éducatives. Lire Blog Mediapart de Charles Conte, chargé de mission à la Ligue de l’enseignement – 28.09.2018 A propos des Territoires vivants de la République. L’ouvrage propose un panorama lucide et volontariste. Lire Arrêt sur images – 21 septembre 2018 Territoires vivantsde la République : « On n’a pas de lunettes roses ! » A force que la formule soit répétée, ressassée, déclinée, elle avait fini par prendre la force d’une évidence. Il y aurait dans la République des territoires perdus, les banlieues pauvres. Il a fallu attendre 16 ans pour que la riposte arrive sous la forme d’un recueil de témoignages d’enseignants. Pour Daniel Schneidermann, « il s’agit d’un des livres politiques les plus importants parus ces derniers années, un livre à lire absolument. » Lire Vousnousils, l’e-mag de l’éducation – 14 novembre 2018 Territoires vivants de la République : « Il y a tellement d’enseignants engagés, qui exercent avec dévouement pour leurs élèves ». Qui est Benoit Falaize ? Agrégé et docteur en histoire, Benoit Falaize a été formateur pendant plus de 15 ans à l’IUFM de Versailles puis à l’ESPÉ de l’Université de Cergy-Pontoise. Professeur d’histoire-géographie, il a d’abord été chargé de mission sur l’Illettrisme au Groupe permanent de lutte contre l’Illettrisme, puis chercheur à l’Institut national de recherche pédagogique (INRP), chargé des questions sensibles de l’enseignement de l’histoire. Auteur d’une thèse sur l’histoire de l’enseignement de l’Histoire à l’école élémentaire, de la Libération à nos jours. Chercheur spécialiste de l’histoire de l’école, des questions d’éducation à la citoyenneté et de l’enseignement de l’histoire. Inspecteur général de l’éducation nationale – chercheur correspondant au Centre d’histoire de Sciences Po.
La riposte : pour en finir avec les miroirs aux alouettes – Philippe Meirieu 19 mars 2019 Valérie Pinton Editions Autrement, 2018, 17 € « La riposte » aux attaques dont est victime l’Ecole publique et la pédagogie Pour qui connait les travaux de Philippe Meirieu, ce dernier livre n’apporte rien de nouveau par rapport à ce qu’il dit depuis de nombreuses années mais il a l’immense mérite de faire le tour de toutes les questions de pédagogie exacerbées dans la période actuelle. « La riposte » arrive à point nommée contre toutes les invectives, annonces, injonctions ministérielles. Philippe Meirieu reprend point par point les « sujets qui fâchent », les questions vives, non tranchées, qui n’appellent pas de « bonnes réponses » ou des protocoles simplistes ; non, plutôt des questionnements qui font débat dans le milieu professionnel, qui doivent faire débat de société. L’Ecole est un sujet éminemment politique, au sens étymologique du terme, c’est-à-dire relevant de la cité et des citoyens. Et c’est bien l’objectif de Philippe Meirieu de donner à penser l’école, apporter sa contribution, riche de son expérience de professeur qui a toujours gardé des élèves malgré ses responsabilités et travaux de chercheur – c’est suffisamment rare pour être signalé – riche aussi de sa culture historique et de ses engagements dans l’éducation nouvelle et l’éducation populaire. On peut regretter au GFEN qu’il ne fasse pas suffisamment à notre goût référence à notre mouvement – le GFEN est cité une fois dans l’ouvrage mais c’est ainsi, Philippe Meirieu est un éclectique de génie, un formidable tribun et un fidèle à ses choix éducatifs et politiques sur l’école. Depuis 50 ans, il est au cœur du système, et il y a encore toute sa place, regard de grand témoin tellement aiguisé ! Son écriture est simple, ordonnée, documentée et l’ouvrage peut être mis dans toutes les mains de celles et de ceux qui les trempent dans le carburateur (*ref. Matthew Crawford), qui « mouillent la chemise » au quotidien pour faire fonctionner l’Ecole malgré tout. De nombreux sujets sont abordés, comme il est annoncé sur la page de couverture : les pédagogies alternatives, les neuro-sciences, … mais pas que… la lecture, leprojet, le développement, l’attention, l’évaluation, le goût d’apprendre… Plutôt que de passer en revue tous les contenus du livre, j’ai envie d’en faire ressortir des petits extraits, des phrases choc, qui ont fait résonance en moi, piochés au fil de l’avancée de