Comprendre les pratiques et pédagogies différentes, Yves Reuter

éd. Berger Levault, « Les indispensables », 2021

Yves Reuter nous livre un « petit » livre pour comprendre les pratiques et les pédagogies différentes, « petit » par le format, mais « indispensable » comme l’indique le nom de la collection chez Berger Levrault, dans lequel il est publié.

C’est le livre d’un chercheur « impliqué », parce que, estime l’auteur, quand on est chercheur en éducation centré sur les pratiques d’enseignement et d’apprentissage, « il est difficile de ne pas avoir une forme d’engagement, une posture « impliquée » ou, (…) un « horizon praxéologique ». Il nous offre un guide pour mettre en place et analyser des pratiques pédagogiques nouvelles à travers trois temps : analyser des fonctionnements pédagogiques différents, questions de méthode et débats. Chaque chapitre est divisé en sections, subdivisées à leur tour en sous-sections qui proposent une synthèse rapide mais claire et efficace des différentes questions abordées, suivies presque toujours d’une bibliographie, ce qui est bien commode pour le lecteur qui souhaite approfondir une question spécifique.

Yves Reuter, à partir de ses travaux sur les écoles de Mons-en-Barœul et de Vitruve (XX° arrondissement de Paris) et sa connaissance des pédagogies différentes, rappelle dans le premier chapitre, les fondamentaux communs aux pédagogies différentes – les apprentissages au cœur de l’école, le postulat d’éducabilité, l’activité du sujet apprenant, la complexité qui caractérise tout autant le processus d’apprentissage que celui d’enseignement – et propose « une vingtaine de principes d’action qui permettent l’opérationnalisation de [ces] principes fondamentaux ».  En ce qui concerne l’évaluation (chapitre 2), il dénonce le rôle négatif de la peur sur la mémorisation et les apprentissages et le fait que, dans les évaluations classiques, l’élève, « appréhendé comme un potentiel délinquant scolaire », soit, avant tout « un sujet à surveiller et à corriger ». A l’opposé, il développe, dans le chapitre 3, avec l’exemple de la coopération, l’idée que les pédagogies différentes sont des lieux de ressources.

Dans le chapitre 4, il analyse les critiques à  l’encontre des recherches qui éablissent les intérêts des pédagogies différentes, caractérisées, pour lui, par la naïveté, l’ignorance ou le mépris, une position qui « tient plus d’une foi en « La Science », sur un modèle quasi religieux, que d’approches scientifiques », qui révèlent que « l’institution et certains chercheurs semblent préférer la résignation et l’inertie à la volonté de changer ce qui ne marche pas », et une certaine indigence propositionnelle basée, principalement sur le « modelage » de l’élève, par le biais de l’enseignement dit explicite, et l’absence de doute. Ces critiques évacuent constamment « les problèmes massifs des démarches pédagogiques « classiques » : échec socialement différencié, décrochage, climat dégradé, ennui, etc. » Il souligne, en outre, que la question de la « plus-value » est demandée à ceux qui pratiquent des démarches différentes mais ne l’est pas aux autres. En ce qui concerne les propositions spécifiques aux pédagogies différentes, une réponse possible pourrait se baser sur la multiplication des garanties de scientificité pour les chercheurs qui travaillent sur les pédagogies alternatives ; une vigilance symétrique quant aux slogans, « plus répétés que construits et mis en débat, de certains thuriféraires des pédagogie différentes » ; la notion de « plus-value » quant à ce qu’apporteraient des démarches différentes à mettre en interrogation dans la mesure où la preuve de cette plus-value n’est pas demandée aux pratiques « classiques » ; ne pas se limiter aux apprentissages disciplinaires considérés comme principaux ; ne pas en rester aux effets chez les élèves, hic et nunc mais prendre aussi en compte leurs trajets ultérieurs.