l’ouvrage, de la façon la plus subjective qui soit. Comme une anthologie personnelle des plus belles pensées ou des plus efficaces « remèdes à ma mélancolie* » pédagogique (*ref. une émission de France-inter), non pas comme des vérités assénées mais plutôt comme des pistes pour prolonger le débat. En exergue, une citation très belle de Pessoa De ma vie, trois impressions demeurent aujourd’hui : la certitude d’être toujours au commencement, la certitude qu’il me faut absolument poursuivre et la certitude que je serai interrompu avant d’avoir terminé. Sur l’Ecole et la pédagogie… La sérénité n’est pas à l’ordre du jour (page 9). Imputer aujourd’hui les difficultés de l’Ecole aux « gourous des sciences de l’éducation » est une imposture (page 11). L’entreprise pédagogique… J’aurais voulu pouvoir rappeler simplement « deux ou trois choses que je sais d’elle » (ref Godard). Que nous devons faire le pari que tout être est éducable et qu’il peut apprendre et grandir (page 13). Et l’on passe à côté de la véritable pédagogie, celle qui forme la liberté tout en assumant des contraintes fécondes, qui transmet la culture dans ce qu’elle a de plus exigeant sans supposer qu’un discours magistral bien construit abolit magiquement toute résistance, qui s’efforce, au quotidien, de conjuguer le plaisir et l’effort dans les apprentissages (page 34). Se demander quelle « Ecole fondamentale » nous voulons, quelle Ecole nous devons construire, pour quelle société et pour quel monde (page 35). Respecter l’élève, ce n’est pas l’abandonner à lui-même mais le nourrir pour qu’il puisse se dépasser ; que l’engagement dans un apprentissage suppose de partir de l’enfant tel qu’il est, mais impose de le faire accéder à des territoires nouveaux ; que « mettre l’élève en activité », ce n(est pas le laisser construire ses savoirs tout seul, mais, bien au contraire, préparer précisément chaque étape de leur appropriation ; que la véritable coopération doit être préparée individuellement en amont et organisée afin d’éviter la division du travail en fonction des compétences préexistantes, etc (page 46). La motivation ne précède jamais « l’entrée en matière », car on ne peut être motivé pour ce que l’on ignore ; la motivation, en revanche, nait dans « l’entrevoir », quand le maitre, sans déflorer le contenu du savoir, sait créer l’énigme et susciter le désir de s’engager dans l’apprentissage… Les objectifs de l’Ecole comme « institution » – ce qui fait tenir debout – doivent donc être toujours présents, ici et maintenant. Les transformer en préalables, c’est habiller notre renoncement des oripeaux d’une rationalité technocratique. C’est, tout simplement, renoncer à démocratiser l’accès aux connaissances nécessaires à l’exercice de la citoyenneté aujourd’hui. C’est creuser les inégalités (page 52). Desserrer les mâchoires enter la pulsion et l’acte, faire de la place à la pensée et la nourrir par la culture. Tel est le rôle du pédagogue. C’est pourquoi il recherche et propose inlassablement les contraintes fécondes, celles qui, loin de brimer la liberté, permettent au sujet de la construire (page 89). Le chapitre 7 « quelles connaissances mobiliser pour atteindre nos finalités » est à mes yeux essentiel, faisant la part belle aux théories de Vigotski , Wallon et Bruner. Ils insistent tous les trois sur l’importance des interactions entre un sujet et son environnement C’est pourquoi éduquer nécessite une institution, au sens étymologique du terme : ce qui fait tenir debout… Ce qui permet d’entrer en relation avec les autres sans s’assujettir à eux ni chercher à les soumettre. Une institution ne peut être réduite à son règlement… Une institution est d’abord un projet collectif… Il faut que l’Ecole tout entière, en tant qu’institution de la Nation, soit « instituante » et exprime… les valeurs qu’elle incarne (page 196). Le projet d’une école inclusive devrait engager, du primaire à l’université, un mouvement délibéré de mixité sociale et générationnelle, d’intégration d’enfants, d’adolescents et d’adultes ayant des parcours de vie, des richesses et des difficultés différentes, de rencontre entre des personnes qui, malgré leur hétérogénéité, doivent apprendre à se respecter, à travailler ensemble, à s’entraider réciproquement et à « faire société » (page 255). Je crois que les véritables « fondamentaux » qui doivent structurer la transmission scolaire et présider à l’élaboration et à la mise en œuvre des programmes sont la capacité de pensée, l’accès aux chefs d’œuvre – ceux que l’on étudie et ceux que l’on fait – et l’apprentissage de la coopération (page 269). Le débat démocratique sur l’éducation et l’Ecole est en déshérence… L’Ecole, une institution qui n’est pas seulement destinée à « apprendre » mais aussi à « apprendre ensemble »… Le bien commun… chacun et chacun doit y voir le moyen de gagner en humanité future… (page 273). On en parle ici : Café pédagogique Le monde Le Nouvel Obs Le blog de Claude Lelièvre Questions de classe AFEF Isabelle Lardon
Lire, c’est comprendre – Eveline Charmeux 10 décembre 2018 Jacqueline Bonnard Donc apprendre à lire, c’est apprendre à comprendre ce qui est écrit Eveline Charmeux, Editions Universitaires Européennes, 2018 Livre bilan d’une vie de recherche passionnée, en réponse à l’actualité révélée par l’enquête PIRLS 2016 sur les médiocres performances des élèves français en matière de compréhension, faisant écho à ce qui (il y a plus de 50 ans déjà) avait légitimé les recherches de l’INRP ayant abouti dans les années 70 au Plan de rénovation de l’Enseignement du Français. Abondamment illustré par des exemples de pratiques et une proposition de progression du cycle 1 au cycle 4 , l’ouvrage débute par la mise en cause de ce qui, aujourd’hui encore, constitue le quotidien de beaucoup d’enfants, la pratique laborieuse du déchiffrage, considéré comme prémisse incontournable de l’apprentissage de la lecture, et l’oralisation, utilisée comme moyen de sa propre finalité, faussement baptisée « lecture ». Interpellation de fond de ce qui (à nouveau aujourd’hui) est réactualisé comme voie royale pour l’apprentissage. Si lire c’est comprendre, est-il nécessaire, souhaitable, de former préalablement les jeunes élèves à autre chose qu’apprendre à comprendre ? Interpellation forte dès les années 70-75, questionnant ces préalables comme étant de fausses pistes induisant chez les élèves une conception erronée de l’activité lecture, malentendu redoutable et qui s’avère durable pour ceux qui n’ont pas ou peu d’appui en dehors de l’école pour en contrecarrer les effets. Quel argumentaire est avancé pour contrer cet allant de soi qui perdure ? Une relative indépendance entre ce qu’on voit et la façon de le prononcer, la valeur sonore des unités graphiques dépendant de la signification. Ainsi par exemple, l’exemple des mots homophones (ses, ces, sais, sait, c’est, s’est) dont la prononciation ne suffit pas à les comprendre, ou la terminaison graphiquement semblable mais prononcée différemment dans : il se retient, il est patient ou ils balbutient. Autrement dit, s’il reste important se découvrir une relation entre sons et signes graphiques, il s’agit de faire percevoir aux élèves qu’elle est variable selon le contexte. « Ce qui implique (…) que cet apprentissage du fonctionnement des signes de l’écrit ne peut être le tout premier, puisqu’il ne peut s?effectuer que sur des écrits connus et compris. Toutefois il reste indispensable, de façon à la fois distincte du travail sur la compréhension et, en même temps, parallèlement à lui. » (p. 12) Suit un long exposé des principes d’apprentissage, à la croisée du pédagogique et du didactique, qui fait écho à l’approche du GFEN, se démarquant de ce qui relèverait d?une « méthode » pour y préférer une « démarche », attentive au déjà-là des élèves et les impliquant dans une attitude scientifique de recherche. Quelles en sont les grandes lignes ? Contrairement à l’approche usuelle qui le considère comme table rase, l’élève sait déjà des choses (sans en avoir toujours conscience) et a besoin de ressorts pour investir le travail : le besoin d’apprendre, très diversement ressenti, doit donc être stimulé et soutenu. Outre l’importance du sens des situations à cet égard, l’espace d’apprentissage gagne à être sécurisé : la clarté cognitive, une sollicitation graduelle, l’échange entre pairs, l’attention aux progrès et le climat de classe y contribuent, tout comme le temps accordé à l’apprentissage dans le cadre des cycles, encore