Le chapitre 5 est consacré à un référentiel pour analyser des démarches pédagogiques différentes, conçu comme « un outil de description et d’évaluation afin d’aider les équipes à mieux comprendre leurs points forts et leurs points de fragilité » et dont la première section aborde la question de l’histoire afin de comprendre comment elle « a façonné ce qui existe, au travers des permanences, des évolutions, des crises, etc.. ». C’est l’occasion, pour l’auteur, de rappeler les débuts de l’école Vitruve et « la mise en place en 1962 d’une pédagogie spécifique dans plusieurs écoles de la circonscription par l’inspecteur Robert Gloton, par ailleurs membre du GFEN ». Ce référentiel peut constituer, pour Yves Reuter, « un panorama de vigilances quant aux différents aspects du travail pédagogique », dans un contexte où, qu’on le regrette ou pas, « le changement est à justifier, le statisme peut s’en dispenser ».

C’est la question du débat nécessaire qui occupe les deux derniers chapitres (6 et 7) de l’ouvrage. Débat qui porte avant tout sur les critiques à l’encontre des pédagogies différentes concernant les confusions entre activités et apprentissage et sur les implicites et malentendus que ces pédagogies peuvent générer. L’auteur questionne l’idée qu’il pourrait exister des apprentissages qui s’effectueraient en dehors d’activités des élèves ou des pédagogies qui seraient non actives : tout savoir est construit, et il est impossible d’apprendre sans rien faire. En revanche, il s’agit de distinguer des modalités différentes d’activités et de privilégier celles par lesquelles « on essaie de donner aux élèves une maîtrise sur leur existence scolaire, de les associer aux décisions et de les constituer comme acteurs, avec une marge d’autonomie et des projets personnels ». En ce qui concerne la question des implicites et des malentendus, Yves Reuter remet radicalement en cause une idée, malheureusement maintenant trop convenue – « pour quelle raison cela ne toucherait que lesélèves issus de milieux défavorisés, ce qui est rarement étayé au-delà de simples assertions ? » – et dénonce une vulgate, séduisante « en raison de son apparente simplicité » , selon laquelle « nombre de problèmes, voire d’échecs, seraient dus aux implicites de l’enseignement, et dont la solution consisterait à pratiquer ce que d’aucuns appellent une pédagogie explicite ». Parmi les obstacles multiples à dépasser, nous retiendrons particulièrement ceux que l’auteur pensent être générés par certaines formes de militantisme pédagogique : la sous-estimation des variations nécessaires dans la mise en œuvre des principes pédagogiques selon les disciplines ; la privation de certains concepts précieux (« communauté discursive », « conscience disciplinaire », « contrat didactique », « dévolution », etc.) ; une réflexion parfois insuffisante sur les contenus et par voie de conséquences des pistes non explorées dans la compréhension des difficultés des élèves ;  l’absence d’utilisation de dispositifs de travail intéressants construits par les didacticiens. « Il s’agit de comprendre les obstacles « internes » pour mieux les surmonter ». Pour autant, l’auteur s’attache également à souligner les transformations de la « forme scolaire », les intérêts de ces transformations et la congruence avec nombre de recherches.

Et de conclure que, malgré l’exigence de prudence face à la maltraitance subie par les enseignants et à la dureté de l’imposition qu’ils subissent, il s’agit d’ouvrir des possibles par des démarches et des pratiques différentes : « c’est intéressant, c’est possible, c’est souhaitable. Elles ne peuvent pas tout mais elles peuvent beaucoup » !

Un livre, donc, indispensable pour tout enseignant, a fortiori d’Education nouvelle, parce qu’il permet de s’outiller sur les plans pédagogique et didactique et de (se) réassurer afin de poursuivre sur la voie de la transformation des pratiques, et de répondre également aux critiques de ceux qui préfèrent l’inertie et la résignation. A ce titre, saluons les références que l’auteur fait au GFEN, même si l’on peut regretter que la bibliographie concernant notre mouvement date quelque peu : pas d’ouvrage, ni d’article, après 1979! Mais la chose n’est pas si répandue et nous ne pouvons que nous réjouir de ces rappels. Un livre aussi pour se mettre en vigilance sur les freins à l’extension des pratiques alternatives à l’école dus aux militants pédagogiques eux-mêmes.

Maria-Alice MEDIONI
12 mars 202
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