trop souvent malmenés. L’approche de l’apprentissage s’inscrit dans une dialectique libération / structuration, prenant appui sur une pédagogie du projet référant aux pratiques sociales du lire-écrire (propres à légitimer, à finaliser, à donner sens à l’apprentissage), qui conduisant à la conscience de besoins, traités en alternance lors de moments d’apprentissage. Comprenant situations-problèmes et activités d’entraînement et de réinvestissement, ces activités de construction de savoirs visent plusieurs compétences : d’orientation dans l’univers de l’écrit (connaissance des objets à lire), sémiotiques (portant sur l’activité lecture elle-même, sollicitant interprétation, mises en relation et raisonnement) et langagières (explorer les différentes variations langagières et le fonctionnement spécifique de l’écrit, au service d’une communication différée exigeant précision et concision). Contre les présupposés usuels en matière d’apprentissage de la lecture, est réaffirmée l’idée qu’installer préalablement des « mécanismes » du déchiffrage au prétexte de libérer le travail nécessaire à la compréhension ne fait qu’endormir la vigilance des élèves quand a contrario la lecture nécessite constamment raisonnement et réflexion. Par ailleurs, il n’existe pas de « savoir lire de base » qui serait mobilisable dans toutes les situations de lecture : la lecture se caractérise par une intention (on lit pour), s’exerce sur des supports spécifiques et nécessite des conduites adaptées. Ce qui a des incidences sur la nature des situations proposées en classe. L’ouvrage décline ensuite les objectifs souhaitables selon les divers cycles, dont la réalisation est illustrée par de très nombreux exemples de pratiques expérimentées dans des classes. Pour le cycle 1, les objectifs croisent les programmes officiels, invitant à la découverte et l’exploration de la diversité d’objets à lire, ainsi qu’à l’approche des spécificités de la langue écrite par rapport à la langue orale d’usage. Le rappel de la légitimité de l’inscription de l’apprentissage dans une large temporalité n’est pas inutile pour le cycle 2, à l’heure où certaines recommandations semblent en faire l’impasse. Des exemples sont donnés de situations « vraies » (album, conte, chanson, poème, affiche) amenant les élèves à faire des hypothèses à partir de la pluralité des indices et à débattre collectivement de la signification, mais aussi de soumettre ces hypothèses à la vérification. Parallèlement, sont exposées des activités explorant le fonctionnement de l’écrit. Outre la précision des pratiques relatées, la progressivité des objectifs va des observations des premiers jours du CP à l?exercice de la lecture à haute voix (distinguée de l’oralisation) et à la lecture d’étude (de consignes, de documentaires, de manuels) au CE2, en prélude des cycles qui suivent. Pour les cycles 3 et 4, l’auteure rappelle qu’il reste beaucoup à apprendre pour parvenir à la maîtrise, à des niveaux où trop souvent, on a pu considérer que l’essentiel était fait. Avec toujours ce souci de mailler des situations incitatrices où s’éprouve le plaisir de lire et des activités de structuration, il s’agit alors d’asseoir les stratégies de compréhension, d’apprendre à lire vite mais aussi de maîtriser la lecture à haute voix, d’apprivoiser la lecture documentaire comme la lecture littéraire, d’approcher les oeuvres intégrales et la lecture de réflexion. Là encore, les exemples sont nombreux et détaillés. Si on y ajoute le glossaire et les références, c’est au total un ouvrage dense qu’Eveline Charmeux nous propose, à la typographie fine pour des contraintes d’édition, au risque d’une profusion visant l’exhaustivité qui, si elle risque d’être préjudiciable à une lecture aisée, a l’immense mérite de poser avec force des problématiques de travail ambitieuses et exigeantes auxquelles le GFEN ne peut que souscrire. En rupture avec le ressac des formules nostalgiques qui périodiquement préconisent de faire simple, c’est une invitation à l’audace intellectuelle et à la finesse d’approche d’un apprentissage complexe, étayée par de nombreux exemples qui l’opérationnalisent, comme autant d’opportunités pour faire fructifier l?intelligence des élèves. Jacques Bernardin